Paris – Ed. Tallandier – 2015 – 408 p.
Un film -au revoir les enfants – avait naguère fait découvrir au grand public la sainte figure de Frère Jacques de Jésus, o.c.d. ; Et voici que, au 70ème anniversaire de sa disparition, paraît une biographie remarquablement documentée, qui présente cette personnalité d’envergure. De milieu très modeste, Lucien Bunel avait déjà, adolescent puis séminariste et vicaire dans le diocèse de Rouen, manifesté ses remarquables talents d’animateur de colonies de vacances et d’aumônier scout. Il fut vite, aussi, considéré comme un excellent prédicateur. Mais, rien ne permettait de prévoir qu’il deviendrait un jour un éducateur célèbre et vénéré, a fortiori lorsque, en août 1931, il entra à Lille, au noviciat des Carmes Déchaux, c’est-à-dire dans la clôture d’un couvent d’ordre contemplatif. Et cependant, c’est paradoxalement là qu’il allait être amené à déployer son charisme éducatif. En effet, les Pères de la province de Paris géraient un peu péniblement, pour leur recrutement, un juvénat de « petits novices », réunissant des adolescents plus ou moins désireux d’entrer au Carmel. Or, en 1932, ils élirent pour Provincial le Père Louis de la Trinité -le futur amiral Thierry d’Argenlieu et l’un des premiers compagnons du Général de Gaulle à Londres en 1940 qui entendaient organiser un vrai collège, bien sûr disponible aux vocations carmélitaines déjà explicites mais aussi à des jeunes gens de la région, que la famille souhaitait voir bénéficier d’une éducation solidement chrétienne. Connaissant déjà le Frère Jacques, en sa qualité d’ancien responsable des novices, le supérieur décide de l’en nommer directeur et, pour cela, le fit venir en 1934 de Lille à Avon, pour préparer l’ouverture de cet établissement.
Là, il déploie toutes ses ressources. Homme d’envergure à la personnalité chaleureuse et enthousiaste, même fougueuse et hyperactif, il est heureux de retrouver au sein même de la vie contemplative, une possibilité d’initiative et d’apostolat quotidien. Non qu’il n’y ait pas eu quelques différents et discordes, car la proximité d’un groupe d’adolescents et d’une communauté monastique dans les mêmes locaux ne pouvait aller sans quelques heurts. Le silence fût parfois perturbé. Il reste que le collège se développe, fût apprécié, de sorte que ses effectifs s’accrurent. Le directeur l’avait organisé sur un mode familial, où prévalaient la confiance, la joie et la responsabilisation, et même une certaine autodiscipline.
Mais voici que se précisent les menaces de guerre ; l’armistice et les mois suivants favorisent certaines tensions, le départ de Père Louis de la Trinité pour l’Angleterre étant d’abord inégalement apprécié parmi les religieux. Face à l’antisémitisme, le Père Jacques de Jésus ne tarde pas, comme d’autres religieux, à s’engager dans la clandestinité ; courageusement, en 1943, il recrute 9 enfants juifs. Mais, victime de dénonciation, il est arrêté le 15 janvier 1941 : il retourne alors, pour la dernière fois, vers ce collège qu’il ne reverra jamais, il dit « au revoir, les enfants ; à bientôt » (p.252).
On connaît les drames de la suite. Emprisonné, déporté à Mauthausen, il subit les pires brimades et les plus odieux outrages. Mais il y donne aussi l’impressionnante mesure de son courage et de son abnégation, dans le service à ses compagnons de servitude. Il s’y épuise au point que, quelques jours à peine après l’ouverture du camp, sa libération et le 8 mai 1945, épuisé, exténué, trop faible pour être rapatrié, il mourut à Linz le 2 juin.
Jacques de Jésus n’est pas un « pédagogue », au sens où il n’a pas ou trop peu élaboré une doctrine, quoiqu’il semble avoir été directement ou indirectement influencé par l’Education Nouvelle et le scoutisme et peut-être par Don Bosco.[1] Mais il est un éducateur pour les pratiques qu’il a innovées à Avon et, surtout, il est un éducateur chrétien, portant au niveau ultime l’authenticité de son témoignage. Le beau livre de M. Neviaski raconte cette vie avec précision, sobriété et délicatesse. On regrettera seulement qu’il n’ait pas pu, sans doute faute de documents, dire quelles furent les lectures pédagogiques du Père et proposer une étude sociologique des études du Petit Collège. Cependant, à une époque où se développent tant de courants pédagogiques marqués par la dépression et le déclin culturel et moral, il faut le féliciter d’avoir si bien su mettre en lumière la figure d’un religieux qui a si héroïquement uni contemplation et action et dont, aussi bien, le procès de béatification est engagé.
Guy Avanzini
[1] – cf. néanmoins – Revue Etudes Carmélitaines – Avril 1935 et Dictionnaire Historique de l’Education Chrétienne – notice J003 – p. 412