Éditorial

Voici donc le premier numéro de la revue, œcuménique et internationale, de pédagogie chrétienne, dont le S.G.E.C. a confié à l’A.I.R.P.C. la responsabilité.

Son objectif est, à la fois et indissociablement, de faire connaître et de promouvoir le rôle des chrétiens en éducation. C’est dire que la thématique de sa livraison initiale, dont ces lignes voudraient montrer l’homogénéité, s’impose d’elle-même : elle est dans la logique de l’intention fondatrice. Comme le montre bien le Dictionnaire d’éducation chrétienne d’expression française[1], les chrétiens, en effet, dès l’origine, ont été à la source de pratiques éducatives et de doctrines pédagogiques. Quoique son intensité ait été inégale selon les périodes, leur action se déploie dans ce champ de manière permanente. Mais elle présente d’innombrables modalités institutionnelles, scolaires, péri- ou post- scolaires, qui tiennent à des données historico-géographiques, au contexte ecclésio-théologique, aux situations politiques, à tous les paramètres de l’environnement socio-culturel.

Selon la structure que notre revue s’est donnée, et s’agissant de la connaissance de ce phénomène objectif que constitue le pédagogie chrétienne, sa première partie – les fondamentaux – présente une série de contributions qui mettent en évidence ses deux traits : constance et variété ; continuité et diversité.

C’est pourquoi il revenait à l’historien – Gérard Cholvy – d’analyser l’ampleur, la complexité et la finesse de l’inventivité des chrétiens face à des besoins éducatifs eux-mêmes sans cesse renouvelés. Cela a notamment suscité la fondation de congrégations qui y ont donné tout ou partie de leurs forces[2], quoique l’actuelle crise de leur recrutement signifie à sa manière une évolution culturelle.

Puis en étroite continuité avec lui, frère André Pierre Gauthier, f.e.c., montre comment l’Eglise présente l’éducation comme une obligation pour les parents chrétiens, qui doivent travailler au salut de leurs enfants, sauf à compromettre le leur. Et cela devait aboutir aux grandes initiatives prise par Charles Démia ou par Jean-Baptiste de La Salle à l’intention des enfants pauvres.

L’éducation du sujet n’est cependant pas réductible à la fabrication d’un objet. C’est une tâche difficile, intrinsèquement aléatoire, dont Michel Soëtard, le philosophe, identifie et analyse les tensions constitutives, qu’accuse et intensifie toute crise globale de la société, qui en égare les finalités et compromet la confiance même dans l’éducation. Mais « la foi du pédagogue », dont le même auteur a naguère réactivé l’analyse[3], pousse à ne jamais abandonner une fonction qu’elle ne cesse de motiver et d’animer. Quoi qu’il en soit, entre la foi du pédagogue et la foi du chrétien, il ne faut pas, même dans une situation contraire, même dans une conjoncture défavorable, laisser se rompre les ponts.

C’est ce qu’illustre l’étude de Laurent Gutierrez sur les efforts du Père Chatelain pour ouvrir la pédagogie chrétienne aux idées de l’Ecole Nouvelle grâce à une collection d’ouvrages dont la réception fut problématique. C’est un exemple du lent processus de pénétration des idées neuves et des résistances auxquelles elles se heurtent.

Encore ce souci implique-t-il un lien entre registre doctrinal et registre institutionnel. En introduisant ici la dimension internationale, Giuseppe Mari rappelle comment la pédagogie chrétienne, en Italie, a été impulsée par des institutions qui, comme l’Université Pontificale de Milan ou diverses revues catholiques, procèdent de l’encyclique Divini Illius Magistri, écrite en 1929 par le Pape Pie XI.

Néanmoins, la richesse de la pédagogie chrétienne au fil des siècles, confrontée à l’affaiblissement religieux de beaucoup de pays européens, pourrait faire craindre qu’elle n’appartînt qu’à un passé constitutif d’un musée à admirer. Or, si glorieuse que fût son histoire, elle n’est ni désuète, ni périmée. Elle demeure actuelle, bien vivante et pertinente, si sérieuses qu’en soient les difficultés ; Et l’objet de la 2ème partie de notre publication, l’éducation en actes, est précisément d’en porter témoignage. Les débats mêmes qui se déroulent entre chrétiens, qui conçoivent diversement la manière d’être « en éducation », en est le signe.

Cette revue étant simultanément œcuménique, il importait que ce fût d’emblée manifesté. D’où l’article de Jean-Marie Meyer, qui présente le cours de culture religieuse conçu par l’Union des Eglises Protestantes d’Alsace et de Lorraine (U.E.P.A.L.) au sein du régime concordataire de ces trois départements. Cependant, cet enseignement est-il reçu dans une perspective d’ordre seulement culturel, ou dans le registre de la proposition de la foi ? Au-delà du cas particulier d’un régime juridique, c’est tout le problème de la transmission du message.

Un problème également préoccupant, que soulève Jean-Paul Graeff à propos des trois Ecoles protestantes sous contrat d’association, c’est celui de la réceptivité des élèves à l’enseignement de culture religieuse qu’ils y reçoivent dans une société sécularisée. Dans quelle mesure leur liberté les ouvre-t-elle à la transcendance ? Et ce n’est pas le problème des seules écoles protestantes.

Bienvenue est alors l’étude d’Elisabeth Terrier sur « les jeunes » d’aujourd’hui ; après avoir analysé leur posture contestataire et leur sensibilité aux médias, elle voudrait les inciter au « dialogue » et à l’actualité du message biblique, source de raisons de vivre, c’est-à-dire de cela même qu’ils cherchent, mais trop souvent sans le savoir.

Enfin, ces divers positionnements trouvent une sorte de synthèse dans l’éducation interculturelle que préconise vigoureusement Milena Santerini, pour faire découvrir à chacun « l’humanité commune » qui, à partir de sa propre culture, l’ouvre à l’universel en le situant au sein d’une diversité dont la perception installe dans l’inter-culturalité.

Telles sont, trop brièvement résumées, les lignes de force de ce numéro inaugural d’Educatio. Ce n’est sans doute pas solliciter abusivement ces textes que, à travers mais au-delà de leur évidence diversité, d’y voir l’incessante fidélité des chrétiens en éducation à la volonté d’une éducation chrétienne que le respect de la liberté personnelle et de la volonté Divine expose à l’incertitude et simultanément, contraint à la persévérance dans la créativité pédagogico-pastorale.

 

Guy Avanzini



[1] G. Avanzini, R. Cailleau, A.M. Audic, P. Penisson – Dictionnaire historique de l’éducation chrétienne d’expression française, Paris, Ed. Don Bosco, 2010, 854 p.

[2] G. Cholv, Le XIXème, Grand siècle des religions françaises, Perpignan, Ed. Artege, 2012, 136 p.

[3] M. Soëtard , G. Le Bouëdec (sous la direction de),  La foi du pédagogue, Paris, Ed. Don Bosco, 2011, 212 p.