Quentin de Veyrac
A l’école des plus pauvres : de l’aventure à la quête intérieure

Paris – Ed. Artège – 2017 – 354 p.

C’est l’histoire de trois jeunes amis chrétiens, qui décident de suspendre leurs études supérieures pour partir, ensemble, ainsi qu’y invite le Pape, vers les « périphéries » : ils vont effectuer un tour du monde d’une année, pour rencontrer, sur les divers continents, des institutions spécialisées dans l’accueil des « pauvres » : prostituées, malades mentaux, handicapés… telles serons les « missions » qu’ils se sont données. Ils partent à l’inconnu, en auto-stop, avec un bagage minimum ; forts d’un dépouillement volontaire, ils s’abandonnent à la Providence. Ils le savaient et le voulaient ainsi : c’est « un itinéraire géographique tout autant qu’un cheminement intérieur » (p.10), pour rejoindre « ceux qui avaient décidé de consacrer leur vie pour venir en aide aux autres (id.). S’en suit un récit, agréablement écrit, et hautement émouvant, des épisodes et péripéties d’un périple qui n’a ni épargné les épreuves, ni écarté les occasions de faire à bon droit confiance à Dieu.

Sans doute ce livre suscitera-t-il d’emblée les réactions les plus variées. Certains admireront la générosité et la foi de ces « jeunes », si prompts à répondre à l’appel du Pape, tandis que d’autres, y verront un désir immature d’aventures et de voyages, ou l’illusion naïve de croire utiles des initiatives qui, à l’évidence, ne sont pas à la mesure de la misère rencontrée ; D’autres dénonceront cet optimisme crédule auquel s’abandonnent volontiers les chrétiens. L’auteur, quant à lui, manifeste beaucoup de lucidité et n’ignore ni l’immensité des problèmes, ni la fragilité de ceux qui les affrontent et qui, par là, reçoivent plus qu’ils ne donnent. Tous trois en en discutant régulièrement, pour s’évaluer. On appréciera leur belle définition des « périphéries » : « tous les lieux où Dieu n’est pas reconnu et où la dignité de l’homme, créé à son image, est bafouée (p. 314). Aussi bien, l’objectif des voyages est moins de « faire pour » que « d’être avec » ! Plus précisément il est aussi, éventuellement, de suggérer à ces marginaux qu’ils ne sont pas méprisés et rejetés de tous,  mais qu’ils sont aussi, quoique trop rarement, reconnus et respectés, et qu’il peut y avoir un autre avenir que leur actuel présent. Ils contribuent ainsi à casser le fatalisme, à ouvrir une espérance, à éveiller un appel.

Pendant chacune de leurs « missions » successives, nos trois missionnaires ont été, bien sur, associés à diverses tâches d’éducation populaire, voire d’enseignement, pour aider certains à échapper à leur destin. Mais, plutôt que de résumer ce qu’ils ont fait, mieux vaut renverser le regard et s’interroger sur les deux problèmes majeurs que ce voyage d’une année poste à l’éducateur. Le premier, c’est de savoir comment, pour reprendre un mot du Pape, arracher les indifférents au confort du « divan » et les éveiller aux grandes causes ; le second, réciproquement, est de chercher comment éviter que celles-ci servent d’alibi à des sujets immatures, qui tentent la fuite et l’évasion. Comment responsabiliser ceux qui ne pensent qu’au confort et aux loisirs et calmer ceux qu’égare un activisme irréfléchi ? Comment sensibiliser les indifférents et assagir les affolés, pour amener les uns et les autres à des initiatives réfléchies et efficaces ? C’est dire qu’aujourd’hui le problème se pose d’une « pédagogie de l’humanitaire », qui peut déjà, certes, se prévaloir de belles réussites, mais qui demeurent marginales et sont perçues comme exceptionnelles, non intégrées à une vision pertinente de la formation morale et spirituelle. En outre, cela ne pourrait-il pas s’insérer dans les pratiques du « réenchantement de l’Ecole », que préconise Pascal Balmand ?

On sera reconnaissant à cet ouvrage simple, direct et modeste, d’ouvrir des perspectives qu’une pédagogie chrétienne fidèle à ses exigences intrinsèques ne peut s’autoriser à négliger.

Guy Avanzini