Tarik Abou Nour[1]
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Résumé : Dès son avènement la mission du dernier Messager Muhammad était une révolution au regard du contexte et du milieu qui le vit naître. L’unicité face au polythéisme, la justice, l’égalité face à l’oppression, l’arbitraire et l’esclavage, et la liberté face à la domination d’une élite mecquoise qui faisait des 360 idoles (du nombre des tribus arabes) autour de la K’aba (maison de Dieu) leur fonds de commerce. Les plus faibles, femmes, esclaves et enfants étaient les premiers qui ont suivi ce message de l’islam malgré les tortures et les persécutions, un message libérateur qui leur a permis d’être l’égale des notables, en communion avec un Dieu sans image et sans intermédiaire dans une voie de sanctification et d’émancipation.
Mots Clefs : Liberté, islam, égalité, fraternité, totalitarisme, émancipation, blasphème.
* * *
Liberté « créatrice »
A l’origine de notre création et malgré la décision divine d’établir sur terre un vicaire (Adam notre père), Dieu donne la parole à ses Anges afin qu’ils s’expriment librement sur cette nouvelle créature :
« Lorsque Ton Seigneur confia aux Anges : « Je vais établir sur la terre un vicaire (khalifah) ». Ils dirent : « Vas-Tu y désigner un qui y mettra le désordre et répandra le sang, quand nous sommes là à Te sanctifier et à Te glorifier ? » – Il dit : « En vérité, Je sais ce que vous ne savez pas ! » » Coran, Sourate 2, verset 30.
Ensuite Dieu donne la parole à Son pire ennemi le diable (Satan). Ce dernier devait se prosterner à la lumière adamique mais il refusa par orgueil. Malgré cela, Dieu lui offrit la possibilité de s’exprimer librement sur cette offense : « Nous vous avons créés, puis Nous vous avons donné une forme, ensuite Nous avons dit aux Anges : « Prosternez-vous devant Adam. » Ils se prosternèrent, à l’exception d’Iblis qui ne fut point de ceux qui se prosternèrent. [Allah] dit : « Qu’est-ce qui t’empêche de te prosterner quand Je te l’ai commandé ? » Il répondit : « Je suis meilleur que lui : Tu m’as créé de feu, alors que Tu l’as créé d’argile. » [Allah] dit : « Descends d’ici [du Paradis], Tu n’as pas à t’enfler d’orgueil ici. Sors, te voilà parmi les méprisés. » « Accorde-moi un délai, (dit Satan) jusqu’au jour où ils seront ressuscités. » [Allah] dit : « Tu es de ceux à qui délai est accordé. » « Puisque Tu m’as mis en erreur, dit [Satan], je m’assoirai pour eux sur Ton droit chemin, puis je les assaillirai de devant, de derrière, de leur droite et de leur gauche. Et, pour la plupart, Tu ne les trouveras pas reconnaissants…» Sourate 7, versets 11-17.
Ainsi, n’est-ce pas là un modèle absolu, Dieu donne l’exemple par Lui-même en permettant à Ses créatures y compris la pire de s’exprimer librement sans tabous, de manifester le refus et même la rébellion et la mécréance. Le Coran relate également des expressions libres d’autres créatures, les djinns, la fourmi, la huppe face au Prophète Solomon…Le message est clair, l’exercice de la liberté d’expression est universel et se trouve au cœur de la lutte de la révélation coranique contre la tyrannie et le totalitarisme.
Les Prophètes et Messagers sont invités à suivre le modèle divin, transmettre le message en toute clarté et fidélité mais en prenant garde à imposer ou contraindre au regard du libre arbitre de la créature élue (l’humain).
Liberté de l’expression de la foi
Le rapport à l’altérité est un défi majeur, croire ou ne pas croire relève de l’intime conviction pour l’Islam : « nulle contrainte dans la religion » (Coran, Sourate 2, verset 256).[2]
« Tu n’es envoyé que pour faire le rappel, en aucun cas tu ne seras à leur encontre un dominateur ». (Coran, sourate 88, versets 21 et 22).
« Si ton Seigneur l’avait voulu, tous ceux qui sont sur la terre auraient cru. Est-ce à toi de contraindre les gens à devenir croyants ? » (Coran, 10 :99)
« Si ton Seigneur voulait, Il ferait de tous les Hommes une seule nation et ils ne cesseraient (quand même) pas d’être en désaccord, sauf ceux que ton Seigneur a touchés de Sa grâce. Et c’est bien pour cela qu’Il les a créés… » (Coran, Sourate 11 (Hûd) verset 118 et 119).
Pour le croyant, la différence est un décret divin inéluctable. Elle est le signe du divin et l’épreuve pour chacun : accepter l’autre, communiquer avec lui dans la bienveillance en écoutant avec respect sa différence et en voyant dans cela la manifestation du Seigneur : « Parmi Ses signes est la création des cieux et de la terre et la diversité de vos langues et de vos couleurs. Il y a en cela des signes certains pour les gens qui savent » [Coran, Sourate 30 (arrûm), verset 22).
« L’eau est une et les fleurs sont multiples » me disait un de mes maîtres. C’est de cette façon qu’il faut comprendre la création ! Mais pour cela il faut un travail sur soi pour connaître l’autre, « O Humains ! Nous vous avons créés à partir d’un homme et d’une femme et Nous avons fait de vous des peuples et des tribus afin que vous vous connaissiez entre vous. Le plus noble d’entre vous pour Dieu est le plus pieux. Dieu est parfaitement sachant et bien informé. » (Coran : Verset 13 de la Sourate 49 (les chambres).)
La différence est un ainsi une richesse, nous apprenons de l’autre, nous nous complétons grâce à nos différences. « Sont-ils donc eux qui répartissent la miséricorde de ton seigneur ? C’est Nous qui avons réparti entre eux leur subsistance dans la vie ici-bas et qui les avons élevés les uns sur les autres de certains degrés afin que les uns soumettent au service des autres (les uns au service des autres, l’entraide fraternelle). La miséricorde de ton seigneur est bien meilleure que ce qu’ils amassent » [Verset 32 de la Sourate 43 (Le décor).]
« Aidez-vous les uns les autres à l’accomplissement du bien et de la piété et ne vous entraidez pas à commettre le péché et l’agression » [Verset 2, Sourate 5.]
Médine témoin de la concrétisation des valeurs de liberté :
- Vis-à-vis des juifs :
La première chose que le Prophète Muhammad fit après s’être établi à Médine, où il avait été invité comme chef (spirituel et temporel), fut de conclure un traité entre les musulmans et les gens du Livre (les Juifs et les Chrétiens)[3]. D’après ce traité, les musulmans garantissaient à ceux-ci la liberté de croyance et leur accordaient les mêmes droits et obligations que ceux dont ils jouissaient eux-mêmes.
La « Constitution de Médine » ou « la Charte de Médine » est la constitution du premier Etat islamique (au sens historique réel)[4] dans la ville de Médine qui a mis fin entre autres à près de 100 ans d’affrontements interethniques entre les deux tribus de Aws et les Khazraj au sein de Médine. Les historiens conviennent en outre sur le fait que cette Constitution a établi principalement ce qui suit à Médine par le Prophète de l’islam :
- La paix et la sécurité des communautés,
- La liberté religieuse pour toutes les communautés,
- L’acceptation de Médine comme un lieu sacré (interdiction de toute violence et ports d’armes pour le combat…),
- Sécurité des femmes,
- Les juifs ne font qu’une communauté avec les croyants,
- Les juifs peuvent continuer de professer leur religion et la liberté de pratiquer leur religion est garantie.
Le texte connu sous le nom de constitution de Médine, appelée également charte de Médine est tiré du livre d’Ibn Ishaq, dans lequel il figure sous le titre : « Le pacte entre les Émigrés et les Ansars et la réconciliation avec les juifs ».
- Vis-à-vis des chrétiens :
Quand une délégation de Chrétiens vint à Médine en provenance de Najran, une ville du sud-ouest d’Arabie, le Prophète les reçut dans sa mosquée et les invita à dire leurs prières à l’intérieur de la mosquée. Les Musulmans disaient leurs prières d’un côté de la mosquée et les Chrétiens de l’autre. Au cours de cette visite, le Prophète discuta aimablement avec eux sur de nombreux sujets[5]. Ceci prouve la considération du Prophète pour les gens du Livre et le souci d’établir une solidarité humaine.
On peut citer également l’échange avec les Coptes (chrétiens) d’Egypte et leur roi…
Omar (le deuxième Calife) suivant l’exemple du Prophète, signa à Jérusalem un traité de paix et de liberté religieuse. Il se présenta comme suit :
« Du serviteur de Dieu et commandeur des croyants, Omar : Les habitants de Jérusalem sont assurés de la sécurité de leur vie et de leurs biens. Leurs églises et croix seront préservées. Leurs lieux de culte resteront intacts. Ils ne pourront être confisqués ou détruits. Ce traité s’applique à tous les habitants de la cité. Les gens seront tout à fait libres de suivre leur religion, ils ne devront subir aucune gêne ou trouble… »[6]
[Le patriarche orthodoxe de Jérusalem publia le 01 janvier 1953 une copie de l’original du manuscrit de la librairie d’Al-fanar (dans un des districts administrés par Istanbul) de ce qui serait « L’assurance de Omar » (Bibliothèque du Patriarcat de Jérusalem, Document n° 552).]
Les portes de la ville étaient ouvertes. Omar se dirigea directement vers le Temple de David (Masjid Al Aqsa.) Il fit sa prière sous l’arche de David.
Il visita ensuite la plus grande église de la ville. Il s’y trouvait justement lorsque vînt l’heure de la prière de l’après-midi.
« Tu peux faire ta prière dans l’église », dit l’évêque. « Non », dit Omar. « Si je fais cela, il pourrait arriver un jour que les musulmans prennent cette excuse pour s’emparer de votre église. »
Ainsi, il préféra faire sa prière sur les marches de l’église. De plus, il donna un écrit à l’évêque, qui stipulait que les marches ne devaient pas être utilisées pour la prière en commun ni pour l’appel à la prière.
Gustave Le Bon, dans son livre La Civilisation Arabe (1884) commenta l’événement ainsi : « La conduite du Calife Omar à Jérusalem nous montre avec quelle douceur les conquérants arabes traitaient les vaincus, et contraste singulièrement avec les procédés des Croisés, dans la même ville, quelques siècles plus tard. Omar ne voulut entrer dans la Cité sainte qu’avec un petit nombre de compagnons. Il demanda au patriarche Sophronius de l’accompagner dans la visite qu’il voulut faire dans tous les lieux consacrés par la tradition religieuse, et déclara ensuite aux habitants qu’ils étaient en sûreté, que leurs biens et leurs églises seraient respectés, et que les mahométans ne pourraient faire leurs prières dans les églises chrétiennes. »
Ce que nous venons de présenter converge également avec la Déclaration sur les droits de l’homme en Islam adoptée le 5 août 1990, au Caire (Egypte), lors de la 19e Conférence islamique des ministres des Affaires étrangères : Article 10 : « L’Islam est la religion de l’innéité. Aucune forme de contrainte ne doit être exercée sur l’homme pour l’obliger à renoncer à sa religion pour une autre ou pour l’athéisme ».
Ainsi, l’Islam préserve, garantit et sacralise la liberté de conscience. Il est interdit de spolier cette liberté, et ce, d’une part conformément aux textes coraniques cités explicites à ce sujet, d’autre part affirmée par la Déclaration des Droits de l’Homme en Islam (Article 10).
Néanmoins, la valeur « liberté » est une valeur relative en islam, elle s’arrête donc quand elle touche à la dignité de l’autre, sa vie, ses biens, son honneur ou qu’elle insulte sa personne, ses proches, sa religion ou ses symboles et références religieuses….
Mais alors, si nos textes sont aussi clairs, pourquoi ce blocage voire le rejet de l’autre ?!
Lorsque le cœur est pollué et souillé par les maladies intérieures, tels l’orgueil, l’autosatisfaction, la vanité[7]…alors il est voilé, ne voit plus l’autre et aspire donc soit à le convertir de force, soit à l’exclure !
La précarité spirituelle transforme la « prétendue pratique religieuse » en sectarisme belliqueux ! Bafouant les valeurs humaines universelles et désacralisant la vie !
Les idéologies de la haine et de l’exclusion sont le résultat d’un mélange complexe entre idéologies, précarité spirituelle, économique et absence de repères !
L’intégrisme n’est guère dans le texte mais dans l’esprit du mauvais lecteur ou du lecteur qui aspire à l’instrumentaliser pour des fins terrestres. Tout texte sorti de son contexte peut devenir une arme de destruction !
Liberté d’expression orale, sociale et politique
La première élection d’un Calife après le Prophète se fut dans la concertation (shûrâ) entre les musulmans. Le choix d’Abu Bakr comme premier Calife était une évidence. Abu Bakr alla à la mosquée du Prophète. Là, des gens prêtèrent serment d’allégeance. Lorsque tout fut fini, Abu Bakr monta sur une estrade en tant que Calife de l’Islam. Alors il fut son premier discours et ainsi historiquement le premier post prophétique dans l’histoire de l’Islam :
« Ô les gens, j’ai été élu comme guide bien que je ne sois pas meilleur que quiconque d’entre vous. Si j’agis bien, soutenez-moi. Si je m’égare, remettez-moi dans le droit chemin. Ecoutez, la vérité est l’honnêteté et le mensonge est la malhonnêteté. Les plus faibles d’entre vous sont puissants à mes yeux, tant qu’on ne leur donne pas leur dû, si Dieu le veut. Les plus puissants d’entre vous sont les plus faibles à mes yeux, tant qu’ils ne prennent pas de leurs richesses pour rendre ce qu’ils doivent aux autres, si Dieu le veut. »
« Ecoutez, vous devez m’obéir aussi longtemps que j’obéis à Allah et à son Messager. Si je désobéis à Allah et Son Messager, vous êtes libres de me désobéir. »
Voilà la Magna Carta offerte par le premier Calife de l’Islam à son peuple, le premier jour de son règne, sans qu’ils ne l’aient demandé. Abu Bakr montra par cet exemple qu’en Islam le gouvernement signifie le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple. Et que la liberté d’expression, d’idée ne peuvent être censurées même face à la plus haute fonction.
Les trois autres Califes suivirent ce modèle vertueux.
Un jour alors que le deuxième Calife Omar Ibn al-Khattâb s’apprêtait à décréter une loi limitant et fixant la dot de la mariée (qu’il trouvait de plus en plus cher), une femme au milieu de l’assemblée se lève et conteste cette décision en s’adressant sans filtre au Calife devant l’assemblée. Elle a argumenté son opposition avec le verset : « …et que vous ayez donné à l’une un quintar, n’en reprenez rien… » Sourate 4 verset 20. Le Calife a dit alors devant tout le monde : la femme a raison et Omar s’est trompé. Et de ce fait, il a annulé sa décision.
La tradition rapporte qu’un jour, dans la mosquée de Médine, Omar dirigeait la prière du vendredi. Il fut alors interrompu par un jeune enfant, qui le somma de lui payer la part de la Zakat (aumône purificatrice légale) qui lui revenait, et qui ne lui avait pas était versé par erreur. Omar, en place de réprimander le garçon du fait qu’il interrompe toute l’assemblée au début de la prière sur un problème d’ordre matériel, approuva la requête de ce dernier et proclama que jamais il n’aurait pu prier Dieu sans être en total accord vis-à-vis de sa communauté.
Jugement entre Ali et un chrétien
Parmi les manifestations claires de cette égalité /justice prônée par l’islam et cette liberté qui en découle, le jugement rendu dans une affaire opposant Ali (quatrième Calife, gendre et cousin du Prophète) à un chrétien.
Ali en sa qualité de Calife avait nommé Shurayh comme juge à Médine. Ali avait perdu son bouclier, plus tard il le trouve en vente au marché et le reconnu aussitôt.
Il fit savoir au vendeur que c’était son bouclier mais le vendeur refuse et les deux protagonistes se présentèrent chez le juge. Ce vendeur (chrétien et dans une autre version juif) dit au juge, ce monsieur, votre prince des croyants est un menteur ! Le juge Shurayh demande alors à Ali de présenter des preuves ou des témoins s’il voulait récupérer le bouclier. Ali présenta son fils Hassan et un serviteur de sa maison pour témoigner. Le juge refusa le témoignage par ces termes : « ton fils est un membre de ta famille et notre justice ne peut accepter son témoignage à cause de sa proximité, as-tu d’autres témoins ? », Ali répondit par la négative. Et le juge conclu en remettant le bouclier au vendeur. Ce dernier fut bouleversé par cette justice impartiale, il vient de gagner une affaire contre le Calife, cousin et gendre du Prophète, lui un non musulman ![8]
Ce fut la cause de son Islam marqué par ce comportement où égalité et liberté d’expression se conjuguent pour une justice sans faille.
Liberté du blasphème ?
Nous avions évoqué auparavant que la liberté s’arrête lorsqu’elle touche à la dignité de l’autre ou le blesse ou qu’elle provoque trouble à l’ordre public établi. Mais qu’en est-il du blasphème ?
L’humain dans son essence et par sa nature est épanoui et ravi lorsqu’on se comporte avec lui avec douceur, bienveillance et bienfaisance. A l’inverse, il est rebuté lorsqu’il est face à l’agressivité et la violence y compris verbale. Dans ce cas, les réactions ou actions face à cela peuvent être très différentes voire même inattendues.
Le Coran mentionne différentes catégories du blasphème qui, certainement, blessent et troublent les sentiments des croyants et qui crée une ambiance de panique, de malaise et même de trouble dans la société : Blasphème contre Dieu, blasphème contre Marie (la mère de Jésus), blasphème contre le Prophète Jésus et le blasphème contre le Prophète Muhammad.
Puis le Coran mentionne différentes circonstances où les musulmans feront face aux injures, aux insultes et aux situations blasphématoires. « Et dans le livre, il vous a déjà révélé que, lorsque vous entendez les mécréants nier et se moquer des signes d’Allah, ne vous asseyez pas en leur compagnie tant qu’ils n’aient changé de conversation, sinon vous seriez comme eux. Assurément, Allah rassemblera les hypocrites et les mécréants en Enfer, tous ensemble ». (Ch. 4 : 141)
« Et quand tu verras ceux qui plaisantent/se moquent avec nos signes, alors détourne-toi d’eux jusqu’à ce qu’ils changent de conversation. Et si Satan te fait oublier ce précepte, alors après t’en être souvenu, ne reste pas assis en compagnie des injustes ». (Ch. 6 : 69)
Quelle merveilleuse réponse à la laideur du blasphème que de l’ignorer ou répondre au mal par le bien et le beau. C’est ce qui est exigé des croyants qui aspirent à l’excellence (ihsân) mais est-ce possible pour tout le monde d’avoir une telle patience et sagesse ?!
Le blasphème est aussi mentionné dans la sourate Al-An’am (4) où la question hypothétique du blasphème est évoquée vis-à-vis de Dieu, mais aussi vis-à-vis des idoles et autres objets d’adoration : « Et n’injuriez pas ceux à qui ils en appellent à côté d’Allah, afin que, par dépit et dans leur ignorance, ils n’injurient pas Allah. Ainsi avons-nous fait que les actions de chaque peuple leur semblent attrayantes. Ensuite leur retour est auprès de leur Seigneur et il les informera de ce qu’ils faisaient ». (Ch.6 : 109)
Ce sont les Musulmans à qui on s’adresse dans ce verset. On leur interdit de blasphémer contre les idoles et les dieux imaginaires des idolâtres. Il est expliqué que si l’un d’entre eux le faisait, les autres pourraient, par mesure de représailles, blasphémer contre Dieu. Dans cette discussion hypothétique à propos du blasphème contre Dieu et les idoles, il y a une très grande sagesse considérée chez les jurisconsultes comme la source du principe juridique appelé « Sadd ad-darâi’ » (prévention de l’inconvénient).
Il y a un autre cas de blasphème si marquant, qu’il a été préservé dans le Coran. Il concerne Abdoullah ibn Oubayy ibn Saloul, connu dans l’histoire de l’Islam comme le chef des Hypocrites. Au cours de l’une des expéditions, il déclara publiquement que lorsqu’ils retourneront à Médine, le plus noble en expulsera le plus méprisable. « …ils disent : « si nous retournons à Médine, le plus honorable en chassera assurément le plus méprisable » ; alors que le vrai honneur appartient Allah et à son Messager et aux croyants ; mais les hypocrites ne savent pas » (Coran Ch.63/9). Tout le monde comprit qu’il faisait allusion au Prophète, c’était donc une injure explicite qui visait leur bien-aimé, le Message de Dieu ! Les Musulmans étaient si mécontents que si la permission leur avait été donnée il est certain qu’ils auraient exécuté Abdoullah ibn Oubayy.
Les traditions rapportent que le fils d’Abdoullah ibn Oubayy (qui était fidèle croyant) demanda au Prophète la permission de tuer son père de ses propres mains ! Il expliqua que si quelqu’un d’autre le faisait il craignait de développer, un sentiment de revanche, contre celui qui l’aurait tué. Le Prophète refusa que l’un de ses compagnons entreprenne quoi que ce soit pour punir cet hypocrite[9].
Après son retour à Médine, Abdullah bin Oubayy put continuer à vivre en paix. Au moment de sa mort, naturelle, bien sûr, à la grande surprise de tout le monde, le Prophète donna au fils d’Abdoullah sa propre chemise (comme bénédiction et honneur) pour qu’il puisse y envelopper le corps de son père pour l’enterrement. Mais ce n’est pas tout, car le Prophète décida aussi de conduire sa prière funéraire. Une décision qui a sans aucun doute profondément troublé certains de ses compagnons qui n’avaient jamais vraiment pardonné à Abdoullah son insulte.
C’est celui qui devait succéder au Prophète en devenant son second Calife, Omar, qui exprima le sentiment de malaise ressenti par beaucoup de Musulmans. Il est rapporté que le Prophète se rendait aux funérailles, lorsque soudainement Omar s’est interposé et l’a imploré de changer sa décision. En faisant cela, il a rappelé au Prophète le verset du Saint Coran qui fait référence à des hypocrites pour qui aucune intercession ne serait acceptée, même si le Prophète priait soixante-dix fois pour eux. Le Prophète sourit et répondit : rangez-vous sur le côté, Omar. Je sais mieux ce que je dois faire. Si Dieu ne le pardonne pas après que j’aie prié soixante-dix fois, alors je lui demanderai plus de soixante-dix fois de le pardonner. Et le Prophète dirigea la prière[10].
Nous pouvons remarquer enfin, que le comportement de certains musulmans ou groupes prétendus musulmans va à l’encontre de ces enseignements du modèle prophétique. Cet écart est sûrement dû à des raisons structurelles dues à la chute de la civilisation musulmane et la propagande très largement soutenue (y compris sur la planète virtuelle) des sectes littéralistes. Cette « réussite » des sectes de la haine et de l’exclusion et du totalitarisme est favorisée par une situation (ou sentiment) d’injustice et de précarité que cela soit au niveau des minorités musulmanes en occident ou même dans certains pays musulmans.
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Pour citer cet article
Référence électronique : Tarik Abou Nour, « Islam et liberté d’expression », Educatio [En ligne], 14| 2024. URL : https://revue-educatio.eu
Droits d’auteurs
Tous droits réservés
[1] Imam, théologien, président de l’IESIP (institut d’enseignement supérieur de Paris), www.iesip.fr
[2] Les exégètes rapportent que ce verset a été révélé à propos d’un homme musulman médinois qui a voulu convertir de force ses deux enfants chrétiens à l’islam. Ce verset est un rappel à l’ordre pour lui et pour tous ses semblables.
[3] Ceci est également une injonction coranique importante « Ne discutez avec les gens du Livre que de la manière la plus douce » Coran : Sourate 29, verset 46.
[4] Sans lien avec ce qu’inspire ce nom dévoyé et déformé par des sectes étrangères à l’islam véritable !
[5] La Sira d’Ibn Ishâq et voir Nûr Al yaqîn fî sîrati sayyidi almursalîn du Sheikh Muhammad Al khadrî, Ed.Dar al-jîl Beyrût et Dar ammâr, Oman, 1995, p. 309.
[6] Al-tabari, op.cit, 2éme partie page 449.
[7] Le Coran les qualifie de péchés ou calamités « intérieurs ». « Et n’approchez pas des turpitudes – tant de ce qui en paraît que de ce qui s’en cache. », Coran : sourate 6, versets 151. Nous les appelons les maladies du cœur.
Le Prophète de l’Islam a dit : ‘ Celui qui aura un atome d’orgueil dans son coeur n’entrera pas au Paradis. ‘
Les compagnons du Prophète Muhammad furent terrifiés par cette déclaration. L’un d’entre eux dit au Prophète ‘J’aime que mes vêtements et mes chaussures soient propres et beaux’. Le Prophète répondit : ‘Ce n’est pas cela. Allah est Beau et Il aime la Beauté’. Il donna alors la signification : ‘Le Kibr(l’orgueil) est le rejet de la Vérité et le mépris des gens.’
[8] Sunane al-Bayhaqî- assunane al kubrâ 10/136 d’après l’Imam al-Sha’bî.
[9] Rapporté par Ibn Ishaq : Al-Sirah An-Nabawiyyah, par Ibn Hicham.
[10] Boukhari II, Kitab Al-Janaiz, Bab-Al-Kafn.