Jacques de Scorraille[1]
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Résumé : Jacques de Scorraille nous parle de son expérience d’accompagnement de cadres au sein du cabinet Ecclesia RH dédié au rayonnement des institutions chrétiennes. Il tire quelques lignes de force de ce « compagnonnage » avec plus de 400 personnes ces dernières années. Il met notamment l’accent sur la spécificité chrétienne de ces accompagnements
Mots clés : Bilan de compétences, accompagnement, projet de vie, orientation professionnelle, mobilité professionnelle.
Cette question « Seigneur que veux-tu que je fasse ? » mainte et mainte fois entendue à Ecclésia RH, est posée par les nombreux participants à nos bilans professionnels
Qu’est-ce qui conduit à cette question ? Les raisons sont multiples. Il y a d’abord des raisons positives : enrichir ses compétences métiers ou sectorielles, évoluer sur le plan salarial, suivre son conjoint, se rapprocher de son domicile, etc. D’autres peuvent être liées à des contraintes de son environnement ou l’atteinte de limites : « mon chef ou mes collaborateurs sont acariâtre(s) », « mon poste est en danger », « je ne maîtrise pas suffisamment une langue étrangère », etc.
D’autres aspects relèvent davantage d’un ressenti général. Ainsi, de nombreuses personnes perçoivent un écart entre leur élan de vie (leurs aspirations intérieures) et ce qu’elles font au quotidien dans leur job. Cet écart se traduisant par des difficultés à se rendre à leur travail, un manque d’entrain ou encore une rengaine qui revient sans cesse aux oreilles de leur conjoint : « j’en ai marre de ce job. Je voudrais faire autre chose ».
Accessoirement ces premiers constats, permettent d’identifier des indicateurs de maturation pour effectuer un bilan. Ainsi le clignotant de l’orientation s’allume si l’on répond non à plusieurs des questions suivantes : te sens-tu en pleine énergie dans ce que tu fais ? Dors-tu bien ? Vas-tu à ton travail avec plaisir ? As-tu le sentiment d’être bien aligné entre ce que tu fais et ce que tu es ? Te sens-tu reconnu dans ce que tu fais ?
Sur le plan chrétien : la perte de la paix et de la joie intérieure est un bon indicateur de notre état général. On peut également souligner que cela peut être le signe que l’Esprit-Saint nous invite à nous mettre en route. Diffusant en nous ce « don de crainte »[2] de ne pas être conforme au désir de Dieu pour nous.
Que l’on soit ingénieur dans une multinationale, cadre dirigeant dans une grande banque, cadre A dans une collectivité territoriale, chef d’établissement scolaire, ces personnes qui frappent à la porte d’Ecclésia RH ont donc le même désir : trouver une plus grande unité de vie. Avec un souhait important qu’ils évoquent dès leur premier entretien : « qu’est-ce que le Seigneur veut pour moi ? ». Plus qu’une devinette, cette question illustre un désir d’associer le Seigneur à une œuvre de co-création de son agir « terrestre ».
Cette question est très vite suivie d’interrogations voisines : « Pour quoi suis-je fait ? Dans quelle mission donnerais-je le meilleur de moi-même ? » Voire amène à une question existentielle : « quel est le sens de ma vie ? ».
Les façons de répondre à cette recherche d’orientation peuvent prendre des formes très différentes. En général, on commence à chercher ses réponses par soi-même. Mais très vite, la question intégrant de nombreux paramètres, on finit par tourner en rond, à ne plus y voir très clair. Si on est marié, comme évoqué plus haut, très souvent ce sujet déborde sur le conjoint, au mieux à l’occasion d’échanges bienveillants, au pire lors de sautes d’humeur fruits d’une tension intérieure mal régulée. La personne peut aussi trouver ses réponses par elle-même grâce à un travail organisé et structuré parce qu’elle en la capacité conceptuelle et relationnelle.
Discerner ce qu’il est bon de faire : rester dans son job ou aller fleurir ailleurs suppose effectivement de la méthode et renvoie à cette question de l’accompagnement, et le recours à un tiers s’impose bien souvent.
Ce tiers peut proposer différentes approches plus ou moins longues et structurantes. Cela va par exemple du simple « Rendez-vous de carrière », en passant par le bilan de compétences ou professionnel ou encore l’outplacement.
Approfondissons ces différentes approches en précisant comment la dimension chrétienne s’y insert.
Le « Rendez-vous de carrière »
Le « Rendez-vous de carrière », est un entretien en face à face d’environ 90’. Il permet à une personne de livrer la(es) question(s) qui l’habite(nt) à un consultant qui lui apportera les bases nécessaires pour avancer. Celui-ci peut défaire un nœud assez simple en apportant un éclairage auquel n’avait pas pensé la personne obnubilée par un des aspects de la question.
Sur le plan chrétien : mise à part la posture du consultant qui sera évoquée plus loin, cette dimension chrétienne prend sa place dans la compréhension des besoins de cohérence humaine et spirituelle de la personne accompagnée, mais aussi dans l’ouverture des possibles en termes de secteur d’activité. Pour mémoire les cadres accompagnées proviennent principalement de l’entreprise et beaucoup s’intéressent au secteur confessionnel dans lequel Ecclésia RH évolue depuis près de 20 ans.
Le Bilan de compétences
Le Bilan de compétences. Celui-ci se déroule sous des formes variées : en individuel ou en petit groupe, en entretiens successifs ou en session de quelques jours. Cette démarche va se centrer davantage sur les compétences acquises, des tests divers et à partir de là définira des filières et secteurs professionnels possibles. Elle s’appuie parfois sur des plateformes digitales à l’efficacité variable. On est plus ici dans une recherche d’une orientation-déductive que dans une orientation-maïeutique. Cette approche aide incontestablement à mieux se connaître, mais peut aussi enfermer si le consultant par manque de recul plaque les résultats.
Sur le plan chrétien : le risque d’une approche trop appuyée sur des tests est de blesser les personnes manquant de confiance en elle. Celles-ci risquant de voir le demi-verre vide plutôt que le demi-verre plein. Ainsi d’un test d’intelligence, dire à quelqu’un qu’il a une intelligence moyenne suppose un certain tact si la personne a une déficience d’estime de soi. Si les attitudes chrétiennes de bienveillance et d’ouverture sont essentielles, l’enfer étant pavé de bonnes intentions, certaines méthodes peuvent être, pour certains, plus martyrisantes que libérantes et finalement assez peu chrétiennes dans leurs usages.
Le Bilan professionnel
Le Bilan professionnel, se veut plus ouvert que le bilan de compétences, en ce sens où le champ d’investigation sera plus large que la « simple » question des compétences et potentialités. Les entretiens seront plus nombreux et la personne plus largement prise en compte notamment dans ses projections. Il y aura davantage de place pour un dialogue approfondi avec le consultant. Celui-ci pourra faire des apports sur des notions importantes pour le bénéficiaire, par exemple sur la gestion de conflit, l’ouverture à l’autre, etc.
Il est à noter que pour ces deux dernières appellations – bilan de compétences ou bilan professionnel – des essais de normalisation ont eu lieu mais sans réel succès. Si bien qu’aujourd’hui on trouve de nombreux organismes qui mélangent ces deux approches en retenant l’une ou l’autre des appellations selon leur culture propre. Il y a d’autres appellations qui existent sur le marché que l’on apparente avec plus ou moins de justesse au bilan professionnel. On peut citer entre autres les Bilans vocationnels, les Projets de vie, ces appellations qui désignent des méthodologies particulières ont pour mérite d’être plus projective que l’appellation « Bilan » qui peut donner le sentiment de s’arrêter à une analyse du passé. Pourtant les « bilans », tout au moins tel qu’ils sont faits à Ecclésia RH, visent bien à écrire un « Projet de vie », voire dans certains cas à se poser la question de la vocation !
Sur le plan chrétien : cette dimension chrétienne est très présente pour deux de nos trois modalités de bilan. Le « plus chrétien » est notre bilan en Foyer de Charité (réalisé à Poissy – 78, et à Tressaint – 22). Celui-ci est construit sur une session de cinq jours puis un minimum de trois entretiens post session. Elle se déroule simultanément à une retraite de cinq jours au sein du Foyer de Charité. Ceci permet aux participants au bilan (entre trois et six) d’avoir la messe et l’adoration tous les jours, la possibilité de rencontrer le père du Foyer et d’assister à des veillées de prière s’il y en a. Par ailleurs et pour le bilan à strictement parler, chaque jour est éclairé par un sacrement. Le lundi : le sacrement du baptême (qu’est-ce que je fais des grâces de mon baptême dans mon travail ?). Le mardi nous faisons un bilan relationnel d’où un topo en début de journée sur le sacrement de la réconciliation et une relecture de notre vie relationnelle depuis l’enfance. Le mercredi nous ouvrons le champ des possibles avec le matin un apport sur le sacrement du mariage (en quoi mon état de vie et donc mon devoir d’état éclaire ma réflexion). Le jeudi nous abordons le discernement avec le sacrement de l’Eucharistie, lieu de la communion et de la liberté dans le Seigneur et enfin le vendredi nous élaborons un(des) plan(s) d’action avec le sacrement de la confirmation (ayant bien besoin des dons de l’Esprit pour avancer). Le tout à l’aide d’un classeur méthodologique comprenant un nombre d’exercices à vocation plus directement professionnelle. Cette semaine est extrêmement unifiante et porte de nombreux fruits, pas toujours ceux attendus !
Une autre de nos offres, dénommée « Projet de vie » intègre également la dimension spirituelle et psychologique. Ici il s’agit d’une approche qui vise à accompagner notamment des personnes qui ont des croyances limitantes pour leur vie professionnelle, par exemple : « je suis nul », « je suis bon à rien » ou ont du mal de façon récurrente avec la hiérarchie, ou encore des difficultés à s’insérer durablement dans un travail, ou plus simplement des personnes qui ressentent le désir d’une relecture de vie. Ici on va partir de l’enfance et explorer les différentes relations y compris avec Dieu afin d’identifier des freins au déploiement de la personne.
Enfin, nous avons une troisième formule qui elle permet d’accompagner sur deux à trois mois une personne. Ici la dimension spirituelle est abordée en fonction de ce qui est apporté par la personne suivie, mais il n’y a pas d’apport formel sur le sujet dans cette modalité. Il nous arrive de démarrer la séance en lisant l’évangile du jour et en le relisant à la fin. Cette pratique conduit parfois à trouver des clefs très intéressantes pour éclairer une situation.
Toujours sur le plan chrétien, il peut arriver que des personnes trouvent un travail plus rapidement que prévu et que d’autres en situation particulièrement difficile ne puissent financer leur bilan. Dans ce cas, et après accord du premier, nous utilisons ses heures au profit du second. C’est une façon pour nous d’expérimenter une certaine charité fraternelle entre personnes qui ne se connaissent pas.
L’outplacement
Celui-ci consiste à accompagner sur 6 à 18 mois une personne qui vient d’être licenciée et pour laquelle l’employeur a souhaité créer de bonnes conditions de repositionnement professionnel. Un outplacement démarre en général par un bilan professionnel.
Sur le plan chrétien : outre la posture du consultant qui là encore sera vue plus loin, la dimension chrétienne est intégrée par une pratique tarifaire qui tient compte des capacités financières de l’institution qui finance la démarche.
A Ecclésia RH sur ces quatre modalités d’accompagnement nous en pratiquons trois, ayant mis de côté le Bilan de compétences au sens strict. Considérant celui-ci comme trop « mécaniste » et insuffisamment large pour bien traiter la question. Nos outplacements, comme pour d’autres prestataires, démarrent dans la plupart des cas par un Bilan professionnel si possible en Foyer de Charité.
Entrons un peu plus dans le détail de ce qu’est un Bilan professionnel afin de voir où la dimension chrétienne peut également interférer.
Conformément à l’usage un bilan comporte trois phases.
Trois phases du bilan
La première phase
Elle consiste à faire un « bilan » à proprement parlé. Bilan des compétences acquises qu’elles soient sectoriel, métier, ou qu’elles aient attrait à ce qu’on appelle dans le jargon des « soft skills » à savoir les comportements au travail ou encore la personnalité. A Ecclésia RH nous insistons sur la mise en évidence des réalisations dont la personne est la plus fière. Il s’agit là d’un bon moyen pour valoriser ses savoir-faire y compris dans le champ personnel (vie associative). En effet, elles parlent de la personne : ses motivations, ses compétences. Elles mettent en avant des potentialités. Regrouper ces réalisations en trois ou quatre grandes thématiques fait apparaître ce qu’on appelle des « dominantes ». Celles-ci peuvent aider à structurer sa présentation orale, mais aussi à vérifier que les postes ou projet vers lesquels la personne s’oriente soient bien en ligne avec ce qu’elle porte en elle. Accessoirement on peut les faire valoir dans une discussion avec son employeur. Dans cette phase de bilan, nous utilisons aussi un outil – PREDOM – qui permet d’identifier les préférences de la personne (qu’est-ce qui, dans le travail, lui donne ou lui consomme de l’énergie). Ces éléments parmi d’autres permettent au consultant de situer le bénéficiaire du bilan dans ses grandes forces. Celles-ci constituent ainsi un socle sur lequel le « bilantiste » peut s’appuyer. Cette démarche met aussi en évidence des faiblesses sur lesquelles il est nécessaire de progresser. Celles-ci ayant aussi l’avantage d’éveiller à la nécessaire… humilité. Cette phase donne lieu en général à quatre ou cinq entretiens.
Sur le plan chrétien : ici le consultant doit aider la personne à gagner en confiance en elle, en identifiant avec elle ses atouts. On pourrait dire que cela fait écho à la parabole de Dieu : que fais-tu de tes talents[3] ? Ainsi une personne accompagnée me disait qu’elle était « un arbre aux fruits pourris ». On peut, à partir d’un tel propos, remonter avec elle à la Parole de Dieu et approfondir le sujet en méditant quelques textes où le mot « fruit » apparaît. Par exemple : « Il en tomba enfin dans la bonne terre, elle poussa et elle donna du fruit au centuple. »[4] La question devient : comment trouver une « bonne terre » pour porter de bons fruits ? Ce qui nous conduit à la phase suivante…
La deuxième phase
Elle est pour sa part projective, donc tournée vers l’avenir : que pourrais-je faire demain ? Ici le « bilantiste » va exprimer ses désirs professionnels, ceux d’aujourd’hui comme ceux d’hier. Il pourra aussi évoquer son rêve fou : si tout était possible que serait ma vie professionnelle à partir de maintenant, incluant ma famille, mon lieu de vie, etc. Le consultant va apporter sa propre connaissance des métiers pour « challenger » la personne accompagnée. Il va lui ouvrir des voies. Ce deuxième temps va conduire aussi à réfléchir à ses critères de choix : qu’est-ce qui est important pour moi dans mon prochain job ? Ceci va l’aider à hiérarchiser son « champ des possibles » et ainsi à préciser deux ou trois pistes possibles, le consultant veillant au réalisme des projets envisagés. Cette phase dure 4 ou 5 entretiens. Elle est souvent plus longue dans le temps, la personne ayant besoin de faire des « enquêtes terrains » pour enrichir sa réflexion.
Sur le plan chrétien : la richesse de l’enseignement de l’Église invite à écouter les désirs qui sont en nous. En effet, le Père Monbourquette[5] souligne dans l’un de ses livres[6] combien le Seigneur rejoint nos désirs de fond. De mon côté j’ose dire que le Seigneur s’incarne en nous à travers nos désirs et qu’à ce titre il est important d’écouter ceux-ci. Surtout s’ils sont présents dans notre cœur depuis longtemps, ou qu’ils remontent à la surface régulièrement. Ceci nous est rappelé également par la Parole de Dieu :
« C’est Dieu qui agit pour produire en vous la volonté et l’action, selon son projet bienveillant. »[7]
Ces « volonté et action » qui sont en nous, sont-ils bien l’expression du désir du Seigneur pour notre vie ? Pour le savoir, un Père de Foyer de Charité, en écho au Père Monbourquette, invite à prier ainsi : « Seigneur brûle en moi les désirs qui ne sont pas de Toi ».
Ainsi cette 2ème phase fait aussi la place au travail du « feu de Dieu » sur les désirs afin de conserver la fine fleur du projet de Dieu pour la personne…
La troisième phase
Celle-ci concerne plutôt ce qu’on appelle les TRE (Techniques de Recherche d’Emploi). Le nombre d’entretien y est plus limité (2 à 3). On y évoque principalement le CV, la lettre de motivation, la recherche réseau, l’entretien de recrutement.
Sur le plan chrétien : à Ecclésia RH, lors des bilans en Foyer de Charité, nous aimons débuter cette phase, par un rappel du rôle de l’Esprit-Saint et de la place des dons de l’Esprit dans la mise en œuvre des projets des participants.
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Une fois posé le cadre général du déroulement d’un bilan, il y a de nombreux points de vigilances qui apparaissent tout au long de la démarche. En fonction du déroulement de celui-ci, le consultant peut être amené à faire des apports sur des sujets variés.
Quelques points de vigilance
1/ Le principe de réalité
Beaucoup rêvent de faire de leur passion un métier. Le rôle du consultant est certes d’aider les personnes à se réaliser mais en s’assurant du réalisme du projet ou de la bonne prise en compte des impacts des choix envisagés. Nous sommes des adeptes du « rêve éveillé » !
Sur le plan chrétien : on sait que la confiance, vient de la vérité et que la vérité est ce qui est conforme au réel. Aussi pour avoir confiance en son projet, il faut être en vérité avec lui. Ce qui suppose d’aller chercher le réel sur le terrain. Cela suppose du courage et du dynamisme pour faire ces démarches de collecte d’informations. Du courage aussi pour réajuster son projet en fonction du marché. Cela conduit aussi à le confronter à son devoir d’état (cf. la Doctrine sociale de l’Église[8]) ce qui n’est pas toujours simple. Confiance, vérité, réel, courage, audace, devoir d’état, autant de notions qui s’appuient sur une vision chrétienne de la personne. Une vision qui comme le résume Saint Irénée s’inscrit dans la volonté de Dieu pour chacune de ses créatures : « la Gloire de Dieu c’est l’homme débout »[9].
2/ La conversion à l’autre
La vie professionnelle peut conduire à prendre ou donner des coups. Ceux-ci peuvent créer ce que les psychologues appellent des « traumas ». Au cours d’un accompagnement il est fréquent de lever des « lièvres ». Le consultant peut être amené à mettre en route la personne autour de ce sujet. Tout d’abord en lui donnant un minimum de repères sur ce qu’il vit, puis, le cas échéant, en l’orientant vers tel ou tel spécialiste, en général un médecin, un psychologue, ou un prêtre. Il peut arriver que ce soit les 3 !
Sur le plan chrétien : certaines personnes sont bloquées par une colère froide vis-à-vis de leur(s) ancien(s) employeur(s) ou tel ou tel collègues qui les a fait « chuter ». L’amertume est là et ronge l’individu qui se morfond dans ses ruminations. C’est ici qu’intervient le sacrement du pardon. Toucher du doigt un nœud relationnel peut donner lieu, par la grâce du pardon, à une véritable libération.[10] Cette grâce du pardon dans le travail est fondamentale pour progresser dans sa vie notamment professionnelle. C’est à mon sens un avantage décisif de pouvoir faire un bilan chrétien qui mette sur la voie d’une guérison d’un nœud gordien. Cela nous renvoie aussi à notre baptême, à notre capacité à renoncer au mal.
3/ Le parcours professionnel
Il est important d’encourager la personne à construire idéalement son parcours professionnel sur des étapes de l’ordre de 5 à 7 ans. En effet, c’est le temps nécessaire pour observer une vraie fécondité de l’action. Cela représente, sur une carrière d’une durée moyenne de 35 ans[11], de l’ordre de six à sept postes différents[12]. Certes, il peut y avoir des carrières accélérées en début de vie professionnelle. Il y a aussi des secteurs où les affectations sont relativement courtes, comme l’armée par exemple et d’autres où les affectations sont très longues comme l’enseignement. Il n’est pas rare qu’une enseignante reste plus de 30 ans dans la même fonction voire dans la même classe pour une institutrice[13] ! Les recruteurs sont très attentifs à cette durée de vie dans un poste et vont chercher à la décrypter car les informations qui en découlent sont souvent riches d’enseignements sur la personnalité et les compétences du candidat. Par exemple, virevolter d’un poste à l’autre a souvent pour origine des fragilités qu’il est nécessaire de travailler pour tendre vers une intégration professionnelle durable.
Sur le plan chrétien : cela fait référence à la persévérance et la patience ; deux vertus chrétiennes pas toujours facile à vivre qui font écho au fruit de l’Esprit[14]. Cela fait aussi écho à notre capacité à gérer nos peurs ou encore à l’ouverture de notre cœur à l’abandon de notre vie entre les mains de la Sainte Providence.
4/ Le développement de son employabilité
Derrière ce vocable jargonneux se trouve, entre autres, la nécessité de sensibiliser le « bilantiste » (comme pour le consultant d’ailleurs) à entretenir et développer ses compétences, en particulier sur trois axes du savoir qui sont : le savoir, le savoir-faire, le savoir-être. Si l’on est reconnu dans ses compétences par ses pairs, collaborateurs et responsables, il sera indéniablement plus facile de bouger de poste au sein de sa structure. Pour être reconnu, il faut commencer par être connu… Ce qui suppose de se faire apprécier par son environnement professionnel. Il ne s’agit pas d’un encouragement à « lécher les bottes » mais plus simplement à être efficace dans son travail. En particulier en arrivant à performer sans épuiser ceux avec qui on travaillent.
Plus on sait montrer à son entreprise notre intérêt pour elle, et notre capacité à lui-apporter une valeur ajoutée, plus il y a de chance qu’elle nous apprécie et nous fasse évoluer professionnellement.
Sur le plan chrétien : une personne accompagnée s’étonnait que je lui suggère d’apporter le meilleur d’elle-même dans son travail. Or, dans sa prédication, Jésus enseigne à apprécier le travail et à apporter le meilleur de lui-même comme lui-même a été amené à le faire dans l’Atelier de Saint Joseph : « devenu en tout semblable à nous, a consacré la plus grande partie de sa vie sur terre au travail manuel, à son établi de charpentier, dans l’atelier de Joseph[15], à qui il était soumis[16]. Jésus condamne le comportement du serviteur paresseux, qui enfouit sous terre le talent[17] et loue le serviteur fidèle et prudent que le maître trouve en train d’accomplir les tâches qu’il lui a confiées[18]. »[19]
5/ Le sens du travail et de la réussite
Cette thématique est inévitablement présente à l’occasion d’un bilan professionnel. Les mots réussite et sens ont des significations différentes selon le référentiel social de chacun mais aussi selon la période professionnelle dans laquelle on se trouve. Ainsi, lors d’un échange avec un dirigeant d’une ETI, celui-ci s’étonnait du manque d’ambition de nombreux jeunes d’aujourd’hui.
Sur le plan chrétien : la Doctrine Sociale de l’Église nous rappelle la juste place qu’il convient de donner au travail et la hiérarchie des valeurs, telle qu’elle devrait être pour un chrétien qui souhaite suivre le Christ. En effet, le but n’est pas d’obtenir une position sociale mais de contribuer à la transformation du monde en étant dans notre lieu de fécondité naturel. Avant de chercher un autre pré où l’herbe serait considérée comme plus fraiche, commençons par « fleurir là où nous sommes plantés »[20] comme le rappelle Saint-François de Sales. Le Christ nous invite à nous donner pleinement dans ce que nous faisons et à considérer nos motivations au regard de la Vie Éternelle :
« Dans sa prédication, Jésus enseigne aux hommes à ne pas se laisser asservir par le travail. Ils doivent se soucier avant tout de leur âme ; gagner le monde entier n’est pas le but de leur vie (cf. Mc 8, 36). De fait, les trésors de la terre se consument, tandis que les trésors du ciel sont impérissables : c’est à ceux-ci qu’il faut lier son cœur (cf. Mt 6, 19-21). Le travail ne doit pas angoisser (cf. Mt 6, 25.31.34) : préoccupé et agité par bien des choses, l’homme risque de négliger le Royaume de Dieu et sa justice (cf. Mt 6, 33), dont il a vraiment besoin ; tout le reste, y compris le travail, ne trouve sa place, son sens et sa valeur que s’il est orienté vers l’unique chose nécessaire, qui ne sera jamais enlevée (cf. Lc 10, 40-42). »[21]
La Parole de Dieu apporte d’autres éclairages, parmi ceux-ci, l’invitation à chercher en premier lieu la « Sagesse » en toute chose et notamment dans son travail. En effet c’est aussi un bon moyen de se faire reconnaître par son environnement professionnel et au-delà :
« Je décidai donc de prendre la Sagesse pour compagne de ma vie, sachant qu’elle me serait une conseillère pour le bien, et un encouragement dans les soucis et la tristesse.
J’aurai à cause d’elle gloire parmi les foules et, bien que jeune, honneur auprès des vieillards. On me trouvera pénétrant dans le jugement et en présence des grands je serai admiré.
Si je me tais, ils m’attendront, si je parle, ils seront attentifs, si je prolonge mon discours, ils mettront la main sur leur bouche.
J’aurai à cause d’elle l’immortalité et je laisserai un souvenir éternel à ceux qui viendront après moi. Je gouvernerai des peuples, et des nations me seront soumises.
En entendant parler de moi, des souverains terribles auront peur ; je me montrerai bon avec la multitude et vaillant à la guerre.
Rentré dans ma maison, je me reposerai auprès d’elle ; car sa société ne cause pas d’amertume, ni son commerce de peine, mais du plaisir et de la joie. »[22]
Ainsi chercher à se laisser habiter de la sagesse nourrira notre façon d’être, ajoutera du sens à notre travail (éclairer les autres) et fort probablement donnera le désir de travailler avec soi, et par ricochet, … facilitera la mobilité !
Il n’est pas toujours très simple d’évoquer cette vision chrétienne avec certaine personne accompagnée dont le référentiel philosophique se trouve quelque peu éloigné de cette culture…
Ce texte sur la Sagesse montre aussi qu’elle conduit à une certaine « gloire » parmi les hommes. Cet aspect du texte gêne parfois le lecteur car pour certains la « gloire » renvoie à l’ambition qu’ils perçoivent comme un péché. Or, on peut dire ici, que rejeter l’ambition n’est pas mieux que de la monter au pinacle. Elle n’est ni bonne ni mauvaise. Comme le reste de nos facultés, tout dépend ce que l’on en fait. En tout état de cause elle est à évangéliser pour être mise au service du bien !
6/ Le discernement
Souvent on confond discerner et décider ; le premier verbe conduit au second. Un bilan, fondamentalement aide à discerner en rassemblant et en faisant le tri des pièces du puzzle de notre vie. Il va nous aider à discerner où est notre place, ce pour quoi nous sommes faits. Ce tri étant réalisé sur le plan humain, en travaillant sur les différents paramètres déjà évoqués : nos aspirations rejointes par nos désirs, nos goûts, nos potentialités ou encore sur les métiers existants et l’état du marché. Nous pouvons, en principe et idéalement, nous retrouver avec deux ou trois propositions d’embauche. C’est ici que le verbe « décider » entre en scène… Le discernement ayant été fait, nous disposons, normalement, d’une liste de critères qui nous aide à faire un choix.
Sur le plan chrétien : c’est probablement ici que se trouve le cœur de la question « Seigneur que veux-tu que je fasse ? ». Si le travail du bilan est bien fait, le choix ou la voie d’orientation tombe comme un « fruit mûr ». La personne se retrouve « alignée » entre ce qu’elle porte et ce qu’elle vise. Elle aura principalement à choisir entre des métiers quasi identiques mais au sein d’entreprises différentes. Il va falloir se décider entre différentes pistes. A Ecclésia RH nous dotons nos « bilantistes » de repères ignaciens afin de les aider dans cette phase. Parmi eux, on peut évoquer : le respect du réel, la paix intérieure, l’énergie que cela procure, la durée de ces « consolations », la sainte indifférence, le bien auquel cela va contribuer, etc.
Nous invitons aussi à vérifier que notre choix n’est pas inspiré par une mauvaise peur. En effet, par peur on peut avoir tendance à dire oui à la première offre venue et se retrouver dans un sac de vipères. La Parole de Dieu ci-dessous est une invitation à la vigilance :
« Heureux est l’homme qui n’entre pas au conseil des méchants, qui ne suit pas le chemin des pécheurs, ne siège pas avec ceux qui ricanent,
Mais se plaît dans la loi du Seigneur et murmure sa loi jour et nuit !
Il est comme un arbre planté près d’un ruisseau, qui donne du fruit en son temps, et jamais son feuillage ne meurt ; tout ce qu’il entreprend réussira. »[23]
7/ Le choix du consultant
Avec ce qui précède on voit bien que l’accompagnateur, selon son référentiel, aura un impact important sur l’accompagné. Voici quelques points d’attention :
- Le consultant est un bon écoutant : il se souvient de ce qui lui est dit et de ce qu’il dit. Il évite les filtres, projections, jugement ou interprétation hâtives.
- Il sait mettre à l’aise et se mettre à la portée de l’autre. A ce titre il doit chercher à bien comprendre la problématique de la personne accompagnée. Il est adepte du questionnement.
- Il utilise une méthodologie en étant capable de s’en distancer si besoin. Il contribue à l’enrichir en participant à un(des) groupe(s) d’échanges de pratiques.
- Il dispose d’une riche expérience en entreprise, si possible autour de la gestion des carrières. Il connait la vie en entreprise et les différents « jeux relationnels » (dont les jeux de pouvoirs).
- Il est « psychologue » au sens de qualités psychologiques (sensibilité, …).
- Il veille à ne pas être « projectif » (tendance à plaquer ses projets sur la personne accompagnée).
- Il est capable de faire sortir le « bilantiste » de son cadre de référence habituelle.
Sur le plan chrétien : le consultant prie pour la personne accompagnée. A Ecclésia RH nos feuilles de prises de notes d’entretiens ont un entête avec une prière personnelle avec le prénom de la personne suivie. Le consultant peut aussi prier avec le « bilantiste ». Le consultant est lui-même une personne de prière afin que les propos tenus par l’accompagnée tombent dans un terreau d’Esprit-Saint… La culture et pratique chrétienne de l’accompagnateur doit-être une source de richesse humaine et spirituelle pour la personne accompagnée.
Conclusion
En définitive, ces quelques lignes tendent à montrer qu’un bilan professionnel s’il peut se dérouler sans dimension chrétienne, prend une tout autre dimension lorsqu’on y intègre le Christ ! A la fois plus large et plus profond, un tel bilan accueille l’Esprit-saint qui montre le chemin à prendre en parlant tant au cœur de la personne accompagnée qu’à celui de son accompagnateur. Ainsi, l’interrogation « Seigneur que veux-tu que je fasse ? » devient autant la question de l’accompagné que de l’accompagnateur… En effet, ce dernier porte une réelle responsabilité et sa prière lui permet d’être à l’écoute de ce que le Seigneur lui inspire, pour avoir, dans son rôle auprès des personnes suivies, les mots justes ainsi qu’une juste attitude.
Cette présence de Dieu au cœur de l’orientation permet aussi de rappeler à nos « bilantistes » cette phrase libératrice de Saint augustin : « Aime et fais ce que tu veux ! », qui rejoint ce bel encouragement du Seigneur :
« Fais confiance au Seigneur, agis bien, habite la terre et reste fidèle ;
Mets ta joie dans le Seigneur : il comblera les désirs de ton cœur.
Dirige ton chemin vers le Seigneur, fais-lui confiance, et lui, il agira. »[24]
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Pour citer cet article
Référence électronique : Jacques de Scorraille, « Seigneur que veux-tu que je fasse ? », Educatio [En ligne], 13| 2022. URL : https://revue-educatio.eu
Droits d’auteurs
Tous droits réservés
[1] Directeur et fondateur d’Ecclésia RH.
[2] Isaïe 11, 2
[3] Matthieu 25, 14 -30
[4] Luc 8, 8
[5] Jean Monbourquette (1933-2011) prêtre et psychologue québécois
[6] A Chacun sa mission Bayard édition
[7] Lettre aux Philippiens 2, 13
[8] Compendium 215.
[9] Adversus haerese (contre les hérésies) IV, 20, 7.
[10] Sur ce thème du pardon le Retour de l’enfant prodigue du père Henri Nouwen est très intéressant.
[11] Source EUROSTAT 2017, hommes/femmes ensemble
[12] La jeune génération devrait, selon Pole Emploi (2019), changer 13 à 15 fois d’emploi dans sa vie.
[13] Mais pas avec les mêmes élèves !
[14] Galates 5, 22
[15] Matthieu 13, 55 ou Marc 6, 3
[16] Luc 2, 51
[17] Matthieu 25, 14-30
[18] Matthieu 24, 46
[19] Compendium 257, 259, 260
[20] Cf. site internet Famille de Saint François de Salle www.famillesfrancoisdesales.fr
[21] Voir Compendium chapitre 5 La famille, cellule vitale de la société
[22] Sagesse 8, 9 – 16
[23] Psaume 1, 1 – 3
[24] Psaume 36, 3 – 5