De la neuroéducation aux neurosciences éducatives. Une opportunité pour les enseignants

Marine Campedel*

Télécharger le fichier en version pdf

Résumé : Cet article a pour objectif d’exposer différentes façons actuelles de « faire des neurosciences » à l’école, en France, et d’apporter une précision de vocabulaire qui pourrait éclairer comment l’enseignant se positionne dans ces différents contextes. La neuroéducation, d’un côté, apporte des informations sur le cerveau dont les prolongements éducatifs sont encore à valider dans les écoles. Loin de formater, les neurosciences éducatives s’aventurent, elles, dans une certaine complexité pluridisciplinaire et renouvellent les réponses aux défis éducatifs classiques. En popularisant le concept de plasticité cérébrale, elles invitent au développement d’une humanité bienveillante, coopérative et curieuse.

Mots clés : Neuroéducation, neurosciences cognitives, affectives, sociales, coopération, éducation.

Les (neuro)sciences au service de l’éducation

Pas une nouveauté

En France, les sciences de l’éducation sont devenues une discipline universitaire dans les années 60, mais un essor de la recherche scientifique en éducation est observé dès la fin du XIXème siècle, sous le nom de pédagogie expérimentale. Pas encore ministre de l’Education Nationale, Blanquer a écrit un livre[1] dans lequel il confronte notre système éducatif à certains résultats scientifiques. En instaurant ensuite le nouveau conseil scientifique de l’Education Nationale, répond-il enfin au vœu de Binet et Henri rapporté par Mialaret : « que l’administration française, trop éclairée pour ne pas comprendre l’intérêt supérieur de ces études, se persuade bien qu’on ne résoudra aucun problème pédagogique par des discussions, des discours et des joutes oratoires, et favorise de tout son pouvoir les recherches de psychologie expérimentale dans les écoles »[2] ?

Le neuro-psychologue Houdé (2018) défend également l’idée que les sciences puissent apporter un éclairage à l’acte éducatif et que cette idée n’est pas nouvelle. Il nous rappelle que Montessori était médecin au début du XXème siècle, et à l’origine d’un grand courant pédagogique reposant sur une connaissance fine du développement de l’enfant.

En France, en 2011, La Main à la pâte[3] et en 2013, Les Savanturiers[4] ont vu le jour et promeuvent l’éducation par la recherche, la culture et la méthodologie scientifique, auprès des enfants et de leurs enseignants. Outre les connaissances qu’elles génèrent, ces organisations souhaitent renforcer la curiosité, le goût de l’exploration et l’esprit critique en développant le raisonnement pour éviter les biais de la pensée humaine.

Les neurosciences et l’éducation

L’apparition des neurosciences dans le paysage éducatif international est récente et fait l’objet de controverses. La prolifération des neuromythes (Sander et al., 2018), c’est-à-dire de connaissances erronées sur le fonctionnement du système nerveux, avec des conséquences sur les pratiques d’apprentissage et d’enseignement, incite plutôt à la méfiance vis-à-vis de ce nouveau champs de réflexion. Masson (2017) en retrace l’historique. Dès les années 60, les psychologues cognitivistes s’intéressent aux troubles de l’apprentissage en les rapprochant de données neurophysiologiques. Mais ce n’est qu’en 1988 qu’apparaît la première association de chercheurs, appelée alors « Psychophysiology and Education » et renommée actuellement « Brain, Mind and Education » qui dépasse l’étude des pathologies pour exploiter au mieux les connaissances sur le cerveau au service de l’éducation. « L’étude de la pensée ou de la vie mentale » est habituellement l’objet des sciences dites cognitives (Sander et al., 2018, p.8) englobant des champs variés de la biologie, psychologie, sociologie, philosophie, anthropologie, mais également l’informatique qui permet des simulations … Avec l’apparition de moyens nouveaux pour observer le cerveau en activité (IRMf en particulier, dans les années 90) et traiter ces données pour les rendre interprétables, les réflexions s’enrichissent d’un niveau de description jusqu’alors inaccessible, celui de l’activation neuronale. Les neurosciences cognitives peuvent dès lors se développer, tout en s’appuyant sur les sciences humaines, sociales et biologiques déjà présentes dans l’éducation. Lorsque les informations concernent le fonctionnement cérébral en lien avec les facultés et actes d’apprentissage, on parle en France de neuroéducation.

Une volonté nationale

Les neurosciences sont intrinsèquement multiples. Elles se nourrissent des interactions entre spécialistes divers avec pour objet le système nerveux, lui-même au service d’un corps humain, d’une personne qui apprend tout au long de sa vie. Cette nécessaire multi-disciplinarité est effectivement représentée dans le conseil scientifique de l’Education Nationale, installé en janvier 2018, avec à sa tête un neuro-cognitiviste réputé internationalement, Dehaene. L’objectif de ce conseil est clairement affiché[5]: il s’agit de mettre « à la portée de tous les résultats de la recherche de pointe comme des expérimentations de terrain ». Cette visée est intéressante car elle répond à un besoin de formation identifié dans le référentiel de compétences commun à tous les acteurs éducatifs de l’Education Nationale, réactualisé en 2015[6], qui précise que chacun doit (compétence 3) « connaître les concepts fondamentaux de la psychologie de l’enfant, de l’adolescent et du jeune, connaître les processus et mécanismes d’apprentissage, en prenant en compte les apports de la recherche et tenir compte des dimensions cognitive, affective et relationnelle de l’action éducative » ou encore (compétence 14) « compléter et actualiser ses connaissances scientifiques, didactiques et pédagogiques, se tenir informé des acquis de la recherche afin de pouvoir s’engager dans des projets et des démarches d’innovation pédagogique visant à l’amélioration des pratiques, réfléchir sur sa pratique – seul et entre pairs – et réinvestir les résultats de sa réflexion dans l’action ». Resserrer les liens entre la recherche (notamment en neurosciences), la culture de l’expérimentation, l’innovation et le terrain éducatif est ainsi affirmé comme propice au développement professionnel des enseignants donc à la cause éducative.

Un cerveau qui fascine

Le système éducatif français est mis à mal par les enquêtes internationales comme PISA. L’analyse du Café Pédagogique[7] pointe les carences des élèves français en sciences et démarche expérimentale ainsi que l’isolement des enseignants : « Les pays qui ont de bons résultats sont ceux où les enseignants se visitent et où ils échangent sur leurs pratiques pédagogiques ».

Les neurosciences, nouvelles dans le paysage, peuvent ainsi apparaître comme une bouée de sauvetage : après tout, notre cerveau n’est-il pas l’organe de nos perceptions, comportements, pensées, intentions, de notre identité ? La neuroéducation ne prétend-elle pas justement proposer des solutions aux problématiques neuro-éducatives ? Sander et al. (2018) rappellent d’être vigilants sur les connaissances se rapportant au cerveau car nous sommes facilement leurrés par les images de neuroimagerie ou par des informations simples correspondant bien à nos schémas habituels de pensée. En plus de dénoncer les neuromythes, les neuroscientifiques nous parlent des faiblesses du cerveau, de ses biais (Toscani, 2019), de ses contraintes biologiques. Mieux connaître son fonctionnement nous permettrait-il effectivement de contrecarrer ces limites ? Toscani (2019) l’affirme : « Toute éducation doit prendre le chemin de la maîtrise de notre propre fonctionnement pour nous guider vers notre émancipation et notre liberté de penser. »

Actuellement les neurosciences permettent d’éclairer différemment les problématiques éducatives ; elles reposent des questions classiques telles que « Qu’est-ce qu’apprendre, être attentif, comprendre, mémoriser, … ? » « Comment engager activement les élèves (ou les enseignants) dans leurs apprentissages ? » « Quelle place pour les émotions dans l’action éducative ? » « Tout le monde peut-il réussir ? »  « Quelle place pour l’erreur ? Pourquoi, comment évaluer ? » « Pourquoi est-ce important de bien se nourrir, bien dormir ? » et proposent des éléments théoriques pour y réfléchir. Examinons maintenant les différentes façons de « faire des neurosciences » à l’école, en France, actuellement.

Articuler neurosciences et enseignement

S’informer et faire savoir

Les publications grand public mêlant neurosciences et éducation sont nombreuses ces dernières années, en particulier depuis 2016, comme en témoigne la bibliographie jointe. Elles proviennent essentiellement de neuroscientifiques cognitivistes qui souhaitent diffuser largement leurs travaux dans le monde de l’éducation : Lachaux pour ses travaux sur l’accompagnement de l’attention (2016), Houdé pour son étude de l’inhibition cognitive (2018), Eustache qui précise le fonctionnement de la mémoire entre 0 et 10 ans (2016), Dehaene qui décrit l’apprentissage de la lecture ou les piliers de l’apprentissage (2018), Toscani pour promouvoir une approche coopérative de la complexité éducative (2017).

Parmi ces auteurs en vogue, la pédiatre Gueguen rend accessibles les neurosciences affectives et sociales (2018). En effet, les résultats de ces sciences ne concernent pas directement la connaissance d’une fonction cognitive ou exécutive, mais permettent de promouvoir un cadre scolaire bienveillant, soutenant. Gueguen cite des travaux variés qui montrent les effets délétères du stress sur les structures cérébrales (des enfants comme des adultes) et les effets bénéfiques d’une relation épanouie les uns avec les autres. Les bénéfices peuvent se mesurer en termes de développement cérébral, en particulier celui de l’hippocampe, et également comportemental : les relations sont apaisées, la confiance en soi et en l’autre peuvent se développer.

Les enseignants qui découvrent l’ensemble de ces travaux ont généralement hâte de les partager avec les élèves et leurs parents. Dans de nombreuses écoles, comme en témoignent dès 2013 les enseignants et chercheurs du GRENE (Toscani, 2013) ou les enseignants du collège Bichat de Lunéville (Toscani, 2017), la première action des enseignants est de créer des ateliers pour les élèves, par exemple sur les heures d’accompagnement personnalisé (AP). Ces ateliers concernent généralement la description de la plasticité cérébrale, une chasse aux neuromythes, une réflexion sur le terme d’intelligence, des éléments d’informations sur les émotions, le sommeil, l’attention, l’inhibition cognitive ou la mémorisation, … autant d’éléments qui rejoignent des attendus du domaine 2 du nouveau socle commun de connaissances, compétences et culture[8], appelé « les méthodes et outils pour apprendre ».

On constate que les enseignants reproduisent d’abord une posture connue dans laquelle ils délivrent un savoir à l’élève, en espérant une prise de conscience féconde et transférable aux autres domaines d’enseignement. Rapidement ils s’aperçoivent que ce savoir neuroscientifique est vaste et que les informations demandent à être réactualisées, qu’ils doivent organiser une veille scientifique collective pour ne pas tomber dans leurs propres neuromythes. Des « café-neuro » fleurissent ainsi, avec des partages de lecture autour d’un temps convivial : une dynamique collective se crée progressivement, autour d’une curiosité nouvelle pour les neurosciences en visant la réussite de tous les élèves.

Les protocoles des chercheurs

Une autre façon d’entrer dans les « neurosciences » est offerte par des chercheurs comme Houdé et Borst[9] qui proposent des protocoles expérimentaux. A partir de connaissances expertes obtenues en laboratoires, des dispositifs pédagogiques ont été imaginés pour entraîner une fonction exécutive (l’inhibition cognitive) ou cognitive (la mémorisation). Il est proposé aux classes volontaires de s’y conformer exactement : le protocole détaille les pré- et post-tests à effectuer avec les enfants ainsi que le protocole d’entraînement. Les enfants sont séparés en groupe test et groupe témoin. Tous les supports sont fournis ainsi que les consignes à lire aux enfants. L’objectif est le même que celui des débuts de la neuroéducation, expliquer pourquoi certaines pratiques fonctionnent mieux que d’autres et en introduire de nouvelles. Croiser les niveaux d’analyse, neurologique et pédagogique, enrichit l’étude des processus d’apprentissage.

Les enseignants deviennent les « petites mains » des chercheurs, qui, en retour, analysent et synthétisent les résultats, afin d’évaluer la validité des hypothèses sous-jacentes et du cadre expérimental proposé. Les retours de la première année ont déjà permis des réajustements du protocole. Peu à peu, les enseignants et les chercheurs dialoguent avec des résultats féconds pour la recherche et, espérons-le, de plus en plus, pour l’éducation. La culture scientifique, comprenant l’acceptation du doute, du questionnement, de la critique constructive, entre ainsi dans les écoles par une voie encore faiblement exploitée car elle présente certaines faiblesses scientifiques : les expérimentations se font sous le seul contrôle des enseignants, qui ne parviennent pas toujours à respecter à la lettre le protocole. Participer à des évaluations à l’échelle nationale enthousiasme les classes volontaires ; élèves et enseignants se sentent valorisés.

Nous dirigeons-nous ainsi vers la neuroéducation, i.e. « une science de l’éducation dont le socle serait les connaissances neuronales » (Sander et al., 2018, p.9) ? Cette approche risque-t-elle de créer une vision « réductrice » de l’apprentissage et de l’enseignement ? Masson et al. (2017, p.25) reconnaissent « un réductionnisme méthodologique consistant à identifier les mécanismes cérébraux impliqués dans certains apprentissages scolaires ou dans certains types d’enseignement en créant des environnements expérimentaux très contrôlés qui mettent de côté, en les contrôlant, de nombreuses variables pourtant essentielles à l’apprentissage et à l’enseignement ». La complexité de l’acte d’enseigner ou d’apprendre est donc reconnue mais elle peut être mise de côté volontairement, pour des raisons méthodologiques.

Ces approches de la neuroéducation, si prometteuses, pourraient-elles être éthiquement discutables ? Par exemple parce qu’elles créeraient de la normalisation sociale ou des outils de sélection à bases neuronales ? Masson et al. (2017, p.26) reconnaissent que des enjeux éthiques sont posés. En effet, l’idée est déjà acquise que face à une tâche donnée (par exemple lire ou être attentif) il y a des cerveaux qui s’activent de façon plus ou moins adéquate. L’écart à la norme (ou à la meilleure façon de faire) peut ainsi être détecté par un dispositif d’imagerie dans le but d’ajuster l’activité et l’accompagnement de l’élève : c’est déjà le cas pour les dyslexiques par exemple. Les auteurs affirment qu’« il serait condamnable de ne pas aider les élèves en difficulté ». Des approches existent également pour le traitement des déficits attentionnels avec un dispositif de conditionnement opérant appelé Neurofeedback, dont il est difficile actuellement de connaître la réalité des performances[10]. A l’aide d’une interface audiovisuelle, la personne traitée accède à une traduction de son activation cérébrale : lorsque celle-ci est adéquate, l’animation audio-visuelle est plus fluide que lorsqu’elle est mal ajustée. Des solutions grand-public (hors cadre médical) existent également[11] : on y propose un casque très simple qui capte un signal cérébral, l’analyse et à l’aide d’une interface sur smartphone ou tablette propose un réajustement de l’attitude d’apprentissage. Dans la même logique que l’on peut vous faire connaître le rythme de votre cœur sur une montre connectée quand vous courrez, il est possible de mettre votre cerveau sous surveillance avec l’objectif d’optimiser votre apprentissage. Ce qui pose problème est que ces approches laissent à penser que la solution viendra d’une meilleure activation cérébrale, plus conforme aux attendus (à un modèle) et qu’une approche par conditionnement suffit. Irons-nous jusqu’à stimuler électriquement des cerveaux pour qu’ils répondent adéquatement ?

Et si la solution n’était pas dans la stimulation directe du cerveau des élèves mais dans une révision des pratiques enseignantes, voire du système éducatif ? Après tout, les neurosciences nous apprennent que la plasticité cérébrale rend notre cerveau sensible à l’environnement, aux interactions, aux pensées.

Les approches « outils »

L’approche de Berthier et al. (2018) invite les enseignants à modifier leurs pratiques professionnelles en adoptant des approches ou outils pédagogiques inspirés des sciences cognitives. Par exemple, l’outil numérique Plickers, qui permet d’effectuer facilement des quizz en classe, est vanté car il « aide l’enseignant à instaurer un climat de confiance », il « utilise le feedback proche permettant de rectifier une mauvaise compréhension ou un savoir erroné. Il est également basé sur le principe de la mémorisation active. C’est en outre un remarquable outil de mobilisation de l’attention, lorsque les élèves s’attendent à un test immédiat. En tous points, c’est un outil qui engage les élèves dans un processus actif. » Les piliers de l’apprentissage popularisés par Dehaene (2018) sont clairement exploités pour justifier d’une pratique pédagogique. Ces outils ne sont généralement pas nouveaux dans le paysage des sciences de l’éducation ; cependant utiliser des arguments issus des travaux en neuroéducation pour justifier leur usage est très récent.

Plus intéressant encore, les auteurs invitent les enseignants, non seulement à s’emparer de ces approches et outils, mais également à les insérer dans un projet pédagogique avec une problématique et un cadre d’évaluation associé. Les classes engagées dans un tel processus sont appelées cogni’classes, il en existe environ 500. Nombreux sont les enseignants qui tentent des approches nouvelles avec leurs élèves, en y mettant beaucoup d’énergie, mais sans pouvoir convaincre leurs collègues de leur intérêt. En associant arguments théoriques, problématique et évaluation bien définie, les cogni’classes pourraient bien faciliter l’entrée des enseignants dans une pratique réflexive alimentant une base de connaissances collective.

Les chercheurs associés à la dynamique des cogni’classes collectent également les résultats afin de les agréger[12] et pouvoir tirer des conclusions a posteriori sur les approches et outils pédagogiques proposés. L’approche est encore trop récente pour avoir ce type de résultats. Le site web associé[13] s’enrichit progressivement de témoignages de classes, de ressources bibliographiques, de vidéos et les enseignants peuvent bénéficier de formations professionnelles en établissement.

Des enseignants praticiens-chercheurs

Au GRENE.MONDE nous proposons une voie encore différente, qui se nourrit des précédentes. L’ambition de notre groupe est de réfléchir au système éducatif de demain, en nous donnant des moyens de réflexion issus des neurosciences (au sens large), des sciences de l’éducation et des pratiques d’apprentissage. Nous appelons ce nouveau champ les neurosciences éducatives. En prolongeant l’ambition de Berthier et al, nous pensons que les enseignants, les formateurs, coopérant avec des chercheurs académiques, peuvent adopter une attitude de praticiens-chercheurs et ainsi produire des connaissances partageables qui permettent une amélioration des pratiques d’enseignement donc une meilleure réussite de tous les élèves. Nous rejoignons ainsi l’état d’esprit du projet de recherche ATOLE de Lachaux (neurobiologiste de l’INSERM), qui a permis, en faisant collaborer des enseignants variés et un chercheur académique, de proposer une approche pédagogique de l’attention, diffusée gratuitement à tous, à l’aide de publications diverses ainsi qu’un cours en ligne[14].

Nous sommes équipés depuis notre petite enfance d’outils intellectuels pour interroger le monde qui nous entoure, émettre des hypothèses, les soumettre à l’épreuve expérimentale et témoigner des résultats obtenus. Dehaene (2018) nous rappelle que notre cerveau fonctionne par anticipation et confrontation à la réalité des signaux perçus ; une erreur de prédiction est source de surprise et occasion d’un nouvel apprentissage, c’est-à-dire d’un ajustement neuronal. Les bébés, dès leur naissance, semblent avoir des attentes et être ainsi capables d’apprendre en anticipant et percevant le monde, en osant être curieux.

Devenir praticien chercheur revient à exploiter ces capacités, parfois enfouies derrière des « je ne suis pas capable » ou « ce n’est pas mon métier » ou encore « nous n’avons pas été formés pour cela ». Il ne s’agit pas de se substituer aux chercheurs académiques avec leur rigueur disciplinaire mais de se lancer dans une nouvelle façon de vivre son métier, en i) se donnant des moyens d’observer les pratiques professionnelles, ii) se questionnant, iii) s’informant et se formant, iv) émettant des hypothèses et v) les mettant à l’épreuve d’expériences pédagogiques évaluables, vi) en publiant les résultats obtenus et … en réitérant sans cesse le processus ! Cela devient un chemin de professionnalisation, comme en témoignent les enseignants et chercheurs dans (Toscani, 2017).

Mais cette voie de praticien chercheur en neurosciences éducatives n’est pas facile et nous en présentons maintenant quelques défis.

Le défi des neurosciences éducatives

Oser la complexité

Les neurosciences éducatives, contrairement à la neuroéducation, refusent le réductionnisme méthodologique et tentent de s’atteler à la complexité. L’idée n’est pas de réduire le champ de l’éducation à ce que les neurosciences pourraient en dire mais de l’ouvrir à une multitude de sciences qui s’intéressent au système nerveux, à la pensée et l’apprentissage : la neurophysiologie, la neuropsychologie, les sciences cognitives bien sûr, mais également l’anthropologie qui peut nous faire prendre conscience que notre cerveau, quoique très semblable à celui des premiers homo sapiens, n’est pas utilisé de la même façon, ou encore l’éthique qu’il s’agisse de neurosciences de l’éthique ou de l’éthique des neurosciences, la sociologie, …

Cela paraît sans doute démesuré et personne ne peut se sentir prêt, tout seul, à mettre en relation toutes ces disciplines. Morin (2014, p.83) nous encourage pourtant à accepter la complexité en cherchant à faire des liens entre des disciplines variées, « entre cultures scientifique et humaniste ». Il explique que nos structures mentales nous handicapent et qu’il faut donc modifier l’enseignement dès le primaire. Il propose même que « ils (les éducateurs) s’autoéduquent avec l’aide des éduqués ». Il devient donc nécessaire d’agir ensemble, de coopérer, non seulement entre enseignants mais également avec les élèves, tous apprenants.

Vers une société apprenante

Taddei (2018) nous rappelle que la coopération est une stratégie gagnante du vivant, même pour les organismes unicellulaires (démunis de cerveau). Il nous engage à faire en sorte que « lorsque les uns apprennent, les autres puissent apprendre plus vite ». Les évolutions socio-culturelles sont tellement rapides que chacun est vite dépassé ; en acceptant d’être curieux, de tenter des expériences, de nous tromper (ou non) et de le faire savoir, nous permettons à d’autres d’aller plus loin collectivement. Taddei affirme même (2018, p.115) que l’intelligence collective est plus forte que l’intelligence artificielle. Il nous invite à avoir des « lieux de réflexion pour penser  notre futur, (…) qui n’opposent pas recherches fondamentale et appliquée, afin d’examiner les implications éthiques et sociales des progrès que nous vivons ».

Une certaine idée de la personne humaine

Enfin, les neurosciences éducatives insistent sur le fait que la plasticité cérébrale nous permet d’évoluer, de nous adapter et d’inventer de nouvelles solutions pour l’humanité. Elles se méfient des « smart pills » ou des solutions simplistes qui consisteraient à seulement agir sur le cerveau, comme si cet organe pouvait exister de façon isolée.

Loin de réduire les personnes à leur cerveau, les neurosciences éducatives promeuvent l’idée d’un progrès qui passe par la coopération. Elles reconnaissent que l’immaturité de notre cerveau, à la naissance et jusqu’à la troisième décennie de vie, nous rend dépendant les uns des autres et nous engage à prendre soin les uns des autres.

En acceptant l’idée qu’une partie de l’apprentissage se fait par imitation, à l’aide en particulier des neurones miroirs, les neurosciences éducatives invitent les enseignants à interroger ce qu’ils donnent à imiter aux élèves. Lorsqu’ils se regroupent, collaborent, s’interrogent, inventent, les enseignants invitent les élèves à faire spontanément de même.

La vision de l’éducation portée par les neurosciences éducatives est bien de « conduire ailleurs » plutôt que d’enfermer la personne dans une collection de manques ou d’étiquettes qui peuvent se transformer en prophéties autoréalisatrices. Elles engagent les enseignants, et entrainent ainsi les élèves, sur un chemin d’apprentissage tout au long de la vie.

Conclusion

Les neurosciences, actuellement promues par le ministère de l’éducation nationale, s’invitent dans les classes sous différentes formes. Si les connaissances mises à disposition sont les mêmes, les opportunités pour les enseignants sont différentes suivant les approches.

La neuroéducation propose des solutions pédagogiques inspirées des connaissances sur la façon dont le cerveau apprend et tente d’évaluer leur efficience à l’aide de protocoles scientifiques. Les enseignants sont invités à s’impliquer en appliquant aussi rigoureusement que possible les protocoles et en aidant les chercheurs à faire évoluer les solutions.

Les cogni’classes sont des classes menées par des équipes pédagogiques dynamiques, soucieuses de répondre à des problématiques locales à l’aide d’outils et d’approches pédagogiques justifiés à l’aide d’arguments neuroscientifiques. Les enseignants deviennent des praticiens réflexifs et collaborent éventuellement à une recherche d’évaluation des outils.

Enfin les neurosciences éducatives encouragent les enseignants à devenir, en coopérant avec des chercheurs académiques de toute discipline, des praticiens chercheurs qui osent eux-mêmes observer leurs pratiques, se questionner, s’informer et se former, émettre des hypothèses, expérimenter (tâtonner), évaluer, publier leurs résultats.

Dans ce monde que nous co-créons chaque jour, il est urgent d’adopter une attitude curieuse et critique qui permette rapidement aux uns d’enseigner aux autres (et inversement), quelles que soient leur culture ou leur âge. Etant donnés les biais connus de nos cerveaux, cela passe par l’adoption d’une approche à la fois scientifique et lucide face à la complexité de la situation. Les neurosciences éducatives apparaissent ainsi comme une opportunité professionnelle pour les enseignants, désireux de trouver une nouvelle voie pour grandir avec leurs élèves.

Références bibliographiques

BERTHIER, Jean-Luc, BORST, Grégoire, DESNOS, Mickaël, GUILLERAY, Frédéric (2018). Les neurosciences cognitives dans la classe – Guide pour expérimenter et adapter ses pratiques pédagogiques. ESF Sciences Humaines,
http://sciences-cognitives.fr

BLANQUER, Jean-Michel (2016). L’école de demain : propositions pour une Education nationale rénovée. Paris : Odile Jacob.

DEHAENE, Stanislas (2018). Apprendre ! Les talents du cerveau, le défi des machines. Paris : Odile Jacob.

EUSTACHE, Francis, GUILLERY-GIRARD, Bérengère (2016). La neuro-éducation – la mémoire au cœur des apprentissages. Paris : Odile Jacob.

GUEGUEN, Catherine (2018). Heureux d’apprendre à l’école – Comment les neurosciences affectives et sociales peuvent changer l’éducation. Paris : Les Arènes : Robert Laffont.

HOUDE, Olivier (2018). L’école du cerveau : de Montessori, Freinet et Piaget aux sciences cognitives. Bruxelles : Editions Mardaga.

LACHAUX, Jean-Philippe (2016). Les petites bulles de l’attention – se concentrer dans un monde de distractions. Paris : Odile Jacob.

MASSON, Steve, BORST, Grégoire (2017). Méthodes de recherche en neuroéducation. Presses de l’Université du Québec.

MIALARET, Gaston (2009). « Les origines et l’évolution des sciences de l’éducation en pays francophones », dans 40 ans des sciences de l’éducation. VERGNIOUX, A. (dir.), Caen : PUC, pp. 9-22. https://www.unicaen.fr/puc/images/0140ans_education.pdf

MORIN, Edgar (2014). Enseigner à vivre : manifeste pour changer l’éducation. Arles : Actes Sud ; [Paris] : Play Bac.

Référentiel de compétences des enseignants (mars 2015)
http://cache.media.education.gouv.fr/file/13/04/3/encart6379_fiche14_404043.pdf

SANDER, Emmanuel, GROS, Hippolyte, GVOZDIC, Katarina, SCHEIBLING-SEVE, Calliste (2018). Les neurosciences en éducation – Mythes et réalités. Paris : Retz.

TADDEI, François (2018). Apprendre au XXIème siècle. [Paris] : Calmann Lévy.

TOSCANI, Pascale (2013). Les neurosciences au cœur de la classe. Lyon : Chronique Sociale.

TOSCANI, Pascale (2017). Dynamiser les pratiques éducatives avec les neurosciences. Lyon : Chronique Sociale.

TOSCANI, Pascale (2019). « Les biais cognitifs : entre nécessité et danger », Revue Futuribles, no 428, pp. 73-80.

______________________

Pour citer cet article
Référence électronique: Marine Campedel, « De la neuroéducation aux neurosciences éducatives : une opportunité pour les enseignants », Educatio [En ligne], 8 | 2019. URL : https://revue-educatio.eu

Droits d’auteurs
Tous droits réservés

* Formatrice indépendante en neurosciences éducatives, membre GRENE.MONDE (Groupe de Recherche en Neurosciences et Éducation)

[1] L’école de demain, proposition pour une Education nationale rénovée, Paris : Odile Jacob, 2016.

[2] Les origines et l’évolution des sciences de l’éducation en pays francophones », dans 40 ans des sciences de l’éducation, PUC : Caen, 2009, pp. 9-22.

[6] Référentiel de compétences des enseignants (mars 2015)
http://cache.media.education.gouv.fr/file/13/04/3/encart6379_fiche14_404043.pdf

[9] Tout est accessible gratuitement sur le site de Nathan http://lea.fr

[11] par exemple https://vimeo.com/282886384 « Boost your neurolearning effectiveness » de l’entreprise Neurosky.

[12] également sur la plateforme lea.fr déjà citée.