S. Yvette Guellier et S. Elisabeth Charpy
Les Filles de la Charité au Mans : fidélité dans la créativité, 1646-1986

Courbevoie – Imprimerie Chauveau – 2010 – 380 p.

Quoique ne portant que sur leur présence au Mans à partir de 1851, cette monographie, due à deux d’entre elles, éclaire doublement l’activité des Filles de la Charité : sur leur rôle dans l’histoire de la ville mais, au-delà, sur leur contribution spécifique à l’éducation populaire.

Les auteurs rappellent d’abord opportunément le contexte socio-culturel des origines de leur Compagnie, due à l’intuition spirituelle de St Vincent de Paul et de Sainte Louise de Marillac, et l’originalité de son statut canonique. Les Sœurs sont au service des pauvres, des indigents, et de tous les malheureux, qu’elles secourent tant grâce au Bureau de Bienfaisance que par leurs visites et soins à domicile. A cet égard, on appréciera la reconstitution minutieuse des épisodes et péripéties qui marquèrent leur activité apostolique, leur courage et leur fermeté face aux obstacles de toutes natures, et notamment à la perfidie persécutoire des anticléricaux de la ville, acharnés à leur expulsion. Et l’on admire ce que furent, ici comme ailleurs, leur persévérance, leur réactivité, leur obstination simple et modeste ; les bienfaits qui leur sont dus dans la ville du Mans illustrent ceux qu’elles ont répandus et poursuivront partout où elles sont installées.

Par ailleurs, et pour en venir au registre proprement pédagogique, qui est notre objet, cet ouvrage montre bien, quoiqu’il ne l’ait malheureusement pas explicitement identifié et formalisé, la mise en œuvre de ce modèle « intégraliste », caractéristique de la pédagogie chrétienne en tant qu’elle veut unir instruction et éducation. En ce 17ème siècle où, après Charles Démia, Jean-Baptiste de la Salle promeut l’école populaire, les Filles de la Charité, quant à elles, entendent aussi, et de manière intensifiée, engager la formation plénière de toute la personne. Si elles dispensent l’instruction aux filles, elles ne limitent pas là leur ambition. Attentives aux besoins de l’enfant, et de l’adulte qu’il est appelé à devenir, comme aux situations de famille, spécialement les plus pauvres, elles mettent en place un projet ambitieux. Ainsi, préoccupées de la petite enfance, elles ouvrent une crèche puis, avec d’autres Congrégations, participent à l’essor des salles d’asile, déjà lancées dans cette ville du Mans par Marie-Pape Carpentier[1], dont on sait combien elle voulait, dès le plus jeune âge et au plus vite, développer les facultés de chacun. Les Sœurs assurent aussi la responsabilité d’une école, l’Ecole St Benoît, à laquelle elles vont apporter tout leur zèle. Mais là ne se limite pas leur conception de l’éducation. Soucieuses de tous les moments de la vie quotidienne comme de la destinée spirituelle, elles n’oublient pas la place, et le danger éventuel, des loisirs. C’est pourquoi elles ouvrent des patronages. Préoccupées de l’intégration sociale des élèves, elles proposent aussi une formation professionnelle ; Enfin, pour que le métier soit mené de manière respectueuse de l’être humain, elles induisent, à l’imitation de la Bienheureuse Sœur Rosalie Rendu., des syndicats chrétiens et diverses œuvres sociales.

On le voit, cette histoire d’une implantation particulière dans une ville moyenne reflète bien ce qu’est le modèle Vincentien, sans doute insuffisamment identifié par les historiens de la pédagogie chrétienne, alors qu’il présente consistance et cohérence. Et l’on remarquera aisément aussi qu’il est adéquatement formulé par le sous-titre du livre : fidélité dans la créativité. En effet, c’est bien la fidélité à l’amour du prochain, du plus faible, qui suscite et qui impose une incessante créativité.

Guy AVANZINI



[1] Marie-Pape Carpentier – Notice n° 34 – pp 581-583 – in G. Avanzini, AM Audic, R Cailleau et P Penissson – Dictionnaire historique de l’Education Chrétienne – Paris – 2009 – Editions Don Bosco et AIRPC – 854 p.