Paris – Documentation française –2013 – 144 p.
La « morale laïque » et son enseignement sont actuellement l’objet de nombreuses publications, qui peuvent globalement se répartir en deux séries : tantôt, elles s’efforcent, quoique de manière inégalement réussie, d’en redéfinir la signification et les modalités dans une société pluraliste et divisée, voire éclatée, et de proposer les modalités d’un « vivre ensemble » sérieusement compromis ; tantôt, elles tendent, sournoisement, mais plus ou moins subtilement, à réactiver le laïcisme. Plus précisément les premières sont animées par le respect de la diversité religieuse et le souci de la liberté personnelle ; les secondes, sont rivées à un certain rationalisme et, tout en réclamant aussi de ce respect, parviennent mal à cacher, voire disent clairement, qu’elles attendent de la laïcité, entendue à leur manière, de venir enfin à bout de croyances à leurs yeux désuètes et périmées.
Cette publication du « Haut Conseil à l’Intégration », éditée par le ministère de l’Education Nationale, préfacée par M. Peillon et, semble-t-il, écrite par M. Abdennou Bidar, illustre la seconde catégorie. Elle se présente à la manière d’une « banque de ressources » (p.7) censée apporter aux personnels de l’Education Nationale « une véritable formation à la laïcité » (id), à la fois pour expliquer ce qu’elle est et leur fournir des « outils » (id) applicables à l’enseignement des diverses disciplines et profitables, en outre, aux élèves et même à leurs parents (id)….
Le texte entend indiquer comment préserver l’Ecole des infiltrations religieuses menaçantes et il énonce pour cela des conceptions inquiétantes : il s’agit de protéger « l’enceinte scolaire », pour n’y laisser entrer « aucun prosélytisme, de quelque provenance qu’il soit » (p.25) et remédier à ceux que l’enfant aurait déjà subis. Marqué par l’influence du « milieu familial et social » (p.28), il faut en effet qu’il en soit « émancipé » (id) : « sa personnalité, déjà constituée en partie à l’extérieur par le milieu familial et social, requiert aussi d’être émancipée de ces influences » (p.27). Les parents apprécieront ici le respect dont ils sont l’objet ; de plus « la laïcité de l’Ecole est aujourd’hui un espace de silence dans un monde d’incessant vacarme idéologique » (p.32). Pour en assurer l’asepsie on doit notamment « interdire le CDI à des documents fallacieux » (p.37) et « installer des dispositifs de filtrage » (p.38) les critères d’appréciation seraient sans doute ceux de M. Bidar ! La liberté personnelle, sous prétexte d’être sauvegardée, est en réalité bafouée au nom d’un dogmatisme camouflé. Etonnante est cette illusion d’une école qui, pour affranchir l’esprit de l’élève, le couperait de ses racines familiales et sociales, pour le façonner en fonction d’une idéologie d’Etat.
Non moins irritant, mais naïf, est le néo-positivisme qui anime le climat de l’ouvrage. Issu d’un rationalisme superficiel, seule est présentée comme valide la connaissance scientifique, tandis que les « croyances », qui ne sauraient accéder à la vérité, sont seulement des métaphores (p. 95) et restent subjectives (p.140). Et, tout en les réputant respectables, l’auteur cache mal qu’elles sont, à ses yeux, résiduelles et ne suscitent qu’une certaine commisération. Ainsi en va-t-il aussi de ses considérations sur l’instruction religieuse (p.189), qui font sourire. Dans la mesure où ce ne serait que l’opinion de M. Bidar, cela n’aurait, bien sûr, guère d’intérêt et guère d’importance. Mais quel est exactement le statut de cette publication ? Quoi qu’il en soit, cette assimilation de la laïcité à un rationalisme néo-positiviste appelle une forte et ferme réprobation. Cet ouvrage, marqué en outre par d’incessantes et pesantes réitérations et redondances, constitue ainsi un exemple accompli de la dérive laïciste qui confirme l’ambigüité soigneusement entretenue de la notion de laïcité.
Guy Avanzini