Bernard Giroux
La jeunesse étudiante chrétienne

Paris – Cerf – 2013 – 694 p.

On ne trouvera pas ici, stricto sensu, une récession de ce livre, les débats qu’il implique débordant les limites de cette rubrique. Du moins s’impose-t-il d’en signaler et d’en saluer la parution, car il contribue utilement, et enfin, à combler une lacune. Certes, il ne s’agit pas de « pédagogie chrétienne » au sens scolaire du terme, mais bien d’éducation, surtout quand il s’agit de la JEC : indissociable de l’Ecole et de l’université, issue à partir de 1929 de l’initiative de l’Action Catholique Spécialisée voulue par le Pape Pie XI, elle a introduit et identifié une méthode de travail -voir, juger, agir- qui a conduit ses membres a entreprendre de transformer leur « milieu » indissociablement de leur propre « conversion ». Mouvement dont l’ampleur intellectuelle et la qualité spirituelle ont amené de très nombreux lycéens et étudiants non seulement à stabiliser leur pratique et à approfondir leur culture religieuse mais surtout à apprendre et, sans doute, à mieux savoir vivre et agir « en chrétiens », à travers des engagements réfléchis qui ont hautement porté témoignage. C’est dire que son intégration à l’histoire de l’éducation chrétienne au XXème siècle s’impose, comme les travaux correspondants. Et, si elle a déjà été inaugurée, cette recherche reste à intensifier et à étendre, si complexe qu’en soit évidemment l’évaluation.

On ne peut donc que se féliciter de l’étude de Bernard Giroux, dont l’énorme ouvrage, de 694 pages, fournit à cette histoire un apport décisif. Cette étude, minutieuse et détaillée, synthétise une multiplicité de références, à tel point que, à la limite, on est débordé par les informations ; malgré la rigueur du plan et la clarté de l’exposition, on arrive mal à dégager les grandes lignes et il est malaisé de prendre le recul qui s’imposerait.

Par ailleurs, il s’agit d’abord et surtout d’une histoire de l’institution JEC dans ses rapports avec l’institution ecclésiale. Et, s’il est bien évident que celle-ci s’impose, le risque est de ne pas laisser assez de place à l’histoire de la JEC vécue : vécue au quotidien, par ses militants, dans leurs équipes locales, avec leurs initiatives, leurs efforts, leurs obstacles, leurs enthousiasmes ; bien sûr, cette vie à la base n’est pas dissociable des débats, stratèges et affrontements centraux, mais elle ne s’y assimile pas, n’en est pas que le reflet et n’y est pas réductible. Elle a son autonomie, qui appelle d’être connue pour elle-même. On aimerait donc trouver l’écho et le témoignage de ce dynamisme qui, n’excluant, certes, ni tensions, ni divergences, réfracte ceux des responsables mais ne neutralise ni l’enthousiasme d’un grand projet apostolique ni l’approfondissement spirituel des personnes. Et une liste devrait être tentée de toutes les vocations qui s’y sont dessinées. Ne serait-il pas simultanément souhaitable de mieux mettre en évidence le rayonnement des aumôniers, par exemple celui du Père Seillon, de très vénérée mémoire ?

On appréciera en revanche l’excellente analyse de la crise de l’ACIF, et de la JEC elle-même, dont le conflit avec l’Episcopat allait en définitive, entraîner la disparition. Cela donne le sentiment pénible d’occasions manquées, de gâchis, de conflits induits par des problématiques ambigües ou mal pensées. La querelle du « mandat » trahit autant de raidissements, psychologiques trop humains que de données théologiques ou ecclésiologiques pertinentes. Du moins introduit-elle, et inaugure-t-elle, sans le savoir, la mutation de positionnements que clercs et laïcs n’allaient guère tarder à vivre avec davantage de sérénité. Serait-il absurde de penser que ces épisodes tumultueux et douloureux ressemblent à la crise de l’adolescence : pendant un temps, elle opposera parents et enfants, avant que, devenus adultes et reconnus comme tels par les premiers, les seconds retrouvent avec eux les modalités d’une relation à la fois libre et confiante.

Guy AVANZINI