Rencontre entre Alain Berthoz et Antoine de La Garanderie (1997) – Intervention d’Alain Berthoz

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Je voudrais d’abord remercier l’Institut Formation & Développement et Savoir & Compétences, ainsi que Monsieur Avanzini, de permettre ce dialogue avec Monsieur de La Garanderie dont je connaissais les travaux. Il se trouve que ma fille, qui était dans une école Parisienne, a eu une de ses collaboratrices comme enseignante, et j’avais été fort intéressé par son travail.

Je voudrai aussi vous dire que je ne répondrai à aucune de vos interrogations.

Je ne pourrai aujourd’hui apporter que le témoignage du physiologiste sur ce que nous commençons à comprendre du fonctionnement de cerveau.


Je ne suis pas moi-même médecin. Je suis ingénieur des mines et psychologue. Après avoir fait de l’ergonomie pendant une dizaine d’année, j’ai pris depuis longtemps maintenant la direction d’un laboratoire qui s’occupe de savoir comment le cerveau traite les informations sensorielles, motrices et autres. Ne pouvant être vraiment compétent dans les domaines relevant de la médecine, de la neurologie où de la rééducation, mon propos sera celui du psychologue et du physiologiste.

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Deux points importants me rapprochent d’emblée de ce que m’a dit Monsieur de LA GARANDERIE :

– tout d’abord c’est d’avoir libéré nos discussions du problème du dualisme.

– ensuite c’est l’emploi du mot projet.

En effet je ne pense pas que le cerveau soit une machine biologique qui traite de façon passive les informations que le monde lui donne et les transforme en action.

Nous sortons de 50 ans d’une neuro-biologie qui a été par nécessité expérimentale une neuro-biologie du réflexe. En effet les nécessités de l’expérimentation faite sur des animaux anesthésiés – car il faut bien aller voir le système nerveux – ont conduit à l’administration de stimuli qui ont ensuite déclenché des réponses. Ainsi s’est développée une pensée issue des théories des systèmes asservis et qui a accrédité l’idée que le cerveau était une machine à transformer des informations.

Au contraire selon une autre tradition intellectuelle très ancienne, et oubliée depuis une cinquantaine d’années, le cerveau est un organe biologique qui projette sur le monde ses intentions, ses hypothèses, ses préperceptions et qui fait des simulations internes de ses projets d’actions.

Voici donc des propos qui montrent à quel point nos deux langages bien que partant d’expériences très différentes se rejoignent.

En ce qui me concerne je dirai nos balbutiements parce qu’il faut ensuite confronter les affirmations avec la réalité biologique.

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J’ai été intéressé par l’importance donnée à cette idée de manipulation mentale de l’action et ceci pour plusieurs raisons.

D’abord je pense que l’action est ce qui fonde le cerveau.

Dans mon livre je commence par citer FAUST qui disait :

« Au début était le verbe, puis il se rattrape et dit : au début était la force, et finalement il se rattrape et il dit : non ce n’est pas vrai, au début était l’action ».

Le cerveau s’est développé, a survécu en quelque sorte, pour faire des projets d’action, pour prédire le futur, pour aller vite, pour résoudre des problèmes rapidement, pour anticiper. Pour anticiper : c’est à dire pour utiliser la mémoire du passé pour gagner du temps, afin d’échapper à des prédateurs, afin de former des projets.

Ainsi le cerveau est bien un outil de projet et beaucoup d’exemples nous le montrent.

Un champion de ski, malgré ses qualités, ne peut traiter en permanence les informations sensorielles qu’il reçoit quand il descend la pente ; c’est trop long car il faut des centaines de millisecondes pour traiter toutes les informations que lui fournissent ses capteurs sensoriels.

Vous savez que nous n’avons pas que cinq sens bien que l’on continue de le dire obstinément dans les manuels ou à la télévision.

Nous avons beaucoup plus que cinq sens : en plus des capteurs de l’olfaction, de l’audition, nous avons dans les muscles des capteurs proprioceptifs, nous avons dans l’oreille interne des capteurs vestibulaires qui constituent le fondement de notre perception du mouvement et de l’espace ; la vision elle-même est un capteur de mouvement finalement.

L’ensemble de ces informations n’est pas utilisé par le cerveau de façon passive : nous savons maintenant que dès les premiers relais sensoriels – c’est à dire dès que l’information sensorielle arrive à la moelle, au tronc cérébral, dans les premiers relais du cortex visuel – des signaux moteurs liés au mouvement influent sur la transmission de l’information :

Les capteurs proprioceptifs comprennent à l’extrémité des fuseaux neuromusculaires, des petits muscles contrôlés par le cerveau qui modulent l’information perçue sur la longueur des muscles.

Les capteurs tactiles de la même façon.

Les capteurs vestibulaires – localisés dans l’oreille interne, qui détectent les mouvements de la tête dans l’espace voient leurs messages modifiés dès les premiers relais par la direction du regard

Autrement dit l’information que notre cerveau a du mouvement de la tête dans l’espace, de son orientation, est modifiée par l’intention d’action, la direction du regard.

Il en est de même pour la vision qui est influencée, dés les premiers relais dans le corps genouillé latéral, par les mouvements du corps.

Premièrement : la perception, la sensation ne sont jamais isolées ; elles ne sont jamais indépendantes de l’action !

Deuxièmement, la perception est multimodale.

On a découpé, saucissonné en tranches, les rôles de la vision, de la proprioception, etc.

Dans la moelle, les informations de tous les capteurs convergent très vite.

La vision a une influence extrêmement rapide sur les informations du mouvement fournies par les capteurs proprioceptifs.

Au niveau des noyaux vestibulaires – qui sont les premiers relais qui véhiculent les informations sur les mouvements de la tête dans l’espace – on identifie des voies qui transmettent des informations visuelles.

Ainsi, dès le premier relais, soi-disant vestibulaire il y a une information sur les données que la vision fournit sur le mouvement du corps dans l’espace.

Autrement dit, la perception, la sensation sont toujours multimodales dès la source.

Premier point, la perception est active, elle est modulée par l’action ;

Deuxième point elle est toujours combinée.

Troisième point, elle est sélection.

En effet, le cerveau ne peut pas en permanence utiliser, traiter l’ensemble de toutes les informations sensorielles. Pour reprendre l’exemple du skieur, si le cerveau devait en permanence pendant la descente – qui est un mouvement rapide – traiter l’ensemble des informations des capteurs, il n’y arriverait jamais. Cela prendrait trop de temps car c’est extraordinairement complexe.

En fonction de chaque action, le cerveau présélectionne les informations sensorielles qui sont nécessaires pour accomplir cette action, cette partie du geste.

Pendant un saut en trampoline, durant l’élévation, le cerveau peut utiliser la vision pour mesurer l’ascension. Puis à l’occasion d’une rotation extrêmement rapide – un salto qui exclut absolument d’utiliser la vision – le cerveau bascule à un autre type de représentation fondé uniquement sur les informations proprioceptives et vestibulaires.

Pendant la chute, il revient à une utilisation des capteurs visuels.

Il en est de même dans la vie de tous les jours en fonction des mouvements que nous faisons.

Nous pensons maintenant qu’à chaque phase d’un mouvement complexe, il y a présélection d’une configuration de capteurs sensoriels qui sont ceux qui vont être importants pour accomplir la tâche que l’on s’est fixée.

Cette flexibilité dynamique, cette réorganisation permanente à chaque moment de l’action du prélèvement des informations que fait le cerveau sur le monde est tout à fait fondamentale.

Ceci va avec l’idée que le cerveau projette et va chercher dans le monde les informations pertinentes par rapport à l’action envisagée.

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Selon la théorie que nous avons avancée avec nos collaborateurs : nous faisons l’hypothèse que pendant un mouvement, pendant une action, le cerveau fonctionne selon deux modes parallèles :

¤ Le premier mode est un mode que l’on peut qualifier de continu dans lequel les informations données par les capteurs sensoriels sont traités sur des cartes sensorielles. Le coliculus, le cortex visuel et d’autres parties du cerveau traitent ces informations, et à partir de messages d’erreur, agissent sur les commandes motrices. Le fonctionnement est analogue à celui d’un servo-mécanisme et correspond à l’image classique que l’on a souvent des boucles sensori-motrices et de l’organisation du mouvement.

¤ Mais nous avons proposé qu’en parallèle avec ce mécanisme – qui a ses avantages et ses inconvénients – le cerveau fonctionne suivant un second mode, en traitant dans des boucles internes des hypothèses sur des stratégies, des organisations possibles du mouvement (ce schéma peut être appliqué à la parole où à n’importe quel type d’action).

Ces boucles permettent au cerveau de jouer, simuler, en interne des options possibles ; et ce mode interne peut être ou pas connecté avec l’exécution.

Pourquoi ce mode de fonctionnement est-il avantageux ? Parce qu’il permet de faire des choix, d’élaborer des stratégies possibles.

Ce mode de fonctionnement est essentiellement intermittent et il est prédictif.

En langage courant, on peut dire qu’il permet de réfléchir, de simuler des actions en interne avant d’en choisir une qui pourra être réellement exécutée.

Ces idées ont déjà été proposées depuis assez longtemps, par des grecs, mais aussi de grands physiologistes russes comme BERNSTEIN qui dans les années 20 avaient déjà avancé cette idée d’un fonctionnement circulaire du système nerveux, et pas uniquement entrée – sortie. Pour lui le cerveau est essentiellement un comparateur entre des projets d’action, internes en quelque sorte, et des informations données par les capteurs.

Ces schémas des grands physiologistes russes ont été oubliés à cause des murs de toutes sortes, ou pillés comme ce fut le cas pour ALLORINE.

Il faut également citer le psychologue et physiologiste SCHMIDT qui dans les années 70 a proposé l’idée selon laquelle toute action que nous réalisons est toujours comparaison du projet d’action avec le souvenir, une mémoire d’une action passée qui permet de prédire les conséquences attendues de l’action.

Par conséquent, la prise d’information sensorielle sur le monde n’est pas simplement réception passive : elle est comparaison entre la prédiction des conséquences possibles d’une action avec ce que l’action produit.

Autrement dit nos sens ne sont pas utilisés par le cerveau de façon passive mais pour comparer la différence entre ce que notre mémoire, notre apprentissage nous ont prédit et ce qui se passe.

C’est une vision assez différente et il y a peut être des conséquences sur la façon dont on rééduque des patients. Cela sera à voir.

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Quelle est la réalité biologique de ces boucles que nous avions envisagées ?

Toute la neurobiologie moderne a confirmé l’existence de ces mécanismes, de ces boucles internes. Je vais centrer mon intervention sur elles et je vais essayer de vous montrer que les idées qui sont dans le propos de Monsieur de LA GARANDERIE ont des correspondances avec les découvertes récentes sur le fonctionnement interne du cerveau.

Nous allons aborder des figures[1] compliquées méritant chacune un long commentaire faisant appel à des concepts de neurophysiologie.

Ce sont là les différences entre biologistes, mathématiciens et physiciens. Les mathématiciens arrivent avec une craie et un tableau, les physiciens ont des transparents et les biologistes avec plein d’images compliquées à comprendre.

Donc on sait maintenant qu’il y a des boucles neurales qui relient le centre du cerveau – le thalamus – avec le cortex et que dans ces boucles, probablement animées par des oscillateurs internes, circule une information interne au cerveau. Par conséquent, il ne faut pas concevoir le cerveau comme transformant uniquement des informations sensorielles en action : il y a bien une vie interne du cerveau.

Le meilleur exemple en est, bien sûr, le rêve qui est une simulation interne d’actions déconnectées du monde ; nous ne comprenons pas encore les mécanismes du rêve.

Les boucles, thalamo-corticales actuellement explorées par les méthodes de l’imagerie cérébrale témoignent aussi de cette vie interne du cerveau.

La figure XXX nous montre un certain nombre de boîtes qui représentent simplement les différentes parties du cortex cérébral chez l’homme.

Quand on fait un schéma de la connectivité fonctionnelle de ces zones, on découvre que 4 ou 5 d’entre elles sont en connexion interne et qu’elles forment ce qu’un collègue allemand a proposé comme étant le circuit vestibulaire interne ; c’est un circuit de plusieurs zones corticales reliées entre elles et qui serait important dans la représentation de l’espace.

La figure XXX nous montre un autre type de schéma représentant ce fameux circuit entre le thalamus et le cortex.

On constate bien actuellement qu’il existe des boucles internes qui sont très importantes pour la programmation de l’action, pour la représentation du mouvement.

Je viens de faire une erreur que je m’étais promis de ne pas faire qui est d’employer le mot représentation. Vous avez remarqué que Monsieur de LA GARANDERIE n’a pas employé ce mot une fois et je l’en remercie.

C’est un autre point d’accord entre nous.

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Comment pouvons-nous, dans ce contexte général, comprendre le rôle que peuvent avoir ces manipulations de l’action dans un certain nombre de situations ?

Je voudrais vous donner un tout petit exemple sur le problème du contrôle du regard, qui après tout est un mouvement. Un mouvement pas très compliqué par rapport à d’autres gestes pour lesquels vous rééduquez vos patients. Le contrôle du regard est une activité importante parce qu’il implique à la fois des activités réflexes – on déplace le regard vers un objet qui apparaît – et des activités volontaires. On peut déplacer son regard pour explorer un visage, une scène.

Je peux vous demander maintenant de fermer les yeux, de regarder mentalement un visage et de l’explorer.

Vous en ferez une exploration oculo-motrice et je peux vous demander de faire toute une série d’explorations mentales en vous demandant si elle a des boucles d’oreilles, si elle parait heureuse…

C’est un modèle tout à fait remarquable qui est utilisé par les neurobiologistes actuellement pour étudier tous ces problèmes d’organisation du cerveau. Ce modèle est sous-entendu par des petits mouvements qui sont les saccades oculaires.

Nous avons des tas de façon de bouger les yeux : nous pouvons mettre en jeu des réflexes de stabilisation, nous pouvons poursuivre des objets (ceci est un mécanisme apparu très tard dans l’évolution et qui implique des structures corticales)…

On peut enregistrer ces saccades, qui sont les mouvements des yeux, et identifier des trajets oculomoteurs.

Comment est ce que ces mouvements sont organisés ?

La neurophysiologie moderne a permis depuis une vingtaine d’années de comprendre comment sont organisés les mouvements des yeux.

La figure XXX qui nous montre ce que l’on commence à comprendre un peu. Elle est d’une immense simplicité par rapport à la réalité. Je pourrais faire le même exposé pour les mouvements du corps, des bras, etc., mais actuellement je travaille sur ce modèle.

On sait que lorsqu’une image se forme sur la rétine, elle est véhiculée vers le cerveau par deux grandes voies :

¤ Une voie réflexe, qui existe depuis longtemps chez tous les animaux, qui transmet cette image dans les couches d’une structure qui s’appelle le coliculus. Par des mécanismes d’une grande finesse, des saccades, des mouvements d’orientation de l’œil, de la tête, du corps peuvent être produits. C’est un mécanisme très ancien qui permet de s’orienter vers un objet qui apparaît.

¤ Une seconde voie, apparue plus tardivement dans la phylogenèse, est une voie corticale qui passe par le cortex visuel primaire. Dans le cortex visuel primaire, les informations ainsi que nous l’avons déjà vu, ne sont pas seulement visuelles : il y a convergence ici d’informations proprioceptives et intégration d’informations multimodales.

Puis l’information est transmise dans le cortex pariétal qui est une zone du cerveau fondamentale pour l’organisation du mouvement et la perception.

Vous savez que les lésions du cortex pariétal droit produisent ce que l’on appelle le syndrome de la négligence c’est à dire alors que les gens voient la totalité du monde, ils en négligent la moitié.

Ainsi, si j’avais une lésion du cortex pariétal droit, je ne décrirais que la partie droite de cette pièce, j’ignorerais les personnes situées à gauche ; si j’avais un objet à peindre, je ne peindrais que la partie droite…Ce sont des symptômes que les médecins et psychologues connaissent bien.

Le cortex pariétal est aussi un endroit du cerveau où on a pensé qu’existait, déjà depuis 1910, le schéma corporel.

L’idée de schéma corporel s’est construite en postulant qu’il y a quelque part dans le cerveau, une représentation de l’ensemble du corps et que cette partie du cerveau était là pour établir des relations entre le corps et l’espace.

Ce concept de schéma corporel est très important parce que les physiologistes qui l’on inventé supposaient que notre posture était contrôlée top-down, c’est à dire de haut en bas.

C’est à dire que le contrôle de la posture n’était pas organisée à partir des informations des pieds, de bas en haut, comme l’a supposé la physiologie réflexive mais à partir de cette représentation du corps, vers le bas.

Une bonne partie de la neurophysiologie et de la psychophysiologie moderne vient confirmer ce second point de vue sur l’importance de ces zones du cortex pariétal.

De même pour les saccades, dans cette zone-là, il y a une mise en correspondance de la position de la cible, des éléments de l’espace et de mon propre corps.

Après cette mise en contexte, les informations sont transmises dans des structures du cortex frontal – les aires motrices et oculomotrices frontales, et particulièrement celle que l’on appelle l’aire motrice supplémentaire située à la partie médiane du cerveau. Ces deux aires sont très importantes pour assurer les coordinations et les préparations de mouvement.

Lorsque l’on exécute des séquences de mouvement, c’est là qu’elles sont organisées – préparées ou calculées, on ne sait pas très bien.

On sait aussi que le cortex préfrontal – la zone vraiment très frontale du cerveau – est impliqué dans la décision. Cette zone est également impliquée dans la mise en correspondance de la mémoire, par exemple lorsque vous fermez les yeux et que vous organisez le mouvement à partir de la mémoire.

Enfin, comme le propose DAMASIO, dans un livre récent, cette zone est possiblement concernée aussi par la mise en relation des aspects émotifs et affectifs d’un mouvement exécuté.

Et puis, ces informations descendent vers les systèmes moteurs. Mais là aussi sont mis en jeu des circuits internes ; là le système ne fonctionne pas sur le modèle vision – programmation – exécution.

Dans ce fonctionnement interne, il y a en parallèle avec les mécanismes d’exécution des cascades d’inhibition.

En effet, le système nerveux n’est pas formé que d’excitation, il est aussi et presque surtout constitué de toute une série de mécanismes inhibiteurs.

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La figure XXX nous permet de réfléchir sur la signification possible de cette inhibition par rapport au problème général de la représentation mentale, du fonctionnement mental du mouvement, de ces simulations internes.

Nous retrouvons les structures déjà évoquées : l’œil, toute une série de mécanismes locaux qui vont produire les mouvements des yeux, le coliculus qui est impliqué dans les mouvements plus réflexes d’orientation du regard, le circuit qui va vers le cortex visuel, le cortex pariétal, les zones d’organisation du mouvement, l’aire motrice supplémentaire impliquée dans la coordination des mouvements complexes, les zones préfrontales impliquées dans la mémorisation…

Et la fameuse boucle interne thalamo-corticale.

En parallèle avec les circuits excitateurs, il y a possibilité d’inhiber le mouvement, d’inhiber l’exécution du mouvement à plusieurs niveaux.

Il y a, au niveau de l’exécution, des neurones inhibiteurs qui déchargent en permanence, et qui dès que l’on se réveille, bloquent l’action – c’est à dire qu’ils empêchent de faire des saccades. Sinon nous ferions des saccades en permanence. On ne peut faire un mouvement que si cette inhibition est levée ; ces neurones sont donc eux-mêmes inhibés. C’est le niveau qui permet l’exécution.

Ce niveau est situé dans le coliculus qui est comme une carte visuelle du monde, analogue à celle qui est dans le cortex visuel. (Il y a donc plusieurs endroits où il y a des images du monde).

Par des mécanismes qui viennent de la substance noire, cette carte est inhibée. Pour que des mouvements d’orientation puissent se produire, il faut que ces inhibitions soient levées.

Et ces inhibitions sont levées par des mécanismes – des cascades d’inhibition – qui sont eux-mêmes contrôlés par le cerveau et par l’intention d’action.

Cette levée d’inhibition ne se produit pas seulement dans le temps pour permettre de faire une saccade ou un mouvement de la main maintenant, mais il y a des mécanismes qui permettent de désinhiber une partie de cette image (qui est dans le coliculus). C’est-à-dire qu’il y a des mécanismes qui vont nous permettre de faire une saccade vers tel ou tel endroit de l’image.

Il y a donc une possibilité de sélection, d’anticipation du mouvement que l’on va faire, et de choix de la zone qui va être utilisée par le cerveau.

Il y a donc en permanence la possibilité de bloquer l’exécution à différents niveaux ce qui conduit à l’hypothèse que nous avons formulée selon laquelle lorsque nous imaginons un mouvement, nous employons les mêmes structures neurales dans le cerveau que celles que nous utilisons lorsque nous exécutons le mouvement.

« Imaginer » un mouvement est un mot impropre ; il vaudrait mieux dire simuler.

Ainsi, simuler un mouvement c’est utiliser les mêmes structures neurales que celles utilisées pour l’exécution mais en le verrouillant à certains niveaux.

Nous pouvons maintenant explorer ces mécanismes neuraux par simulation mentale des mouvements avec des méthodes d’imagerie cérébrale en utilisant la caméra à émission de positons (cf. les travaux à Lyon de Jean de SELTI associé à l’équipe du Professeur JEANNEROD).

Nous nous sommes posés la question de savoir ce qui se passe lorsque l’on compare une saccade volontaire et une saccade imaginaire. Les mêmes structures seront-elles activées dans les deux cas ?

On a pu constater (figure XXX) que les mêmes zones sont activées dans les deux cas (la zone oculomotrice supplémentaire et la zone frontale). Les neurobiologistes explorent encore la validité de ces résultats en essayant d’envisager plus finement le fonctionnement de ces zones.

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Pour continuer à explorer nos hypothèses, je voudrai prendre un second exemple, celui de la perception de l’espace.

La perception de l’espace et la navigation sont des fonctions importantes du cerveau qui font intervenir des mécanismes d’imagination, de mémoire, et des mécanismes moteurs qui demandent une intégration multi-sensorielle.

Dans le problème de la navigation dans l’espace les mécanismes qui nous permettent de retrouver notre chemin dans une ville par exemple – la mémoire topographique – sont assez complexes.

Si je peux me déplacer les yeux fermés et revenir au même point – ce que les robots ont du mal à faire actuellement – ça  veut dire que j’ai pu me constituer une « représentation » ; cohérente de l’espace et que je peux la réactualiser en fermant les yeux à partir des informations vestibulaires issues de mon action. Je peux donc faire une simulation mentale de ma locomotion et la réactualiser pour agir.

Le cerveau dispose de certains mécanismes pour faire ce genre de travail.

Quand on étudie chez l’animal les structures du cerveau impliquées dans la mémoire de l’espace, on en identifie une qui est particulièrement importante : l’hippocampe.

L’hippocampe contient des neurones qui codent l’endroit où l’on se tient dans l’espace et certains neurones déchargent en fonction de l’endroit où l’on passe.

On a pu le constater expérimentalement chez le rat. Il y a dans l’hippocampe, des neurones qui codent la place comme si le cerveau représentait, et le mot est correct, l’espace sur une carte, ce qui lui permet de calculer des trajectoires.

Cette structure est la plus élevée dans le cerveau et dans la hiérarchie du traitement des informations, c’est-à-dire dans des relations entre l’action et le sens.

Monsieur de LA GARANDERIE a parlé dans ses exemples de ce que le cerveau aime bien et sait bien faire – si l’on peut employer ces expressions – c’est à dire faire des associations.

Il est vrai qu’une bonne partie de l’activité cérébrale consiste à établir des associations, des combinaisons.

Par exemple, on peut se souvenir que l’on a traversé la rue à un endroit qui glisse, ou bien se rappeler de l’endroit où l’on était quand on a appris la mort de KENNEDY.

Cette fonction de combinaison du cerveau est liée à sa capacité de stocker en mémoire les informations, de les présélectionner pour ensuite les comparer avec la situation.

L’hippocampe est une structure neuronale particulièrement apte à faire ces associations et à les mémoriser.

Cette capacité est liée, on le sait grâce à la neurobiologie moderne et aux mathématiques, aux particularités de son anatomie qui fait que l’information retourne en boucle sur les propres dendrites des neurones de l’hippocampe.

Ces mémoires ont la capacité très particulière de retrouver la totalité d’une action, ou d’un épisode, à partir d’une information incomplète – c’est la madeleine de PROUST.

On peut réactiver la mémoire de l’épisode à partir de quelques éléments un peu comme dans une caricature.

L’hippocampe est donc une structure intéressante parce qu’elle code l’espace mais aussi des actions et des épisodes (des associations d’actions).

Par exemple des malades qui ont des lésions de l’hippocampe ou des structures préhippocampiques ne peuvent retrouver leurs chemins et ont des difficultés d’orientation.

Actuellement par l’imagerie cérébrale, nous étudions le modèle de la navigation.

Par exemple, nous nous demandons quelles sont les différences entre une mémoire donnée par la vision et la mémoire donnée par un mouvement.

Il y a deux façons pour se rappeler le chemin emprunté :

¤ on peut avoir une carte mentale et regarder de dessus le trajet. C’est une mémoire de l’image pour les bons imageurs.

¤ on peut aussi se rappeler les mouvements que l’on a fait (tourné à droite, à gauche, monté les escaliers…). C’est la mémoire des routes ; une mémoire d’action, de simulation.

Ces deux types de mémoires existent probablement dans le cerveau et on peut se poser le problème de savoir si des structures différentes sont impliquées.

L’une est plus visuelle, l’autre plus kinesthésique. J’aimerai bien discuter de ce mot avec Monsieur de LA GARANDERIE qui n’a parlé que de verbal et de visuel.

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Je voudrais conclure en disant simplement que ce que nous essayons de faire et que nous découvrons sur le cerveau rejoint, je crois, en partie les préoccupations et les prédictions de Monsieur de LA GARANDERIE, et qu’il faut discuter sur les différences.

Je voudrais terminer en vous parlant d’un neurone découvert par un de nos collègues italien, RIZZOLATI, et qui est très intéressant.

Ce neurone situé dans les zones pré-motrices et motrices du cortex a été appelé « miroir ».

Ce neurone est activé dans deux conditions chez le singe :

¤ lorsque le singe mange quelque chose de bon,

¤ mais aussi lorsque l’expérimentateur mange la même chose.

C’est-à-dire que ces neurones sont activés à la fois lorsque l’animal fait une action et il y a différents types de neurones impliqués dans différents types d’actions et lorsque l’animal voit – mais le mot « voit » est sans doute incorrect – parce que je pense que voir c’est simuler l’action en interne. C’était ça mon propos : il y a un espèce de malentendu sur le mot voir, lorsque l’animal perçoit l’action faite en dehors de lui.

Et cela est très important dans notre réflexion actuelle parce que ça nous montre que le cerveau ne traite donc pas des informations sensorielles mais il contient des répertoires d’action et des systèmes neuronaux qui codent les actions.

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Tous droits réservés

[1] Figures non conservées et donc non disponibles pour ce numéro 8 Educatio. [NDLR]