Daniel MARCELLI
Moi, je ! De l’éducation à l’individualisme.

Paris, Albin Michel, 2020, 264p.

Cet ouvrage, peut-être un peu long, s’adresse à tous ceux qu’inquiète l’actuel crise de l’éducation : selon quelles finalités éduquer et moyennant quelles pratiques ! Nul n’échappe à ces deux questions, conjointes mais disjointes, qu’induisent les transformations culturelles en cours. En particulier, on a vu, depuis 20 ou 30 ans, émerger un courant de pensée qui, avec l’avènement du « bébé compétent » (p.10) fort de son « potentiel », induit une mentalité permissive et individualiste au nom de laquelle chaque enfant pourrait poser librement ses propres choix.

Face à cette mentalité, l’auteur a rassemblé et exposé une abondante documentation. Il étudie les signes et indices de cette évolution, notamment la succession de concepts valorisés puis dévalorisés (bébé, sujet, enfant) comme le renversement des relations entre « désir » et « besoin » de l’enfant. Tout à la fois, il semble estimer irréversible cette évolution, mais en même temps il déplore les conflits qu’elle suscite inévitablement entre l’adolescent libre de ses choix, les inévitables contraintes sociales et les obstacles que rencontrent sa volonté ou ses caprices. C’est pourquoi, indique M. Marcelli, on est conduit à se poser une grave question : « que feront nos enfants, demain ? » (p.7). Va-t-on inéluctablement vers « le triomphe de l’individu » (p.13) et « l’individualisme éducatif » ? (p.15). Au total, l’on se trouve devant un dilemme : « accéder à la liberté de choisir mais pouvoir en accepter les contraintes ? Tels sont les enjeux de l’éducation contemporaine » (p.309).

Face à cette conjoncture, M. Marcelli semble embarrassé et son argumentation devient un peu floue. D’abord, quels sont exactement le statut et la validité de ces « compétences » ou de ce « potentiel » prêtés à l’enfant ? En outre, si le sujet est invité à des choix, selon quels critères va-t-il les effectuer ? Quelles valeurs mobilisera-t-il ? Faute de le savoir, doit-on se résigner à l’inéluctabilité des évolutions sociales ou les refuser et se révolter, mais jusqu’à quel point ? Aussi bien, devant ces options décisives, l’individu semble disposer d’un statut bien étriqué et en difficulté pour y faire face ? N’est-il pas dépourvu de valeurs dynamogènes indispensables pour fonder ses décisions ? On a le sentiment que, par rapport à ces problématiques, il se trouve devant un horizon bien limité. Du moins est-ce l’impression que laisse ce livre, comme s’il lui manquait un véritable projet axiologique, à la mesure et à la hauteur de la situation contemporaine.

Guy Avanzini