Sainte Edith Stein, Sr Thérèse Bénédicte de la Croix, o.c.d.
De la personne humaine – Cours à Munster – 1932-1933

Ed. Ad Solem, Cerf et Carmel, Paris – 2012 – 280 p.

Outre pour la vénération qui entoure évidemment son auteur, cet ouvrage mérite d’être ici présenté, dans ce n° 2, parce qu’il traite à la fois de la personne et de son éducation ; il veut montrer pourquoi la première appelle la seconde et est capable d’en profiter, donc, en quoi, tout à la fois, elle a besoin d’éducation et est éducable.

Publié en français le 14 septembre 2012, en la fête liturgique de la Croix Glorieuse, il se situe d’emblée dans la radicalité de la problématique du fondement ; il est organisé autour d’une anthropologie qui, initialement philosophique, devient finalement théologique, c’est-à-dire dans le registre qui seul permet d’envisager adéquatement l’ampleur et l’enjeu des pratiques éducatives.

Excellemment traduit et introduit par Flurin M Spescha, c’est le texte du cours d’anthropologie philosophique que Sainte Edith Stein professa, en 1932-33, à l’Université de Munster, le dernier qu’elle ait pu y dispenser avant que les évènements que l’on sait lui interdisent de le poursuivre. Fidèle à son Maître, Husserl, c’est une approche phénoménologique qu’elle adopte pour répondre à la question première : « qu’est-ce que l’homme ? », et qui l’amène à mobiliser aussi Thomas d’Aquin, dont elle reprend l’idée majeure selon laquelle il est « une substance individuelle de nature rationnelle, et non un accident de la matière ou le produit de structures sociales » (p.11). Par là, elle rejoint aussi Jacques Maritain. Elle s’attache à établir comment l’homme est naturellement chercheur de Dieu, dont sa raison suffit à lui permettre de postuler l’existence et de poser à son propos des questions, auxquelles c’est la Révélation qui fournit les réponses sollicitées. Et c’est bien cela, ce cheminement, à la fois intellectuel et spirituel, que l’éducation doit l’amener à accomplir. Ainsi, il n’y a de fondement à la pédagogie que dans l’anthropologie et la théologie. Aussi bien, toute pratique éducative met en œuvre, explicitement ou de facto, une « une vision globale du monde » (p. 22) dont la théorisation constitue l’objet de « la science de l’éducation » (id.). Le lien entre pratique éducative et métaphysique va de soi, même si l’éducateur ne s’en doute pas. C’est pourquoi la tâche primordiale de cette discipline est d’élucider l’idée de l’homme à retenir.

Tel est précisément l’objet de cet ouvrage, qui l’élabore et la dégage, notamment par confrontation avec les divers courants philosophiques de la pensée allemande, pour élucider l’idéal humaniste qui provient de l’anthropologie chrétienne. C’est de lui que procède particulièrement une préoccupation proprement personnaliste, sur laquelle le texte présente une série d’observations très concrètes et pertinentes, concernant les attitudes que l’éducateur doit adopter ou éviter à l’égard de l’enfant, sans jamais oublier qu’il « n’est, en définitive, que le ministre de Dieu », car « l’éducation est, en fin de compte, l’affaire de Dieu » (p.42).

On sent, en lisant ces pages, combien la pensée pédagogique française contemporaine est, à quelques exceptions, étrangère à cette conception, et aussi combien cet écart aide à saisir à quoi tiennent, aujourd‘hui, tant la crise de l’Ecole que le désarroi des éducateurs. C’est que, affirme Ste Edith Stein avec fermeté, « il n’y a rien de plus urgent que de chercher à savoir ce que la vérité révélée dit de l’homme » (p. 269). Cela est indispensable à toute pratique éducative éclairée : « Eduquer signifie conduire d’autres êtres humains de sorte qu’ils deviennent ce qu’ils doivent être » (p. 270). Exprimé avec cette sublime simplicité, l’objectif de l’éducation est d’initier à « atteindre ce qui est le but de l’existence en apprenant à vivre en s’appuyant sur la foi » (p.278).

Telle est sans doute, grâce à cette toute récente parution, la plus actuelle proclamation de la pédagogie chrétienne, tragiquement authentifié par une jeune philosophe juive, devenue Carmélite avant de mourir en déportation.

Guy AVANZINI,