Recherche sur les finalités de la pastorale scolaire à partir d’une relecture de Paul Tillich, Tillich
Geoffrey Legrand.
Les enjeux théologiques de la pastorale scolaire. Recherche sur les finalités de la pastorale scolaire à partir d’une relecture de Paul Tillich, Tillich
Research 25, De Gruyter, Berlin/Boston, 2022, 413p.
Qu’est-ce que la pastorale scolaire ? Comment la rendre pertinente à des gens qui ne partagent pas la même foi ? Quelles sont les attentes actuelles de la société envers l’école catholique ? Comment l’école catholique pourrait-elle réaffirmer les conditions favorables de dialogue sur les questions religieuses dans le débat citoyen ?
Voici quelques-unes des questions auxquelles Geoffrey Legrand (GL) essaye de répondre dans son livre issu d’un travail de recherche doctorale au sein de l’Institut RSCS de la Faculté de théologie de la Fondation Sedes Sapientiae de l’US Louvain. Une recherche qui trouve ses motivations dans une double problématique : avant tout, suite au manque d’étude scientifique de grande envergure sur la pastorale scolaire catholique en Belgique francophone et, deuxièmement, dans la nécessité d’analyser les visées éducative, sociétale, identitaire, ecclésiale et théologique auxquelles les écoles catholiques doivent répondre.
Les différentes questions soulevées par la société contemporaine envers l’école et plus particulièrement à l’égard de la pastorale scolaire en Belgique sont soumises à une analyse minutieuse afin de proposer des réponses pertinentes. Pour y arriver GL fait appel à plusieurs concepts issus de l’œuvre de Paul Tillich (1886-1965), écrivain, philosophe et théologien protestant qui a exercé une forte influence sur de nombreux penseurs, notamment Paul Ricœur, René Girard et Ernst Bloch. Dans la logique du dossier qui décrit les attentes de la société belge de la part de l’école catholique, les préoccupations théorétiques de Paul Tillich sur l’éducation ont justement le rôle de relier les questions existentielles aux réponses théologiques et d’identifier le type d’éducation chrétienne possible actuellement. L’expérience du terrain de l’auteur complète ce cadre en nous proposant différents « modèles pastoraux » envisageables et applicables pour l’ensemble de la communauté éducative, les équipes pastorales scolaires et les services d’Église.
Le livre est organisé en trois parties : 1) « contextualisation » (l’école catholique et la pastorale scolaire en Belgique francophone) [pp. 7-123], « décontextualisation » (penser la pastorale scolaire avec Paul Tillich) [pp. 124-238] et « recontextualisation » (articulation des concepts tillichiens et d’autres auteurs contemporains afin de permettre une réflexion sur des modèles pastoraux à mettre en œuvre) [239-375].
La « contextualisation » se veut à la fois une approche philosophique, sociologique et psycho-sociétale en matière d’éducation et de religion. Le lecteur trouvera avant tout une définition de ce que la société a toujours attendu de l’école : « éduquer à la citoyenneté » ! Malgré un programme scolaire où la question religieuse est quasi absente, l’enquête réalisée en 2015 dans les écoles auprès de 1644 jeunes (83,6% entre 17 et 19 ans) montre que certains restent ouverts aux questions essentielles tant philosophiques que religieuses. Le triptyque « éducation, citoyenneté et religions » se présente donc comme une réalité incontournable dans notre société moderne. Evidemment, l’école catholique est invitée à en tenir compte et à répondre aux nouveaux défis. Grâce à la lecture et l’analyse des textes romains et des institutions internationales, GL affine sa compréhension du phénomène « école catholique » dans sa spécificité éducative et sa mission d’évangélisation. Sur la base de quatre modèles identitaires (« atmosphère propre », « valeurs », « école catholique du dialogue » et « conjonctif où tout est pastorale ») – modèles repris également dans l’échelle de Melbourne (un outil de la Katholieke Dialoogschool permettant de représenter schématiquement l’identité des écoles) –, GL ne peut que constater la complexité de l’identité chrétienne de l’école et la difficulté de porter des réponses adaptées aux attentes des jeunes en matière religieuse dans nos sociétés occidentales. Cette partie se termine avec la présentation historique de l’école catholique belge francophone, de ses structures et ses activités de la pastorale, de ses documents officiels, avec leur limites et points forts. Le tout montre combien l’éducation et la pastorale de la jeunesse restent à la fois une tâche importante et complexe tant pour l’école catholique que pour la société dans son ensemble.
La « décontextualisation » invite le lecteur à découvrir et à détailler des concepts opérants dans la pensée de Paul Tillich pour « re-penser » la pastorale scolaire. S’agit-il d’une étude théologique ou philosophique ? Difficile de le dire car dans son œuvre Paul Tillich rapproche philosophie et théologie. Sachant que l’arsenal conceptuel tillichien est assez vaste et à priori inconnu d’un lecteur néophyte, GL propose de se limiter à cinq concepts fondamentaux qu’il considère comme les plus pertinents et les plus féconds par rapport au contexte de sa recherche. Il s’agit de : 1) les « frontières » (un concept ontologique) ; 2) la bipolarité entre la « substance catholique » et le « principe protestant » (deux postures chrétiennes complémentaires) ; 3) la « théonomie et ses harmonisations » (les liens entre le sacré et le profane) ; 4) la « rencontre interreligieuse » (le dialogue interreligieux sans inclure des réflexions sur la foi séculière) et 5) la « préoccupation ultime » (le dynamisme entre l’absolu de l’ultime et le concret de la préoccupation). De l’analyse détaillée de ces concepts découlent les clefs théologiques permettant à GL de repenser la pastorale scolaire aujourd’hui : 1) le concept des « frontières » est mis en lien avec la corrélation qui inspire la méthode de travail décrite dans le programme du cours de religion catholique ; 2) la bipolarité entre la « substance catholique » et le « principe protestant » aide à identifier les avantages et les inconvénients de ce deux attitudes spirituelles complémentaires en vue d’une sortie de l’Église conservatrice vers la société humaine ; 3) la « théonomie et ses harmonisations » introduit la notion de démonique, en tant que « perversion du sacré », et de kairos (« le temps de l’occasion opportune »), où l’inconditionnel fait irruption dans notre temps dans l’objectif de rechercher de la grâce dans la sphère profane ; 4) la « rencontre interreligieuse » ouvre sur la question de la pluralité culturelle et religieuse des jeunes présents dans les écoles et sur les formes de dialogue possibles ; 5) la « préoccupation ultime » prolonge la réflexion sur le rôle déterminant du symbolisme religieux – en particulier celui de la Croix du Christ– et permet d’engager le dialogue ontologique à partir de la religion au sens large.
La « recontextualisation » appartient au domaine de la théologie pratique : elle reprend les questionnements initiaux posés par la pastorale scolaire belge francophone, alimentés par les fruits de la recherche systématique des cinq concepts tillichiens et les confrontant aux réflexions méthodologiques d’autres penseurs, comme Friedrich Schleiermacher, Edward Schillebeeckx, David Tracy, Marc Dumas et Lieven Boeve. Ces diverses réflexions montrent l’importance dans la théologie pratique de la « méthode de corrélation », c’est-à-dire de l’harmonisation des « théories » avec la « pratique » ou plus exactement de l’articulation de la foi chrétienne dans le contexte présent. GL retrace dans un premier temps les grands moments de la théologie corrélationnelle, ses origines, ses raisons d’être, ses limites et ses développements. Puis, dans un deuxième temps, il argumente sur l’intérêt de fonder l’identité de l’école catholique sur la base de la recontextualisation en tant que corrélation « post-moderne ». Cela implique évidemment des modèles pastoraux plus missionnaires et plus dialogaux qui soient accompagnés d’un engagement dans les kairoi de notre temps, notamment ceux de l’écologie intégrale et du dialogue interreligieux. Pour GL il s’agit de ne plus adhérer aux valeurs quand on souhaite définir l’identité catholique d’un établissement scolaire mais à des projets centrés sur le dialogue entre tous. Les équipes pastorales doivent se déplacer vers les « frontières » et soutenir la foi élémentaire de tout un chacun. De même, les services diocésains doivent travaillent en « complémentarité sans superposition » tout en rejoignant les jeunes dans leurs préoccupations. Autrement dit recontextualiser l’identité chrétienne dans la société actuelle pour la rendre plus efficace !
À la lecture de ce livre nous constatons que les enjeux majeurs de la pastorale scolaire belge francophone soulèvent deux exigences : une manière nouvelle de comprendre l’identité de l’école catholique et des modèles pastoraux plus dialogaux à mettre en œuvre. Le tout montre que la pastorale scolaire possède une force et un potentiel énorme si elle dispose de méthodes, structures et ressources qui répondent aux réalités de la société contemporaine.
La confrontation qui existe aujourd’hui dans l’enseignement catholique entre la dimension confessant et la vision du jeune et de l’homme implique « l’„interruption” et la „recontextualisation” de la foi chrétienne pour refonder l’identité de l’école catholique, non plus sur la base de valeurs mais à partir d’un engagement au nom de la spécificité chrétienne, de Jésus-Christ et de son Évangile, dans les kairoi de notre temps » (p. 268).
Stefan Munteanu