Instrumentum Laboris – Cité du Vatican – 2014 – 28 p.
La Congrégation pour l’éducation catholique (Dicastère du St Siège) vient de publier sous ce titre, le 7 avril 2014, l’Instrumentum Laboris que les membres de son assemblée plénière, convoqués à cette fin en 2011 par Benoît XVI, destinent à la préparation du cinquantenaire de la Déclaration « Gravissimum educationis » et du 25ème anniversaire de la Constitution Apostolique « Ex corde ecclesiae », qui seront célébrés en novembre 2015 à Rome par un Congrès Mondial.
Introduit par le Préfet de la Congrégation, le Cardinal Grocholewski, ce document comporte trois parties : la première rappelle les deux textes, qui constituent l’occasion de celui-ci ; la deuxième redéfinit les caractéristiques d’une école comme d’une université catholiques ; la troisième, la plus longue, expose les «défis » dus en la matière au monde contemporain. Si ce plan entraîne inévitablement quelques redondances, du moins permet-il de bien souligner l’essentiel. Nous n’entendons pas ici le résumer, mais mettre en relief les lignes de force.
La première -on ne s’en étonnera pas- est d’ordre axiologique : la volonté d’éduquer, pour promouvoir certaines valeurs. Le titre même de l’Instrumentum le rappelle et le réactive sans équivoque : « une passion qui se renouvelle ». Car c’est bien d’une passion qu’il s’agit, et que confirme toute la tradition de l’Eglise : la permanence d’une inventivité qui, en tous lieux et temps, n’a cessé, selon les possibilités contextuelles, de susciter des initiatives destinées à transmettre « des valeurs et des principes de vie » (p.2), pour promouvoir tant le salut que le bien commun. Ce fut -et cela demeure- le rôle des institutions catholiques. Et il faut d’autant plus le rappeler que, comme il l’est dit ici, certains chrétiens, voire certains Evêques (p.15), ont semblé s’en désintéresser fâcheusement. Le rôle proprement missionnaire de l’Ecole est donc à redécouvrir et à réaffirmer, car elle est souvent, de nos jours, « le seul endroit où les jeunes rencontrent des messagers de la Bonne Nouvelle » (id), c’est donc une priorité pastorale.
Aussi bien, cela importe d’autant plus que la dynamique actuelle de la sécularisation amène dangereusement la pensée pédagogique au pragmatisme, à l’utilitarisme, à l’économisme, au culte des intérêts financiers, au détriment tant d’une vraie culture que du sens des valeurs, spécialement spirituelles et religieuses ; certaines écoles chrétiennes elles-mêmes l’oublient ou négligent ce qui constitue leur fondement et leur justification. Ces finalités majeures, constamment menacées, doivent donc à chaque moment être rappelées et réactivées. C’est, tout particulièrement, la responsabilité des Universités Catholiques, dans leur effort « pour accéder à la vérité » (p.15). Au demeurant, nos institutions ne doivent pas être seulement des lieux de transmission du savoir, mais « des lieux d’éducation à la vie…et à l’engagement pour le bien commun » (id), des espaces d’expérience de la vie chrétienne dans sa quotidienneté, à la fois avec sa double exigence de rigueur intellectuelle et d’ouverture à l’au-delà, tant il est vrai « qu’il n’est de vraie science qui éloigne de la transcendance » (p.6). En effet, toutes deux « se conjuguent pour une plus grande et meilleure compréhension de l’homme et de la réalité du monde » (id). Simultanément, la compétence à acquérir n’est pas seulement la maîtrise aveugle de quelques gestes techniques mais, à travers eux, celle de service d’autrui. Et c’est en le faisant comprendre aux élèves et aux étudiants qu’on peut susciter et accroître leur motivation.
On ne sera évidemment pas étonné, mais heureux, de trouver dans ces pages un paramètre explicitement personnaliste. L’anthropologie qui les anime renvoie sans cesse à la dimension relationnelle et insiste sur la participation de l’élève à sa propre humanisation, comme sur le rôle décisif du dialogue, de la coopération et de la réciprocité, de même que sur l’éducabilité du sujet, qui se découvre et se déploie à ses propres yeux par la rencontre et l’assimilation de la culture, comme sur l’opportunité d’une pédagogie diversifiée (p.14) soucieuse de s’adapter à chacun. Il est aussi opportunément rappelé « qu’il faut savoir distinguer entre une autorité exclusivement liée à un rôle ou à une fonction institutionnelle et une autorité qui dérive de la crédibilité d’un témoignage » (p.12). C’est dire qu’on trouve dans ces lignes la grande tradition chrétienne de « l’éducation intégrale ».
Selon la structure intrinsèque de l’acte éducatif, la rencontre d’une axiologie et d’une anthropologie exige nécessairement et entraîne l’inventivité requise pour conduire la personne, telle qu’elle est perçue, vers les finalités telles qu’elles sont posées. C’est là l’objet propre de la pédagogie : invention aléatoire, mais que l’on ne saurait scotomiser. Ici sont précisément, dans le langage de l’Instrumentum, les « défis » d’aujourd’hui et de demain. Il en est identifié 18, dont 12 ont trait spécifiquement à l’Ecole et 6 à l’Université. Ce sont autant d’exigences, qui entraînent l’innovation. Faute de pouvoir les inventorier, nous les regrouperons en trois séries majeures : la résistance aux dispositifs juridiques ou politiques qui en restreignent la liberté ; la sauvegarde de l’identité chrétienne par la volonté de former à la recherche de la vérité et à la transmission de message divin ; enfin, la formation initiale et continue de corps enseignant, très fortement rappelée.
Il s’agit donc d’un vaste tableau qui, très ouvert et manifestement sensible à certaines problématiques françaises, rassemble synthétiquement et situe les unes vis-à-vis des autres les plus graves questions, telles qu’elles se présentent à un regard chrétien. Et surtout, après une période pendant laquelle certains s’en sont fâcheusement désintéressés, c’est la réaffirmation explicite de l’importance que l’Eglise attache à l’éducation et à la fonction proprement missionnaire de l’Ecole. Après l’idéologie de « l’enfouissement » et une phase de timidité, qui faisait considérer l’annonce de la foi comme une atteinte à la liberté, le rôle de l’institution scolaire et universitaire est à la fois redécouvert et assumé.
Enfin, ce document Pontifical comporte en annexe un questionnaire qui, destiné à susciter réflexions et discussions, sur les interrogations soulevées par ces pages, sera présenté et débattu lors du prochain Colloque de l’ACISE[1] convoqué à Rome du 8 au 10 avril 2015 pour célébrer ce double anniversaire.
Guy AVANZINI
[1] Association Catholique des Institutions des Sciences de l’Education