Joseph Herveau[1]
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Résumé : Au sein d’une école catholique, on peut dire bien des choses sur Dieu. C’est une chance dans une société à la fois sécularisée et traversée par des questions religieuses brûlantes, en laquelle Dieu est si souvent un sujet tabou.
Toutefois, cela ne dispense pas de s’interroger : dire des choses sur Dieu, est-ce « dire Dieu » ?Par-delà une « parole sur Dieu », l’école catholique est surtout appelée à manifester sa présence vivante par l’éducation et ainsi, à permettre de le rencontrer.
Summary: In a Catholic school, there’s a lot to be said about God. This is fortunate in a society that is both secularized and plagued by burning religious questions, where God is so often a taboo subject.
But that doesn’t mean we don’t have to ask ourselves: is saying things about God “saying God”?Above and beyond “talking about God”, the Catholic school is above all called to manifest his living presence through education, and thus to enable us to encounter him.
Introduction
« Dire Dieu à l’école ».
Assumer une telle expression nécessite de prendre en compte qu’elle concentre en les cumulant, des termes dont chacun porte sa part de complexité.
D’une part en raison du statut de toute « parole engagée » dans un monde pluraliste, tant au plan individuel qu’institutionnel. D’autre part, en raison de la pluralité des différentes représentations de Dieu et par conséquent, du rôle de la ou des religions au sein de notre société. Le pluralisme religieux rend toute parole sur Dieu relative.
Enfin, il est aussi différentes manières de parler « de » Dieu, dans ou en dehors de l’école, selon qu’il s’agit d’honorer une ambition culturelle – seule finalité possible pour l’école publique – ou une parole croyante, la seconde pouvant englober la première mais non l’inverse.
Parce qu’elle n’est pas hors du monde, l’école catholique est habitée par l’ensemble de ces questions, y compris celles inhérentes à un contexte de réaffirmation de la laïcité en milieu scolaire, dont la compréhension est par ailleurs elle aussi plurielle. Et ce, bien que le « caractère propre » qui lui est reconnu par l’Etat n’implique pas pour elle la neutralité religieuse de l’école publique.
Après avoir développé quelques aspects de ce qui précède, il s’agira d’argumenter la proposition suivante, qui si elle n’est pas nouvelle, doit sans doute être réappropriée dans notre contexte : il y a ce qu’une école catholique peut « dire de Dieu », mais il y a aussi et peut-être surtout ce qu’elle manifeste ou révèle de lui par son action éducative.
Certes, les deux ne s’opposent pas. Mais ils ne peuvent se substituer l’un à l’autre, ni être compris isolément. Ils nécessitent d’être articulés pour constituer ensemble un témoignage authentique de l’Évangile dans le domaine scolaire, conforme à la mission éducative de l’église et de ce fait, respectueux de la liberté de conscience[2].
Cela suppose un style éducatif particulier, résolument évangélique, travaillé et relu comme tel[3], dévoilant alors un espace de « conversion permanente » que l’on peut comprendre comme cette mise en cohérence jamais achevée de l’annonce du Christ et de la préoccupation éducative qui tout à la fois en découle et s’y enracine. Nous y reviendrons.
Tentons auparavant de mettre au jour quelques-unes des difficultés posées par l’expression « Dire Dieu à l’école ».
- « Dire, se dire » aujourd’hui.
A l’heure des réseaux sociaux et de la communication numérique, « dire », c’est « se dire ». Nous disons tout et parlons de tout, tout le temps, et tous plans confondus.
« Se dire » est aujourd’hui une forme quasi indispensable d’affirmation de soi touchant également les institutions.
Du coté des personnes « se dire » est tout à la fois une tribune, une thérapie, une façon d’être aux autres et au monde, ou à tout le moins à ces quelques autres qui tomberont de façon éphémère sur un post, tweet, story, ou article qu’ils auront tôt fait d’oublier si celui-ci ne fait pas « le buzz », vite remplacé dans cette toute petite fenêtre que constitue un écran de téléphone, d’ordinateur, ou de boite mail, par la production permanente et quasi illimitée de tous celles et ceux qui ont « quelque chose à dire », quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit.
Dans cet exercice, il n’est pas rare que « se dire » clive, oppose, sépare, polarise, invite à choisir son camp pour mieux attirer l’attention et ainsi, éviter le pire : un destinataire qui passe son chemin, continue sa course sur l’infinite scroll, zappe, ou déplace la newsletter à laquelle il est abonné de fait plus que par choix, dans la corbeille.
« Se dire » sous ce mode expose alors mutatis mutandis à un verdict quasi électoral en lequel les « like » dans toute la diversité de leurs formes représentent autant de voix « pour » ou « contre », voire d’une « abstention », d’une indifférence redoutée car invisibilisante.
Cette forme d’affirmation de soi peine à être « parole » ou « dialogue ». Quel que soit le sujet qu’elle aborde, son message de fond varie peu : « Regardez-moi ». « Permettez-moi d’exister ». « Soyez concerné par ce que je vous dis ». « Consommez-moi ».
Un « dire » en concurrence avec tant d’autres, et qui – disons-le à nouveau – doit attirer l’attention pour survivre, au risque de la surenchère, du slogan choc, du simplisme.
Bienvenu dans le monde de l’incontournable « com’ », qui dans le monde institutionnel est la grande pourvoyeuse de ces salutaires « éléments de langage » à même de canaliser le discours, de lui faire trouver sa cible, et de parer ses effets inattendus voire craints. Prête en temps de crise à lancer ses « contre-mesures » tel un avion de chasse dans la ligne de mire de son adversaire, pour faire dévier le ou les « missiles » dirigés contre lui.
Une parole donc, qui se fait anticipation des réactions potentielles, plus que « conversation », pour reprendre le mot que Paul VI[4] utilisait en son temps afin de décrire les rapports entre l’Église et le monde. Car la com’ n’en a bien souvent ni le temps ni les moyens, et que les réactions qu’elle suscite peuvent toujours être pollués par des phénomènes de type « trolling » qu’il vaut mieux ignorer au risque sinon, de les amplifier.
Le sens de de ce qui précède n’est pas tant de poser un regard critique sur les modes d’expression de la vie numérique ou la communication institutionnelle, que de pointer ce que celles-ci mettent peut-être en lumière de la difficulté de toute forme d’affirmation engagée ou engageante, aujourd’hui, a fortiori lorsqu’il s’agit d’une parole sur Dieu.
Car si « dire », est compliqué, « dire Dieu » l’est encore bien davantage. Et nonobstant la présence sur la toile d’influenceurs chrétiens,[5] « dire Dieu » ne saurait se réduire à de la « com’ » ou a des éléments de langage, et moins encore au sein d’une tradition qui reçoit et proclame que « le Verbe s’est fait chair[6]», professant ainsi sa foi un Dieu qui non seulement s’adresse à l’homme, mais se manifeste à lui au plus intime de lui-même.
Ce faisant, il donne la parole à l’homme et l’écoute vraiment comme en attestent tout particulièrement les psaumes ou les dialogues évangéliques, et le rappelle aussi Vatican II[7]. Un Dieu qui en son Fils, vient partager notre humanité sans d’ailleurs imposer à qui que ce soit lors de sa vie terrestre, une quelconque reconnaissance préalable de sa divinité. La façon dont Jésus manifeste le Père ne se limite pas à des paroles : il guérit, délivre, relève.
Toujours selon Vatican II, c’est ce mode de présence de Dieu à l’humanité en Jésus-Christ qui est la « plénitude[8] » de la Révélation divine.
En définitive, la seule parole « sur » Dieu qui soit digne de foi est celle « de » Dieu.
- Parler de Dieu, est-ce « dire Dieu » ?
Ce qui précède interdit-il à l’homme de parler de Dieu ? Certes non. Mais prétendre « dire Dieu » ou en parler, c’est immanquablement assumer un rapport à lui, quel qu’il soit : comme nous le rappelle l’étymologie du mot « athée » (a-theos), il faut mentionner son nom même pour dire que l’on ne croit pas en lui.
Voilà qui nous a introduit alors dans un autre aspect de la question, sans doute d’ailleurs, le plus important. Que signifie au juste : « dire Dieu » ? Est-ce parler à son sujet ? Est-ce « l’annoncer », comme prétendent le faire ceux qui affirment croire en lui ? Et si nous poussons un peu plus loin : de qui ou de quoi parle-t-on au juste lorsque l’on prétend « dire Dieu » ? Ne serait-ce pas au fond, de nous et des conceptions que nous nous faisons de lui, plus que de Dieu lui-même ?
Il est frappant d’observer, notamment sur les réseaux sociaux, comment des catholiques de sensibilités différentes lorsqu’ils sont en désaccord sur un point, se disent facilement les uns aux autres : « relisez l’Évangile[9] ! ». Car il va de soi que la « bonne » conception de Dieu, est… la mienne.
Que Dieu se soit manifesté dans l’Histoire, qu’il ait « parlé par les prophètes » comme l’affirme le symbole de Nicée-Constantinople, que sa parole soit consignée dans les livres sacrés de différentes traditions religieuses, ou que l’on fasse preuve de scepticisme vis à vis de son existence, voire d’athéisme aux deux sens de l’expression, ce que la parole « sur » Dieu révèle immanquablement, c’est nous.
C’est notre quête de spirituel, de sens, notre souci de trouver les moyens d’une vie meilleure pour soi et pour tous qu’elle dévoile.
Et dans les possibles de cette quête, se trouve aussi, malheureusement, cette tentation fondamentaliste de domination « au nom de Dieu », et l’assujettissement des personnes ou des peuples qui en découle.
C’est un risque réel, contre lequel il est légitime de vouloir se prémunir et prémunir la société, voire de lutter. Et c’est en vain alors, que l’on fera valoir que l’on parle alors des religions ou des religieux – c’est à dire des hommes – et non de Dieu. Comme le dit si bien le célèbre aphorisme de Voltaire : « Si Dieu nous a fait à son image, nous le lui avons bien rendu[10] ».
Vouloir « dire Dieu », ne produit donc pas toujours une parole digne de lui.
« Puisqu’on n’est pas certain de bien dire Dieu, puisque le discours sur lui peut être dangereux, alors taisons-le ! », pourrait-on conclure.
Ainsi la réponse de la République, surtout en termes d’éducation, consiste-t-elle en un « renforcement de la laïcité interprétée par beaucoup comme la « neutralisation » ou « l’invisibilisation » du religieux dans la société et donc pour ce qui nous concerne, au sein de l’école.
Ce silence-là n’a rien à voir avec l’apophatisme des mystiques. Il est le symptôme d’une peur que l’on ne peut que comprendre, même si elle n’est jamais bonne conseillère : celle de l’islam politique, qui vient s’amalgamer parfois avec diverses formes d’anticléricalisme toujours vives en notre pays : crèches, statues de saints, voiles et abayas, même combat !
Paradoxalement, ce qui précède révèle quelque chose d’important sur Dieu, qui se trouve au cœur de Tradition biblique : l’interdiction de l’idolâtrie.
Celle-ci prévient en effet depuis des millénaires du risque de l’absolutisation des représentations humaines du divin, que celles-ci soient gravées dans la pierre, le bois, ou plus grave : dans les esprits et les cœurs.
Or, dit Dieu au prophète Isaïe : « mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos chemins ne sont pas mes chemins. Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins, et mes pensées, au-dessus de vos pensées[11] ».
L’idole est ce faux dieu que l’homme a souvent la tentation de se fabriquer, et qui en général l’asservit autant qu’il défigure le Vrai Dieu.
Alors, si « parler de Dieu » n’est pas nécessairement (bien) « dire Dieu », est-il seulement possible d’exprimer quelque chose à son sujet ? Le Décalogue commande de ne pas prononcer le nom de Dieu « en vain[12] ». « Dieu n’est ni ceci, ni cela », écrivait Maître Eckart. Et n’est pas par hasard si lors de la lecture du texte biblique ou la prière, les juifs ne prononce pas le « Nom » de Dieu, le tétragramme révélé à Moïse, mais le remplacent par « Adonaï », le Seigneur.
« Dire Dieu » de façon trop légère, c’est prendre le risque d’une vaine parole ou d’une parole contreproductive, à l’instar de celle de ces personnes débarquant dans une rame de métro bondée pour y produire un sermon moralisateur vouant à la damnation s’ils ne se convertissent pas, des voyageurs qui n’ont rien demandé. Vaine parole, qui réduit Dieu à sa capacité à châtier en taisant l’amour qu’il a pour l’humanité.
Du reste, la « connaissance » de Dieu dans la bible ne désigne pas un quelconque « savoir sur lui » qui pourrait toujours se transformer en illusoire « maitrise », ce qui constitue l’une des facettes de la tentation idolâtrique.
La connaissance de Dieu y signifie en réalité la relation, l’intimité avec lui qui suppose une ouverture à son altérité. Une intimité expérimentée par les prophètes, qui transmettent alors une Parole qui n’est pas la leur, même si elle se coule dans leurs mots[13]. Une parole qui ne vise pas à transmettre des « informations » sur le « sujet Dieu », ni moins encore à le transformer en « concept » mais à susciter l’ouverture du cœur et l’écoute de Celui qui ainsi parle : Dieu. Et que le prophète lui-même se doit d’écouter le premier, même si à l’instar de Jonas, cela n’arrange pas ses affaires. Shema Israël ! Ecoute[14] !
Voilà qui pointe alors un premier déplacement du centre de gravité de notre question : il s’agit moins de dire que d’écouter. De l’écouter lui.
La parole « sur » Dieu assume toujours une posture de témoin, plus ou moins authentique, qui ambitionne de « dire Dieu » sans toujours réussir à le faire avec justesse. Cette parole peut devenir totalitaire si elle se fait source et non écho, si elle instrumentalise Dieu à ses propres fins plus qu’elle ne le sert, si elle renvoie à elle-même plutôt qu’à Dieu. Le rapport de la CIASE[15] nous rappelle douloureusement qu’elle peut être un grave contre-témoignage, qui plus est dans des lieux en lesquels la parole « sur » Dieu est d’évidence abondante, en lesquels aussi, la Parole « de » Dieu est annoncée et célébrée et par là même, profanée.
Mais si toute parole sur Dieu est donc exposante, si elle comporte nécessairement quelque chose de notre humanité, de sa fragilité, de sa faillibilité et parfois de son aveuglement, elle demeure pourtant pour le croyant, une parole nécessaire.
Non seulement pour le prophète ou l’apôtre qui en a reçu le mandat[16], mais aussi pour tout homme qui a de quelque façon expérimenté la présence de Dieu, qui le « connaît », parce qu’il a fait la bouleversante expérience de se découvrir aimé de lui et en conséquence de quoi, ne peut pas se taire.
Cependant là encore, la parole du témoin ne se réduit pas à un discours ni à un message. Le Christ n’a pas envoyé ses disciples annoncer l’amour de Dieu comme on enverrait un message par la poste. Il les a envoyés aimer leurs frères et sœurs humains en signe de son amour : « comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres[17] ».
Lorsqu’elle est authentique, cette parole est alors nécessairement une parole de liberté. L’amour s’offre et se livre, sans jamais s’imposer.
Au travers de cette parole de liberté, quelque chose de Dieu se révèle et se manifeste comme une invitation à une vie plus plénière, par-delà les limites et insuffisances de tout discours « sur » Dieu.
Alors que toutes les institutions religieuses sont en crise, et malgré les graves dérives évoquées plus haut, il est frappant de voir que le nombre de baptisés adultes et adolescents est en progression constante, année après année.
Dieu continue donc de toucher les cœurs, malgré les carricatures ou les contrefaçons que nous faisons parfois de lui.
- Dire Dieu à l’école ?
Si parler de de Dieu n’est donc jamais neutre, il n’est pas surprenant que cela implique un traitement particulier en milieu scolaire, lieu de construction de la personnalité, d’apprentissage du discernement, et de protection de la liberté. Mais les possibilités sont plus vastes qu’il n’y paraît de prime abord.
Aumôneries catholiques en école publique
Dans notre système éducatif français, la possibilité légale (et encore effective dans certains établissements scolaires publics) d’organiser une aumônerie « interne », assume d’une certaine façon, une certaine place « pour Dieu » au sein d’un espace scolaire, même si dans les faits, cela reste rare et limité à des aumôneries catholiques existant de longue date.
Plus fréquente est l’existence des « Aumôneries de l’enseignement public » (AEP), mais dans des lieux qui sont à distance de l’établissement en lui-même, et pris en charge par les diocèses et paroisses.
L’EFR en école publique et catholique sous contrat
De façon plus générale, « l’enseignement des faits religieux » (EFR) inséré dans les programmes de l’Éducation nationale suite aux rapports Joutard (1989) et Debré (2002) permet d’évoquer des thèmes religieux dans le lien qu’ils ont avec la culture et sa transmission. En ce sens, et même s’il s’agit alors d’une approche descriptive, factuelle et laïque, elle permet d’évoquer si ce n’est Dieu, au moins ce que les croyants ont posé comme traces de leur foi en lui dans les cultures humaines.
Cette approche est particulièrement importante aujourd’hui car sans elle, des pans entiers de la culture risqueraient de devenir indéchiffrables. Mais elle n’est pas sans engendrer certaines difficultés de mise en œuvre, tant du point de vue des élèves qui contestent parfois l’enseignement reçu, que des enseignants qui ne sont pas toujours suffisamment au clair où à l’aise avec la démarche.
Il n’y a là en soi rien d’étonnant. Le religieux émargeant à l’ordre du symbolique, il déborde toujours du cadre auquel on prétend l’assigner.
Parce qu’elle met en œuvre les programmes de l’Éducation nationale, l’école catholique s’inscrit elle aussi dans l’EFR. Est-ce plus simple pour elle que pour l’école publique ?
Les enseignants comme les élèves n’étant pas à ce point différents d’une école à l’autre il y a parfois quelques similitudes. Mais aussi des spécificités : ce qui sera dit du christianisme ou de l’Église dans ce cadre pourra être plus particulièrement scruté par certains parents ou acteurs pastoraux, comme du reste ce qui sera dit de l’islam par des parents musulmans qui auront précisément fait le choix de l’école catholique par ce qu’ils s’y sentent accueillis et respectés.
Dans les deux cas de figure, ce ne sera pas tant le contenu de l’enseignement délivré qui sera le plus souvent mis en cause, mais le fait que puisse transparaitre à travers lui des positions perçues comme anticléricales ou islamophobes de la part de l’enseignant.
Assumer une dimension religieuse de la culture et enseigner les faits religieux est donc tout aussi exposant, même lorsque cela est fait avec sérieux et professionnalisme. Car y compris dans ce cas peut se dévoiler – consciemment ou non – une part de nous-mêmes.
D’où proviennent ces difficultés ? Il est possible qu’elles soient en partie dues à la pluralité des façons d’approcher le religieux, selon des ambitions et des rationalités différentes.
L’on ne devient pas croyant – ou rarement – par la maitrise des concepts clés d’une religion. On le devient la plupart du temps, surtout lors de l’enfance, par « initiation » et participation à la vie d’une communauté de croyants. Tous les catéchistes auront en ce sens fait le constat que « les enfants du caté ne savent pas grand-chose », ce qui manifestement ne les empêchent pas de croire de façon authentique. Car l’objet de la catéchèse est précisément de faire croître cette relation à Dieu appelée « foi », en permettant aussi, au fur et à mesure, d’y mettre des mots.
De cette expérience de Dieu à la fois personnelle et communautaire et de la foi qui en découle émerge donc un « contenu », transmis au sein de la communauté[18]. Mais s’il est important, il n’est pas chronologiquement premier. La foi chrétienne n’est pas une « gnose », un savoir qui sauve. Elle est avant tout une expérience et une relation, et elle ne saurait se réduire à des éléments socio-historiques ou culturels, si incontestables et importants soient-ils. Car ils ne sont pas la cause de la foi mais sa conséquence.
La spécificité de la catéchèse
Outre le type de rationalité, c’est aussi l’ambition qui diffère. Jean-Paul II écrivait en 1979 que « le but de la catéchèse et de mettre quelqu’un non seulement en contact, mais en communion, en intimité avec Jésus-Christ[19] ». La définition de la catéchèse donnée par les évêques de France précise qu’elle est : « ce que la communauté chrétienne propose à ceux qui librement, veulent participer à son expérience et à sa connaissance de la foi[20] ». Une connaissance, donc, adossée à l’expérience ecclésiale, comme nous l’évoquions précédemment.
Le récent Directoire pour la catéchèse indique quant à lui : « une annonce formelle qui se limite à l’énonciation pure et simple des concepts de la foi ne permet pas une compréhension de la foi elle-même, qui constitue un nouvel horizon de vie qui s’ouvre largement à partir de la rencontre avec le Seigneur Jésus[21] ». Et encore : « la communauté chrétienne est l’origine, le lieu et le but de la catéchèse. C’est toujours d’elle que naît l’annonce de l’Évangile pour inviter les hommes et les femmes à se convertir et à suivre le Christ[22]».
Des approches superposées, à distinguer et à articuler.
A ces modalités « externes » aux religions que constitue l’EFR ou les sciences religieuses, vient donc se superposer cette autre modalité, cette fois-ci « interne » à la foi, qu’est « l’expérience croyante ».
En conséquence de quoi ce qui est structurant pour un croyant n’est pas d’abord ce qu’on lui dira de sa foi « de l’extérieur » de celle-ci (le discours scientifique et rationnel sur les religions), mais ce qui lui en aura été transmis « à l’intérieur » de sa communauté, par les membres de celle-ci. D’où l’incompréhension parfois, entre enseignants et élèves qui sur un même sujet, ne parlent au fond, pas de la même chose, ou à tout le moins, ne s’entendent pas sur le même registre.
Il ne s’agit pas ici d’opposer ces approches, mais de noter que des difficultés de compréhension peuvent surgir parfois, de leur non distinction, tant du point de vue du locuteur que du destinataire.
Lorsqu’un jeune musulman qui tient de sa communauté de foi l’interdiction de représenter le prophète Mohammed (modalité croyante) est confronté non seulement à des représentations mais a des caricatures de celui-ci selon une modalité extérieure à sa foi, cela ne peut provoquer chez lui que des difficultés à découvrir l’intérêt voire la pertinence de cette approche. De même pour un jeune catholique si l’enseignement scolaire ne pointe que les abus du christianisme institutionnel (croisades, inquisition, etc.) au détriment de ses apports aux sociétés humaines.
Au-delà de cette première distinction entre une dimension externe (objective et rationnelle) ou interne (subjective et croyante), toute religion comporte en réalité au moins cinq « grandes dimensions », reliées entre elles de façon systémique dans la vie d’un croyant, ce qui complexifie tout discours sur le religieux :
- Dimension rationnelle: ce que les sciences religieuses peuvent en décrire d’un point de vue culturel et patrimonial (textes, histoire, rites, architecture, art, droit, influence sur les sociétés).
- Dimension expérientielle : participation à la vie d’une communauté de foi, initiation, adhésion personnelle.
- Dimension liturgique: culte, prière, rites, expérience mystique de la transcendance et/ou de la proximité de Dieu ou du divin.
- Dimension existentielle : sens de la vie et de sa vie, valeurs, recherche du bien.
- Dimensions éthique et sociale : lois religieuses, engagement et solidarité, rapport aux autres dans et en dehors de la communauté.
L’école catholique, une approche globale et différenciée
Le propre de l’école catholique est précisément de pouvoir assumer l’ensemble de ces dimensions dans son projet éducatif.
Pour user d’une analogie, on pourrait dire que tout en assumant la « monodie » de l’EFR, son approche de Dieu et de la religion est plus « polyphonique ». Elle peut intégrer les dimensions rationnelles, croyante, liturgique, existentielle et éthique au sein de son projet éducatif, de sorte que son propos « sur Dieu » est à la fois plus riche et moins réducteur. Elle peut donc déployer une action éducative à partir de chacune de ces approches, les intégrant alors de façon systémique ou « symphonique ». Ce faisant, elle rend service à l’ensemble de la société, offrant à tous, chrétiens ou non chrétiens, croyants ou pas, des occasions de s’exprimer sur des sujets rarement évoqués ailleurs que dans la famille, quand celle-ci le fait.
Culture chrétienne et culture religieuse en école catholique
Depuis une vingtaine d’année, l’école catholique intègre des enseignements de « culture religieuse » et de « culture chrétienne », qui vise pour la première non seulement à apporter des connaissances sur les différentes religions mais aussi à permettre à des jeunes de confession différentes ou sans religion, d’aborder les questions liées à la place de celles-ci dans la vie des hommes.
Ces temps de culture religieuse sont des moments en lesquels il est possible pour un élève de se dire chrétien, juif, musulman ou sans religion, et de découvrir dans un cadre sécurisant le point de vue de l’autre tout en bénéficiant de connaissances objectives sur les religions.
Quant à la « culture chrétienne », particulièrement promue depuis 2009[23], elle vise à rendre accessible à tous les éléments fondamentaux du catholicisme (rites, fêtes, textes, pratiques, patrimoine), sous un mode qui n’implique pas de réponse croyante et se rapprochant de l’EFR, à ceci près que cet enseignement a pour unique objet la religion, tandis que l’EFR est au service de l’intelligence de la discipline[24] en laquelle il se situe.
Des concepts à clarifier avec tous et pour tous
Or, si les distinctions ci-dessus sont claires sue le papier, elles ne le sont pas toujours dans les faits.
Cela peut s’expliquer parce qu’historiquement, la « culture chrétienne[25] » dérive de la catéchèse autrefois obligatoire lorsque tous les élèves étaient baptisés, et dont elle est en quelque sorte une forme « sécularisée », expurgée – au moins pour ses destinataires – de toute dimension confessante. Là où la catéchèse dit : « nous croyons que… », la culture chrétienne dit normalement : « les chrétiens croient que… ».
Mais si elle vise le « savoir » et non le « croire », le fait qu’elle soit mise en œuvre principalement par des animateurs pastoraux qui sont par ailleurs des catéchistes rend la frontière entre l’une et l’autre démarche parfois difficile à délimiter de l’extérieur ou là encore, du point de vue du destinataire.
D’autant que les supports spécifiques à la culture chrétienne, aujourd’hui nombreux faisaient défaut il y a quelques décennies encore, et qu’ils ne sont pas uniformément utilisés aujourd’hui. De fait, il n’existe pas dans l’Enseignement catholique, de « programmes officiels » de culture chrétienne ou religieuse. Les établissements jouissent donc d’une grande liberté pour en définir les contenus.
De plus, les représentations anciennes de la catéchèse demeurent, qui prévalent encore dans certaines familles. Le « catéchisme » y est souvent perçu comme « l’enseignement de la vie de Jésus et de la religion chrétienne », de sorte que la différence entre « catéchèse » et « culture chrétienne » leur semble difficilement perceptible.
De même pour des familles musulmanes, qui si elles acceptent volontiers et dans leur grande majorité que quelque chose du christianisme soit expliqué à leurs enfants en école catholique, entendent qu’on ne cherche pas à les « convertir » pour autant, et sont alors plus regardant sur les « contenus » de ces temps culture chrétienne.
Par ailleurs, si la distinction entre « savoir » et « croire » a bien des vertus, elle ne devrait pas induire une séparation entre ces deux plans laissant entendre une sorte de disjonction entre « culture » et « foi ». Cela interroge les pratiques – souvent liées aux personnes et locaux disponibles – consistant à proposer la « culture chrétienne » (ou la culture religieuse) et la « catéchèse » sur un même créneau horaire, de sorte qu’il est impossible de participer aux deux activités. Or, les enfants catéchisés ont profit à bénéficier eux aussi d’une culture chrétienne ou religieuse…
Il faut ajouter que l’école catholique propose aussi des temps de prière et de célébration liturgique, de même que des actions de solidarité comme le fameux « bol de riz » de carême, dont les bénéfices sont versés à une association caritative ou financent un projet solidaire, et auquel participent bien volontiers des non-chrétiens comme des chrétiens, l’aide à autrui ayant du sens pour tous. Ainsi que nombre de propositions solidaires mettant en œuvre une éthique évangélique. Apporter du soutien à celles et ceux qui sont dans le besoin est une invitation à laquelle le cœur de l’homme n’est pas insensible, quelle que soit sa religion et même s’il n’en a pas. Et selon la foi chrétienne, il y a là une authentique ouverture à Dieu[26].
Last but not least, son projet éducatif s’adosse à une vision chrétienne de la personne humaine et de son devenir, incluant la recherche pour chacun de sa vocation personnelle et sociale au travers des enseignements et de la vie scolaire.
- Une école « située » qui témoigne de Dieu par toute son action éducative
Des éléments qui précèdent, nous pouvons retenir que la façon dont Dieu – le Dieu des chrétiens – a sa place en école catholique peut rendre compte des diverses formes de « discours sur Dieu » et de leurs rationalités propres, mais également de ce qui échappe au seul discours, car émargeant à l’intimité de la personne croyante, de son expérience tant personnelle que communautaire de la relation à Dieu, du sens de la vie qui en découle, et de sa capacité à se laisser engager dans la vie en croyant.
Pour autant, si c’est bien l’école qui est « catholique », « dire Dieu » ne peut se réduire pour elle à des propositions catéchétique, liturgique, sacramentelle, de culture chrétienne ou d’engagement solidaire, si importantes et essentielles soient-elles.
Au-delà de « ce que l’école dit de Dieu » dans les activités religieuses listées ci-dessus, le plus important est « ce qu’elle manifeste de Dieu » par son activité scolaire et le style de celle-ci, comme nous l’avons déjà évoqué.
Lorsque dans le sillage des textes de la Congrégation pour l’Éducation[27], le Statut de l’Enseignement catholique affirme que « le Christ est le fondement du projet éducatif de l’école catholique[28] » ou que « l’Évangile inspire le projet éducatif (de l’école catholique) aussi bien comme motivation que comme finalité, les champs éducatifs participant intégralement du champ pastoral[29] », il souligne que c’est bien pour des raisons « pastorales » que l’Église se reconnaît une mission éducative, laquelle ne saurait se limiter à la proposition d’activités religieuses. Cela signifie que pour l’église, l’éducation est en soi, une tâche « pastorale », directement reliée à la mission du Christ, « Bon Pasteur ».
Par la mise en œuvre de l’ensemble de l’activité scolaire, quelque chose se révèle donc du Christ et de son Évangile non seulement par des paroles, mais par des actes reliés à ces paroles, et qui pour l’école catholique, sont précisément les actes éducatifs.
On se souviendra ici de ce que Jésus dans l’évangile de Luc répond aux envoyés de Jean le Baptiste qui s’interrogent sur lui : « Allez dire à Jean ce que vous avez vu et entendu : les aveugles voient, les sourds entendent, les lépreux sont purifiés, les morts ressuscitent, la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres[30] », attestant de cette dimension concrète de l’annonce de l’Évangile qui ne saurait se passer de gestes qui transforment la vie. Ou en l’occurrence pour l’école catholique, qui transforment l’éducation.
Selon le Concile Vatican II, cette dynamique « actes/paroles » est d’ailleurs caractéristique de la façon dont Dieu se révèle lui-même aux hommes, à savoir par : « des actions et des paroles si étroitement liées entre elles, que les œuvres accomplies par Dieu dans l’histoire du salut rendent évidentes et corroborent la doctrine et l’ensemble des choses signifiées par les paroles, et que les paroles proclament les œuvres et font découvrir le mystère qui s’y trouve contenu[31]. »
Si elle ne veut pas se contenter d’une « parole sur Dieu », c’est dans cette articulation entre actes éducatifs et annonce de l’Évangile que l’école catholique doit puiser davantage. Cela suppose l’écoute permanente de la Parole qui la fonde à éduquer. Cela conduit à enseigner non pas autre chose que ce qu’enseigne toute école, mais à le faire autrement, d’une façon qui témoigne du Dieu de Jésus-Christ.
Car il n’y a pas d’un côté une parole évangélique, et de l’autre, des gestes évangéliques, pas plus qu’il n’y aurait un implicite et un explicite[32] totalement indépendants l’un de l’autre.
Pour vivre la mission que l’Église lui confie, l’école catholique a donc besoin de toujours mieux distinguer les deux significations de l’expression « éducation chrétienne » et à aider enseignants, éducateurs, parents, et élèves à le faire.
Les deux significations de l’expression « éducation chrétienne »
Le premier sens de l’expression désigne les « principes chrétiens d’éducation », lesquels sont résumés entre autres dans la déclaration Gravissimum Educationis[33]. L’éducation chrétienne y apparaît comme une formation intégrale de la personne dans une communauté qui travaille à un climat évangélique. On pourrait ici ajouter d’autres fondements ou principes, égalements présents dans la Déclaration : l’unicité de la personne et le respect absolu de sa dignité.
Selon la foi chrétienne en effet, toute personne humaine est créée à l’image de Dieu, et est aimée de façon infinie, car pour chacune d’entre elle, le Christ a donné sa vie. Voilà qui fonde un droit à l’éducation devant permettre à chaque jeune de grandir en humanité, et de découvrir au moyen de l’école comme nous l’avons déjà souligné, sa vocation « à la fois personnelle et sociale[34] », le talent qui lui a été donné pour qu’il s’épanouisse tout en profitant à tous.
Ces principes chrétiens d’éducations sont ceux avec lesquels l’Église comprend et met partout en œuvre sa mission éducative, y compris dans des pays – comme en Turquie ou au Maroc – en lesquels l’école catholique scolarise 100% d’élèves musulmans. Ils ne sont donc pas tributaires des convictions religieuses ou non religieuses du public accueilli.
Au cours de la longue histoire des institutions éducatives chrétiennes, c’est en effet en raison de la dignité humaine telle que perçue à l’aune de ce qui précède, que l’Église a promu dans divers contextes l’éducation de tous et en particulier des plus pauvres, mais aussi des jeunes filles, des anciens esclaves, des enfants en situation de handicap, des orphelins, etc.
Mais l’expression désigne aussi dans un second sens, la « formation du baptisé[35] » à savoir : la catéchèse, l’initiation sacramentelle, la prière, la croissance dans la vie de foi et l’appartenance ecclésiale, autrefois appelée aussi « instruction religieuse ». Or, cette seconde signification de l’expression est souvent celle qui est « entendue » le plus immédiatement lorsque l’on parle d’éducation chrétienne. Cela peut s’expliquer par le fait qu’il s’agit ici de propositions repérables, et non de principes, plus délicats à percevoir.
Or, si l’école catholique témoigne de Dieu en assumant les deux significations de l’expression, elle se doit d’honorer tout particulièrement le premier d’entre eux, qui correspond à sa raison d’être, à sa mission spécifique distincte de celle d’une paroisse.
Les deux significations de l’expression ne doivent donc pas se confondre, car la vocation de l’école catholique ne serait pas assumée totalement si elle se contentait de la seconde. Si tel était le cas, rien ne la distinguerait alors d’une école publique avec aumônerie interne. Et d’autre part, elle pourrait finir par adopter – consciemment ou non, volontairement ou pas – un style éducatif qui s’éloignerait de l’Évangile.
C’est d’ailleurs l’un des reproches qui lui est fait, souvent à tort mais quelque fois hélas, à raison lorsqu’elle évite la mixité sociale ou scolaire, ou qu’elle adopte un style trop élitiste, excluant alors des enfants et des jeunes en difficulté pour quelque raison que ce soit, et dont elle oublie alors qu’ils sont les destinataires privilégiés de la « Bonne Nouvelle annoncée aux pauvres[36] ».
Deux disjonctions qui posent problème
Dans le sillage de ce qui précède, on ne peut que regretter le mésusage qui est souvent fait du terme « pastoral », lorsqu’il est transformé en substantif.
On parle alors de « La pastorale », qui ne désigne plus dans ce cas, que les activités religieuses au sein de l’établissement.
Cela ouvre la porte à une disjonction entre « éducatif/pédagogique » d’une part, et « activités religieuses » de l’autre, symptomatique d’un déficit d’articulation des deux significations de l’expression « éducation chrétienne ». Car en rigueur de termes, la première signification est éminemment « pastorale » ! L’Église n’a pas créée des écoles dans le seul but d’y faire de la catéchèse, comme elle n’a pas créé des dispensaires ou hôpitaux pour que l’aumônier puisse y proposer les derniers sacrements, mais pour éduquer et soigner au nom du Christ, et au motif de son Évangile, même si bien-sûr, l’un n’empêche pas l’autre.
L’autre disjonction à éviter serait précisément celle que nous avons déjà pointée, entre « culture » d’un côté et « foi » de l’autre. Car la vocation de l’école catholique est la « synthèse » – qui n’est ni la fusion ni la confusion – entre foi, culture, et vie[37].
Une synthèse n’est pas la juxtaposition d’éléments épars. Elle est ce qui les relie.
En prenant en compte que la vie humaine intègre une dimension spirituelle, l’école catholique ne superpose pas une couche de plus au millefeuille des connaissances qu’elle transmet. Elle vise à introduire dans une croissance en humanité plus plénière, unifiant toutes les composantes de la personne, et mettant en lien tous les savoirs et expériences par lesquels elle se construit et grandit.
Conclusion
Au début de cet article, nous avions évoqué la complexité de l’expression « dire Dieu à l’école ». Si nous avons pu évoquer quelques-unes des difficultés ou ambiguïtés que celle-ci suscitait, nous avons pu souligner comment l’école catholique « parle de Dieu » selon diverses modalités engageant ou non la foi, mais surtout comment elle est appelée à « témoigner de lui » non seulement par des activités à visée religieuse, mais en particulier par un travail de mise en cohérence jamais achevé de son action éducative et pédagogique avec l’Évangile qui en est la source, et auquel elle doit constamment prêter l’oreille.
Nous avons alors évoqué un premier changement de centre de gravité de l’expression « dire Dieu ». Pour en être vraiment capable, l’école catholique doit toujours davantage se mettre à l’écoute de sa Parole, une Parole Vivante, qui la met sans cesse en route sur de nouveaux chemins éducatifs. « Heureux ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la mettent en pratique ![38] ». Car l’Évangile n’est pas seulement à « transmettre » aux élèves, mais à vivre avec tous[39], condition sans laquelle il ne serait pas vraiment annoncé.
Sans cette écoute, l’école catholique risque de ne dire qu’elle-même, et non pas Dieu. Elle risque cette attitude « auto-référentielle » que déplore de façon plus large le pape François au sein de l’Église, parce qu’elle peut la faire dévier de l’Évangile et de sa mission. Une mission dont il faut régulièrement questionner les représentations communes, qui comme celles que nous nous faisons parfois de Dieu, ne sont parfois que le miroir de nous-mêmes.
Nous avons pu alors découvrir second déplacement du centre de gravité de l’expression, invitant à passer de « dire Dieu à l’école » à « l’école qui dit Dieu » par l’ensemble de son activité.
Lorsque c’est à cela que de façon consciente, elle ordonne son projet éducatif, l’école catholique devient alors comme l’est la foi elle-même, cet espace de liberté en lequel au-delà de tout discours sur lui, Dieu peut se manifester, laissant à chacun, au vent de l’Esprit qui souffle où il veut, le temps de la réponse.
Ce faisant et comme le prophète, elle témoigne de façon authentique et avec ses propres mots et gestes, de l’indicible et de l’inouï d’un Dieu qui en Jésus-Christ s’est fait présence.
« Celui qui m’a vu a vu le Père[40] », dit Jésus à Philippe. Être et devenir sans cesse une école qui dit Dieu, c’est consentir à être une école qui, en tout ce qui constitue sa vie et son activité, montre et manifeste le Christ.
C’est faire de l’éducation une christophanie. Et par là, faire de l’école un lieu en lequel il est possible de rencontrer Dieu.
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Pour citer cet article
Référence électronique : Joseph Herveau, « De « dire Dieu à l’école » à « l’école qui dit Dieu »,Educatio [En ligne], 15| 2025. URL : https://revue-educatio.eu
Droits d’auteurs
Tous droits réservés
[1] Joseph Herveau, diacre, responsable national de l’animation pastorale scolaire au Secrétariat général de l’Enseignement catholique (France), doctorant en théologie à l’Institut catholique de Paris (ICP).
[2] Cf. Concile Vatican II, Déclaration « Dignitatis Humanae » sur la liberté religieuse, n° 2 ; 5.
[3] Cf. Statut de l’Enseignement catholique, art. 23 ; 151.
[4] « L’Église doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L’Église se fait parole ; l’Église se fait message ; l’Église se fait conversation. » Paul VI, Encyclique « Ecclesiam Suam », n°67.
[5] Une bien curieuse expression d’ailleurs, lorsqu’on se réclame d’un Dieu qui fait tant cas de la liberté humaine.
[6] Jn 1, 14.
[7] « Dieu qui est invisible s’adresse aux hommes en son surabondant amour comme a des amis et s’entretient avec eux pour les inviter et les admettre à partager sa propre vie », Concile Vatican II, Constitution dogmatique sur la Révélation « Dei Verbum », n°2.
[8] Ibid. n°4.
[9] Les deux dernières assemblées synodales ont proposé un autre exercice que celui-ci, autrement plus difficile que l’invective, mais sans aucun doute plus fécond : entendre ensemble la Parole de Dieu et se laisser transformer par elle, dans l’écoute de l’Esprit.
[10] Voltaire, « le Sottisier suivi des remarques sur le discours sur l’inégalité des conditions et sur le contrat social », nouvelle édition avec une notice, des notes et un index, Garnier Frères Paris, 1883, p. 151.
[11] Isaïe 55, 8-8
[12] Ex 20, 7. « En vain », c’est à dire pour le mal. Voir aussi Dt 5, 11.
[13] Des auteurs bibliques, Dei Verbum dira ceci : « Pour composer ces livres sacrés, Dieu a choisi des hommes auxquels il a eu recours dans le plein usage de leurs facultés et de leurs moyens, pour que, lui-même agissant en eux et par eux, ils missent par écrit, en vrais auteurs, tout ce qui était conforme à son désir, et cela seulement. » ibid. n° 11.
[14] Cœur de la prière d’Israël, le Shema (Dt 6, 4-12) est un mémorial de l’œuvre et le don de Dieu pour le peuple qu’il s’est choisi, et qui a vocation à en témoigner de génération en génération. C’est parce qu’il y a « écoute « qu’il peut y avoir transmission.
[15] Commission indépendante dur les abus sexuels dans l’Eglise. https://www.ciase.fr/rapport-final/
[16] Tout baptisé est fait prophète (ainsi que prêtre et roi) par son baptême. Il reçoit donc mandat de témoigner du Christ, ce qui suppose qu’il soit lui-même à l’écoute d’une parole dont il n’est ni l’origine, ni le propriétaire.
[17] Jn 13, 34.
[18] Voir en ce sens les « traditions » du rituel de l’initiation chrétienne des adultes.
[19] Jean-Paul II, exhortation apostolique « Catechesi Tradendae », n°5.
[20] Les évêques de France, Texte national pour l’orientation de la catéchèse, 3.1.
[21] Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation, « Directoire pour la Catéchèse », 2020, n°56
[22] Ibid. n°133.
[23] Cf. « Annonce explicite de l’évangile de l’évangile dans les établissements catholiques d’enseignement », CNEC, 2009, p. 6 ; 12-13.
[24] Ainsi, l’enseignant de français qui, lisant « Notre Dame de Paris » de Victor Hugo avec ses élèves, sera amené à leur expliquer des mots comme « archiprêtre » ou « cathédrale » ne le fera que dans le but de leur rendre intelligibles des mots dont ils ignoreraient la signification, de façon à ce qu’ils puissent comprendre l’œuvre littéraire qu’ils travaillent. Mais son sujet reste bel et bien la littérature.
[25] En réalité, il s’agit plutôt d’une « culture du catholicisme » que d’une « culture chrétienne » qui développerait une approche oeucuménique.
[26] Mt 25, 31-46.
[27] Aujourd’hui « Dicastère pour la culture et pour l’éducation ».
[28] Statut de l’Enseignement catholique, art. 23
[29] Ibid. art 126.
[30] Lc 7, 20-22.
[31] Concile Vatican II, Constitution dogmatique « Dei Verbum » sur la révélation, op. cit. n°2.
[32] Cette distinction entre « implicite » et « explicite », trop souvent mobilisée en école catholique est mise à mal par l’affirmation de Dei Verbum 2, précédemment citée. Car les deux forment un continuum. Ils sont les deux facettes d’une seule et même réalité.
[33] Concile Vatican II, déclaration sur l’éducation chrétienne « Gravissimum Educationis », n°1 ; 8.
[34] Statut de l’Enseignement catholique, art. 2.
[35] « Gravissimum educationis », op, cit, n°2.
[36] Lc 7, 22.
[37] Cf. Congrégation pour l’éducation, « L’école catholique », 1977, n°37. Voir aussi : « L’école catholique au seuil du 3ème millénaire », 1997, n°9 ; 14, pour ne citer que deux occurrences de ce thème récurrent dans les textes de la Congrégation pour l’éducation, devenue en 2022 le « Dicastère pour la culture et pour l’éducation ».
[38] Lc 11, 28.
[39] Ce « vivre avec tous » ne signifie ni qu’il faudrait emmener tout le monde à la messe, ni que tout le monde devrait âtre chrétien dans l’établissement (ou faire comme s’il l’était). Mais plutôt et par exemple, comment la logique des béatitudes inspire un style de vie entre tous et un style éducatif particulier à même de mobiliser des convergences entre les convictions de chacun – religieuses ou non, chrétiennes ou pas – et le projet éducatif.
[40] Jn 14, 9.