Fondateur et Directeur (1866-1895)
de l’œuvre de la première Communion
et des Orphelins Apprentis d’Auteuil[1]
François Leménager*
Résumé : Le mot « corps » a une place prépondérante dans la pensée éducative de l’abbé Roussel. Même s’il n’a pas écrit de traité de l’éducation nous disposons d’un volume important d’éditoriaux dans lesquels il décrit pour les lecteurs de la revue La France Illustrée les enfants et l’éducation pratiquée à l’œuvre d’Auteuil. Il présente aussi, mais avec réserve et peu souvent, ses convictions et sa conception de l’éducation. L’étude de ce corpus de texte avec des méthodes d’analyse appropriées permet de repérer trois sens du mot « corps » : physique, social et religieux qui sont liés entre eux par une anthropologie sous-jacente qui révèle le sens global de la pensée éducative du corps de Louis Roussel.
Introduction
L’abbé Roussel, fondateur de l’œuvre d’Auteuil est une figure de l’éducation des enfants pauvres et abandonnés à Paris au XIXe siècle. Homme de conviction et d’action, il n’écrit pas de traité d’éducation mais il exprime ses conceptions éducatives et décrit l’activité de son Œuvre dans plus de mille éditoriaux de La France Illustrée, revue hebdomadaire qu’il crée fin 1874. Cet article sur les acceptions du mot « corps » vise à expliciter la pensée éducative de Louis Roussel, à partir de ce matériau et de quelques autres sources.
Dans un premier temps, nous présenterons le contexte et les caractéristiques scientifiques de cette recherche. Nous présenterons ensuite les résultats de cette recherche pour les trois premières acceptions du corps repérées dans les écrits de Louis Roussel. Enfin, la dernière partie mettra en évidence une anthropologie qui émerge de l’articulation entre ces trois sens physique, social et religieux.
Contexte
Présentation
L’Abbé Louis Roussel est le fondateur (1866) et directeur (jusqu’en 1895[2]) de l’œuvre de la première communion et des orphelins apprentis d’Auteuil[3]. L’œuvre de la première communion accueille pendant trois mois des garçons de plus de douze ans, orphelins, pauvres ou abandonnés pour les préparer à faire leur première communion. Au terme de ce séjour, ils retournent ensuite dans leur milieu d’origine ou chez un patron. Le nombre d’enfants qui préparent leur première communion chaque trimestre passe d’une dizaine en 1867 à une trentaine dans les années 70 puis une soixantaine en 1880. Ils se succèdent toute l’année sur le site. A partir de 1871, ils peuvent rester pour apprendre un métier dans l’œuvre qui se dote d’une école professionnelle avec des ateliers. En 1882, 245 apprentis[4] sont présents en permanence (Abbé Bosc, Rapport, 1883). Au total l’Œuvre, sous la responsabilité de l’Abbé Roussel, accueille et éduque 16 000 enfants (La semaine religieuse de Paris, 17 janvier 1897, p. 116).
Problématique
Gardet et A.Vilbrod, auteurs de l’ouvrage Les Orphelins Apprentis d’Auteuil, Histoire d’une œuvre (2000), identifient la « maîtrise du corps » comme une des trois composantes de l’éducation dans les internats de l’Œuvre d’Auteuil. Ils s’appuient principalement sur des entretiens et donc pour une période plus récente (1950-1960) que celle de Louis Roussel (p.226-230). Cela souligne néanmoins la place remarquable de la place du corps dans cette tradition éducative.
Contrairement à ses contemporains Don Bosco ou Timon David, Louis Roussel n’écrit pas de traité d’éducation. Ses successeurs se sont transmis par oral la tradition éducative héritée de Louis Roussel. Elle a ainsi insufflé et structuré au moins cent ans de vitalité comme l’écrit, en 1973, le Père Boegly, Directeur général de l’Œuvre d’Auteuil[5].
Il existe pourtant une source, encore inexplorée, qui pourrait nous renseigner sur l’action et la pensée éducative de l’Abbé Roussel. Il communique chaque semaine avec les bienfaiteurs de l’Œuvre dans l’éditorial de La France Illustrée, une revue qu’il crée en 1874. Louis Roussel s’adresse aux lecteurs de cette revue d’abord pour obtenir les ressources nécessaires à la vie et au développement de l’Œuvre et non pas pour transmettre ses conceptions de l’éducation. Praticien, Louis Roussel préfère les faits et l’action à la théorie (Leménager, 2013, p.8-21). Si il énonce parfois clairement dans ses écrits certaines de ses convictions ou les finalités de l’œuvre, les raisonnements sont rares, ses références et ses principes éducatifs peu explicités. L’implicite est souvent présent. Pourtant, une première lecture de certains de ces 1066 éditoriaux (de 1874 à 1895) révèle que le discours de Louis Roussel lorsqu’il décrit les enfants, la vie quotidienne, les fêtes ou l’activité éducative de l’Œuvre constitue un matériau propice à une démarche d’explicitation de sa pensée éducative. Elle permet, sur le thème du corps de situer la pensée et l’action éducative de l’Abbé Roussel par rapport aux courants catholiques du XIXe siècle qui sont encore marqués par un certain mépris pour le corps humain (Vieillard-Baron, 1991)[6].
Matériau
Le principal matériau est constitué par les éditoriaux de La France Illustrée écrits dans leur grande majorité par Louis Roussel. Sur les 1066 numéros publiés, nous avons pu accéder aux 914 numéros disponibles aux Archives historiques d’Apprentis d’Auteuil. Ils sont retranscrits dans les années 1983-1990 [7]et numérisés en 2012[8].Retranscrit, un éditorial représente, le plus souvent, deux pages A4 ou parfois 3 ou 4 pages.
D’autres documents d’archive (courriers, règlements) sont consultés mais Les éditoriaux de La France Illustréesontles sources les plus riches sur les conceptions éducatives de Louis Roussel et leur mise en œuvre concrète, aussi ils constituent le matériau principal de cette recherche. Nous avons cependant indiqué que ces textes sont destinés aux lecteurs de la revue et, en particulier aux bienfaiteurs de l’œuvre. Aussi certains éditoriaux sont exclusivement dédiés aux relations avec les bienfaiteurs ou à la revue elle-même. Ils ne présentent alors pas d’intérêt pour notre recherche. Seuls les textes qui comprennent des contenus éducatifs sont retenus pour cette étude. Ce sera le premier point de la présentation méthodologique qui suit.
Méthodes
Le nombre de documents à étudier est important. De plus Louis Roussel a une façon particulière d’écrire en évitant les raisonnements et la théorie. Les passages des éditoriaux qui exposent un long raisonnement (homélies, discours, extraits d’ouvrages) ne sont pas de lui mais d’autres auteurs (prédicateurs extérieurs, amis de l’œuvre ou membres des comités de soutien, invités). Aussi, nous allons procéder à l’analyse du corpus des écrits de Louis Roussel par paliers successifs en réduisant progressivement le nombre des textes analysés avec des méthodes appropriées. Le mouvement général consiste à partir de l’analyse globale des textes pour aller ensuite à l’étude du discours, des mots puis des concepts et enfin à l’explicitation de la pensée éducative de l’auteur[9]. Dans le cadre de ces articles, nous allons nous intéresser plus particulièrement à la thématique des quatre sens du corps énoncés par Louis Roussel.
Nous commencerons par préciser le choix des contenus à caractère éducatif. Nous présenterons ensuite les trois niveaux d’analyse rendus nécessaires d’abord par le volume du matériau et par les caractéristiques particulières du discours de Louis Roussel.
Sélection des textes
Pour préciser ce que nous entendons par contenus éducatifs, nous nous appuyons sur les recommandations de Gaston Mialaret, un des fondateurs des sciences de l’éducation, dans Les méthodes de recherche en science de l’éducation (2004).
Pour Mialaret, l’analyse d’une source se caractérise par une certaine objectivité (p. 7 et 48). Pour identifier et sélectionner les textes avec un contenu éducatif, nous retenons les principales rubriques qui caractérisent pour Mialaret une « situation d’éducation ». Celles qui sont les plus importantes pour notre recherche sont les suivantes (p. 9-17) :
- Les conditions d’existence des enfants ;
- Les imprévus ;
- La relation avec les systèmes de valeurs ;
- Les finalités explicites ou implicites ;
- La dynamique et les contenus des échanges ;
- Les effets, les produits et les résultats.
Notre première sélection consiste donc à choisir les textes qui portent sur une ou plusieurs de ces caractéristiques des situations d’éducation. Nous trouvons ainsi 665 textes sur les 914 éditoriaux disponibles.
Analyse globale
Ce premier échantillon est le support d’une analyse globale qui consiste essentiellement à réaliser une fiche de lecture par éditorial puis des regroupements par thèmes et enfin une première cartographie de la pensée éducative de Louis Roussel. Pour aller plus loin dans la connaissance et la compréhension de cette pensée éducative, nous devons poursuivre l’analyse pour expliciter les mots-clefs et les concepts identifiés.
Analyse sémantique
Une deuxième analyse, de nature sémantique est ensuite conduite pour repérer les récurrences et les références (noms communs ou noms propres qui apparaissent fréquemment dans le texte et possèdent une signification voisine). Un nouvel échantillon d’éditoriaux est défini à partir du premier (665 éditoriaux) en supprimant les contenus suivants :
- Les textes ou passages qui concernent les autres œuvres éducatives de l’abbé Roussel. L’orphelinat agricole de Fleix (Dordogne) et l’orphelinat de Boulogne-Billancourt sont créés après l’œuvre d’Auteuil (respectivement en 1879 et 1882) pour des publics différents (jeunes garçons ruraux à Fleix, jeunes filles à Boulogne). Ces « succursales » (Du Camp, 1895, p.78) disparaîtront peu de temps après le départ de l’Abbé Roussel.
- Les contenus importants (plus d’une page A4) d’autres auteurs cités par Louis Roussel tels que les homélies de prêtres extérieurs invités par l’abbé Roussel.
- Les éditoriaux dont les contenus éducatifs sont très peu développés ou qui reproduisent des contenus de plusieurs numéros sélectionnés précédemment (la description des premières communions, par exemple)
- Les éditoriaux que ne peuvent être océrisés (5 numéros, copies de mauvaise qualité)
L’application de cette nouvelle grille aboutit à une sélection de 268 éditoriaux complets ou réduits aux seuls contenus éducatifs que nous nommerons désormais corpus dans cet article. Ils peuvent être océrisés et traités avec le logiciel Tropes[10]ou la fonction « recherche » de Word.
Résultats
Les résultats de ces différentes analyses, sur le thème du corps, sont présentés dans les parties suivantes de cet article. La première analyse globale permet de dégager dès maintenant trois grandes acceptions du mot « corps » dans les écrits de Louis Roussel et, en particulier, les éditoriaux de La France Illustrée : La première est celle du corps humain qui s’exprime dans une attention particulière aux besoins physiques des enfants, spécialement au moment de l’admission. La deuxième est sociale, d’une part, dans les finalités poursuivies par Louis Roussel et, d’autre part, dans l’organisation communautaire de l’œuvre. Le troisième sens est religieux. La première communion que préparentles enfants recueillis consiste à recevoir le sacrement de l’Eucharistie sous la forme d’une hostie qui, pour les catholiques, est le corps du Christ.
Ces trois sens ressortent aussi de l’investigation réalisée avec le logiciel Tropes avec lequel sont traités les textes de 262 éditoriaux (complets ou partiels) de La France Illustrée.Nous observons tout d’abord que Le corps apparaît dans les premières références (fig.1, ci-dessous).
Le corps est placé au huitième rang des grands thèmes classés par fréquence décroissante comme montre la figure ci-dessous. Le logiciel a trouvé 866 mots équivalents à « corps »
Figure 1- Classement des grands thèmes du texte
Examinons maintenant l’univers de référence du mot « corps ». L’univers de référence d’un mot du texte représente son contexte. Les différents substantifs du texte sont regroupés par « classe d’équivalents ». La composition de l’univers « corps » est représentée dans la figure ci-dessous. Nous avons entouré les classes qui appartiennent aux trois acceptions possibles : physique, sociale ou religieuse.
Figure 2- catégories de mots équivalentes à la référence « corps »
Ce graphe représente les relations entre les catégories de mots incluses dans le groupe « corps ». Les nombres représentent la quantité de relations entre les références. Les références situées à gauche sont les prédécesseurs de la référence (corps) et celles qui sont affichées à droite en sont les successeurs.
Nous avons identifié les références qui peuvent entrer, de façon univoque, dans l’une trois acceptions. Ainsi le sens religieux est représenté par la seule référence « religion » avec un grand nombre de relations. Les deux autres sens sont représentés par plusieurs références mais avec un nombre faible de relations. Le sens physique est en relation avec les références « santé », « alimentation », « sécurité », « vêtement », et « apparence ». Les références « famille », « France », « groupe social », « classe sociale », « communication », « gens » peuvent être situés dans l’acception sociale.
Nous pouvons maintenant présenter les résultats de notre étude pour chacune de ses acceptions. Nous commencerons par le sens le plus immédiat du mot corps, ensemble des parties physiques de l’homme. Nous aborderons ensuite la dimension communautaire et sociale pour terminer par le sens religieux du corps dans la pensée éducative de Louis Roussel[11].
Sens physique, besoins corporels et éducation du corps et par le corps
Dans cette partie dédiée au sens physique du corps, nous commencerons par découvrir l’état physique des enfants qui sont recueillis par l’abbé Roussel puis ses orientations et les actions qu’il met en œuvre pour répondre à leurs besoins. Enfin, nous analyserons ce que Louis Roussel écrit sur les effets de cette prise en charge.
En préliminaire, il est important de souligner que la pauvreté est le premier critère d’admission pour l’abbé Roussel qui écrit « Nous ne refusons un enfant qui se présente lorsqu’il y a de la place, fut-il dans la plus grande misère ; nous pouvons dire même que ce sont ceux-là auxquels nous donnons la préférence » (1882, 396[12]). Il précise, quelques années plus tard : « Nous nous faisons une règle stricte d’admettre les enfants par ordre d’inscription, quelles que soient leurs références. La charité est égale pour tous, les plus abandonnés y ont même plus de droits que ceux qui ont quelque généreux protecteur » (1889, 764).
L’état physique des enfants au moment de leur admission dans l’œuvre
Un récit exemplaire
Les nombreux récits de vie de ces enfants et les descriptions de leur état au moment de leur entrée attestent de leur extrême pauvreté et de celle de leurs familles. Ils pourraient être l’objet d’une étude à part entière. Nous en choisissons une, qui d’après Louis Roussel lui-même, est exemplaire (1892, 940).
Cet enfant, qui demeurait à Saint-Ouen, n’hésite pas et vient à nous. – Nous ne dirons pas que nous le reçûmes à bras ouverts, car vraiment le cher petit avait tout d’abord besoin de subir un énergique nettoyage. (…) [il avait] une bonne figure, intelligente et douce, mais amaigrie par les privations et les souffrances, et des vêtements, ou des restes de vêtements, inextricable enchevêtrement de pièces et de trous, qui étaient tout un poème, mais un poème de misère.
L’histoire de cet enfant, que nous avons entendu redire à cent autres, était des plus simples :
– J’ai faim, et rien à manger. Je ne voudrais pas voler, pour ne pas aller en prison. On m’a dit que vous receviez ici les enfants et je suis venu vous trouver.
– As-tu fait ta première communion ?
– Non, monsieur le Curé.
– As-tu encore tes parents ?
– Oui, monsieur le Curé, mais ils ne veulent plus s’occuper de moi et ne me donnent pas à manger.
Nous faisons accompagner l’enfant, pour avoir des renseignements sur lui et sur sa famille, jusqu’à Saint-Ouen à l’autre bout de Paris, et à son retour la personne à qui nous l’avions confié, nous édifie complètement sur la situation. – On avait trouvé, dans le misérable logement de la famille, la mère, ivre sur son grabat, sa fille, âgée de quinze ans, était auprès d’elle, à peu près dans le même état, et le père ne voulait plus entendre parler de son fils. – Le curé de la paroisse qu’on alla consulter, répondit qu’il souhaitait vivement qu’on fit faire à cet enfant sa première communion. – Enfin les gendarmes, qu’on rencontra en route, dirent à notre messager qu’il était heureux qu’on s’occupât de lui, parce qu’il errait toujours dans le quartier et que, n’ayant rien à manger chez lui, il finirait certainement par faire quelque mauvais coup.
Voilà une bonne recrue pour nous ; l’enfant habillé, et surtout savonné de la tête aux pieds, a déjà bien changé physiquement, et nous nous occupons à présent à changer aussi le moral en préparant cet enfant à sa Première Communion.
Ce récit donne des indications sur l’état de misère de la famille de l’enfant, son manque d’hygiène, ses souffrances physiques et morales, sa tenue vestimentaire. Il nous renseigne sur l’importance pour Louis Roussel des carences physiques de l’enfant et de son milieu dans la décision d’admission. L’abbé mène une enquête pour vérifier que la situation est vraiment préoccupante. Il explique ailleurs que plus un enfant est pauvre et malheureux plus il a des chances d’être admis. La teinte d’humour dans ce récit ne cache pas la gravité de la situation mais semble plutôt annoncer une amélioration possible. Une prise en charge prompte et efficace a pour effet un début d’amélioration de l’état physique de l’enfant. Nous notons que le changement moral se profile aussi.
Nous retrouvons ces différents éléments, avec des variations, dans l’ensemble du corpus. D’une façon générale, l’état d’extrême pauvreté dans lequel se trouvent la plupart des enfants affecte presque tous les besoins corporels comme nous allons le voir maintenant.Par ailleurs, l’apparence corporelle révèle un niveau culturel très pauvre aussi. Ici le somatique et le culturel sont intimement liés.
Les besoins corporels des enfants
La malpropreté est sans doute le premier indicateur de la misère de ses enfants. Elle atteint parfois un niveau insupportable. « Vraiment il nous faut à tous un courage de prêtre et d’apôtre, pour ne pas être écœurés et rebutés par l’aspect général de ces nouveaux venus. Ils nous arrivent pour la plupart sales, déguenillés, couverts de vermine (…)» écrit Louis Roussel(1887,669). Il décrit dans un autre texte un « échantillon du vagabondage parisien » (1884, 493) :
Cheveux indescriptibles comme couleur et comme mélange, teint recouvert d’une couche grisâtre, que jamais la serviette n’avait dû toucher, vêtements composés de morceaux rassemblés à l’aide de ficelles et plus graisseux les uns que les autres, besace en sautoir contenant une pacotille de croûtes de pain plus ou moins vieilles, d’os de côtelettes, de feuilles de salade, le tout mélangé avec des restes de savates et des débris de linge sale.
De nombreux enfant vivent dans la rue et trouvent des abris de fortunes pour la nuit (caves, cimetières, terrains vagues, …). Louis Roussel insiste sur la question du logement lors des admissions des mois d’hiver. Ces enfants « demandent outre l’abri, le vêtement et la pâture » (1892, 940)
L’état physique général de ces enfants est souvent très dégradé.« Ils nous arrivent dans un état impossible à décrire. Ils ont faim, ils ont froid, leurs vêtements sont en loques… » (1877, 113). Louis Roussel ajoute que cet état de « misère » et parfois de « perdition » est physique et morale. (1886, 86) (1877, 134) (1889, 738). Certains enfants sont malades (nombreux cas d’énurésie, congestions et autres maladies pulmonaires qui provoquent la mort de l’enfant (1877,136), (1878,187)) et rarement handicapés (non voyant (1882,394), unijambiste (1876,65))
La majorité des enfants manquent de vêtement, de linge et de chaussures. Louis Roussel écrit (1888, 734)[13]:
La plupart de ces enfants n’ont que les misérables vêtements qui les recouvrent. Plusieurs nous arrivent même avec des vêtements d’emprunt[14], appartenant à un voisin complaisant. On est donc obligé de les rhabiller des pieds à la tête, sans oublier bas, souliers et chemise afin de rendre la défroque à la pauvre mère, ou au protecteur obligeant.
La prise en compte des besoins corporels dans les activités de l’œuvre et les orientations éducatives de Louis Roussel
Après avoir pris connaissance des besoins des enfants confrontés à la pauvreté, nous allons découvrir maintenant quelles actions sont misesen place pour répondre aux besoins les plus immédiats. Dans un deuxième temps, nous prendrons connaissance des principes éducatifs de Louis Roussel qui ont pour objectif de promouvoir le développement physique des enfants et apprentis.
Les activités ordinaires de l’œuvre d’Auteuil qui visent à répondre aux besoins immédiats des enfants.
Recueillir
Plusieurs mots pour désignent le lieu d’activité de l’œuvre d’Auteuil dans le corpus : « maison » (178 fois), « établissement » (70) « asile » (54) et « orphelinat » (50).
Le mot « asile » semble correspondre le mieux à la fonction exercée par l’œuvre dans le recueil des enfants de Paris abandonnés ou qui passe une grande partie de leur temps dans la rue. Ce mot est employé dans l’expression « sans asile » pour caractériser la situation de certains de ces enfants. Une définition du Larousse Illustré de 1898 peut préciser le sens du mot asile dans le contexte d’Auteuil : « Tout lieu où l’on trouve un abri, un refuge contre une persécution, un danger, un inconvénient ». L’intention de l’abbé Roussel est bien de soustraire ces enfants aux situations de persécution (parfois), de danger (physique et moral) et des conséquences fâcheuses physiques et morales de ces situations. La notion d’urgence transparaît dans l’abondance des « demandes pressantes ». Les premiers soins donnés auxenfants (toilette, coiffure, déparasitage, vêtement) répondent aux besoins corporels primaires. Tout ceci s’exprime dans le verbe « recueillir » (et pas seulement « accueillir ») qui signifie « Accueillir auprès de soi, en lui donnant refuge et asile, une personne » (TLFi). D’ailleurs, la racine « recueil- » est, employé 158 fois dans le corpus. Les termes « asile » et « recueillir » se situent aussi dans le registre religieux que nous aborderont dans une partie suivante.
Nourrir
Louis Roussel accorde une place importante à l’alimentation (235 mots équivalents dans le corpus, Tropes). Dans l’éditorial du n°404, il décrit plusieurs activités de loisir (« fête », « amusements », « divertissement ») en indiquant que « que nos enfants, tant qu’ils restent près de nous, ne sont pas à plaindre » et il termine ainsi (1882, 404)[15] :
« et puis chose essentielle, ils ont une excellente nourriture. (…) Nos enfants travaillent, ils ont besoin d’être bien nourris, et nous nous faisons un impérieux devoir de veiller scrupuleusement à cette obligation, quoiqu’il nous en coûte d’argent et de peine. »
Dans un autre texte, il est plus explicite sur ses convictions et sur l’appétit des enfants (1892,895) :
« L’homme et l’enfant ont aussi un corps qui réclame impérieusement ses droits, et quand nous assistons aux repas de nos premiers communiants, nous sommes surpris de la promptitude avec laquelle ils font disparaître d’énormes gamelles de soupe et de grands plats de légumes. »
Cette attention aux besoins du corps et à la nourriture en particulier s’exprime dans la description de menus ou des desserts lors des fêtes (1879, 213) (1881,330). Le livret Première communion et apprentissage- sixième édition, donne deux descriptions détaillées et humoristiques de la toilette du matin et des repas (« Le Lavabo », « La Réfectoire ») (s.d. p. 2830). Il est intéressant de noter que même lorsqu’il s’agit d’une activité religieuse Louis Roussel décrit les activités « corporelles » avec autant d’informations que les activités spirituelles. C’est le cas pour le pèlerinage annuel à Montmartre de 1888. Après avoir décrit la marche à travers Paris (une heure et demi) de l’ensemble des enfants puis un temps de prière et une conférence spirituelle, il écrit (1888, 711) :
« La dévotion et la course avaient creusé l’estomac et aiguisé l’appétit de nos pèlerins car, les employés et les ouvriers de notre maison avaient tenu à s’unir à nous. On avait largement pourvu à leurs besoins et en sortant de la basilique, nous nous rendîmes à l’abri Saint-Joseph, où un baril de bière, fabriqué chez nous, ainsi que du vin du Fleix[16]; du jambon et du saucisson vinrent fort à propos réparer les forces de toute cette jeunesse heureuse de respirer l’air pur de la sainte montagne en se remémorant les événements dont elle fut le théâtre. »
Vêtir
« Les enfants passent au vestiaire dès le jour de leur arrivée (1878,167). La fourniture de vêtement est un des problèmes récurrents que rencontre Louis Roussel. Il écrit (1888,749): Ces enfants nous arrivent pour la plupart sans linge, sans vêtements et sans chaussures ! Il faut pourvoir à tout ! Nos sœurs de la lingerie et du vestiaire ont grand ’peine à suffire à tout et nous demandent en grâce de prier nos chers abonnés de nous expédier tous les effets d’hommes et d’enfants hors d’usage ; nos apprentis tailleurs les arrangent à la taille de nos catéchumènes ; ce qui rend double service, apprendre les premiers éléments du métier aux uns et habiller les autres. »
Il y a 229 mots (Tropes) équivalents à « vêtements » dans le texte. Ce nombre est aussi liée au fait que Louis Roussel demande en permanence des vêtements aux bienfaiteurs pour les enfants. Pour aider les religieuses qui travaillent à la lingerie, Louis Roussel crée l’œuvre du vestiaire : chaque mardi des dames charitables viennent confectionner des vêtements (1877, 146 du 15/09)
Les enfants portent un uniforme sobre « blouse, pantalon, ceinture, casquette, chaussures » (1888, 714) mais que l’œuvre fournit (1888,694). L’œuvre fournit aussi le « costume » de la première communion (1889,783) et répond aux anciens qui demandent de l’aide pour, par exemple, avoir une tenue correcte pour un entretien d’embauche (1889,742)
Cette partie consacrée à certains aspects de la prise en charge corporelle à l’admission se termine. Cela représente un mieux pour les enfants mais l’entrée dans l’œuvre n’est pas toujours appréciée par les enfants qui ont connu une grande liberté dans la rue, ne sont pas très motivés ou franchement hostiles à la religion. Plusieurs repartent ou s’« évadent » peu après l’admission (1890, 854). Certains d’entre eux reviennent quelques jours après. (1883,435) (1887,670). Par contre, ceux qui terminent leur séjour après la première communion sont nombreux à exprimer leur peine de partir (1877, 146) et à « supplier » l’abbé Roussel de pouvoir rester dans l’œuvre pour intégrer l’école professionnelle (1888, 696, 721).La maitrise du corps ordonnée par la propreté est, comme nous allons le voir plus loin, l’entrée dans une communauté permet d’identifier dans le processus éducatif une incorporation qui n’est pas acceptée par quelques enfants.
Les orientations de Louis Roussel qui promeuvent le développement physique des enfants et des apprentis.
Prendre soin
La préoccupation, l’attention, l’effort que se donne Louis Roussel pour répondre aux besoins des enfants démunis est déjà bien présent dans ce qui a été présenté auparavant. Le mot soin est cité 110 fois dans le corpus. Qu’est-ce Louis Roussel veut dire quand il écrit «Voilà nos jeunes néophytes (…) installés à la place de leurs aînés, et recevant comme eux les soins et l’instruction qui les préparent au grand acte de la première communion » (1883,436) ou « Ils savent de combien de soins nous les entourions» ? Nous pouvons percevoir que le « combien » exprime deux choses ; Tout d’abord la diversité des actions mise en œuvre pour répondre aux besoins et parfois aux désirs des enfants. En plus de celles que nous avons citées, il faudrait ajouter les « bains froids) (la piscine de l’époque à Paris) ou sont emmenés les enfants pendant l’été (1884, 502) (1891, 869). Le « combien » exprime aussi tout l’amour[17]de Louis Roussel qui se donne tant dans son engagement et sa recherche des meilleures conditions possibles du développement des enfants que dans celle des ressources pour y parvenir (1892, 924).
Cette posture s’exprime aussi dans l’importance que Louis Roussel accorde au devenir des «sortants» (1876, 95 ; 1877, 136) et à leur accompagnement, au point de garder ceux qui n’ont pas de patrons (1876, 98). Les enfants eux-mêmes disent en adressant leurs vœux à Louis Roussel espérer « ne jamais oublier tous les soins et bienveillances, dont nous sommes entourés, en votre précieuse maison » (1888, 684). Certaines paroles de Louis Roussel sur la douceur – « il est facile d’arriver à dompter les natures les plus récalcitrantes, quand on les prend par la douceur » (1883, 431) – et la crainte de voir les enfants quitter la maison, donnent une couleur maternelle à la conception du « prendre soin» de Louis Roussel (1882, 404) :
Nos enfants ne sont pas à plaindre, nous en avons l’assurance, tant qu’ils restent avec nous, entourés de soins et en bon air, mais ce que nous redoutons pour eux, c’est le jour où ils partent, où ils se retrouvent dans ce milieu d’où nous les avons isolés ; aussi cherchons-nous à prolonger le temps où nous pouvons leur venir en aide.
Instruire par les sens
Louis Roussel écrit en 1881 (322):
« Nos enfants sont de ceux qu’il faut surtout instruire par les sens », qu’il illustre ensuite : « les cérémonies du culte, les chants religieux, les décorations, les illuminations, les beaux ornements, tout ce qui frappe, en un mot, les regards et l’ouïe, leur cause d’agréables surprises, les tient attentifs et immobiles et leur laisse toujours une salutaire impression. »
Au-delà de la liturgie, cette orientation se décline dans la formation morale (fête des récompenses trimestrielles), l’exercice de certains arts (musique, chant, théâtre) et dans l’apprentissage par le travail manuel dans les ateliers que nous allons examiner de plus près maintenant.
Donner une place importante au travail manuel et à la formation professionnelle
Instruction et travail professionnel sont les deux piliers de l’éducation à Auteuil, comme l’affirme Louis Roussel au début d’un éditorial (1880, 287) :
« Faire de nos enfants des ouvriers laborieux et habiles, leur donner des habitudes d’un travail sérieux et, peu à peu, leur en inspirer la grâce et l’amour, c’est le but de notre Œuvre et le principal emploi de nos semaines. Il est rare que nous nous laissions distraire de ces deux exercices qui vont de pair (l’instruction et le travail professionnel). »
Le terme « travail » a sens particulier chez Louis Roussel, puisqu’il désigne d’abord le travail manuel dans les ateliers. C’est ce sens que l’on peut comprendre à travers cette citation : le travail « est le pain de leur jeunesse, la félicité et le repos d’une bonne partie de leur vie » (1877, 142). Pour Louis Roussel le travail manuel est reposant par rapport à l’instruction et au travail scolaire demandé aux apprentis.
Le travail manuel est aussi intégré dans le programme de préparation de la première communion : « Cette préparation de tous les jours à la première communion n’est interrompue pendant le trimestre que par un court travail manuel, par les repas, les récréations et par deux heures de classe.» (1876, 92) (1879,227). Trois séances de travail manuel d’une heure[18](1883, 449) (Rapport de l’abbé Bosc, 1883)
Pratiquer la gymnastique quotidiennement
La gymnastique a la faveur de Louis Roussel, mais il prône aussi d’autres activités (1884, 519) :
La gymnastique est le fond des délassements ordinaires de nos jeunes apprentis, et nous croyons qu’il n’en existe pas de plus salutaires. Elle aide au développement du corps, elle raffermit la santé, elle chasse les idées malsaines ; mais cependant nous ne proscrivons pas les autres divertissements : la musique occupe une large place dans les récréations (…).
La gymnastique comme la musique et les autres arts permettent aux apprentis de se produire avec fierté lors des fêtes ouvertes au public. (1886, 614)
Enfin, la promenade du dimanche est un des temps forts de la semaine : après une semaine de travail, c’est
« avec bonheur que notre petit monde voit arriver les dimanches et quelques jours de fête, que l’Église nous offre. Le dimanche – repos pour l’esprit et pour le corps : variété des cérémonies religieuses, solennité, chants, longue récréation à l’ombre de nos grands arbres, belle promenade dans les bois de Boulogne » (1880, 287).
Les effets de la prise en charge
Une « transformation » apparente dès le jour de l’admission
Louis Roussel emploie souvent le terme « transformation » pour désigner les changements physique et moraux opérés chez les enfants pendant leur séjour.
Cela commence dès le premier jour : « Quant à Augustin, il fut immédiatement inscrit, passa au vestiaire pour essayer un de ces bons vêtements que la charité nous envoie. C’est le commencement de la transformation ». (1878, 167). Si l’on porte son regard sur l’ensemble du groupe, cela ressemble à « la cour des Miracles ». Louis Roussel explique pourquoi (1882, 397) :
Nos rentrées sont vraiment pittoresques. En fait de costumes et de types, les observateurs pourraient trouver là de bien curieuses études, et quelquefois notre cour ressemble un peu à la célèbre cour des Miracles. Miracles, en effet, que ces haillons, changés en habits confortables, que ces visages noircis par la fumée ou la poussière, étiolés par la misère, rajeunis tout à coup et devenus frais et roses, que ces chevelures hérissées et incultes, réduites à la titus[19]réglementaire (…)
Cette transformation est encore plus manifeste à la fin de leur séjour lorsque leurs proches (parents, famille, bienfaiteurs) retrouvent le jour de leur première communion « leurs enfants méconnaissables au physique et au moral, et encore un peu, elles nous auraient accusé de leur en avoir substitué un autre » (1876, 84)[20]
Un bien-être perceptible
De façon moins radicale, un certain bien-être des enfants transparaît dans les témoignages des visiteurs, et pas seulement à l’occasion des fêtes. Louis Roussel rend compte des réactions des nombreux bienfaiteurs qui visitent Auteuil (1891, 859) :
Ce qui frappe surtout nos nombreux visiteurs, provenant de tous pays, c’est l’air heureux, content et libre de nos enfants, allant et venant dans les ateliers, s’occupant de leur besogne, comme de petits hommes bien entendus et se croyant déjà de vrais ouvriers. On remarque également leur politesse, l’air heureux et affable avec lequel ils accueillent les étrangers et semblent leur souhaiter la bienvenue. Ils comprennent tous le bienfait de l’école professionnelle, où ils s’initient à la vie de l’ouvrier honnête et chrétien, en respirant un air pur et salubre, au milieu de la verdure et des fleurs.
L’écrivain Maxime Du Camp, consacre à l’Œuvre d’Auteuil un chapitre de son livre-enquête La Charité privée à Parissur les œuvres et instituts de bienfaisance. Dans le compte rendu d’une visite il décrit l’état physique des enfants et leur participation aux activités sportives (1895, p.171-175). Il souligne la pertinence du choix de ses activités (gymnastique, haltères, ballon) et l’effet positif sur les enfants : « J’ai admiré la vigueur musculaire de ces petits athlètes et j’estime que l’on fait bien de la développer » (p.174).
On peut donc conclure cette partie que Louis Roussel se démarque des courants de son époque qui méprisent le corps humain. L’attention qu’il porte à l’état physique des enfants à leur entrée, les soins qu’il prodiguent et la place des activités physiques et manuelles dans l’éducation à Auteuil en témoignent.
Nous pouvons nous intéresser aux autres sens du mot « corps ».
Sens social : communauté et société
Le corps peut avoir un sens social dans les écrits de Louis Roussel dans deux domaines, celui de la communauté de vie très forte proche de la communauté religieuse et du modèle militaire. Le sens social est aussi inscrit dans les finalités de l’œuvre et, en particulier dans le concept de régénération sociale cher à Louis Roussel.
De l’accueil collectif à la communauté : « faire corps »
Louis Roussel montre l’importance à la structure collective de l’accueil. Ainsi, il explique qu’il refuse de placer des enfants individuellement dans des fermes[21], comme cela lui a été proposé (1882, 413) :
« Il ne faut pas perdre de vue que presque toujours nous avons affaire à des natures rebelles, sauvages et quelquefois viciées, que ce n’est qu’avec une règle rigoureuse, une surveillance incessante, que nous parvenons à venir à bout de ces jeunes âmes dévoyées et chez lesquelles le souvenir des premières impressions laisse des traces qu’il faut de longs efforts pour effacer complètement; nous considérons comme impossible de réunir avec sécurité, sans une surveillance spéciale, plusieurs de ces enfants, même pour un travail en plein air, tel que celui qu’on leur propose… La pensée du vagabondage et de la vie d’aventures les reprendrait certainement, et ils seraient de nouveau exposés à toutes les tentations et à tous les pièges auxquels nous cherchons à les soustraire. »
Cette vie communautaire et très encadrée est marquée par le modèle de la vie religieuse et celui de la caserne. Louis Roussel est bien conscient (1888, 736) de l’immense fossé qui sépare le mode de vie de ces enfants « de la rue » et celui qui leur est proposé à la « solitude d’Auteuil » :
« Il faudra un grand courage à ces vagabonds, errant en toute liberté, pour se caserner et se plier à la discipline, se lever, se coucher au son de la cloche, manger à des heures réglées, rester ainsi en classe, apprendre à lire, à écrire, écouter attentifs et immobiles, les paroles du prêtre dévoué, faisant le catéchisme à nos enfants. »
Un autre modèle inspire aussi Louis Roussel : celui de la famille. Louis Roussel emploie le mot famille(seul ou dans l’expression « fête de famille ») pour l’appliquer à son Œuvre au moins vingt-sept fois dans les numéros 48 à 873 des éditoriaux. Les enfants orphelins retrouvent un père (Dieu), une mère (Marie) et une famille : l’Œuvre de la première communion et de la persévérance « qu’ils paraissent aimer de tout leur cœur et ne vouloir plus quitter » (1880, 288). Mais la famille est plus qu’une image, elle est un modèle pour l’Œuvre. Louis Roussel emploie l’expression « Notre ‘nombreuse famille adoptive’ » (1889, 736) et n’hésite pas à écrire : « Au pauvre enfant donc, à l’orphelin, nous voulons aussi faire connaître les joies de la famille chrétienne » (1888, 734).
La place importante des fêtes est un trait spécifique de la pensée éducative de Louis Roussel. Elle illustre comment il instaure un climat familial et la contribution de ces fêtes au développement du corps (1885, 563) :
« Les fêtes se succèdent à Auteuil et, nous ne craignons pas de le dire, il y a bien peu de maisons destinées à l’enfance, même parmi les plus richement établies, où se trouvent réunis autant d’éléments de distractions et de plaisirs honnêtes. Depuis les jeux les plus naïfs, jusqu’aux représentations théâtrales, rien ne manque à nos chers enfants pour développer à la fois leur corps et leur intelligence. »
Cette référence à la famille, sans chercher pour autant à remplacer la famille naturelle[22], est primordiale dans la vision de la vie communautaire éducative de Louis Roussel, et au moins aussi forte que le modèle de l’internat des petits séminaires de l’époque.
Ce que nous avons indiqué précédemment sur le « prendre soin », la place des fêtes, les récompenses vient corroborer cette spécificité de la pensée éducative de Louis Roussel comme l’indique aussi une réponse qu’il fait à des bienfaiteurs qui pensent que les enfants pauvres ne doivent pas recevoir autant de « douceurs » et de « joies » Louis Rousse répond (1885, 527) :
« Nous ne partageons pas cette opinion, l’enfant dès qu’il travaille, qu’il soit pauvre ou riche, a besoin de distractions et de plaisirs permis, il trouvera des encouragements et des forces nouvelles dans ces récréations, il travaillera mieux et avec plus d’ardeur, dans la pensée qu’il sera récompensé et s’il travaille bien, de si bas qu’il soit parti, il peut espérer de retrouver toujours au cours de sa vie, ces repos et ces jouissances salutaires que lui permettront les gains honnêtes qui lui seront assurés. Nous maintiendrons donc, (..), nos anciennes coutumes et nous remercierons une fois de plus tous ceux qui nous mettront à même de persévérer dans cette voie. »
Louis Roussel apprécie lorsque les enfants manifestent ce bonheur, même passager, qu’il cherche à leur donner : « Ce que nous cherchons, c’est de leur procurer quelques heures de bonheur et nous y réussissons, car il est difficile de se tromper à leur joie bruyante et à leurs éclats de rire sonores» (1884, 476).
Ainsi donc, si les modèles religieux et militaire de son époque ont influencé la dimension collective de l’œuvre de Louis Roussel comme la plupart des éducateurs de son temps, il a développé un modèle particulier de vie communautaire éducative adapté aux enfants carencés.
Corps social : régénérer la société
L’Œuvre de Louis Roussel a une finalité sociale. Louis Roussel est convaincu qu’une classe ouvrière nouvelle permettra à la France de se redresser. Le but de son Œuvre de «régénération sociale et chrétienne» est de « ramener la morale et le bien être dans la basse classe de la société», autrement dit, de former « une génération de travailleurs honnêtes et chrétiens» (1888, 690).
Pour Louis Roussel, « Le renouveau viendra par le peuple […] C’est par le peuple qu[e le pays] arrivera à cette résurrection, oui, par le peuple désabusé et ne refusant plus de voir la lumière… » (1878, 204).
Il emploie souvent l’expression « régénération sociale». Il écrit même que « la pensée qui a présidé à la formation de ces ateliers (école professionnelle) était une pensée de régénération sociale » (1876, 70 ; 1878, 95).
Nous percevons dans ces lignes qu’il y a chez Louis Roussel, avant même d’énoncer les finalités sociales, un parti pris pour le peuple et les ouvriers qui sont, selon lui, la principale force qui permettra au pays de sortir de l’impasse. Louis Roussel donne à cette conviction un sens chrétien lorsqu’il écrit (1890, 822) :
Ce peuple pour lequel nous travaillons depuis tant d’années ; car ces jeunes gens qui nous entourent […] sont fils de ce bon peuple de France et deviendront un jour, nous l’espérons, de dignes et fiers soldats, et de braves ouvriers chrétiens. Nous et nos chers confrères travaillons dans ce but qui doit être agréable au Seigneur qui voulut, en venant en ce monde, naître parmi le peuple, bien que de race royale, et devenir, non un savant, un lettré, mais bien un simple ouvrier.
Plus tard, Louis Roussel élargit cette notion à toute la société. Dans l’ouvrage dirigé par M. Du Camp, il conclut ainsi la présentation de ses Œuvres : « Ce serait, si nous étions suffisamment compris et aidés, la régénération des familles et leur bonheur, le salut de la société et son avenir » (Du Camp, 1895, p. 86).
Sens religieux, du banquet au festin
Comme nous l’avons vu au début de ce texte, la religion est la première référence recensée dans le corpus par Tropes. L’abbé Roussel fonde sur l’Evangile et la tradition de l’Eglise catholique l’essentiel de sa pensée éducative et même de certaines actions (la place des fêtes, par exemple).
Deux exemples illustrent l’inspiration évangélique dans des aspects déjà cités de la pensée éducative de Louis Roussel. Nous allons les découvrir avant d’explorer le sens spécifiquement religieux qu’il peut donner au corps.
La phrase de l’Evangile selon Saint Mathieu « J’étais sans asile et vous m’avez recueilli » (Mathieu, 25, 35) est inscrite en première pas de plusieurs document (1890,93).[23]Nous avons vu comment l’action de recueillir dans un asile était première dans la mission générale de l’œuvre et dans la prise en compte des besoins corporels des enfants.
Un autre exemple d’inspiration évangélique est l’importance que Louis Roussel accorde au travail manuel en partant de l’expérience du Christ et son imitation par les religieux (1892,901) :
« Comme nous l’avons fait observer bien des fois, Notre Seigneur a voulu honorer le labeur, non seulement en travaillant lui-même de ses mains divines, mais encore en choisissant sa famille parmi les humbles ouvriers et non parmi les grands ou les potentats de l’univers. Naturellement, ceux qui tendent à la perfection, et, pour cela, cherchent à imiter Jésus, Marie et Joseph, non contents de vaquer à la prière, à la méditation, consacrent aussi certaines heures de la journée au travail manuel. »
Pour poursuivre dans cette orientation évangélique, nous pourrions écrire que le sens religieux du corps s’articule fondamentalement dans les écrits de l’abbé Roussel autour de deux repas : le banquet et le festin. Jusqu’à présent, nous avons cité souvent la première communion. Elle est première[24]et essentielle pour Louis Roussel par rapport aux autres composantes de son œuvre (1877,122). Il utilise le terme « banquet » trente fois, précédé ou suivi souvent de « sacré »,« eucharistique »,« céleste », « divin » et, plus rarement, « des Elus » dans le récit suivant (1890,838) :
« (..) sans asile, par ce froid rigoureux, ce pauvre petit avait cherché un refuge dans une voiture, où la police l’ayant surpris, l’avait en conséquence arrêté comme vagabond, et conduit à la Roquette où nous avons été le réclamer. Comme il va se trouver heureux, ce pauvre oiseau tombé du nid, sous les auspices tutélaires de Notre-Dame de la Première Communion ; désormais il n’est plus orphelin, elle est sa Mère si puissante et si bonne. Il n’est plus sans demeure, puisque l’Œuvre d’Auteuil l’abrite et le nourrit. Il n’est plus dénué de tout, puisque, par notre entremise, le Roi des rois le convie au banquet des Élus ! Pour nous, ces pauvres délaissés sont nos privilégiés, car ce sont les bénis de la Providence. »
En 1890, les enfants vagabonds sont encore appréhendés par la Police et présentés devant un juge qui peut les placer dans une prison (La Roquette à Paris). Cet enfant est donc soustrait par l’abbé Roussel à la prison pour être recueilli à l’Œuvre d’Auteuil en vue de préparer et recevoir l’Eucharistie pour la première fois au cours d’une messe que Louis Roussel nomme le « banquet des Elus ». Dans le rite catholique de la messe, ceux qui communient consomment une hostie devenue par l’action du prêtre le corps du Christ, c’est-à-dire Dieu lui-même (1881,344). C’est la raison pour laquelle cet enfant qui vient de la rue et de la prison, devient un « privilégié » pour Louis Roussel. Un premier sens religieux du corps dans la pensée de Roussel est donc celui du corps eucharistique du Christ.
L’expression « banquet des Elus » peut aussi avoir un autre sens si on le rapproche de la parabole des invités au festin (Matthieu 22, 1-14) que Louis Roussel évoque implicitement mais souvent dans ses écrits. Son objectifest de permettre aux enfants de rester fidèles à la foi et la pratique chrétienne dans leur vie d’adultes par la « persévérance » (1875, 54)[25], pour « devenir des bons chrétiens » (1887, 661)[26]. Le Vocabulaire de Théologie Bibliqueindique dans la Bible les « élus » sont les membres du corps mystique[27]du Christ qu’est l’Eglise. Les élus sont aussi, dans un sens eschatologique[28], ceux à Dieu donne, après la mort, de partager sa vie pour l’éternité (Léon-Dufour & alt., 1981, p.343-344). Dans ce même ouvrage l’article « repas » indique que le repas eucharistique « n’est pas encore le repas définitif : il annonce que le Seigneur va revenir pour le festin eschatologique[29] » (Léon-Dufour & alt., 1981, p.1089).
En plus de permettre aux enfants pauvres d’accéder à la première communion, l’ambition de l’abbé Roussel est qu’ils vivent en chrétiens et qu’ils connaissent le bonheur du ciel, l’éternité bienheureuse (1890, 838)[30].
Ainsi, le corps eucharistique et le corps mystique peuvent être considérés comme des fondements de la pensée éducative de l’abbé Roussel.
Sens anthropologique
Cette étude sur la place du corps dans la pensée et l’activité éducative de Louis Roussel nous amène à repérer les différents sens du mot « corps ». En combinant l’analyse sémantique et l’explicitation de certains concepts, nous pouvons identifier et préciser trois sens possibles : physique (ou corporel), social (communauté et société) et religieux (corps eucharistique et corps mystique). Cette décomposition nous amène à isoler parfois des termes, des expressions ou des contenus qui sont très liés entre eux dans les textes de l’abbé Roussel. Ainsi les mots « corps » et « âme » sont reliés 16 fois par la conjonction « et »[31]. Si l’on associe au mot « corps » et ceux de « physique » et « matériel », le nombre des principales relations établies formellement dans le corpus sont les suivantes :
- physique, corps, matériel <-> âme, esprit, religion : 20
- physique, corps, matériel <-> moral(e): 6[32]
- physique, corps, matériel <-> intelligence : 5[33]
Si Louis Roussel accorde une grande place et un « soin » particulier aux besoins corporels, il indique très formellement que les besoins de l’âme et de l’intelligence sont prioritaires pour lui (1891, 866) :
« Les besoins sont incessants et les enfants qui remplissent l’asile d’Auteuil ont un excellent appétit et usent beaucoup de vêtements. Mais nous ne saurions nous occuper simplement de les vêtir, de les nourrir, nous pensons avant tout qu’ils ont une âme à sauver, un cœur à guider vers Dieu, une intelligence à développer ; et ces besoins intellectuels et moraux nous touchent bien plus que les autres. »
Dans un autre texte, Louis Roussel il écrit « Autant l’âme est supérieure au corps, autant la charité faite aux âmes déshéritées est supérieure à celle qui ne s’adresse qu’aux besoins matériels du corps » (1892,940) Il n’y a pourtant pas opposition entre l’esprit et le corps dans la pensée de Louis Roussel. Il en est de même pour le rapport entre la dimension sociale et religieuse comme cela apparaît dans le dernier ouvrage publié par l’œuvre (sous la direction de Maxime Du Camp et dont l’Abbé Roussel est co-auteur). Le titre est La vraie solution de la question sociale. (1895) Ce titre est suivi, sur la deuxième page de la mention … par l’éducation chrétienne des enfants pauvres ou abandonnés.
Ainsi, se dessine une hiérarchie des besoins en même temps qu’une unité au sein d’une anthropologie[34]que les trois premiers sens du mot corps commencent à nous révéler. Le corps, la dimension sociale et la dimension religieuse n’ont de sens que dans un ensemble plus large et ordonné qui est l’homme, avec d’autres facultés comme celles que nous avons cité auparavant (vie morale et intelligence). L’étude des fondements anthropologiques de Louis Roussel ne peut être réalisée dans le cadre de cet article. Elle fait l’objet d’une recherche globale sur la pensée éducative de l’abbé Roussel. Néanmoins la représentation du graphique que produit le logiciel Tropesdes références « enfant » et « homme » nous en donne un aperçu présenté dans la figure 3, ci-dessous)
Figure 3- Catégories de mots équivalentes à la référence « enfant » et « homme »
Nous retrouvons, dans les deux représentations, les trois acceptions du mot « corps », que nous pouvons désigner « dimensions » physique, sociale et spirituelle (ou religieuse). On peut observer certaines catégories étaient déjà présentes dans la fig.2 mais sans lien direct avec les trois dimensions précédentes. Ce sont les catégories « sentiments » (qui comprend l’amour, la charité, la joie, … etc.), comportement (morale, vertus, …etc.). Des catégories nouvelles nous renseignent sur les différentes facultés de l’homme : « catégorie-professionnelle », « cognition », et « éducation » (avec une pondération beaucoup plus importante pour la référence enfant).
Ainsi, la pensée éducative de Louis Roussel associe aux différents sens du corps une perspective anthropologique.
Conclusion générale
L’ancrage anthropologique chrétien de Louis Roussel est indéniable. Il s’exprime dans sa vision ternaire du corps et dans l’articulation entre le corps et l’âme. Articulation qui n’est pas réservé aux catholiques. Maria Michela Marzano-Parisoli écrit, dans la conclusion de l’article « corps » du Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale(Canto-Sperber,1996) (p.421) :
« Nous ne pouvons pas être simplement notre corps, car il y a un surplus dans la personne qui ne peut jamais être réduit au corps physique. Pourtant, nous ne pouvons pas non plus avoir simplement le corps, à moins de supposer que le sujet de cet avoir est une âme désincarnée qui habiterait ce corps comme le pilote de son navire. »
Fondée sur l’anthropologie chrétienne, la pensée éducative de l’abbé Roussel peut nous aider à penser et mettre en œuvre ce rapport entre le corps et l’âme en éducation. Elle illustre, à la manière très incarnée de Louis Roussel et pour son époque, ce qu’écrit Monseigneur Dupanloup en 1864 : « L’Église a cela de sublime, qu’à propos d’un petit enfant de village, elle agite la question de la vérité totale. » (1864, p.71)[35]
Bibliographie et sources
Bibliographie
Augé, C., & Larousse (Éd.). (1898). Nouveau Larousse illustré : Dictionnaire universel encyclopédique(Vol. 1–7). Paris : Larousse.
Du Camp, M. (1885). La charité privée à Paris. Paris: Hachette
Du Camp, M. Dir., Giron, A., Roussel, L. (1895). La vraie solution de la question sociale.Paris : impr. des Apprentis-orphelins.
Dupanloup, F. (1864) Discours prononcé au congrès de Malines par Mgr l’évêque d’Orléans. Paris : Douniol (p.71)
Gardet, M., Vilbrod, A. (2000). Les Orphelins-Apprentis d’Auteuil, Histoire d’une œuvre. Paris: Belin
Glaire, J.-B. (1875). Le nouveau testament selon la vulgate. Paris :Firmin-Didot Frères, Fils et Cie
Legrand, H. (s.d.) Corps mystique du Christ, Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 29 novembre 2017. URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/corps-mystique-du-christ/
Leménager, F. (2013). Intérêts et limites d’une référence à une pensée éducative pour un éducateur dans sa pratique quotidienne à Apprentis d’Auteuil. Mémoire de Master 2 non publié. Université de Nantes.
Léon-Dufour, X. & alt. (1970). Vocabulaire de théologie biblique(2e édition révisée et augmentée.). Paris: Editions du Cerf.
Vieillard-Baron, J.-L. (1991). Saint Augustin ou la rigueur du dualisme et le mépris du corps aux sources du christianisme. J.-L. Vieillard-Baron, Université François Rabelais, Département de philosophie, & Association des amis du Musée Descartes. Autour de Descartes : le problème de l’âme et du dualisme. Paris : J. Vrin. (p.59-74)
Sources
Archives générales spiritaines
Père Joseph Boegly (1973) L’œuvre des Orphelins-Apprentis d’Auteuil, les étapes de sa croissance et de son évolution, ses méthodes de formation.
Archives historiques d’Apprentis d’Auteuil
Roussel, L. (1876 à 1881). « Notre courrier » in La France Illustrée. (n°1 à 319) Paris : Imp. des Apprentis Orphelins d’Auteuil.
Roussel, L. (1881 à 1893). « Le journal de l’œuvre ou notre courrier »in La France Illustrée(n° 320 à 975), Paris : Imp. des Apprentis Orphelins d’Auteuil.
Roussel, L. (1893 à 1895). « Le courrier de l’Œuvre » in La France Illustrée(N° 976 à 1066), Paris : Imp. des Apprentis Orphelins d’Auteuil.
Roussel, L. (1869). Bulletin trimestriel l’œuvre de Notre Dame de la première communion. Paris : Imp. Goupy
Abbé Bosc, 1883, Œuvre de la première Communion et des Apprentis d’Auteuil.
Archives historiques du diocèse de Paris
La semaine religieuse de Paris N° 2245, Revue du culte et des bonnes œuvres, annales du bien, bulletin catholique. Samedi 16 janvier 1897. M. l’abbé Roussel. (p.115-117)
Archives de la Bibliothèque Universitaire de l’Institut Catholique de Paris
Roussel, L. (s.d.). Première communion et apprentissage, exposé de l’œuvre. 6e édition. Paris : impr. des apprentis-orphelins Roussel.
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Pour citer cet article
Référence électronique François Leménager, « Les quatre sens du corps dans la pensée éducative de l’Abbé Louis Roussel (1825-1897) : Fondateur et Directeur (1866-1895) de l’œuvre de la première Communion et des Orphelins Apprentis d’Auteuil », Educatio[En ligne], 7 |2018. URL : https://revue-educatio.eu
Droits d’auteurs
Tous droits réservés
*Chargé d’enseignement à l’Université Catholique de l’Ouest (Faculté d’éducation). Doctorant en sciences humaines et sociales.
[1]Article rédigé fin décembre 2017.
[2]Deux ans avant sa mort en 1897.
[3]Nous emploierons désormais l’expression « Œuvre d’Auteuil », utilisée par l’Abbé Roussel (1895, p.113). Cette œuvre sera dirigée par le Père Brottier entre 1923 et 1936. Elle se nomme aujourd’hui Apprentis d’Auteuil,
[4]On les appelle des « apprentis » alors qu’ils ne sont pas en apprentissage chez un patron comme cela se pratique déjà à cette époque.
[5]« Les orientations choisies, les méthodes d’enseignement appliquées, ne varieront pas sous les successeurs de M. l’abbé Roussel. Elles ne varieront d’ailleurs pas davantage, quand en 1923 les Pères du Saint-Esprit auront pris la direction de l’œuvre écrit le Père Joseph Boegly, Père du Saint Esprit et Directeur Général de l’œuvre entre 1962 et 1972, dans la brochure L’œuvre des Orphelins-Apprentis d’Auteuil, les étapes de sa croissance et de son évolution, ses méthodes de formation (1973, p.5)
[6]J.-L. Vieillard-Baron, évoque « la haine du corps qui a prévalu dans le jansénisme gallican de toute l’Eglise catholique française au XIXe siècle et au début du XXe siècle » dans le chapitre « Saint Augustin ou la rigueur du dualisme et le mépris du corps aux sources du christianisme. » (p.63) de l’ouvrage collectif Autour de Descartes, le dualisme de l’âme et du corps. (p.59-74)
[7]Transcription réalisée par le Père Pouget, responsable des Archives de la Fondation d’Auteuil entre 1983 et 1992.
[8]Numérisation réalisée par la société Mnémotique. Les documents sont en ligne sur le site d’Apprentis d’Auteuil http://fda.mnemotique.eu/
[9]Nous nous inspirons du processus aristotélicien : 1-partir du phénomène, 2-observer et se familiariser avec le phénomène, 3-relever les récurrences et rapports de causalité, 4-postuler puis énoncer les règles et principes généraux, 5-Vérifier les règles et principes généraux à l’aune des faits observés, 6- S’autoriser un discours (scientifique) sur le phénomène qui se veut en conformité avec lui.
[10]Tropes V.8.4. Tropes est un logiciel d’analyse sémantique ou de fouille de textes créé en 1994 par Pierre Moletteet Agnès Landré, sur la base des travaux de Rodolphe Ghiglione. www.tropes.fr
[11]Ces trois sens sont aussi présents dans la définition du mot « corps » du Larousse de 1898 en 7 tomes : « ensemble des parties physiques, des organes qui constituent un être matériel doué de la vie animale// corporation (corps de métiers) // esprit de corps // Théol : Recevoir le corps de N.S. Jésus Christ, Communier. » Par contre, l’expression « corps social » n’est pas mentionnée dans le Larousse de 1898. Le Littré abrégé de 1863 évoque le « corps politique » (« Réunion de personnes vivant sous les mêmes lois ») qui s’en approche mais n’est pas équivalent.
[12]Les références des éditoriaux de La France Illustrée sont désormais indiquées de cette façon : année de publication suivie du numéro de la revue.
[13]Autres références sur ce thème : 1877, 114, 136; 1879, 220; 1884, 493; 1885, 530; 1886, 587, 630; 1887, 644 ; 1888, 723; 1891, 871.
[14]Voir aussi (1878, 209)
[15]Il écrit ailleurs « Quelque modeste et frugale que soit la nourriture des apprentis, il faut cependant rassasier ces appétits de 15 ans, aiguisés par le bon air de notre maison et le travail » (1888,718)
[16]Orphelinat agricole créé par Louis Roussel en Dordogne.
[17]Le terme charité conviendrait mieux mais il demanderait des développements trop importants pour cet article.
[18]La durée varie de 45 minutes à une heure trente selon les moments de la journée mais aussi selon les sources.
[19]La coiffure à la titus est une manière de couper les cheveux aussi courts devant que derrière.
[20]Nombreux autres exemples et commentaires : 1876, 69 ; 1877, 145 et 146 ; 1878, 175 ; 181, 329.
[21]Ce que fera un de ses successeur le Père Brottier dans l’œuvre des foyers à la campagne dans les années 1920-1930.
[22]Louis Roussel précise par exemple qu’il essaie, à tout prix, de ne pas garder les enfants pour Noël et le jour de l’An, afin qu’ils retournent dans leurs familles (1875, 56).
[23]Cette formulation est employée à cette époque. Nous avons pu le vérifier dans une traduction française du Nouveau Testament du XIXe siècle (Glaire, 1875, p.86). Aujourd’hui, elle est formulée ainsi : « J’étais un étranger, et vous m’avez accueilli » (Association Épiscopale Liturgique pour les pays Francophones)
[24]Louis Roussel commence à y penser dès 1861 soit 4 ans avant de recevoir les 6 premiers enfants à Auteuil.
[25]Œuvre de la première communion et de la persévéranceest la dénomination employée par l’abbé Roussel dans les éditoriaux de La France Illustrée au moins jusqu’en 1893 alors qu’elle est remplacée dans les documents institutionnels, à partir des années 1870 par « Œuvre d’Auteuil » « Orphelinat d’Auteuil » et surtout « Œuvre de la première communion et des orphelins apprentis d’Auteuil ». Le mot « persévérance » seul est cité 31 fois.
[26]L’expression « bon(s) chrétien(s) est citée 18 fois.
[27]Louis Roussel ne semble pas cette expression mais elle nous semble bien correspondre à la pensée qu’il exprime dans ces écrits.
[28]Qui a rapport aux fins dernières de l’homme.
[29]Dans l’ancien et le nouveau testament, Dieu invitera à la fin des temps tous les peuples à un festin ou chaque « élu » partagera la vie de Dieu. (Léon-Dufour & alt., 1981, p.1089-1090).
[30]Nous pourrions aussi mentionner l’approche plus concrète de ce thème qui abordé par Louis Roussel lorsque des enfants décèdent à l’hôpital à la suite de maladies. Les aumôniers des hôpitaux (1877, 138), des religieuses ou Louis Roussel lui lui-même témoignent comment les derniers moments de ses enfants ont impressionné leur entourage et sont morts « comme des saints ». L’abbé Roussel écrit au sujet de l’un d’entre eux « protégé, il est devenu protecteur » (1877, 138). Voir aussi (1878, 182) (1878, 199) (1879, 226) (1880, 294) (1881, 325)
[31]Exemples : « la vie du corps et de l’âme » (1876,57) ; « la santé du corps et de l’âme » (1877,149) (1882, 407)
[32]« Il m’a été donné de soigner au moral et un peu au physique près de six mille de ces enfants, il y en a eu de très difficiles et presque désespérés. » (1886,610)
[33]« Depuis les jeux les plus naïfs, jusqu’aux représentations théâtrales, rien ne manque à nos chers enfants pour développer à la fois leur corps et leur intelligence. » (1885, 563)
[34]Dans ce cas, le terme anthropologie s’entend au sens d’une vision de l’homme dans son ensemble.
[35]Mgr Dupanloup (1802-1878) Evêque d’Orléans, Membre de l’académie française est aussi auteur de plusieurs ouvrages sur l’éducation. Il visite l’œuvre d’Auteuil le samedi 25 mars 1876 et dit à Louis Roussel en parcourant les ateliers « Comme ces enfants paraissent heureux ! Ce sont déjà de petits ouvriers capables de faire autant de bien qu’ils feraient de mal, s’ils étaient ailleurs. C’est une belle Œuvre que vous faites là, M. l’abbé ! » (1876, 70)