Revue les Sciences de l’Education – Pour l’ère nouvelle – 2013, vol. 46, n° 1, pp.73-93.
Il ne s’agit pas d’un ouvrage, mais seulement d’un article ; néanmoins, sa thématique justifie de le signaler car, tout à la fois, il traite d’un problème encore insuffisamment étudié par les historiens et il corrige un préjugé volontiers entretenu dans les milieux laïcistes, où l’on prétend que l’Enseignement Catholique aurait négligé la formation professionnelle de ses cadres. Or, avec la compétence[1] qu’on lui connaît en ce domaine, Bruno Poucet montre que la réalité est beaucoup plus complexe : entre les deux secteurs -public et privé- la différence porte globalement sur deux paramètres : la conception de la relation entre instruction et éducation, celle-ci étant, dans le second, de type « intégral » ; ensuite, la simultanéité, chez lui, de la formation intellectuelle et de la formation pédagogique, au contraire de la successivité qui prévaut dans le premier. Le jeu entre ces variables entraîne quatre modèles, dont les contextes sociaux et politiques illustrent la diversité des modes de fonctionnement et formalisent la comparaison entre les deux systèmes considérés. Ainsi, les grands pédagogues chrétiens préconisent une éducation « intégraliste », alors que l’école laïque présente une morale dissociée d’une éventuelle source transcendante et comporte la successivité des deux composantes, disciplinaire et pédagogique. Ainsi, le stage d’une année dans un lycée était postérieur à l’admission au C.A.P.E.S. Par ailleurs, malgré les légendes laïcistes, les religieux destinés à l’Ecole primaire -par ex. les Frères des Ecoles Chrétiennes- reçoivent dès le noviciat une formation professionnelle d’autant plus solide que leurs Congrégations est porteuse d’un charisme fort et spécifique ; il en va de même des Jésuites pour le secondaire. L’auteur rappelle aussi diverses initiatives notables, comme celles de Madeleine Danielou ou du Père Faure. On pourrait rajouter l’Ecole de la rue Blomet et bien d’autres, dont le manque de moyens a néanmoins entravé l’essor.
Centré sur la période 1950-1970, cet article -dont notre objet n’est pas de résumer toute l’argumentation mais seulement de souligner quelques aspects- étudie évidemment les effets de la loi Debré qui, tout à la fois, entraîne l’élévation du niveau de la formation académique mais accuse la séparation entre instruction et éducation. Cela va obliger l’Enseignement Catholique à s’appuyer sur la notion Gaullienne de « caractère propre » pour tenter de sauver ce lien. Au total, tout en visant l’équivalence de la qualification scientifique, il tient à l’unité entre instruire et éduquer, c’est-à-dire à une vision « intégraliste » de la formation.
Si, enfin, allant au delà de la période étudiée par Bruno Poucet, on s’interroge sur les futures ESPE, on constate qu’elles semblent s’orienter vers la simultanéité des deux composants. « Au cours de leurs deux années de master, les étudiants suivent des enseignements qui leur permettent de conjuguer l’excellence dans une ou plusieurs disciplines et la capacité à transmettre ces connaissances »[2]. Ainsi, pensant innover, le pouvoir en place réintroduit, du moins sur le plan formel et sans s’en douter, la tradition chrétienne de la matière. On le voit, l’étude des modalités de la préparation à la fonction enseignante offre une bonne entrée, encore insuffisamment exploitée, dans la spécificité de l’Enseignement Catholique ; elle met aussi en évidence certains paradoxes de l’histoire.
Guy AVANZINI
[1] cf. Notamment : B. Poucet – la loi Debré : paradoxes de l’Etat éducateur – Amiens – CRDP – 2001 ; la liberté sous contrat – Paris – Ed. Fabert – 2009.
[2] l’ESPE – document du Ministère de l’éducation nationale – 2013