A la suite de Saint-Jean Eudes

Documents Episcopat – N° 5 – 2015 – 35 p.

Préfacé par le nouvel Evêque du Puy-en-Velay, Monseigneur Crépy, lui-même eudiste, ce cahier est opportunément consacré à Saint-Jean Eudes. Pour importants qu’ils furent, son rôle au sein de l’Ecole française de spiritualité[1] et sa contribution au renouveau religieux de la France du XVIIème siècle sont en effet aujourd’hui malencontreusement oubliés. En particulier, l’on ne se rappelle guère sa valorisation à la fonction de la femme dans l’Eglise et dans la société, qui est précisément l’objet de ce livret. Et c’est aussi par là qu’il s’intègre, indirectement mais réellement, à l’histoire de la pédagogie chrétienne.

Introduit par son cousin, le Cardinal de Bérulle, dans l’Oratoire de France, ce vigoureux prêtre normand conduit d’abord une intense activité de prédication lors des missions populaires « de l’intérieur », qui lui font découvrir milles formes de misère, en particulier la détresse des femmes livrées à la prostitution, et aspirant à s’en dégager. C’est pour elles que, soutenu par les conseils avisés de Soeur Marie des Vallées, la mystique de Coutances, il ouvre en 1641 à Caen un premier « refuge » pour les pénitentes et repenties, puis, au prix d’intenses difficultés, fonde une véritable congrégation, Notre Dame de Charité, dont la consolidation institutionnelle aboutit en 1666 à la reconnaissance canonique.

Il importe de souligner l’audace, tant anthropologique que spirituelle, de ce projet et, dans le contexte de l’époque, son originalité presque téméraire de « restaurer au coeur de ces femmes la conscience de leur dignité de filles de Dieu » : cela le conduit en effet à postuler l’éducabilité de la fille dévoyée, et même à l’âge adulte. Sans doute Saint-Jean Eudes n’a-t-il pas pleinement perçu lui-même le sens et la portée de son initiative ; or, c’est précisément pourquoi il s’inscrit de plein droit dans l’histoire de cette pédagogie sociale aux multiples facettes, dans une Eglise attentive à toutes les formes de misère, vécues comme autant de défis lancés à l’intention éducative.

Cette intention allait dévoiler davantage encore sa fécondité lorsque, deux siècles plus tard, l’une des religieuses, Mère Marie Euphrasie Pelletier voulut ouvrir un nouveau monastère, à Angers, et, surtout, internationaliser l’action : il en advint la célèbre congrégation de Notre Dame de Charité du Bon Pasteur d’Angers, reconnue canoniquement en 1835 et implantée sur tous les continents[2]. Les Sœurs s’y consacrent au relèvement des « madeleines » et interviennent aussi dans les prisons comme en des institutions ou orphelinats voués à la sauvegarde de mineures en danger moral ; et l’on y observe une forte valorisation de l’instruction, comme gage d’insertion sociale. C’est, véritablement, l’apostolat de la miséricorde.

Ce souci éducatif de Saint-Jean Eudes se manifeste aussi sur un autre terrain, et l’amène même à quitter l’Oratoire : marqué par les thématiques du Concile de Trente, il veut participer aux efforts d’amélioration du niveau culturel du clergé et, pour cela, il va fonder la « Congrégation de Jésus et Marie » (les Eudistes)[3] qui, prenant en charge des collèges et, surtout, des grands séminaires, poursuit aujourd’hui cette tâche en divers pays d’Europe, d’Afrique et d’Amérique du Sud. Comme le montre excellemment Mgr Défois, Archevêque émérite de Lille, dans un article relatif à l’éventualité de le déclarer « docteur de l’Eglise », Saint-Jean Eudes entendait revaloriser le prêtre diocésain « pour l’Ecole française (de spiritualité) le presbytérat ne consiste plus seulement dans le service culturel ; il est pouvoir spirituel reçu comme don de Dieu »[4] et, par conséquent, doit acquérir la respectabilité correspondante, et, pour cela, recevoir la formation appropriée.

Aussi bien, c’est, toujours en lien avec l’Ecole française de spiritualité, le même mouvement de fond qui, à la même époque, conduit Jean Baptiste de la Salle à créer pour l’Ecole populaire, dont Charles Démia avait donné le modèle, une congrégation spécifique et originale de Frères enseignants, professionnellement compétents et spirituellement dignes. Ainsi substituait-il aux instituteurs peu considérés du Moyen Âge des religieux dont la qualification et, surtout, l’état de personnes consacrées justifiaient et suscitaient le respect. Et jusqu’à aujourd’hui, les enseignants de tous statuts en ont gardé le bénéfice…

Ainsi, avec discrétion mais efficacité, Saint Jean Eudes, pour méconnu qu’il soit de nos jours, a participé au progrès de l’éducation et de la pédagogie.

Guy Avanzini

[1] Sur ce point, cf. Dictionnaire historique de l’éducation chrétienne d’expression française – René Caillaux – notice E 013 – pp 233 et ss.

[2] cf. Dictionnaire historique de l’éducation chrétienne d’expression française – notice B 41 – pp 72 et ss.

[3] cf. Dictionnaire historique de l’éducation chrétienne d’expression française – notice E 068 – pp 288 et ss.

[4] Mgr Défois – Jean Eudes, une spiritualité presbytérale pour notre temps – Revue Omnis terra – n° 509.