Louis Lourme – Éduquer, c’est -à-dire ? Anthropologie
chrétienne et éducation

Paris, Bayard, 2020, 228p.

Dès l’introduction, M. Lourme observe que l’éducation renvoie doublement à l’anthropologie : d’abord parce qu’elle est presque toujours liée à une certaine vision de l’enfant ; ensuite parce qu’elle entend promouvoir un certain type d’être humain. Cette référence est inégalement élaborée et identifiée mais elle est toujours présente. L’auteur met également en évidence un lien interne et intrinsèque entre éducation et philosophie. Il analyse ce lien notamment chez les grands formateurs, spécialement, pour l’époque contemporaine, Maritain et Mounier.

Ce premier chapitre, dû au professeur François Moog, analyse précisément ce lien ; en étudiant l’évolution de leurs textes, il le montre particulièrement valorisé chez Maritain et Mounier. Et il suscite, de ce fait, une réflexion très bienvenue sur une question considérée comme tellement importante qu’elle se trouve paradoxalement oubliée ou négligée, comme si c’était évident.

Mais c’est ensuite avec une particulière attention qu’on étudiera la communication du Frère André-Pierre Gauthier sur l’élaboration d’une « pédagogie de la fraternité ». Ce trait spécifique constitue à ses yeux l’exigence majeure d’un établissement chrétien en tant que tel. Son objectif, dit-il, ne saurait être autre que de s’attacher obstinément à réussir une pédagogie de la fraternité. C’est cela qui manifeste la singularité du projet de l’École catholique : la fraternité doit y être vécue dans les moments les plus quotidiens, dans la normalité de l’École, « dès qu’on en a franchi le seuil » (p.86). En effet, « l’acte éducatif y est vécu comme désir de relations fraternelles » (p.87). Là est son projet séculaire, à référer aux fondateurs les plus prestigieux des congrégations spécialisées. Pout l’École catholique, cette fraternité est « un élément structurant de l’acte éducatif » (p.95). Il ne s’agit plus ici de juger, d’évaluer, de classer, de condamner, mais de comprendre pour conduire à la réussite. Est-il besoin de souligner à l’attention de ceux qui cherchent à réactiver leur enseignement qu’ils trouveront dans ces pages le moyen d’y parvenir et, notamment, de repérer les finalités stimulantes qui répondent au désir de « ré enchanter l’École », ce que préconise le Secrétariat Général.

Le Père Stalla-Bourdillon propose ensuite une belle étude sur la parole de l’Homme, Etre qui parle, qui porte la Parole, qui entend celle d’autrui, dialogue avec lui et, plus encore, entend et reconnait la Parole de Dieu. L’auteur analyse sa fonction « nutritive », qui construit ceux à qui elle s’adresse, en particulier l’enfant et l’adolescent : l’un et l’autre la reçoive comme une nourriture, dont le défaut ou la mauvaise qualité compromettent gravement le développement. La Parole est à la fois objet et moyen de l’éducation, qui la mobilise sans cesse pour se déployer et donner un sens à la vie.

Dans le chapitre suivant, confié à Viviane Conturie, FSX, on retiendra d’abord le titre original : « La faculté de l’autre ». Ce texte, de haut niveau, analyse cette capacité humaine de « l’expérience d’autrui ». Au terme de son analyse, l’auteure peut dire : « éveiller, développer, faire expérimenter et goûter la faculté de l’autre, c’est un grand défi pour les éducateurs, parents et enseignants, et c’est aussi l’une de leurs missions les plus urgentes ? Elle montre comment l’élève perçoit et comprend cette capacité que, trop souvent, on se contente de condamner ou de bannir comme un simple bavardage. Il ne faut pas oublier que, selon le mot de Marguerite Lena, « la mission éducative, c’est cette parole qui appelle à vivre, à la fécondité d’un pouvoir au-delà de soi-même ».

Ce livre est important. Malheureusement, il n’est pas encore assez connu. Or, vu sa richesse, sa rigueur et sa capacité d’aller à l’essentiel, il devrait être diffusé et médité dans toutes les écoles chrétiennes. Il fournit en effet un bel exemple de cette anthropologie pédagogique qui appelle son Traité. En outre, il s’offre aux praticiens d’une « éducation intégrale » comme de la « pédagogie de l’Autre » pour y nourrir leur inventivité.

Nous terminerons cette recension en citant une remarque de Monseigneur Ide : « Ce dont les éducateurs, parents et enseignants, ont le plus besoin aujourd’hui, c’est le discernement vis-à-vis de ces différents modèles anthropologiques qui leur sont proposés » (p.196). Ce livre magistral pourra les y aider.

Guy Avanzini