Paris – Ed. La Bruyère – 2015 – 158 p.
Ancien curé d’Aix-les-Bains, dont il fut pendant 25 ans le pasteur très aimé, le Père Pichon vient de publier un ouvrage original et profond sur ce qui fut et demeure sa double passion, voire son problème d’homme et de prêtre : sport et spiritualité sont-ils compatibles ? Vouloir devenir ou être un champion reconnu en course à pied et course de fond, est-ce conciliable avec l’éthique chrétienne ? Plus de trente ans après ses premières publications, déjà réalisées sur ce thème[1], et désormais fort de plusieurs décennies d’expérience sacerdotale, il propose une réflexion qui, sans se présenter comme d’ordre éducatif, constitue en réalité un vrai traité de pédagogie spirituelle dont le style ardent, à l’image de son auteur, est propre à stimuler ou à réactiver adolescents et adultes.
De manière surprenante, mais féconde, René Pichon s’adresse en les tutoyant aux notions et aux valeurs qu’il mobilise : « toi, le sport ; toi, la spiritualité ; toi, l’ambition ». Rien de mièvre, ni de lénifiant, ni de moralisateur. Les difficultés ne sont ni scotomisées, ni même estompées mais, au contraire, expressément identifiées comme une constante réactivée, dit-il, au long « du match de ma vie » (p.12). En effet, il s’agit de montrer « comment sport et spiritualité se ressemblent mais aussi s’opposent, comment ils se rapprochent mais aussi se combattent, comme ils nous invitent à l’entraînement de l’âme autant qu’à l’entraînement du corps » (p. 121). Et, si c’est un véritable hymne au sport qui est proposé, il n’a, grâce à Dieu, rien de commun avec la « rubrique sportive » des médias ! Sa portée est bien évaluée : « je n’ai pas fait du sport ; je suis devenu sportif ; autant dans ma vie humaine que dans ma vie spirituelle » (p. 151). Remarquable aussi la manière dont, ayant d’abord insisté sur l’incompatibilité apparente entre des pratiques sportives compétitives, voire agressives, et une vie chrétienne, il dépasse cet antagonisme non par un compromis mais par un approfondissement réflexif qui convertit ces attitudes contestables en énergie de dépassement : on affronte l’autre non pour l’humilier mais pour l’inciter lui aussi à grandir. La compétition s’épanouit alors en communion. Aussi bien, l’on appréciera le rapprochement entre les exercices qu’exige l’entraînement avec les « Exercices spirituels » de St Ignace, comme la fréquente évocation de St François de Sales, dont le rayonnement ne cesse pas de marquer la spiritualité savoyarde. L’on comprend bien, alors, comment, pour chacun, comme pour l’auteur, la « course », le « bon combat » dont parle St Paul, s’apparente symboliquement à l’effort de celui qui, en courant, court vers Dieu. En ce sens, la conduite de sportif s’inscrit, comme l’une de ses composantes dans une dynamique globale de la marche vers la sainteté, qui mobilise l’énergie du chrétien.
Sans doute aurait-on souhaité qu’au « bienheureux individualisme » (pp 85 et sq.) soient préférées une « bienheureuse singularité » ou une « bienheureuse personnalisation ». Et peut-être certains de ceux qui ne ressentent pas la même passion sportive l’estimeront-ils un peu excessive ou ne partageront-ils pas le même enthousiasme et se donnent-ils d’autres modalités de dépassement. Mais, même vécue avec une moindre intensité, l’idée centrale demeure valide. Pour tous, ces fortes pages méritent et appellent la méditation. Sans doute réactivèrent-elles chez d’autres le goût du sport et, à un moment ou l’image de celui-ci est ternie, la rectifieront-elles chez ceux chez qui elle se serait plus ou moins pervertie. Mais tous sauront gré au Père Pichon de ce bel « essai » de pédagogie pastorale.
Guy Avanzini
[1] R. Pichon – Le sport et la foi – 1981 ; La course de ma vie – 1992