Roger Rubuguzo M’pongo
Textes africains de Marc Sangnier et d’Emmanuel Mounier

Berlin – Editions universitaires européennes – 2014 – 510 p.

Au premier regard, cet ouvrage n’est pas de pédagogie. Avec de notables adjonctions[1], il est issu d’une thèse de doctorat de théologie morale que l’auteur a soutenue en 2008 devant l’université de Strasbourg. Mais, sans méconnaître ses autres et divers aspects, qui en font la richesse, il rejoint très directement l’éducation. Et voici par quel chemin : préoccupé des relations compromises par le colonialisme et le contentieux qui en résulte, le Père Roger M’pongo a été amené à étudier comparativement « les mémoires de voyage » de Marc Sangnier lors d’un voyage en Afrique du Nord, et des articles d’Emmanuel Mounier à la suite d’un séjour en Afrique Noire.

Apparemment, rien ne suggère ni ne justifie le rapprochement paradoxal de ces deux textes. L’un est écrit en 1891 par un jeune homme de 18 ans, tandis que l’autre, de 1948, émane d’un auteur de renommée internationale. Or, malgré tout ce qui semble les différencier, ils se rejoignent, implicitement chez le premier et explicitement chez le second, par une conviction commune : issu de pays enfin indépendants, l’homme africain demeure entouré par le conformisme tribal et l’ethnicisme et l’homme occidental l’est par un individualisme croissant ou par un collectivisme oppressant, qui se suscitent respectivement. Dès lors, leur salut commun ne serait-il pas dans une commune évolution vers un « personnalisme communautaire » qui, favoriserait et valoriserait le développement de la singularité et des talents de chacun, en les ordonnant non au profit d’un seul mais au bénéfice de tous ?

C’est là, on le saisit, qu’est concernée l’éducation car c’est elle, bien comprise et sainement gérée, qui a la capacité –aléatoire mais non illusoire- d’orienter les ressources de chacun vers le service de tous. Et, comme le fait aussi remarquer Guy Avanzini dans sa préface, « n’est-ce pas ce que requiert tant une organisation sociale équitable que l’exigence chrétienne de justice ? » (p.6).

Ainsi, le Père M’pongo apporte une contribution bienvenue, quoique latérale, à la pédagogie personnaliste chrétienne. Théologien moraliste de Bukavu où il enseigne à l’Université Catholique et du Grand Séminaire, il nourrit le dialogue qu’il souhaite : simultanément, il propose une réflexion qui intéresse les deux continents et, en présentant une manière de finaliser l’éducation en Afrique, il dévoile un épisode peu connu de la pensée socio-pédagogique française, qui, tout en se situant dans la première moitié du XXème siècle, demeure singulièrement pertinente.

L. Laurent

 

[1] Soulignons spécialement que l’ouvrage publie en annexe 3 (pp. 314-472) les « notes et impressions de Marc Sangnier ».