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La pédagogie personnalisée sur le terrain[1]
Blandine Panhard, Anne-Marie Audic
Résumé : Qu’est-ce que la personne ? De ce fait, qu’est-ce qu’une « pédagogie personnaliste » et que le personnalisme en pédagogie ? A quelles insuffisances correspondent-elles et que faut-il entendre par « pédagogie personnaliste », « pédagogie personnalisée » et « pédagogie personnalisante » ?
Il est 9H30, je pénètre dans la classe de CM2. Une pièce lumineuse, avec trois fenêtres qui donnent sur les arbres. La musique classique appelle les enfants à s’installer ; chacun s’affaire en silence, va chercher sa fiche, se met au travail.
Pourtant petite -environ 4 m sur 9m- la salle rectangulaire se compose de 7 tables, où les enfants travaillent par 4. Le bureau de l’institutrice -lui aussi tout petit- est placé stratégiquement près de la porte d’entrée, qui restera ouverte pendant les deux premières heures de la matinée, et près de l’ordinateur de la classe.
Aux murs, des directives, une frise chronologique, une carte. Le long de ceux-ci, sur des étagères où règne une certaine profusion qui frise le désordre à première vue -plus tard je me rendrai compte qu’il n’en est rien- des fiches, des dossiers, des classeurs, du matériel, beaucoup de matériel. Mais c’est une abondance qui ne ressemble en rien à ce qu’on pourrait imaginer d’une salle de classe hypermoderne du XXIe siècle : j’aurais plutôt tendance à dire qu’elle est sans âge, cette salle, elle a même un côté vieillot, bon enfant, ce caractère d’un marché où chacun s’affaire en ayant un rôle bien précis.
Chacun s’affaire en silence
La différence, c’est le silence. Silence des enfants, qui marchent avec précaution, se déplaçant sans bruit, évitant avec soin les pieds de ma caméra, me regardent discrètement tout en restant très concentrés. Silence de l’institutrice, qui parle maximum à mi-voix. A 9H45, le silence serait total si certains élèves ne chuchotaient. Tout le monde est alors assis, au travail.
Pour aller voir ce qu’ils font, je me déplace entre les tables : aucun ne se distraira plus de quelques secondes de la tâche qu’il est en train d’accomplir, répondant d’une façon sobre, mais si polie, à mes rares questions. A l’exception des deux ou trois élèves qui font la queue au bureau de l’institutrice, aucun ne s’occupe non plus de cette dernière.
A une table, un élève lit et écrit des fractions, une fille aide une autre, en chuchotant, à la résolution d’un problème d’unités de longueur, pendant que la quatrième planche sur une explication de texte. Ailleurs, les élèves travaillent la grammaire : découpage fonctionnel et ponctuation ; ou les mathématiques : comparaison de périmètres et rédaction de problèmes.
L’institutrice jette de temps en temps un coup d’œil circulaire sur l’ensemble de la classe, puis se focalise à nouveau sur les élèves qui viennent lui présenter leur travail, soit parce qu’ils ont fini et souhaitent une correction avant de passer à l’étape suivante, soit parce qu’ils butent sur une difficulté. Elle emploie souvent l’injonction : « tu essaies », « tu vas réussir » ; parfois, elle adopte une stratégie de complicité : « on va faire un contrat, si tu veux », ou d’autorité magistrale : « il n’est pas nécessaire de réussir tout le temps tout de suite ». Heureusement pour l’élève en question : il lui faudra revenir trois fois, avec son tableau de classification des modes, pour s’entendre dire : « c’est bien, tu as gagné » avec une satisfaction qui illuminera son visage d’un grand sourire.
Laisser découvrir le sens
10H10 : Il y a maintenant cinq élèves en attente ; l’une d’elles juge l’attente trop longue, va se rasseoir à sa place, et recommence son travail. L’institutrice continue de donner ses consignes avec autorité : « tu prends un autre travail et tu reviens », « tu passes à la suite » ; « il faut tout lire », « à toi de jouer » ; « observe bien ce qui est juste ». Pas question de faire à la place de l’élève, mais lui laisser découvrir le sens : « cela sert à quoi ? » : l’élève explique à l’institutrice. Un élève s’est remis dans la file et attend son tour. A ce moment, une camarade intervient, lui donne en chuchotant quelques explications. Le garçon revient à sa place et reprend son travail. Tout au long de la matinée, le déplacement des enfants sera rythmé par les besoins de chacun.
Assis à leurs tables, les élèves écrivent, soulignent, posent leurs opérations ; les cahiers sont soignés ; certains font des tests. Le bruit monte insensiblement. Près de moi, une clochette sonne. A ma grande surprise, la fille qui l’a agitée pendant qu’elle tournait le dos à la classe va doucement au tableau et écrit le prénom de ceux qui font trop de bruit. Le silence se fait à nouveau, on entend les mouches voler. Elle m’explique qu’elle exerce la fonction de « Reine du Silence ».
10H40 : La musique, qui avait été arrêtée, est remise par une fille, puis un garçon en baisse le son ; la porte est toujours ouverte sur l’entrée ; il flotte une ambiance paisible et sereine. Une fillette rapporte son tableau sur l’attribut du sujet, pour correction ; « c’est trop facile » lui glisse un garçon ; la Reine du Silence secoue sa cloche, soupire, mais n’inscrit pas de nouveaux noms au tableau.
La voix de l’institutrice se fait entendre, claire et un peu plus forte : « vous avez entendu la musique, chacun prépare son cahier pour demain ». Pendant que quatre élèves attendent encore leur tour auprès d’elle, certains rangent déjà leurs affaires, préparent leur travail pour le lendemain, ou s’évaluent sur leur plan de travail. Ce qui est réussi est colorié en vert. Quelques instants plus tard, l’institutrice rappelle : « tout le monde prépare son travail pour demain ». Elle élève une troisième fois le ton : « donc je répète : chacun vérifie que son plan de travail est tenu à jour ». Elle ferme la porte et ordonne : « les livreurs font leur travail ». Deux garçons ramassent les cahiers verts de travail personnalisé ; certains font des puzzles ou lisent des bandes dessinées. L’institutrice surveille l’activité générale de la classe, puis demande que les deux portes soient maintenant fermées. « Vous êtes à vos places, vous fermez vos livres ; s’il vous plaît, fermez vos livres ». Elle fait un reproche à l’ensemble de la classe qui m’avait pourtant paru si calme : « le lundi matin, on oublie qu’on a des chaises à lever ».
La séance d’expression corporelle peut commencer, visiblement attendue par tous, qui jettent un regard rieur de mon côté en voyant ma stupéfaction : tous tapent dans leurs mains, recopiant le rythme donné par l’institutrice. Puis la moitié droite des élèves reprend le rythme dans ses mains tandis que la moitié gauche lui répond en faisant le même exercice avec ses pieds. L’institutrice se transforme en chef d’orchestre, donnant les instructions avec la main, puis seulement avec le doigt, impassible. Tous ont le regard rivé sur elle. Elle leur sourit, les regarde tous, comme si c’était un jeu. Relâche.
Tous se rassoient en silence. L’un termine son puzzle en douce ; tous ont rangé comme par magie les crayons, bics, ciseaux et pots de colle dans les pots de yaourt « Saveurs d’autrefois ».
L’institutrice prend un élève à partie, s’étant aperçue qu’il avait fait une recherche dans le dictionnaire : « c’était tellement important que cela ne pouvait pas attendre ? », et lui demande de venir la voir après la classe.
Mise en commun
11H00 : La mise en commun commence par une remarque, le responsable du matériel de français n’ayant pas fait son travail. Les élèves prennent ensuite la parole. « Quand il y a un visiteur, c’est beaucoup plus calme, déclare l’un d’eux, cela montre qu’on sait le faire ». Un autre fait un exposé de ce qu’il a appris sur l’Egypte antique ; une discussion s’instaure avec la classe sur le dieu RÂ. Puis une élève explique l’activité qu’elle a menée sur l’attribut du sujet, et tout le monde l’écoute en silence avant de répondre aux questions de l’institutrice, qui sollicite les connaissances de la classe. Les réponses fusent, ce qui la force à constater que beaucoup prennent la parole sans la demander. La Reine du Silence agite d’ailleurs la cloche. Encore une discussion sur les adverbes, suivie de l’énonciation de la règle, et chacun à sa place se redit ce que l’on vient de dire dans sa tête ».
Le silence est revenu. L’un ouvre la fenêtre. L‘autre éponge le tableau. Le troisième éteint la lumière. Le dernier indique avec l’alphabet des sourds l’ordre de sortie par les initiales des prénoms. Un à un, les élèves sortent.
Échanges avec Anne Lachèze[2]
École du Cours Secondaire d’Orsay
Blandine Panhard / Quel est le schéma d’une journée dans votre classe ? Le « personnalisé » a-t-il lieu seulement le matin ?
Anne Lachèze / Voici la gestion du temps personnalisé :
8H30 – 10H30 Travail Personnalisé – Français – Mathématiques
10H30 – 11H Motricité
11H – 11H30 Mise en commun, cours
13H15 – 16H30 Activités (Histoire, Géo, Sciences, arts plastiques, poésies…)
Elles peuvent s’organiser sous forme de cours collectifs en partant des connaissances des enfants et par questionnement pour construire de nouveaux savoir, savoir-faire – de travail de groupe (par 4) avec 1 gardien de l’objectif, 1 gardien du temps, 1 secrétaire, 1 porte-parole, afin que chacun soit responsable – avec mise en commun – ou travail personnalisé.
L’après-midi se termine par une mise en commun qui permet de faire le point de la journée et prévoir les objectifs pour le lendemain.
BP / Comment gérez-vous le mouvement perpétuel qui anime les enfants ? C’est ce qui frappe quand on visionne le rush des images.
AL / Tant que les déplacements ont un but de travail, d’activités, pas de souci – les enfants évoluent librement pour réaliser leurs projets. Si ce n’est pas le cas, l’enfant qui gêne le bon fonctionnement de la classe est arrêté, mis à l’écart du groupe, afin qu’il se recadre en observant le groupe, puis reprend son activité lorsqu’il est décidé à respecter les règles posées.
BP / Quel est, selon vous, l’intérêt de la disposition des tables par rapport à une disposition frontale classique ?
AL / Cette disposition est la seule qui permet d’accueillir 28 élèves et de se mouvoir au mieux. Les autres types de tables ne tiennent pas. Leur avantage est la possibilité de travaux de groupes, sans déplacement de mobilier, l’interaction entre les élèves. Elle est agréable dans le cadre du travail personnalisé. Elle est beaucoup moins adaptée à un cours collectif, à la mise en commun. Mais il faut faire avec !
BP / La motivation des élèves est-elle influencée par ces mises en condition. Si oui, lesquelles vous semblent les plus déterminantes ?
AL / Il est certain que l’organisation de classe influence les élèves. Tout est fait pour qu’ils trouvent tout ce dont ils ont besoin pour travailler par eux-mêmes. Dans un petit espace, cela peut paraître en désordre mais, en réalité, tout est à une place précise, connue des enfants, pour les guider, les aider dans leur travail. Les petits groupes de tables rassurent certains enfants, l’entraide y est fréquente, ils se stimulent les uns les autres sans esprit de compétition, dans le souci de la réussite de tous.
BP / L’apprentissage semble être la clé de voûte du système de la pédagogie personnalisée : pouvez-vous nous dire pourquoi ?
AL / L’apprentissage par soi-même et par interaction avec ses pairs est la clé de voûte de la pédagogie personnalisée. Un enfant porte en lui le désir d’apprendre. Si on lui donne les moyens, il le fait avec plaisir. Sa motivation demeure si on lui permet d’accéder à la connaissance, à la maîtrise de la connaissance, la compétence, par une recherche personnelle et/ou avec ses pairs, par essais et réussites successives.
L’apprentissage sera d’autant plus efficace et sûr que l’enfant aura adhéré librement au projet, sera conscient de ce qu’il sait, de ce qu’il veut apprendre. Par cette pédagogie, « l’enfant ne fait pas ce qu’il veut, mais il veut ce qu’il fait », disait Pierre Faure.
BP / Pouvez-vous nous dire un mot du contrat de travail et du plan annuel ?
AL / Le plan annuel, ou programmation, indique à l’enfant les compétences à acquérir. Ainsi, il sait où il va et pour quoi il se mobilise. Il peut alors s’approprier l’objectif à atteindre.
Le plan de travail lui permet de planifier ses apprentissages sur une durée plus courte, 15 jours, une semaine et au quotidien. A la fin du temps de travail, il note ses réalisations, les évalue, prévoit ce qu’il fera le lendemain. Ainsi, il vient à l’école avec son projet. Ce document rend compte du travail de l’enfant. Cet outil offre non seulement une gestion rigoureuse des compétences scolaires à développer, mais un véritable apprentissage d’auto-évaluation, de l’autonomie et de la responsabilité.
[1] La « Pédagogie Personnalisée » n’est pas une théorie, elle se vit sur le terrain. Le reportage a été réalisé par une non-enseignante, membre de l’AIRAP, Blandine PANHARD, que nous remercions vivement, dans une école ordinaire (Cours Secondaire d’Orsay – 91400 Orsay), au local modeste, qui l’a mise en œuvre dès sa création, il y a une cinquantaine d’années.
Cet exposé est complété par un échange entre l’institutrice, également directrice, Anne LACHEZE, et Blandine PANHARD. Nous remercions Anne LACHEZE de son accueil et de sa participation.
[2] Anne LACHEZE a été élève du Père Pierre Faure, et est présidente de l’AIRAP