Annie Gerest
Pierre Vigne, en chemin avec les humbles

Editions Nouvelle Cité – 2012 – 190 p.

Peu connu demeurait Pierre Vigne, jusqu’à sa récente béatification, en octobre 2004. Il le sera désormais davantage grâce à ce livre qui, s’il n’évite sans doute pas assez un certain ton hagiographique et n’est pas exempt de quelques redondances, mobilise néanmoins au mieux les documents et données dont un ouvrage historique requiert le traitement.

Pierre Vigne illustre parfaitement le profil du prêtre rural, que rien ne destinait à s’occuper spécifiquement de pédagogie mais qui, au fil de son ministère, perçoit de façon aigue le besoin d’éducation.et sollicite, pour y répondre, le concours de quelques jeunes filles pieuses. Certaines le percevaient aussi et, à leur initiative ou à la sienne, elles s’appliquent à fonder une congrégation partiellement, voire totalement, vouée à cette tâche.

Quant à lui, né à Privas en 1670, il a, pendant plus de 30 ans et avec une endurance souvent héroïque, prêché ce que l’on appelait des « missions paroissiales », c’est-à-dire un temps -de 1 à 2 mois- pendant lequel un prédicateur, seul ou en groupe, résidait dans un village pour ranimer et activer une foi et une pratique parfois un peu poussives, ou éprouvées par quelques problèmes politico-religieux ou menacées dans leur orthodoxie par la Réforme.  Il s’y applique dans son Vivarais natal et dans les diocèses voisins. Membre, pendant quelques années, de la Congrégation vincentienne des Lazaristes -les « clercs de la mission » -, il assurait plusieurs missions par an avec un zèle et une efficacité qui suscitent la plus vive admiration.

Voici que, en 1711-1712, l’une d’elles le conduit à Boucieu-le-Roi, village établi sur les bords du Doux, aux confins du diocèse de Valence ; sa topographie lui parut propice à la construction d’un Calvaire, dont le parcours permettrait aux pèlerins de revivre la Passion du Christ. Il s’emploie activement, alors, et moyennant d’opiniâtres efforts, à construire un édifice dont la beauté soit digne de son objet. Mais encore faut-il que les fidèles, au cours de leur visite, soient accueillis et accompagnés ; et c’est alors que se présente, bientôt rejointe par quelques autres, une sainte fille qui s’y dévoue. C’est l’ébauche de la Congrégation à venir, dont la fondation est considérée comme datant du 30 novembre 1715, jour où Pierre Vigne leur remet l’habit religieux.

Cependant, les sœurs et lui, constatant notamment que beaucoup de pèlerins ne savent pas lire les informations liées aux divers stations, se convainquent aussi qu’il faut les instruire, spécialement les filles. Ainsi s’esquisse une réflexion  d’ordre pédagogique, centrée sur une idée dominante, que les textes de Pierre Vigne soulignent avec force : celles-ci doivent impérativement être préparées à élever leurs enfants, destinées qu’elles sont à devenir mères de famille. Les religieuses deviennent donc des « régentes », des institutrices appréciées. Pierre Vigne s’inscrit ainsi dans le combat contre l’ignorance, son initiative contribuant, comme tant d’autres en d’autres régions, à infirmer le préjugé tenace et mensonger selon lequel, en France, il aurait fallu attendre Jules Ferry pour combattre l’ignorance…

Devenues en 1787 les « Sœurs du Saint Sacrement de Valence », celles-ci poursuivent en de nombreux pays étrangers, et jusqu’au Brésil, un fécond apostolat scolaire, en illustrant de façon très claire un modèle particulièrement représentatif du mode d’émergence et d’essor de l’innovation pédagogique congréganiste.

Guy AVANZINI