Frédéric Beghin
Une prière pour l’école : les profs face au casse-tête de la laïcité

Paris – Plon – 2018 – 228 p.

Sans doute n’y aurait-il pas lieu de recenser ici cette publication d’un journaliste si elle n’était assez représentative de l’opinion commune et ne montrait bien la grande peur que suscite l’immigration musulmane. L’auteur indique comment celle-ci a déplacé et réactivé des querelles qui étaient en voie d’apaisement. Or, une certaine islamophobie les a réveillées et repassionnées, non sans retentir aussi sur les relations entre l’École et les autres religions.

On regrettera d’abord un texte trop long et redondant, dépourvu de toute indication d’ordre méthodologique sur le recueil des données, et entaché de quelques inexactitudes (l’école, réputée « obligatoire » : p. 123). Mais, surtout, il s’en tient à des polémiques un peu mineures et étriquées, sans expliciter ni identifier les problèmes fondamentaux. Celles qu’il évoque n’ont pas toutes la même importance ; par exemple, les incidents soulevés par la visite d’un lieu ou par l’analyse d’une œuvre d’art pourraient être évités par un peu de délicatesse. En un domaine où la susceptibilité est à bon droit particulièrement vive, ne pourrait-on pas, tout simplement écarter ce qui serait susceptible d’être perçu comme une provocation et faire preuve de ce « tact », dont E. Prairat vient si opportunément de rappeler la pertinence ?[1]. Quant aux discussions sur le créationnisme et le darwinisme, un minimum de formation épistémologique du corps enseignant suffirait à écarter des désaccords qui ne tiennent qu’à l’inculture ; comme le rappelait récemment la rectrice F. Moulin Civil, « il n’y a pas de concurrence entre science et religion parce qu’elles ne parlent pas de la même chose »[2].

Plus gravement, F. Beghin adopte une conception approximative, voire erronée, de la laïcité, comme si elle consistait -et obligeait- à cacher les spécificités de chacun, au nom d’un vivre-ensemble qui serait suspendu à l’occultation maximale des différences, à la manière d’une société de mutilés, préoccupés de camoufler leurs infirmités respectives, alors que l’objectif souhaitable est de coexister avec ses différences, ainsi que le préconisait une récente publication[3]. Malgré des équivoques soigneusement entretenues, il faut rappeler que la laïcité n’est pas une philosophie parmi d’autres, mais le support juridique de toutes les philosophies auxquelles les citoyens ont la liberté absolu d’adhérer, en évitant tout prosélytisme indiscret, et en respectant l’autre.

Encore ne faut-il pas s’étonner que des impératifs religieux puissent parfois entrer gravement en conflit avec une législation. Il serait aussi naïf de croire qu’il suffit de proclamer la priorité de la loi pour résoudre le problème de la mère de famille qui dit « Pour nous, la religion passe avant tout » (p. 22), s’inscrit à sa manière dans la longue tradition des martyrs, d’Antigone, ou de la lutte par la reconnaissance de l’objection de conscience, etc. Ce n’est pas la violence qui résoudra la divergence, mais l’invention aléatoire d’une formule politique acceptable par tous. Le livre de F. Beghin a le mérite d’une approche très concrète, saisie sur le vif. Mais, son analyse n’est pas assez approfondie, trop approximative pour offrir des issues et permettre de remédier au « casse-tête ».

Guy Avanzini

 

[1] E. Prairat – Eduquer avec tact – ESF – 2018

[2] in Marion Le Corre Carrasco. Philippe Merlo-Morat (dir.) – L’enseignement de la culture religieuse par l’université laïque et républicaine, PU de Saint-Etienne – 2018 – p. 37

[3] B. Garnier et Th. Balmon – La laïcité pour vivre ensemble avec nos différences – Albiana – 2017