Paris – L’Harmattan – 2012 – 530 p.
De plus en plus nombreux deviennent très heureusement les travaux de chercheurs africains sur l’éducation en Afrique. Nous en avons ici même déjà recensé plusieurs, mais il convient de présenter aussi celui du Père Placide Malung’Mper Akpanabi, prêtre Fidei Donum au diocèse de Créteil et curé de Vitry-sur-Seine ; il a publié un robuste travail de 400 pages, issu d’une belle thèse de doctorat en sciences de l’éducation, sur l’ethnie congolaise des Ding orientaux – environ 180 000 personnes – installée dans le Bas Kasaï, et les transformations introduites dans leur système éducatif par la colonisation et l’évangélisation qui, chacune à leur manière, ont perturbé les pratiques traditionnelles. Il s’agit d’une étude approfondie, précise et rigoureuse, conduite avec clarté, sur une question à la fois très complexe, très grave et très concrète.
On appréciera tout particulièrement la rigueur de l’approche ethnologique, la finesse de description des structures sociales, notamment de parenté, comme l’analyse sans concession des problèmes désormais soulevés : « devant la pluralité des systèmes de valeur, le jeune africain scolarisé est vraiment embrouillé et ne sait pas lesquelles choisir, entre les valeurs traditionnelles, chrétiennes, coloniales ou occidentales » (p. 24). Qu’on songe seulement, dans le registre moral, à l’exigence monogamique posée par les missionnaires face à la polygamie habituelle, ou à l’existence de l’esclavage.
Tout cela amène à une réflexion bienvenue sur l’équivocité de la notion de « valeurs » : certes, c’est ce qui mérite d’être respecté, et promu ; mais le processus de valorisation comporte tant d’ambiguïté et de variations qu’il pourrait induire une vision relativiste -sociale ou individuelle- et amène inéluctablement à s’interroger sur « la valeur des valeurs » : comment identifier les « vraies » valeurs et les distinguer des caprices de la mode ? Par voie de conséquences, comment éduquer aux valeurs ? Comment aider l’élève à discerner les authentiques, plutôt que de céder aux mirages de l’opinion ou aux facilités de la bienséance et au conformisme ? Au delà de l’approche ethnographique, la démarche historique de l’auteur n’est pas moins précieuse et bienvenue : à travers le vécu des Ding, c’est toute l’histoire mouvementée, et souvent douloureuse, du Congo moderne qui se trouve analysée et restituée, notamment les conflits entre le pouvoir politique et l’Eglise.
Mais la réussite de cette recherche est sans doute surtout d’avoir su, par une étude apparemment très localisée, positionner dans la priorité de sa fonction le problème des valeurs et des voies possibles de leur intériorisation. En effet, c’est toujours le vecteur axiologique qui, qu’on le reconnaisse ou pas, dynamise et régule la pratique éducative. Et c’est lui aussi qui, selon que l’emportent les divergences ou les convergences, menace ou favorise le vivre ensemble au sein de la société globale.
C’est pour ces diverses raisons que le professeur Alain Mougniotte, qui fut le directeur de recherche du Père Placide, peut, dans une élogieuse post-face, écrire que l’auteur apporte une « construction novatrice » (p. 405) dans 3 domaines : axiologique, d’abord, en mettant en évidence les difficultés particulières de l’éducation de l’enfant Ding aux valeurs ; anthropologique, ensuite, en indiquant que c’est la nature même de l’homme qui l’amène à se doter d’un système de valeurs qui unifie et homogénéise sa construction ;pédagogique, enfin, en faisant apparaître que la diversité conflictuelle des valeurs en cours, qui pourrait être source de désarroi, peut au contraire, à condition que l’éducateur sache s’en saisir, favoriser l’essor du jugement personnel, donc la construction de la personne en son autonomie.
Guy Avanzini