Archives de catégorie : Numéro 3 – Affectivité et éducation chrétienne

Yves Armand
Une maison d’éducation chrétienne à Grenoble : l’externat Notre-Dame (1870-1965)

Paris – l’Harmattan – 2012 – 326 p.

En tant que telle, l’histoire d’un collège catholique de province n’appellerait pas une recension. Si, néanmoins, l’Externat Notre-Dame de Grenoble, fondé en 1870, en est ici l’objet, c’est parce que, outre son évident intérêt local, il est de type emblématique, représentatif d’un type d’établissement d’éducation chrétienne que l’on trouve dans toutes les villes d’une certaine importance, spécialement les villes épiscopales.

A la différence du Petit Séminaire, plus explicitement ordonné à la formation au sacerdoce, plus proche des collèges congréganistes, dont il est néanmoins, si fraternellement que ce soit, objectivement concurrent, le collège secondaire, créé à l’initiative de l’ Évêque et confié aux prêtres diocésains[1] -internat ou externat, selon les cas-  reçoit des élèves de milieu plutôt aisé, certes susceptibles d’entrer dans le clergé séculier mais plutôt destinés à constituer, ou à reconstituer, une élite chrétienne susceptible de résister à l’offensive rationaliste, voltairienne, franc-maçonne ou laïciste qui se déploie au XIXème siècle, et de participer ainsi à un urgent renouveau religieux. Et tel est bien le cas -et l’objectif- de l’établissement grenoblois, face aux courants anticléricaux de notables et politiciens locaux.

Ecrit par un ancien élève de la promotion 1955 avec l’aide et les témoignages de plusieurs de ses condisciples, ce volume ne se prétend pas « scientifique ». Mais il ne cède pas non plus à la dérive sentimentale de l’idéalisation du passé ou à la folklorisation anecdotique des souvenirs. Il rend compte des difficultés -notamment d’ordre logistique et financier- qui affectent inéluctablement la vie de ces maisons, incessamment contraintes de se défendre contre un environnement politique plus ou moins hostile et des obstacles auxquels elles font courageusement face. A cet égard, il en offre un excellent exemple.

Sans doute aurait-on souhaité une étude approfondie de l’origine socio-culturelle des élèves, comme de leur carrière adulte, ainsi que le rappel de certaines figures d’ « Anciens »   devenus illustres, ou au contraire remarqués pour un anticléricalisme ou une inconduite qui confirment que l’entreprise éducative est aléatoire… Du moins est-il légitime, car leur réputation a dépassé les frontières du Dauphiné, d’évoquer la mémoire du Chanoine Anglès d’Auriac, qui en fut un Supérieur inoublié, ou celle de l’Abbé Xavier la Bonnardière, professeur justement admiré de philosophie ; tous deux anciens élèves de l’Externat, ils y passèrent, en quelque manière, toute leur vie. Et l’on citera aussi un autre «Ancien », Monseigneur Guerry, archevêque de Cambrai.

Ce type d’établissement s’est transformé et, désormais, vit autrement. C’est précisément pourquoi il convient de ne pas méconnaître et de ne pas oublier ce moment et cette modalité de la pédagogie chrétienne.

Guy AVANZINI



[1] cf. Michel Launay – notice Prêtres Diocésains professeurs – pp 607-609 – in G. Avanzini, A.M. Audic, R.Cailleau et P. Penisson. Dictionnaire historique d’éducation chrétienne d’expression française – Editions Don Bosco et AIRPC – 2009 – 854 p.

Hervé Pasqua (sous la direction de)
Education et éducateurs chrétiens

Paris – l’Harmattan – 2013 – 270 p.

Fondé à l’initiative de la DDEC, l’Institut Catholique de Rennes a organisé en octobre 2011 un Colloque dont voici les Actes. Ceux-ci réunissent 11 textes, dont 3 traitent de problématiques de type théorique, et 8, d’ordre historico-biographique, étudient des chrétiens illustres qui, canonisés ou béatifiés, se sont occupés de pédagogie.

Si l’on est un peu déçu par l’exposé sur Don Bosco qui, exclusivement narratif, n’évoque même pas le « système préventif », on lit en revanche très volontiers la présentation de Saint Jean-Baptiste de la Salle, centrée sur l’essentiel de son projet fondateur ; pertinents sont aussi les deux chapitres consacrés au Bienheureux John-Henry Newman ; ce n’est en effet guère sur sa vision de l’éducation que portent les études francophones de son œuvre. De même appréciera-t-on les pages réservées à Sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix -Edith Stein- dont la thèse du « geste anthropologique intégral » (p. 143) montre qu’elle a remarquablement saisi la structure et la fonction de l’acte éducatif.

Les trois approches théoriques mobilisent à bon droit l’attention : H. Pasqua insiste utilement sur le rôle libérateur de la connaissance de la Vérité, ce qu’il présente comme la finalité même de l’éducation ; M Mattéi, évoquant la thématique antique de la sagesse, rappelle -et il en est besoin- que l’enfant ne doit pas être puerolatriquement enfermé dans l’enfance et que le rôle de l’école est de le faire accéder à la pensée et, par là, à l’humanisation. Enfin, l’excellente communication terminale de Jean-Dominique Durand, traitant des relations entre l’Eglise et l’Université en Europe, montre la force et la pertinence du lien qui les unit, car la seconde « a fait de l’enseignement et de l’éducation une part intégrale de sa mission » (p.220). Rejoignant ainsi l’analyse de Maud Besnard sur Newman et se référant à la notion d’humanisme intégral de Maritain, il met en évidence la fonction, clairement rappelée par les Papes, de l’Université Catholique.

Il reste que, pour bienvenu qu’il soit, cet ouvrage laisse quelques regrets : il lui manque une introduction qui en aurait clairement présenté l’objet et lui aurait servi de fil directeur. On ne sait guère selon quels critères ont été retenus ceux à qui sont consacrés les études ni quelle problématique commune aurait entraîné leur choix, si bien que l’on est devant une série de monographies, souvent judicieuses, mais dont on ne voit pas suffisamment ce qui les relie. Du moins illustrent-elles bien tout à la fois, la variété et l’unité des éducateurs chrétiens.

Guy AVANZINI

Laurence Loeffel (sous la direction de)
Ecole, morale laïque et citoyenneté aujourd’hui

Paris – Septentrion – 2009 – 136 p.

Force est de le reconnaître : cet ouvrage collectif est décevant. Dès la « présentation », due à Laurence Loeffel, on commence à le craindre ; et, au terme de la lecture, malgré quelques bons chapitres, cette appréhension est confirmée. Cela tient sans doute à l’imprécision de l’objectif ; il n’y a ni cohérence entre les problématiques des diverses contributions, ni progressivité de l’argumentation, ni articulation des approches successives. En outre, et surtout, des notions centrales, spécialement celle de « morale laïque », ne sont pas l’objet de définitions rigoureuses et homogènes.

Après une bonne étude des « paradoxes » de Condorcet et un essai de bilan de « l’éducation morale laïque en France », un texte bref de M. Baubérot étudie ce que furent les valeurs enseignées au début de la 3ème République. Mais, quand il écrit « qu’une morale laïque est seule susceptible d’assurer la qualité du vivre-ensemble » (p. 41) on demeure doublement dubitatif : d’abord parce que les obstacles à ce vivre-ensemble sont loin de tenir exclusivement à des divergences d’ordre moral ou religieux mais procèdent bien davantage de conflit d’ordre culturel et socio-économique ; ensuite, parce qu’il ne dit pas ce qu’il entend par « morale laïque » ; quant au danger de voir les religions « imposer des normes à la société civile », (p. 43) il s’agit d’un problème qui mérite plus que deux lignes.

Joël Roman vient heureusement éclaircir ce débat. On lui saura gré, d’abord, d’avoir explicitement et sans détour fait observer (p. 67) que « la morale laïque » est, dans les polémiques françaises, l’objet d’un malentendu qui fausse les discussions, parce qu’elle s’entend en deux acceptions non seulement distinctes mais incompatibles et même, en toute logique, rigoureusement contradictoires : pour les uns, c’est la « morale commune », adoptée par tous, malgré la diversité respectée des référentiels philosophico-religieux ; pour les autres, c’est au contraire une option parmi d’autres et, plus précisément, souvent, une morale rationaliste, voire athée, hostile au religieux en tant que tel, c’est-à-dire le laïcisme. En ce deuxième sens, la « morale laïque » n’est pas laïque ; mais cette équivocité terminologique entretient la confusion des esprits. S’agissant ensuite de l’absence du droit de vote des femmes, que M. Baubérot considère comme un « impensé » (p. 40) de le monde laïque, J. Roman rappelle que la suspicion des laïques à l’égard des femmes (p. 68) tient à ce qu’ils les soupçonnent « d’obéir aux préceptes des curés » (id), c’est donc délibérément qu‘ils les écartent du suffrage universel. De même dit-il clairement que, si l’interprétation neutraliste de la mode laïque pouvait valoir à l’époque de Jules Ferry, quand existait un consensus social, elle est devenue désuète dans une société où celui-ci s’est dilué dans l’insignification et le verbalisme (p. 71). Enfin, estime-t-il, « les craintes un peu fantasmatiques » (p.72) d’un communautarisme pieusement diabolisé devraient plutôt porter sur un certain « communautarisme national républicain » (id).

Quant à M. Delahaye, qui analyse la situation des établissements scolaires en la matière, il indique aussi que, contrairement à ce que prétend le laïcisme, « la laïcité n’est pas une option spirituelle parmi d’autres » (p.81) ; de plus, il note très justement que l’Etat a associé « fermeté dans l’affirmation des principes et prudence et accommodements dans les faits » (p.78). Mais cela tient à ce que, si la laïcité consiste à respecter la liberté de ne pas croire comme celle de croire, la seconde est plus difficile à organiser que la première : que requiert, en effet, la liberté de croire ? C’est là que se posent les problèmes concrets d’ajustement et que se manifestent les risques d’abus et d’étroitesse.

Mme Loeffel souhaite, en commençant, que ce livre aide à trouver « les principes et orientations d’une morale commune pour l’école » (p. 17). Au fil de la lecture et compte tenu de la réalité présente, on ne peut s’empêcher de craindre que, selon une qualification qu’elle affectionne, cette perspective soit un peu « simplette ».

Guy AVANZINI

Pascal Percq
Quelle école pour quelle société ? Réussir l’école avec les familles en précarité

Lyon – Editions Quart Monde / Chronique sociale – 2012 – 208 p.

Il importe de distinguer le « pédagogue chrétien », c’est-à-dire celui dont la pratique éducative vise explicitement la formation des chrétiens, du « chrétien pédagogue », qui mobilise dans son action toutes ses vertus chrétiennes -dévouement, disponibilité, etc. – sans que son objectif soit proprement religieux. Le Père Joseph Wresinski illustre éminemment la seconde attitude : tout à la fois, ATD Quart-Monde, dont il est le vénéré fondateur, est « sans appartenance politique ni confessionnelle », mais le mouvement auquel il a donné une ampleur internationale et qu’il a voué à la promotion de la personne émane d’une initiative intensément caritative et est au plus haut point œuvre d’un chrétien. Sa conviction de base et l’originalité de son organisme par rapport aux autres associations de secours à autrui sont de poser l’éducation et l’accès au savoir comme requis pour prévenir ou surmonter la détresse de ceux qu’accable la misère. Et c’est dans cette perspective que Pascal Percq entreprend aussi de montrer comment l’Ecole pourrait contribuer à l’éviter ou à la surmonter.

La première composante de l’ouvrage vise la justification de cette conviction, dont écartent divers préjugés, notamment celui qui suppose a priori que, mauvais parents, les parents en grande précarité se désintéresseraient de la scolarité de leurs enfants, voire les en détourneraient, alors qu’ils y perçoivent au contraire un moyen d’éviter la marginalisation sociale. A cet égard, il souligne a bon droit l’influence objectivement nocive de ceux qui, comme Bourdieu, en mettant en évidence la corrélation entre niveau socio-culturel et performances scolaires, ont persuadé l’opinion, y compris celle du corps enseignant, d’adopter une vision déterministe, un regard fataliste, selon lequel l’échec des sujets culturellement défavorisés serait pré-inscrit et comme inévitable (pp. 28-29). A ceux que l’hypothèse du « handicap socio-culturel » convainc d’abandonner tous efforts, il substitue le pari de l’éducabilité et souligne au contraire, chez ces enfants, une envie d’apprendre qu’encouragent leurs parents. Et il ne s’agit pas là d’un optimisme chimérique ou de bons sentiments. Des groupes de travail ont en effet été constitués et des initiatives lancées -pré-écoles, pivots culturels, clubs de savoir, comités « lire et écrire », etc. – pour vérifier ce postulat et préfigurer ce que pourrait être une école de demain, celle qui, ne se contentant pas de slogans ou de proclamations syndicalo-publicitaires, conduirait à la réussite de tous et à la disparition de l’illettrisme. Cela suppose de faire confiance à l’élève et de coopérer avec sa famille, plutôt que de nourrir la méfiance et l’hostilité dont elle est l’objet.

La seconde composante est constituée de témoignages, qui prolongent et illustrent la première : des enfants eux-mêmes, et de militants, ceux qui accompagnent les personnes en détresse. A leur manière et chacun dans leur langage, ils mettent en relief les effets nocifs du mépris, du rejet, et la portée de l’accueil et de l’encouragement, lesquels ouvrent les voies d’un avenir moins sombre. On lira ici avec un vif intérêt les observations de ces « décrocheurs », dont l’Ecole feint de regretter la désertion alors qu’elle s’en console assez facilement. Non moins éclairant est aussi le discours des enseignants : souvent ambivalents, ils discernent les dangers et l’injustice de l’exclusion, mais hésitent à s’engager dans la transformation du regard que requièrent l’adaptation au sous-prolétariat et la rechercher sérieuse d’une intégration. Telle ou telle recherche-action ou des expérimentations sont même envisagées et des recherches organisées, comme à Lyon, en 2011, « Les Ateliers pour l’Ecole».

C’est dire qu’il ne suffit pas de proclamer que l’on veut « la réussite de tous », comme si la parole entraînait automatiquement sa réalisation : ce serait de la pensée magique ; le propre d’ATD est au contraire d’éviter celle-ci, et de promouvoir un travail dont l’analyse et l’évaluation permettraient d’identifier de bonnes pratiques, animées authentiquement par le respect et l’amour d’autrui.

Position de finalités, approche anthropologique des personnes, invention des modalités, souci de l’évaluation. C’est  dire qu’il suffirait de modéliser et de formaliser ces données pour aboutir à une véritable doctrine pédagogique, qui s’inscrirait à bon droit dans la dynamique personnaliste engendrée par le christianisme.[1]

Guy AVANZINI



[1] En renvoyant, pour une bibliographie plus complète, au journal mensuel Feuille de route d’ATD Quart Monde, on signale seulement ici quelques titres qui montrent l’importance de cette perception éducative :
Régis Félix et col. Tous peuvent réussir – Editions Quart Monde / Chronique Sociale – 2013
Régis Félix et col. Le principal, il ne nous aime pas – Editions Quart Monde / Chronique Sociale – 2011
Col. En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté – Paris – Editions Quart Monde / Editions de l’Atelier – 2013
Geneviève. Defraigne-Tardieu- L’université populaire Quart Monde : La construction du savoir émancipatoire. – Paris – PUPO – 2012

José-Luis Wolfs
Sciences, religions et identités culturelles : quels enjeux pour l’éducation ?

Bruxelles, Ed. de Boeck – 2013 – 344 p.

Assurément, le thème ici traité est important et mérite qu’on s’en préoccupe : il s’agit en effet, globalement, de savoir comment, en fin de scolarité secondaire, des élèves situent les unes par rapport aux autres leurs connaissances scientifiques et leurs croyances religieuses. Néanmoins, à mesure que l’on avance dans la lecture, on ressent deux impressions contradictoires : d’une part, l’estime que justifient le sérieux de la recherche, l’abondance des données recueillies, le nombre des auteurs cités, la réflexion exercée sur tout cela, mais aussi, d’autre part, une gêne due à la sinuosité déroutante d’un plan qui dévoile mal sa progressivité, le caractère laborieux et redondant d’un développement obscurci par de multiples renvois, une méthodologie qui ne réussit pas à emporter la conviction de sa démonstrativité, au total une problématique diffuse et éclatée.

L’ouvrage fait écho au 150ème anniversaire de la publication, en 1859, du grand ouvrage de Darwin, l’origine des espèces, et aux débats soulevés de nos jours par un certain renouveau du créationnisme. Professeur de sciences de l’éducation à l’Université libre de Bruxelles, l’auteur se demande : « comment les élèves positionnent-ils sciences et croyances religieuses ? Quelle est l’influence, sur ces positionnements, de leurs convictions personnelles (religieuses, agnostiques ou autres ? » (p. 157). Or, d’emblée, cette question surprend car elle est mal énoncée ou, plus exactement, s’avère tautologique, de sorte que, malgré une construction conceptuelle très élaborée, le raisonnement paraît « tourner en rond ». Ce qu’il faudrait plutôt se demander, ce sont les facteurs qui suscitent leurs diverses conceptions des relations entre croyances religieuses et adhésion à la science. Sommairement, est-ce la foi qui induit la manière de considérer la science ou, au contraire, celle-ci qui conforte ou menace celle-là ? Quelles sont leurs interactions, dans leurs innombrables nuances ? Sans doute le heurt sera-t-il maximal entre une vision scientiste, qui attend de l’avènement de l’ère positiviste l’effondrement des religions révélées, et un fidéisme lié à un créationnisme primaire, entendu de manière littéraliste.

Vu leur complexité intrinsèque, il est bien difficile d’appréhender et d’identifier toutes les données de ces problèmes. Du moins, pour y parvenir, l’auteur a-t-il soumis un long questionnaire à 638 élèves de l’enseignement secondaire belge francophone, parvenus au terme de la scolarité obligatoire et issus de familles chrétiennes, musulmanes ou sans religion (pp. 307 et sq). Mais comment ceux-ci ont-ils reçu et compris la formulation d’items souvent bien abstraits ? Ne peut-on craindre que la double inculture -scientifique et, surtout, religieuse- et le manque de formation philosophique de certains, voire de beaucoup, même occultée par quelques préjugés dus aux médias, les aient empêchés d’accéder au sens de ce qui leur était demandé. Par ailleurs, est-il pertinent de supposer que « leur niveau de formation scientifique » (p. 213) corrèle avec le nombre d’heures d’enseignement consacrées aux « disciplines scientifiques » ? N’est-ce pas céder à une vision euphorique de l’influence de l’Ecole ? Plus que cet aspect quantitatif, mieux vaudrait, comme le remarque judicieusement Jean-Marie de Ketele dans l’une des trois préfaces, s’interroger sur « la façon d’enseigner les sciences (p. 14) : une vision dogmatique, réfractant un scientisme simpliste ou, à l’opposé, un regard distancé et contextualisé, épargné par un réalisme sommaire. Ces attitudes épistémologiques n’ont-elles pas beaucoup plus d’importance, comme aussi les qualités relationnelles du professeur ? On se souvient, en souriant, de ces  « leçons d’observation » instaurées à l’époque de Jules Ferry, dont les zélateurs s’imaginaient qu’elles convaincraient les élèves de ne croire que ce qu’ils voyaient ! Symétriquement en va-t-il d’une éducation religieuse qu’animerait une lecture puérilement littéraliste de l’Ecriture Sainte. Aussi bien, le scientisme n’est nullement le contraire du fidéisme, mais un fidéisme contraire, tous deux également désuets et mal informés.

Encore faut-il ajouter que l’incroyance ne procède pas seulement, et peut-être pas d’abord, de la rencontre de « la science », mais de toute démarche, notamment philosophique, d’inspiration rationaliste et exclusive d’une dimension transcendante. Et désormais, du moins chez beaucoup, elle se réclame plus volontiers des attitudes de l’Eglise – ou prêtées à celle-ci – en matière socio-économique ou sexuelle. C’est donc à bon droit que, pour combattre ces équivoques ou ces confusions de registres, M. Wolfs préconise une « formation explicite à l’épistémologie » (notamment p. 235 et sq et aussi p.68) en souhaitant seulement qu’il ne la limite pas à la théorie de la réfutabilité de Popper.

Quoi qu’il en soit, cet ouvrage est stimulant pour l’éducateur chrétien et, plus globalement, pour la pédagogie chrétienne. Ce que, peut-être au-delà de son intention déclarée, il met en évidence, c’est que plusieurs de ces malentendus et conflits historiques, qui ont dommageablement affecté et parfois affectent encore des adversaires souvent de bonne foi et préoccupés de « vérité », sont en réalité engagés et entretenus par défaut de culture. En profondeur, et au-delà d’apparences conjoncturelles, foi et raison ne sauraient se contredire : non point – faut-il le préciser ?- par concordisme mais, tout à l’inverse, parce que leurs problématiques respectives sont parallèles, c’est-à-dire, en principe, ne se rencontrent jamais ; elles ne statuent pas sur les mêmes objets. Encore faut-il, pour le bien saisir, une sensibilité épistémologique suffisante. Et c’est ce à quoi l’éducation, tant scientifique que religieuse, devrait s’attacher. On sera reconnaissant à l’ouvrage de M. Wolfs de rendre attentif à cette urgence.

Guy AVANZINI

 

Michel Soëtard et Guy Le Bouëdec (sous la direction de)
La foi du pédagogue

Paris – Ed. Don Bosco – 2011 – 212 p.

L’éducation est une activité aléatoire. Ce n’est pas une fabrication. Elle consiste à postuler qu’on aboutira à l’objectif souhaité. Mais, précisément, qu’est-ce qui pousse à entreprendre, à persévérer, sinon une foi, inégalement intense selon les personnes et les moments mais logiquement et psychologiquement indispensable, tant pour commencer que pour continuer, même après déception et échec. Quelles sont donc l’origine et la justification de cette foi, d’autant plus paradoxale qu’elle rencontre inévitablement des déconvenues ? Telle est la question essentielle qui a amené M. M. Soëtard et Le Bouëdec à organiser en juillet 2009, à l’Université Catholique de l’Ouest, un Colloque dont voici les Actes.

Introduisant les débats, Michel Soëtard fort de l’idée que, si, les sciences de l’éducation étudiaient désormais très utilement le processus éducatif, le succès de celui-ci ne résulte pas de l’application d’une méthode dont la portée serait scientifiquement établie, de sorte qu’il suffirait d’en user pour aboutir. Il faut d’abord, pour des raisons d’ordre simultanément logique et atypique, postuler la pertinence de l’initiative éducative ; Et c’est sur le statut de cet acte de foi, « confiance raisonnable », (p. 17) que Guy Le Bouëdec s’interroge. Il n’y a ni certitude, ni procédé garanti de réussite. Croire en (autrui) ou croire que (cela est possible), ces deux positionnements interviennent dans l’éducation ; et ce n’est pas seulement un sentiment. Guy Avanzini montre précisément ce qui structure cette foi : l’acte éducatif est volontariste, lié à la recherche d’un certain idéal ; mais il s’adresse à un sujet inégalement disposé -ou supposé disposé- à adhérer ; cela requiert d’inventer donc une manière de l’amener à adhérer. La foi de l’éducation consiste à estimer- ou à être convaincu que lui-même saura inventer la bonne façon de faire. C’est bien, par exemple, ce qui amène les grands fondateurs de Congrégations à créer le dispositif institutionnel -l’Ecole- propice à engager les enfants sur la voie du Salut.

Encore cette foi n’est-elle pas nécessairement religieuse. D’où l’exposé de J.M. Lamarre sur « la foi laïque d’un pédagogue républicain », Frédéric Buisson, qui pensait consolider ainsi une république fragile. Il s’agit d’une « religion » nouvelle, qui croit plus en l’homme qu’en Dieu. Il reste que, comme le montrent bien E. Besnard (s.d.b.) et Francois Le Clerc, cette conviction de base est également au cœur de l’action salésienne. S’il est impossible de présenter ici toutes les contributions à ce colloque, il importe cependant de souligner fortement qu’il s’est situé au cœur même de l’éducation et s’est attaché à circonscrire et à analyser ce qui en fait l’essentiel.

Alain MOUGNIOTTE

 

Evangéliser les jeunes adultes, dans le souffle des J.M.J.

Documents épiscopaux – n° 12 – 2013 – 52 p.

Centré sur l’évangélisation des jeunes -étudiants et jeunes adultes- ce texte, dû à Sœur Nathalie Becquart, prolonge et complète en quelque manière le livre de J.M. Peticlerc. Ce qui leur est commun, et est plus marqué encore dans le second, c’est de rompre avec le style de déploration, -voire sa lamentation,- qui prévaut aujourd’hui en la matière et d’y substituer une vision encourageante, qui n’émane pas d’un optimisme simplet mais d’une analyse attentive, allant au-delà des apparences, de la culture post-moderne. Certes, l’auteur rappelle que « moins de 4 % des 18-25 ans vont à la messe régulièrement » (p.16) mais elle observe aussi que le pourcentage de ceux qui se déclarent catholiques serait plus élevé chez les moins de 35 ans que parmi les plus âgés et qu’un quart d’entre eux considèrent la religion comme une dimension de leur identité. S’il faut évidemment se garder de recevoir ces données de manière scientiste, une certaine significativité peut raisonnablement leur être reconnue. Ainsi, ce texte permet de dire que, « contrairement à ce que l’on pourrait parfois penser, ce terreau qu’est la culture actuelle des 18-30 ans est en fait un terrain très favorable pour l’annonce de l’Evangile » (p.16). De même souligne-t-il « le rôle important que peut jouer aujourd’hui l’Enseignement Catholique pour l’évangélisation des Jeunes » (p. 18), d’autant plus que près d’un sur deux y a passé au moins un an pendant ses études secondaires.

Tout  le problème – et il n’est pas simple- est de rejoindre ces générations très différentes des précédentes et marquées aussi bien par l’influence des TICE et des réseaux sociaux qui s’y constituent que par la souffrance souvent due à l’instabilisation familiale, par la crise des valeurs, par la mondialisation des horizons, comme par la décrédibilisation des institutions. Les jeunes, désormais tout à la fois angoissés par l’avenir et sceptiques vis-à-vis du « progrès », désirent être rassurés par les expériences affectives intenses : d’où leur enthousiasme pour des figures éminentes -singulièrement le Pape, voire leur Evêque- à qui leur valeur confère autorité, et pour des situations fortes : les J.M.J., Taizé, Lourdes.

Encore reste-t-il à s’y adapter et à savoir inventer des projets et des propositions dans lesquelles ils se retrouvent et au sein desquelles ils puissent s’investir, en particulier face à la misère, et par là trouver une réponse à leur soif spirituelle, donc au désir de donner un sens à leur vie. « L’Eglise est plus souvent facilement reconnue et accueillie d’abord sur sa crédibilité humaine et sa qualité de service, de relations, d’écoute, plutôt que directement sur une entrée spirituelle explicite » (p. 36). Au total, ils attendent qu’on les aide à inventer la manière de vivre chrétiennement, au sein d’un monde qui ne l’est pas.

La lecture de ce dossier, qui s’inscrit dans une série de qualité, est revigorante parce qu’elle pose que ce n’est pas impossible et que ce n’est pas un pari perdu. C’est pourquoi elle intéresse particulièrement les A.P.S., les aumôniers et tous ceux à qui incombe une responsabilité d’ordre pastoral auprès des adolescents et jeunes adultes.

Guy AVANZINI

 

Jean-Marie Petitclerc
Quand nos ados boudent la foi

Paris – Médiaspaul Éditions – 2013 – 88 p.

En achevant la lecture de ce livre, on échappe difficilement au regret de sa brièveté ; il est trop court, trop bref ; vu, à la fois, la gravité des problèmes qu’il pose et la remarquable pertinence de la façon dont il les traite comme la rigueur de sa formalisation, on souhaiterait à bon droit une étude plus étoffée. Mais sans doute l’auteur répondrait-il qu’il a, ici, voulu se centrer sur l’essentiel et que, au demeurant, ses nombreuses et justement remarquées publications antérieures offrent des développements plus abondants.

Quoi qu’il en soit, chacun a rencontré ce phénomène déroutant d’adolescents qui, rompant avec des convictions antérieures bien affirmées, se détournent de la pratique religieuse, voire de la foi chrétienne, non sans dérouter un entourage familial qui ne sait trop comment réagir et se comporter et, en vient même à se demander s’il n’est pas, de quelque manière, responsable de l’éloignement qu’il déplore.

Le Père Petitclerc analyse excellemment ce phénomène, en rappelant notamment que l’adolescent est aujourd’hui au carrefour de trois univers culturels divergents – ceux de la famille, de l’Ecole et de la rue et que, spécialement dans les milieux populaires, c’est le troisième qui prévaut, « l’entre-pairs » (p.10)  l’emportant sur l’influence du père. Le religieux salésien montre alors à bon droit comment la pédagogie salésienne, l’anthropologie dont elle procède et la conviction de l’éducabilité qui l’anime offrent un moyen de rejoindre les jeunes. Aussi bien, ceux-ci sont beaucoup plus sensibles à l’authenticité du témoignage de chrétiens qu’à l’enseignement des vérités de la foi : c’est elle qui fonde l’autorité reconnue à celui chez qui on la reconnaît, c’est dire que « l’on assiste moins à une crise de l’autorité qu’à une crise de crédibilité des porteurs d’autorité » (p. 49).

On profitera volontiers de la présentation de cet ouvrage, au moment où l’on s’apprête à célébrer le bicentenaire de la naissance de Don Bosco, pour rappeler à nouveau la pertinence et l’actualité d’une pédagogie que la tradition laïciste de l’histoire française de la pédagogie et des sciences de l’éducation s’obstine à marginaliser, qu’il s’agisse de l’éducateur Turinois lui-même ou de ceux qui, comme le Père Thévenet et le Père Petitclerc, sont en France les interprètes autorisés et talentueux de sa pensée. Or, dans le marasme de la conjoncture éducationnelle contemporaine, sans doute est-ce bien la pédagogie salésienne qui, et pas seulement dans le domaine religieux, offre et ouvre une voie d’avenir.

Guy AVANZINI,

Jean-Marie Petitclerc
La pédagogie de Don Bosco, en douze mots clés

Paris – Ed. Don Bosco – 2012 – 214 p.

C’est toujours avec plaisir que l’on entreprend la lecture d’un ouvrage du Père Petitclerc, sûr que l’on est d’y retrouver la forte pertinence de la pensée et la rigoureuse clarté de l’expression. Et tel est bien le cas de cette synthèse de la pédagogie de Don Bosco, déclinée en 12 mots-clés, qui entendent en identifier les traits structuraux. Aussi bien, sa publication est particulièrement opportune, alors que va s’inaugurer la célébration du 2ème centenaire de la naissance du Fondateur et que la mutation sociale actuelle laisse beaucoup d’éducateurs dans le désarroi et le découragement.

Reprenant des thèmes déjà évoqués dans ses ouvrages antérieurs, et en grande union de pensée avec Xavier Thévenot, l’auteur rappelle très utilement que la déroute de l’éducation procède largement d’une opinion commune qui s’obstine dans une représentation erronée de ses causes. Face à cela, il redit notamment que, contrairement à un préjugé tenace, il n’y a pas « crise de l’autorité » mais décrédibilisation de ceux qui, la confondant avec le pouvoir, nourrissent la méfiance à leur endroit, par leurs incohérences et leur propre manque de repères. L’autorité ne procède pas des institutions, elles-mêmes dépourvues de leur prestige d’antan, mais des personnes, en tant que telles, si du moins elles la méritent et l’inspirent. Il souligne aussi le rôle primordial de la confiance, à ne pas confondre naïvement avec le laxisme, et celui de l’affection ressentie, l’amorevolezza.

On pourra éventuellement regretter que J.M. Petitclerc ait ici décidé de « s’en tenir à une lecture sécularisée de la pédagogie de Jean Bosco » (p. 200). Il reste que, si elle ne se présente pas comme une théorie pédagogique de type habituel, et malgré le laïcisme ou l’inculture de ceux qui s’obstinent à l’ignorer parce qu’elle est intrinsèquement chrétienne, « la pédagogie salésienne offre un atout et une chance » (p. 207). Ceux qui cèdent au scepticisme ou qui désirent une naïve répressivité seraient bien avisés de s’en apercevoir, et tous seront reconnaissants à l’auteur de leur ouvrir des perspectives novatrices.

Guy AVANZINI

Affectivité et autorité en éducation.
Actes du IVème Congrès de l’éducation salésienne (octobre 2009)

Paris – Ed. Don Bosco – 2010 – 112 p.

Ce congrès portait sur un thème particulièrement épineux et complexe, qui n’a rien perdu de son actualité et de son acuité. Le constat de la « crise d’autorité » n’est-il pas une sorte d’évidence qui s’impose aux éducateurs, tant parce qu’il les perturbe et les désoriente que, plus profondément, parce qu’il interroge nécessairement sur son sens et paraît mettre en cause des valeurs naguère incontestées, voire sacrées ? Et cette réaction du rejet de l’autorité est d’autant plus étonnante qu’elle s’accompagne d’une recherche, voire d’une requête d’affection. Dès lors, que comprendre ?

Si tel fut l’objet de ces journées, c’est que, en toute modestie, la pédagogie salésienne se pense en mesure d’éclairer cette apparente contradiction. Don Bosco était sans doute le premier à avoir perçu, dit explicitement et vérifié concrètement que, loin d’amoindrir ou de compromettre l’autorité et de s’y opposer, l’affection est au contraire ce qui la fonde, l’entraîne et l’affermit.

A cet égard, l’actuelle « crise » a, en réalité, le grand mérite de montrer que l’autorité ne saurait se confondre avec un pouvoir de contrainte et de coercition mais, tout au contraire, procède de l’affection et de la confiance réciproque qui en émane. En d’autres termes, l’éducation est intrinsèquement à l’opposé du dressage, c’est le mérite décisif du « système préventif » de l’avoir établi, même si cette conception se heurte encore à la résistance d’esprits demeurés attachés au « système répressif ».

Les 5 conférences publiées dans ces Actes, de G. Avanzini, Ph. Jeannet, X. Lacroix, J.M. Petitclerc et M. Wirth, s’attachent, par des approches variées, à écarter les visions qui opposeraient affection et autorité comme antagonistes ou variant en sens inverse, alors qu’elles varient dans le même sens, interagissant et s’inter-renforçant. Tel est l’apport de Don Bosco à la pensée pédagogique, et il est grave qu’un certain laïcisme en empêche la reconnaissance et même, tout simplement, la connaissance.

On ne saurait donc trop inciter à la lecture de ce bel ouvrage, qui a le double mérite de la rigueur, tant dans la défense des notions que dans le positionnement des problèmes, et la pertinence des conseils concrets qu’il fournit concernant des pratiques éducatives appropriées.

Alain MOUGNIOTTE