Pascal Percq
Quelle école pour quelle société ? Réussir l’école avec les familles en précarité

Lyon – Editions Quart Monde / Chronique sociale – 2012 – 208 p.

Il importe de distinguer le « pédagogue chrétien », c’est-à-dire celui dont la pratique éducative vise explicitement la formation des chrétiens, du « chrétien pédagogue », qui mobilise dans son action toutes ses vertus chrétiennes -dévouement, disponibilité, etc. – sans que son objectif soit proprement religieux. Le Père Joseph Wresinski illustre éminemment la seconde attitude : tout à la fois, ATD Quart-Monde, dont il est le vénéré fondateur, est « sans appartenance politique ni confessionnelle », mais le mouvement auquel il a donné une ampleur internationale et qu’il a voué à la promotion de la personne émane d’une initiative intensément caritative et est au plus haut point œuvre d’un chrétien. Sa conviction de base et l’originalité de son organisme par rapport aux autres associations de secours à autrui sont de poser l’éducation et l’accès au savoir comme requis pour prévenir ou surmonter la détresse de ceux qu’accable la misère. Et c’est dans cette perspective que Pascal Percq entreprend aussi de montrer comment l’Ecole pourrait contribuer à l’éviter ou à la surmonter.

La première composante de l’ouvrage vise la justification de cette conviction, dont écartent divers préjugés, notamment celui qui suppose a priori que, mauvais parents, les parents en grande précarité se désintéresseraient de la scolarité de leurs enfants, voire les en détourneraient, alors qu’ils y perçoivent au contraire un moyen d’éviter la marginalisation sociale. A cet égard, il souligne a bon droit l’influence objectivement nocive de ceux qui, comme Bourdieu, en mettant en évidence la corrélation entre niveau socio-culturel et performances scolaires, ont persuadé l’opinion, y compris celle du corps enseignant, d’adopter une vision déterministe, un regard fataliste, selon lequel l’échec des sujets culturellement défavorisés serait pré-inscrit et comme inévitable (pp. 28-29). A ceux que l’hypothèse du « handicap socio-culturel » convainc d’abandonner tous efforts, il substitue le pari de l’éducabilité et souligne au contraire, chez ces enfants, une envie d’apprendre qu’encouragent leurs parents. Et il ne s’agit pas là d’un optimisme chimérique ou de bons sentiments. Des groupes de travail ont en effet été constitués et des initiatives lancées -pré-écoles, pivots culturels, clubs de savoir, comités « lire et écrire », etc. – pour vérifier ce postulat et préfigurer ce que pourrait être une école de demain, celle qui, ne se contentant pas de slogans ou de proclamations syndicalo-publicitaires, conduirait à la réussite de tous et à la disparition de l’illettrisme. Cela suppose de faire confiance à l’élève et de coopérer avec sa famille, plutôt que de nourrir la méfiance et l’hostilité dont elle est l’objet.

La seconde composante est constituée de témoignages, qui prolongent et illustrent la première : des enfants eux-mêmes, et de militants, ceux qui accompagnent les personnes en détresse. A leur manière et chacun dans leur langage, ils mettent en relief les effets nocifs du mépris, du rejet, et la portée de l’accueil et de l’encouragement, lesquels ouvrent les voies d’un avenir moins sombre. On lira ici avec un vif intérêt les observations de ces « décrocheurs », dont l’Ecole feint de regretter la désertion alors qu’elle s’en console assez facilement. Non moins éclairant est aussi le discours des enseignants : souvent ambivalents, ils discernent les dangers et l’injustice de l’exclusion, mais hésitent à s’engager dans la transformation du regard que requièrent l’adaptation au sous-prolétariat et la rechercher sérieuse d’une intégration. Telle ou telle recherche-action ou des expérimentations sont même envisagées et des recherches organisées, comme à Lyon, en 2011, « Les Ateliers pour l’Ecole».

C’est dire qu’il ne suffit pas de proclamer que l’on veut « la réussite de tous », comme si la parole entraînait automatiquement sa réalisation : ce serait de la pensée magique ; le propre d’ATD est au contraire d’éviter celle-ci, et de promouvoir un travail dont l’analyse et l’évaluation permettraient d’identifier de bonnes pratiques, animées authentiquement par le respect et l’amour d’autrui.

Position de finalités, approche anthropologique des personnes, invention des modalités, souci de l’évaluation. C’est  dire qu’il suffirait de modéliser et de formaliser ces données pour aboutir à une véritable doctrine pédagogique, qui s’inscrirait à bon droit dans la dynamique personnaliste engendrée par le christianisme.[1]

Guy AVANZINI



[1] En renvoyant, pour une bibliographie plus complète, au journal mensuel Feuille de route d’ATD Quart Monde, on signale seulement ici quelques titres qui montrent l’importance de cette perception éducative :
Régis Félix et col. Tous peuvent réussir – Editions Quart Monde / Chronique Sociale – 2013
Régis Félix et col. Le principal, il ne nous aime pas – Editions Quart Monde / Chronique Sociale – 2011
Col. En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté – Paris – Editions Quart Monde / Editions de l’Atelier – 2013
Geneviève. Defraigne-Tardieu- L’université populaire Quart Monde : La construction du savoir émancipatoire. – Paris – PUPO – 2012