Jean-Marie Gueullette, o.p. (Textes présentés par)
Le Père Lataste : prêcheur de la miséricorde

Paris – Cerf – 2007 – 406 p.

Paru en 1992, réédité en 2007, redécouvert et diffusé en 2012 lors de sa béatification, cet ouvrage sur le Père Lataste pourrait, au premier regard, sembler étranger à notre champ : il n’est jamais explicitement question d’éducation et sans doute le mot ne figure-t-il pas dans le texte. Et cependant, c’est d’elle qu’il s’agit éminemment ou, pour mieux dire, d’anthropologie éducationnelle. Sans doute connaît-on l’histoire de ce dominicain du XIXème siècle qui, envoyé prêcher une retraite à des femmes condamnées à de lourdes peines de réclusion, découvrit la qualité spirituelle de plusieurs d’entre elles et entreprit, avec détermination et malgré de nombreux obstacles, d’établir une congrégation -les dominicaines de Béthanie- où les « réhabilitées » seraient, après le temps requis de probation, admises à la vie contemplative, à parité avec « celles qui n’avaient point pêché ».

A une étude d’ordre biographique, Le Père Gueullette, professeur de théologie à l’Université Catholique de Lyon, qui fut le postulateur de la cause, a joint, dans ce livre, une série de documents du plus haut intérêt : les notes de prédication du Père Lataste, des données sur le régime concernant des femmes incarcérées à l’époque du Second Empire et, surtout un texte d’environ 70 pages, dans lesquelles, en 1866, le nouveau Bienheureux exposait la situation de celles que l’opinion commune ne manquait pas de rejeter, mais auxquelles, quant à lui, il entend proposer la consécration religieuse.

L’on voit ainsi, de manière saisissante, le contraste entre deux anthropologies : d’une part, l’anthropologie chrétienne, celle du fondateur qui, évoquant le cas de Marie-Madeleine, soutient que l’être humain n’est pas réductible à son passé mais peut le transcender, car la miséricorde de Dieu est infinie et transforme, quelle que soit leur histoire, ceux qui se confient à lui ; d’autre part, l’anthropologie commune, celle des chrétiens de base, prisonniers d’une vision fataliste, déterministe et peu ouverte au pardon ; tous ceux pour qui le « criminel » l’est à vie. Tel est, par exemple, le cas de ces dominicaines enseignantes, inquiètes à l’idée que certains parents pourraient désormais supposer que celles à qui elles « confiaient leurs enfants soient d’ancienne criminelles » (p.28).

Au total, quoi qu’il en soit du détail de la formulation, ce dilemme demeure très actuel : il est au cœur des débats contemporains sur la politique pénale comme sur l’éducation, qui continuent tous deux de diviser les esprits. En définitive, c’est le problème de l’éducabilité qui est en jeu. Et, ici, c’est son degré ultime : celui de la convertibilité spirituelle « oui, écrit le Père Lataste, toutes ces femmes ont été criminelles, et vous jugez qu’elles le sont encore : vous vous trompez » (p.273). Leur entrée en religion signifie le niveau maximal de la transformabilité de l’être humain. Cette vision apparut certes comme prophétique. Mais elle est loin, encore, d’être unanimement partagée. En lisant les pages du Père Lataste sur les « réhabilitées », on croirait parfois lire J.M. Petitclerc, quand il rejette l’usage fixiste  de la notion de « délinquant » ou de « voleur », etc. Et c’est aussi, dans un autre registre, le thème que l’on retrouve dans la réflexion actuelle sur l’éducabilité des adultes ; on pense, si diverses que soient leurs thématiques respectives, à ATD Quart-Monde ou à Henri Desroche. Voici, vraiment, une lecture qui s’impose.

Guy AVANZINI,