Madeleine Daniélou : sa vie, son œuvre

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Blandine-D. Berger*

Enfance et jeunesse

S’il fallait caractériser en deux mots Madeleine Daniélou (1880-1956) dans sa vie et dans son œuvre, je choisirais courage et confiance en Dieu.

L’enfance de Madeleine Clamorgan se déroula entre les villes de garnison où son père était officier, et Valognes où la maison de sa grand-mère sentait bon la cire et la brioche ! Deux grands souvenirs dominent. Le séjour, en Indochine, de 1892 à 1894, qu’elle fit avec ses parents. Le Général Clamorgan croyait à l’instruction pour ses soldats comme pour le peuple et il fit construire plusieurs écoles. Au retour de ce pays enchanteur pour elle – où Madeleine avait fait probablement plus de promenades à cheval que de dictées – la famille s’installe à Brest – mais le père reste en Indochine. Madeleine a quatorze ans. Casse-cou comme ses frères, grande lectrice, elle suit ses classes à Brest avec une facilité étonnante ! Un jour de 1895, la fièvre typhoïde emporte soudain l’aîné des garçons, Jean, qui meurt très saintement. Pendant sa maladie, il avait fait une demande : que ses frères quittent le lycée public et aillent chez les Jésuites. Malgré ses idées libérales et voltairiennes, Mme Clamorgan approuve. Le Général, profondément catholique, acquiesce de loin sans réserve. Ce petit événement est tout-à-fait significatif du contexte conflictuel dans lequel se trouvaient la République laïque et l’enseignement privé ou catholique.

Quant à Madeleine, après le Brevet Supérieur (pour les filles) qu’elle passe haut la main, elle désire continuer des études supérieures, réservées à l’époque aux seuls garçons. Elle part pour Paris. Elle est inscrite dans un Institut universitaire privé, non confessionnel, récemment fondé « pour la promotion de la femme », le Collège Sévigné. Les méthodes pédagogiques sont novatrices. Madeleine Clamorgan, qui à cette époque se pose beaucoup de questions concernant la foi, reçoit un jour un choc. Une amie du Collège Sévigné, « qui venait d’un couvent de Notre-Dame », lui dit brusquement : « Madeleine, on m’a fait lire France et Renan : je ne crois plus, j’ai ôté la statue de la Vierge de ma chambre … Cette parole me perça le coeur… Je me dis : il faudrait pourtant qu’il y ait une maison où des jeunes filles catholiques puissent faire des études » sans perdre la foi ! « En un éclair, tout le projet de l’œuvre à faire se présenta à mon esprit. C’est là, je crois, la première impulsion que Notre Seigneur m’a donnée ».

Conflits entre l’Etat et l’Eglise

On sait avec quel acharnement Emile Combes, par toute une série de lois, voulut à partir de 1902 démanteler systématiquement tous les établissements de l’enseignement catholique, estimant que l’instruction de la jeunesse appartenait à l’Etat, en particulier l’instruction des filles qu’il était temps d’ailleurs de reprendre « aux genoux de l’Eglise » ! Les professeurs congréganistes sont interdits d’enseignement. Religieux et religieuses doivent abandonner leur couvent. Certains revenaient enseigner sans costume, en risquant la prison, d’autres partaient fonder à l’étranger. La France s’enflammait.

Pendant cette période, en 1903, Madeleine, passe l’agrégation des lettres. Elle est reçue première sur les cinq candidates de cette année-là. Elle cherche ce qu’elle pourrait créer pour l’enseignement des filles, si inférieur à celui des garçons. Elle voit l’Etat s’en préoccuper mais l’Eglise reste dans le statu quo. Or la gardienne de la foi dans la famille et dans la société, c’est bien souvent la femme.

Il faudra à peine trois ans de recherche, de conseils, de contacts divers pour ouvrir, en septembre 1907, une Ecole Normale Libre destinée à former les professeurs de l’enseignement catholique. Ceux-ci en effet étaient désormais obligés de passer les diplômes d’Etat. Madeleine pense que le niveau culturel n’en sera que meilleur. A cette époque, elle est mariée depuis 1904 avec Charles Daniélou. Elle est mère d’un garçon : Jean (1905) et d’un petit Alain qui naît juste à la rentrée de 1907 ! Charles et Madeleine auront six enfants. Beaucoup plus tard l’un d’eux Louis qui, en 1942, avait rejoint le Général de Gaulle à Londres, reçut de celui-ci une mission aérienne en direction de l’Afrique du Nord, au cours de laquelle, à vingt-sept ans, il disparut du côté de Gibraltar…

Une femme d’avant-garde

Très tôt, les idées et les certitudes de Madeleine sont claires. Elle les fera connaître au cours de maintes conférences organisées par de grandes dames catholiques désireuses d’aider l’enseignement libre et cette jeune femme qui parle d’une manière si neuve et si claire, et dans des congrès diocésains, ou par des articles de journaux et de revues. On souffle discrètement qu’elle est mariée et agrégée ! Pour elle, elle captive ses auditoires : ne s’attardant jamais sur le passé : elle va de l’avant. Nous assistons à une déchristianisation profonde, dit-elle, et il est urgent de faire se rencontrer à nouveau la foi et la culture. Ce n’est pas seulement par le cœur mais par l’intelligence que l’on est chrétien. Aujourd’hui les jeunes filles passent de plus en plus le baccalauréat. Demain, elles seront amenées à travailler comme les hommes. Il faut qu’elles soient instruites ! Et puis, dans la famille comme dans la société, la mère a un rôle essentiel à jouer : elle le fera avec une culture éclairée, une foi solide.

Cette période de l’Ecole Normale Libre, rue Oudinot à Paris (1907-1913) fut pour Madeleine à la fois passionnante et extrêmement difficile. Les étudiantes étaient nombreuses et toutes voulaient devenir enseignantes. Mais elles avaient des parcours très différents, l’une par exemple arrivant à 20 ans, et l’autre à 40 ans. Madeleine a surtout du mal à trouver des personnes qui aient avec l’œuvre et elle-même un accord profond. Et puis, la santé de ses enfants n’est pas bonne. Elle est obligée de mettre l’un ou l’autre en pension où ils sont mieux soignés. La séparation lui déchire le cœur. A l’Ecole Normale, on lui suggère de réunir quelques étudiantes. Peut-être certaines voudraient-elles s’engager dans l’enseignement et l’éducation ? De fait, en décembre 1910, elle organise une petite réunion.  On peut dire que là est l’origine secrète de la Communauté Saint-François-Xavier, qui grandira « selon l’Esprit », peu à peu, et demeure encore aujourd’hui.

La fondation de Sainte-Marie de Neuilly en 1913 fut l’étape décisive pour l’œuvre et la Communauté[1] saint François Xavier. Madeleine eut l’immense chance de rencontrer un Père jésuite, théologien éminent, qui la seconda admirablement, dans tout ce qui touchait à la théologie et à la spiritualité : le P. Léonce de Grandmaison. De 1909 à 1927, il l’aida dans la conduite des âmes, dans le discernement quotidien, dans les décisions importantes. Elle dit que la présence « du Père » était la preuve que Dieu voulait cette Œuvre et la Communauté. Madeleine était depuis les origines Supérieure du groupe naissant, mais en 1935, elle le confiera à la jeune Germaine d’Ynglemare dont la maturité humaine et spirituelle était remarquable. Elle même restait directrice de Sainte-Marie de Neuilly, premier « Collège » (nous dirions aujourd’hui : école-collège-lycée-classes préparatoires) en France à permettre aux jeunes filles de faire de la philosophie, du grec, du latin, des sciences, bref le programme classique des garçons. Le Collège Sainte-Marie était à peine né, que des évêques réclamaient à Mme Daniélou des fondations de ce type. Mais ce que Madeleine désirait surtout c’est que « Saint-François-Xavier » grandisse en nombre et en ferveur apostolique.

L’instruction pour tous

Un des grands sujets qui préoccupaient Madeleine et Charles Daniélou dans leur jeunesse étudiante était la question sociale. Avant leur mariage, ils avaient fait partie, à Neuilly, de réunions autour de l’Encyclique Rerum Novarum, dans la ligne du catholicisme social. Le sujet ne les quitta jamais vraiment. En 1930, Madeleine fit un pèlerinage à Lourdes, seule. Elle voulait recevoir comme une grâce intérieure la certitude d’un projet important. Elle demandait à Dieu de connaître sa volonté. Au retour, Madeleine put confier à une de ses « Filles » de Saint-François-Xavier, Marie Comeau, ce projet : créer des écoles gratuites, dans la « zone », dans ces banlieues de Paris abandonnées à la misère, ou en milieu rural. Elle soutint beaucoup Marie dans l’entreprise. En 1931 et 1933  s’ouvrent les deux premières « Ecoles Charles Péguy », dans le Loiret et à Courbevoie. D’autres suivront, qui continuent de nos jours. Il y règne un total respect des origines et des convictions de chacun. Aujourd’hui, un véritable dialogue interreligieux peut s’établir entre jeunes.

Au service de Dieu

Depuis qu’elle s’est mise au service de Dieu, au milieu de grandes épreuves mais aussi de grandes joies, Madeleine se sent attirée vers un don de soi absolu qui serait scellé par un vœu religieux. Ce serait une immense grâce, pour chacune à Saint-François-Xavier et pour l’œuvre toute entière :

« Il y a longtemps que je veux vous écrire », confie-t-elle à une de ses « Filles » au mois de février 1915, « pour vous dire que depuis la fête de Saint François Xavier, je pense sans cesse que nous avons une vocation à réaliser plus encore qu’une œuvre à faire. Une vocation ! Il n’y a que Notre Seigneur qui puisse donner une vocation puisque c’est un appel. C’est Lui qui choisit ses apôtres. Il les sépare du monde et les établit, les aime « jusqu’à la fin ». Il les prend avec Lui pour les associer à son œuvre d’amour, pour vivre de sa vie, pour travailler, souffrir et mourir avec Lui. C’est vrai, nous ne pouvons pas savoir comment cela se fera, mais c’est Notre Seigneur qui a fait les saints, Il fera aussi quelque chose en nous et par nous, pourvu que nous disions « oui » à son appel, (…) oui à notre vocation tout entière »

En avril 1915, en pleine guerre, Madeleine et deux de ses « Filles » font un vœu perpétuel de stabilité dans l’apostolat, entre les mains du P.de Grandmaison et d’un autre jésuite, canoniste. Deux « jeunes » (on disait« stagiaires ») font leur premier vœu. En cette période si douloureuse d’une guerre qui s’installe et en cet instant du don total si heureux, toutes se sentent conduites par l’Esprit-Saint sur des chemins nouveaux et magnifiques.

Joie dans les épreuves

La fin de la Grande Guerre est un moment plus difficile que prévu. Après avoir essayé de mettre Jean pensionnaire chez les Jésuites, à Jersey, ses parents doivent le retirer car son père supporte mal la séparation. Madeleine garde pour elle le grand secret de sa vocation que Jean lui a confiée un peu plus jeune. Les travaux ont repris à Amiens où va s’ouvrir le deuxième « Collège Sainte Marie ». Mais le travail de restauration de bâtiments qui ont servi pour la guerre est gigantesque. Madeleine Païtard, bras droit de Madeleine, est tout le jour sur le chantier et s’y épuise … Au milieu de tout cela, Madeleine écrit une lettre au P.de Grandmaison en octobre 1919, qui révèle le secret de son âme et nous dit de quel amour elle vit :

« Je traverse une période de grande joie spirituelle. L’action de Dieu dans le monde et dans les âmes m’est comme sensible ; il me semble être plongée dans ce courant divin, portée par un fleuve de joie. Cette vocation de servante des épouses de Dieu qui est la mienne, suffit à mon coeur, il était fait pour cela. Je vois dans les âmes de mes filles mille grâces et vertus admirables qui ne sont pas dans la mienne ; voir cela, en bénir Dieu, être associée de quelque façon à cette œuvre divine, c’est déjà pour moi une part trop belle. »

C’est alors que Madeleine tombe gravement malade des poumons et fait maintes hémoptysies. Sa vie durant elle verra ce mal réapparaître, souvent à la suite d’un surmenage. Bien qu’elle eût un solide tempérament, actif, Madeleine sera toute sa vie obligée de partir à la campagne ou mieux, à la montagne, pour un repos strict, toujours avec l’un ou l’autre de ses enfants. Nous avons des lettres de ces séjours. Madeleine y parle avec une grande simplicité de sa prière.

« … Je suis dans une grande paix, je crois qu’elle vient du Bon Dieu… Je prie toujours de la même façon, en goûtant l’amitié divine dans les trois personnes de la Sainte Trinité. J’ai quelques petites misères de santé, mais j’y trouve une vraie douceur en pensant chaque fois que c’est une petite pénitence que Notre-Seigneur Lui-Même a choisie pour moi dans son amour, et je l’offre à l’intention de celle des enfants de Neuilly, grande ou petite, qui en a le plus besoin. Comme tout est simple quand Dieu nous donne de l’aimer…».

Trois fils qui se tressent

Dans les années trente, le Collège Sainte-Marie prend sa vraie stature. Madeleine essaie d’insuffler à toute personne qui y collabore l’esprit et… l’Esprit-Saint. On peut dire que maintenant trois fils tressent sa vie : sa famille, d’abord, puis son chemin avec Dieu, enfin la Communauté Saint-François-Xavier et l’œuvre apostolique. Ces domaines ne sont plus des raisons de tension mais conduisent Madeleine vers une unification humaine et spirituelle paisible. C’est aussi le chemin qu’elle trace pour la Communauté Saint-François-Xavier.

La famille Daniélou ne manque pas de vie ni d’ouverture sur le monde ! Le père de famille est un homme très pris par ses engagements politiques. Il avait commencé comme journaliste. Il aime toujours partager ses idées avec ses fils, il les initie à la politique. Au retour du Front, en 1917, il commence une longue carrière auprès d’Aristide Briand, celui qui avait su, dix ans auparavant, éteindre le feu allumé sur l’enseignement catholique. Les Daniélou ne croient qu’aux grandes personnalités. Charles s’attache à Briand, conciliateur et homme de paix. Charles est maire de Locronan, député du Finistère, et dans les années trente, sera plusieurs fois ministre. L’été, à Locronan, dans le manoir breton non loin de la mer, Madeleine se fait toute à ses enfants. Et ceux-ci savent qu’ils ont enfin leur mère pour eux seuls ! Ce qui était bien plus difficile à Neuilly ! Madeleine est une femme qui travaille à temps plein… Elle donne à ses enfants une très grande affection mais elle se rend compte parfois qu’il faudrait davantage. Alors, impuissante, elle confie à Dieu, dans un grand acte de foi, chacune de ces six petites personnalités tellement diverses et originales. Dans la brève évocation de l’éducateur ici, elle exprime sa propre expérience :

« L’éducateur entend l’appel constant de ces petits et de ces jeunes qui ne peuvent se passer de lui, grandir sans lui, être heureux sans lui. Il faut qu’il soit humble pour ne pas ressentir comme des blessures personnelles les incompréhensions et les échecs… Il rougirait de prêcher des vertus dont il ne donne pas l’exemple… Il sent qu’il doit prier, intercéder pour beaucoup, obtenir qu’une Présence invisible l’assiste dans son combat ».[2]

Le chemin de Madeleine avec Dieu

Ce qui fondait l’admiration des Consacrées de Saint-François Xavier, c’était la solidité de Madeleine, son dynamisme « inconfusible », sa créativité dans tous les domaines, l’accent de sa voix quand elle parlait de la bonté infinie de Dieu, et son attention empreinte de tendresse pour chacune. Elle voyait à l’avance le sens des événements et quelle réponse il fallait donner. C’était un chef – une fondatrice– quelqu’un qui entraînait dans son sillage, qui avait une parole heureuse pour les parents, les grandes élèves à qui elle s’adressait souvent. Mais rien d’envoûtant, rien qui aurait ressemblé à la plus petite main mise Elle parlait toujours de « désappropriation » terme propre au langage spirituel : les dons que Dieu nous donnent sont là pour être redonnés gratuitement. Nous ne sommes que des serviteurs, des apôtres c’est à dire des envoyés. C’est Dieu seul qui fait croître la semence. Madeleine parlait souvent aussi de l’humilité : c’était vraiment pour elle une des clefs de la vie spirituelle Une autre clef était la confiance mise dans le Saint-Esprit, essentielle. Madeleine ne montrait pas sa douleur quand la vie la meurtrissait. Et cela arriva souvent. Combien de fois ses Filles furent les témoins d’un combat qui la laissait seule avec Dieu. Elle était d’un grand courage mais elle avait un immense besoin de l’affection des siens. Les peines concernant ses enfants, leurs maladies par exemple, étaient toujours pour elle une grande douleur. Elle aimait les enfants à tel point que, à Sainte Marie, quand un jour elle vit une petite élève mise à la porte, elle ne put s’empêcher, en la consolant, de la faire rentrer à nouveau dans la classe !

Comblée de grandes grâces avant et dès le début de l’œuvre, on peut dire que Madeleine eut une « vie mystique ». Dans une conférence spirituelle qu’elle fit à la Communauté Saint-François-Xavier en septembre 1944, on trouve une évocation claire de la prière mystique :

« En un sens, toutes les grâces sont mystiques car elles sont un don de Dieu. Mais il reste vrai qu’à un moment donné la vie spirituelle change de caractère. L’âme a le sentiment d’une certaine passivité. Elle sent qu’elle n’aboutit pas par ses propres efforts et que Dieu fait en elle des choses meilleures dans lesquelles elle n’est pour rien. Dans l’oraison, elle a le sentiment que les méditations ne lui servent à rien, que l’effort de recueillement devient inutile, car Dieu la recueille lui-même, que le contenu de sa prière lui est donné. »

Bien sûr, il faudrait de nombreuses pages pour décrire les grâces que Madeleine reçut. Elle en partagea beaucoup : tout cela ne lui était donné que pour les autres. Telle cette image qu’elle nous laisse de son expérience : « On sent la source jaillissante de l’amour de Dieu qui ne cesse de sourdre au fond du cœur ».

Travail apostolique et spiritualité xavérienne

La surcharge de travail, dans la vie apostolique, en plein monde, au milieu des jeunes, était un thème dont on parlait souvent à Saint-François-Xavier. Par ailleurs, les besoins apostoliques étaient si grands que Madame Daniélou aurait voulu fonder une nouvelle maison à peu près tous les cinq ans ! Déjà en 1917, le P.de Grandmaison avait répondu non sans humour à une question concernant la multiplication des charges :

« Vous devez être femme du monde, mère de famille, directrice, professeur, déléguée du conseil d’administration, maîtresse des novices, est-ce bien tout ? Puisque nous avons le droit de penser bonnement que c’est votre appel, et non pas le résultat de témérités ou d’ambitions humaines, nous devons également compter que vous avez grâce d’état pour vous sanctifier en tout cela. Seulement cette complexité ne facilite pas les choses ».[3]

La spiritualité xavérienne devint vite la réponse à cette question : comment des apôtres peuvent-elles rester recueillies au milieu de grands travaux et de mille occupations ? Réponse : en vivant « l’oraison dans l’action[4] » c’est-à-dire une attention toujours en alerte pour rejoindre le Seigneur, une confiance totale faite à la conduite de l’Esprit dans de petites choses comme dans de grandes, le sentiment profond de travailler pour le Royaume, de recevoir sans cesse de l’Esprit Saint la fidélité à l’instant présent. Au fond, il s’agit de vivre une alliance avec l’Esprit de Dieu. A cette époque, une telle importance donnée à l’Esprit était neuve dans l’Eglise. Cela reste encore aujourd’hui une clef spirituelle pour la Communauté sfx.

L’écriture

Quand une partie de l’Europe allait être engloutie sous la folie du nazisme, Madeleine entreprenait d’écrire un livre inspiré par les Deux Sources de la morale et de la religion de Bergson. Elle réfléchissait au lien entre l’inspiration et l’action, dans tout travail, dans toute création modeste ou grande. Action et Inspiration analyse l’inspiration naturelle comme « une petite parcelle de puissance créatrice…sans laquelle ne s’expliquent ni la pensée, ni l’art, ni la civilisation, ni la conscience. » Mais il est une autre force, « à laquelle je voudrais, dit Madeleine Daniélou, rendre témoignage pour en avoir senti, avec d’autres, l’irrésistible pression, venue d’en haut et d’ailleurs ». L’inspiration surnaturelle que Dieu donne à l’apôtre, est une grâce… « Et la grâce est le point d’insertion du divin dans le monde ». Sorti en 1938, le livre aura grande audience. Si bien que, consciente de l’impact apostolique de l’écriture, Madeleine Daniélou continuera. Son second livre L’éducation selon l’Esprit passe en revue de nombreux sujets éducatifs, qui vont de l’intelligence à la culture, de la personnalité aux moyens d’expression, de la formation de l’esprit au discernement, et qui tous répondent à la question : qu’est-ce que l’éducation selon l’esprit ou l’Esprit ? D’autres livres suivront, traitant aussi d’éducation : les uns (Premier Livre de Sagesse, Second Livre de Sagesse, Visage de la famille) s’adressent directement aux lectrices, les jeunes filles que Madeleine connaît depuis tant d’années. Les autres (Mme de Maintenon et Fénelon) sont de belles fresques historiques où, à travers des personnages de la cour du Roi-Soleil, tout un art de l’éducation se propose, d’une manière vivante.

La vie de Madeleine Daniélou fut une vie donnée, donnée à sa famille, donnée à la Communauté SFX, à l’œuvre d’éducation qu’elle n’a cessé d’inspirer, donnée aux parents qu’elle rencontra si nombreux, aux Anciennes par son enseignement spirituel, aux professeurs qu’elle encourageait, à tous les amis de Sainte-Marie, Copeaux, Bernanos, Claudel, Mauriac et tant d’autres, aux cuisiniers dont elle allait chaque jour « goûter la sauce », aux lecteurs de ses livres, à toute personne qu’elle croisait même brièvement. Elle avait une très haute idée de la consécration apostolique, qui consiste à « veiller » sur ceux qui nous sont donnés par Dieu. Elle disait volontiers :

« Un apôtre ne doit jamais renoncer à l’intimité avec Dieu mais il s’agit moins de se reposer en Dieu que de s’unir à son action agissante, aimante, et de s’y complaire avec une confiance infinie »

Madame Daniélou n’a fondé des « Collèges » qu’en France. Elle souhaitait que la Communauté dépasse les frontières de l’hexagone. Ce souhait ne put être exaucé que quelques années après sa mort en 1956. La Communauté Saint-François-Xavier fut appelée en Afrique, à Abidjan en Côte d’Ivoire, puis au Togo puis au Tchad, et plus tard en Asie, à Séoul en Corée.

 


* Communauté apostolique saint François-Xavier.

[1] [1] Œuvre que l’on appelait « Association » pour ne pas enfreindre l’interdit de l’Etat face aux congrégations religieuses.

[2] Second Livre de Sagesse, ECRITS tome 2, p.223.

[3] Biographie MD 1880-1956.

[4] A l’époque, on disait « oraison virtuelle » sachant que virtuel vient du lat. virtus, force.