Archives de catégorie : Numéro 7 – L’éducation face au mystère anthropologique du corps

Pratiques corporelles et pédagogie chrétienne

Guy Avanzini*

Télécharger le fichier en pdf

L’ambition de la pédagogie chrétienne est de penser une éducation intégrale et plénière de la personne. De ce fait, s’impose à elle de mettre aussi en œuvre des « pratiques corporelles ». Mais le positionnement de cet objectif au sein d’un plan d’ensemble de finalités diverses s’avère aléatoire ; sa valorisation est variable et exposée à divers obstacles. Il y a donc bien à préciser en quel sens, et à quelles conditions ces pratiques sont « éducatives » et justifient d’être intégrées à la pédagogie, et plus encore à la pédagogie chrétienne, donc liées aux « mystères anthropologiques du corps ».

Continuer la lecture

Introduction

Sensations, Pulsations et Inspirations
3 supports physiologiques au service d’une Education des Corps

Gilles Lecocq*

 

Télécharger le fichier en pdf

Pour qui le Cœur bat-il ? Pour quoi inspirer de l’air venu d’Ailleurs ? Ces deux questions sont l’occasion de s’intéresser à la place du corps au sein de la vie scolaire et au-delà de la vie scolaire dans ces dimensions essentielles qui favorisent un point de rencontre entre le soi, le je et le nous. Ces trois instances sont en effet le siège de pulsations, de sensations et d’inspirations ayant des fréquences et des puissances différentes. Ces différences nous rappellent qu’une pédagogie ne peut se désintéresser des phénomènes physiologiques qui animent le corps humain. En effet, lorsque le soi, le je et le nous se rencontrent sur une scène culturelle, le corps, à la fois lieu des passions et siège des raisons, peut en effet à la fois devenir un allié et se métamorphoser en un lieu de déviances. Il appartient donc à un pédagogue d’identifier les caractéristiques des espaces sociaux où jeunes et adultes peuvent se rencontrer sur cette frontière qui sépare, sans les disjoindre, un corps socialisé à finalités publiques et un corps intime à finalités privées. Ainsi, les temps et les espaces de la vie culturelle où se révèlent une éducation corporelle, une éducation citoyenne et une éducation spirituelle ont quelque chose à nous apprendre de l’Homme Corporel et de l’Homme Spirituel qui constituent les assises du phénomène humain. C’est ainsi qu’entre le Corps Paraître et le Corps Par-Être, l’in-su de la connaissance devient le socle de ce qui fonde les mystères anthropologiques du corps, là où des réponses à deux questions restent indicibles : Pour quoi le Cœur bat-il ? Pourquoi inspirer de l’air venu d’Ailleurs ? Continuer la lecture

A. Tricot
L’innovation pédagogique

Paris – Retz – 2018 – 160 p.

Affecté d’une présentation et d’une typographie un peu dissuasives, cet ouvrage suscite d’emblée un certain étonnement. Son propos est en effet d’établir, à l’aide de neuf exemples analysés avec soin, que, bien souvent, de prétendues « innovations pédagogiques », supposées capables d’améliorer les apprentissages scolaires, « correspondent à des choses qui existent depuis des décennies » (p. 6). C’est  donc dire « la capacité de l’innovation pédagogique à faire passer des idées anciennes pour nouvelles » (p.7).Ce jugement n’est pas toujours faux, et une illustration spectaculaire vient d’en être offerte par la pédagogie officielle qui présente comme garant du succès de l’apprentissage de la lecture le recours à la méthode syllabique, issue de l’Antiquité romaine. C’est dire qu’il suffit de bien choisir des exemples pour confirmer l’hypothèse…

On ne saurait cependant sans sophisme en conclure ou suggérer que toute innovation est une duperie. Encore faut-il, pour ne pas y céder, définir rigoureusement cette notion d’innovation et les critères de son authenticité, avant de pouvoir, alors, en apprécier l’efficacité. C’est pourquoi il s’impose d’abord de la situer dans la dynamique de l’acte éducatif et d’en bien discerner la polysémie et le rôle. S’agissant d’éducation, l’innovation, en effet, n’est pas seulement une éventualité, mais une nécessité inéluctable : le paramètre axiologique, qui énonce les objectifs, et le paramètre anthropologique, qui postule une certaine éducabilité, requièrent d’être articulés par et au sein d’une invention -d’ordre pédagogique- qui, en tant que telle, constitue une innovation. Mais la complexité de la situation tend à ce que, selon les époques et les contextes, le projet de ces inventions est très inégalement ambitieux : il va en effet de la modeste invention d’une démarche didactique, qui deviendra au mieux une « bonne pratique », jusqu’à l’entreprise rénovatrice de tout un système scolaire dans sa globalité. En outre, quoique banalisé par l’usage, il est toujours l’objet d’une découverte, donc constitue une innovation, pour celui qui l’ignorait et la rencontre tardivement. Ainsi le texte libre de Freinet demeure aujourd’hui une innovation dans un établissement sclérosé, qui voudrait se moderniser.

C’est en tenant compte rigoureusement de ces deux facteurs -l’ampleur du projet et ses coordonnées chronologiques- que l’on peut maîtriser dans sa complexité la notion d’innovation et, vu ses objectifs, en évaluer les effets et la pertinence, en évitant la double naïveté d’une célébration inconditionnelle de la nouveauté identifiée au bien, comme celle d’une crispation anxieuse sur ce qui est périmé mais encore en cours. Pour avoir négligé ce concept d’innovation, l’argumentation du livre est sans objet.

Guy Avanzini

Régis Félix et onze enseignants membres d’ATD Quart-Monde
Tous peuvent réussir

Lyon – Chronique Sociale – 2013 – 206 p.

En cette année 2017, où l’on célèbre le centenaire du Père Joseph Wresinski et le 60ème anniversaire d’ATD Quart-Monde, qu’il a fondée à Noisy Le Grand en 1976, sans doute est-il opportun de signaler très spécialement ici cet excellent ouvrage, dû à une recherche-action collective, conduite sur des enfants issus de familles marquées et souvent stigmatisées par leur très grande pauvreté. Divers « acteurs-chercheurs », tout à la fois, exposent leurs pratiques et indiquent ensuite comment ils les ont transférées dans leurs établissements respectifs, des divers ordres et degrés, pour tenter d’y prévenir les innombrables échecs et « décrochages » qu’induit l’enseignement traditionnel.

Parmi les coauteurs de récits, également passionnants, nous citerons tout particulièrement ceux de Vincent Massart, de l’ESPE de Lyon, pour la finesse de son analyse et son souci de formalisation, comme d’Agnès Salmon, pour la force de son engagement et de sa conviction.

Si, parmi les ouvrages qu’ATD a déjà consacrés à l’éducation, que ce mouvement ne cesse, à bon droit, de promouvoir, nous avons délibérément privilégié celui-ci, c’est surtout pour l’exemplarité de sa méthodologie. Au-delà même de son objet spécifique, il montre avec clarté et simplicité comment tout éducateur, enseignant ou formateur, peut simultanément devenir chercheur, c’est-à-dire s’engager dans une vraie recherche pédagogique.

Comme Antoine Prost l’écrit très bien dans sa Préface « nous n’avons pas ici à faire à des militants qui s’épanchent mais à des enseignants engagés qui travaillent leur vécu (p.14). Ces praticiens de terrain ont en effet, sans quitter celui-ci, accepté de se rencontrer et d’entrer en relation avec des universitaires – d’abord Gaston Pineau, de Tours, puis Pascal Galvani, de Rimouski – . Pendant trois ans, ils se sont retrouvés en divers séminaires, pour analyser et pour conceptualiser  leurs expériences ; ils se sont prêtés à « l’entretien d’exploration », que préconise Pierre Vermersch, pour « conscientiser» et identifier leurs « savoirs d’action » qui, d’abord tacites (p.23)et non élucidés, ont été acquis par le constat de « ce qui marche » (p. 26). Ils sont donc devenus des « praticiens réflexifs » (p.26), simultanément susceptibles d’évaluer leurs innovations et de les utiliser avec leurs élèves des établissements « normaux », trop souvent en échec. Un inventaire de 21 « savoirs d’actions », repartis en 7 domaines, a même été établi et commenté (pp. 97 et ss), ce qui les rend communicables, comme le signale fortement M. Galvani (p.145).Chacun peut aussi « agir en praticien réflexif » (p. 129).

Nous observons dans ces pages une confirmation manifeste de la structure tripolaire de l’acte éducatif, requise pour qu’il soit identifiable et capable d’aboutir. C’est, d’abord et en tout premier lieu, car elle est décisive, une axiologie, c’est-à-dire des finalités claires et explicites, qui motivent et stimulent l’activité. L’un d’eux le dit excellemment : « pour moi, le pari fou et nécessaire, quand on entre dans une classe, est de dire que tous ceux-là doivent réussir, tous doivent accéder au diplôme auquel je les prépare (p. 73).Un autre ajoute : « j’avais envie de faire ce métier pour que chaque enfant réussisse » (p. 87)l’intensité de cet engagement, de cet investissement, est déterminant. Encore faut-il -et c’est le second paramètre-, une anthropologie qui rende accessibles ces finalités, faute de quoi elles s’avèreraient chimériques. Or le titre même de l’ouvrage l’affirme sans ambiguïté : « tous peuvent réussir », même des élèves « dont on n’attendait rien ». Un des principes de base du mouvement précise : « tout homme porte en lui une valeur fondamentale inaliénable, qui fait sa dignité d’homme » (p.18).C’est pourquoi il faut cultiver méthodiquement l’estime de soi. Dès lors « ils ont compris que l’on croyait en leur potentiel et ont joué volontiers (p.139).C’est bien pourquoi « enseigner nécessite de changer de regard sur les enfants et leurs parents, c’est se transformer soi-même » (p. 136). Au total, il s’agit de postuler l’éducabilité de tous. Encore faut-il articuler ces deux paramètres, ce que rien ne garantit. Leur harmonisation requiert une invention qui, en tant que telle, est toujours aléatoire, et pas toujours réussie.  « Le but à atteindre est bien déterminé – Reste la part de l’improvisation » (p. 132). Donc, « le travail réel est largement lié à l’invention du praticien, qui doit sans cesse faire face à l’injonction des événements » (p.147).

Ainsi, une fois de plus, et comme toujours, ce sont les sujets en difficulté, ceux qui mettent l’éducateur en échec, qui deviennent les moteurs du progrès, grâce à l’extension et à l’usage audacieux de pratiques dont on a risqué l’invention. L’on sera reconnaissant à ATD Quart-Monde de confirmer cette constante et, simultanément, de justifier l’admiration d’une initiative éducative que retiendra l’histoire de la pédagogie, bien que le Père Wresinski ne soit jamais, encore, cité parmi les « pédagogues ».

Certes, son œuvre n’est pas confessionnelle. Et cependant, c’est bien l’inspiration Evangélique qui lui a explicitement donné son énergie et sa volonté de promouvoir l’homme. A ce titre, elle s’inscrit de plein droit dans la dynamique de la pédagogie chrétienne, en particulier dans le courant salésien, dont elle est proche par plusieurs aspects. C’est pourquoi elle est à percevoir comme une audacieuse réalisation de la charité éducative.

Guy Avanzini

Apprentis d’Auteuil
Prendre le parti des jeunes

Paris – Editions de l’Atelier – 2017 – 112 p.

A l’occasion de son 150ème anniversaire – que nous avons déjà évoqué –la Fondation a mobilisé, pendant l’année 2016, ceux qu’elle accueille, 25000 enfants et adolescents, ainsi que leurs familles (6000) et ses collaborateurs, professionnels et bénévoles, pour une vaste concertation sur ce qui pourrait être et, surtout, devenir une vraie politique de la jeunesse. Et c’est, a-t-elle pensé, en le demandant aux intéressés eux-mêmes que l’on en obtiendrait la meilleure vision. Selon des modalités variées – débats, ateliers, etc. – les uns et les autres s’y sont engagés et sont parvenus à des conclusions classées selon des rubriques appropriées : famille, école, avenir, société, etc. … Certaines suggestions émises ont été d’emblée expérimentées dans tel ou tel établissement de l’Œuvre, pour aboutir à une série de 20 propositions présentées aux décideurs et récapitulées, selon l’expression d’une mère d’élève, dans ce « petit bouquin d’utilité publique ».

On remarquera d’abord l’originalité d’une démarche qui postule la capacité des « jeunes » à réfléchir utilement sur leur propre sort. S’adressant à des sujets que leurs difficultés familiales, scolaires ou sociales ont trop souvent déconsidérés à leurs propres yeux, elle a favorisé chez eux une certaine reconsidération ; ils y ont vu un signe de confiance et d’estime dont on ne saurait méconnaître la portée psychologique. Aussi bien, les propositions élaborées sont bienvenues, exemptes d’extravagances, de souhaits magiques ou infantiles comme de sottises naïves, elles manifestent globalement une pertinence et un bon sens qui confirment les qualités de l’éducation ou de la formation reçues.

Parmi elles, nous retiendrons particulièrement 4 thèmes. D’abord, il faut éviter des décisions de placement émanent de préjugés administratifs peu éclairés et insensibles aux paramètres affectifs ; ensuite, il faut redire les méfaits d’une Ecole inattentive aux personnes, figée dans un immobilisme et agent aveugle de sa décrépitude ; En outre, on doit songer au sort des jeunes adultes abandonnés à eux même au jour de leur 18 ans, et faciliter l’accès aux contrats jeunes majeurs. Enfin, s’ils reconnaissent bien l’importance du politique, les mêmes n’ont guère confiance dans les hommes politiques, dont la parole ne leur paraît pas toujours fiable.

Certes, une enquête de ce type ne saurait être représentative. Du moins est-elle hautement significative, tout spécialement des problèmes de ceux que les Apprentis d’Auteuil ont vocation d’accueillir. Si l’on regrette que la méthodologie et les méthodes de dépouillement n’aient pas été explicitées, elle souligne très opportunément une urgence sociale et, à cet égard, appelle à être prolongée. En particulier, selon quelles voies institutionnelles pourrait s’organiser une consultation régulière sur les besoins ? Plus largement, quelle suite assurer désormais à ce travail, qu’il serait navrant de ne pas expliciter et de ne pas partager ?

Guy Avanzini

Alphonse Gilbert, s.p.
Aventurier de l’Esprit Saint : vie d’un missionnaire spiritain

Paris – Ed. Emmanuel – 2016 – 178 p.

Cette autobiographie est magnifique : elle raconte une vie réussie ; ce qui est rare dans les publications actuelles, que dominent si souvent la plainte ou la dépression. Comme le dit la quatrième page de garde, elle « se lit comme un roman d’aventure ». C’est l’histoire d’un missionnaire spiritain, qui, aujourd’hui nonagénaire et retiré à Chevilly-Larue, a vécu dans l’enthousiasme et la confiance totale en l’Esprit Saint les ministères successifs et divers auxquels l’obéissance religieuse l’a appelé.

Or -et c’est ce qui justifie cette recension- plusieurs ont été d’ordre éducatif et ont donné lieu à une réflexion sur l’expérience acquise. Certes, le Père Gilbert n’a écrit aucun ouvrage de pédagogie et ne formule aucune théorie en la matière : cependant, en le lisant, on remarque d’abord tout ce qu’il doit à une famille affectueuse et confiante dont, natif de St Pierre et Miquelon, il a dû s’éloigner géographiquement pour répondre à sa vocation sacerdotale mais qui a façonné sa personnalité. Cela se manifeste d’emblée par sa souffrance face à l’austérité et à la rigidité des professeurs du Séminaire comme des formateurs du noviciat. Aussi bien, nommé après son ordination, en 1943, dans un collège du Québec où il restera 15 ans, il adopte avec ses élèves une pédagogie de proximité, « je ne me braque pas sur leurs défauts », écrit-il (p.69). Envoyé ensuite en Guinée, pour ouvrir à Conakry, à l’époque de la dictature, un séminaire clandestin, il s’y montra, toujours bienveillant et proche, convaincu de l’éducabilité de chacun. Il en va de même en Haïti, où il apprivoise des élèves difficiles, puis en Belgique, où il ouvre un centre spirituel, et à Chevilly-Larue, pour la formation des futurs missionnaires, et plus encore, enfin, à l’Œuvre des apprentis d’Auteuil, avec des adolescents gravement perturbés, à qui il apporte une aide lucide et chaleureuse. En tout cela, lui-même perçoit le rapprochement qui s’impose avec Don Bosco (p. 90).

Cette attitude stimulante est la même dans toutes les tâches pastorales dans lesquelles l’ont engagé tant sa remarquable capacité de travail que son zèle apostolique. Ainsi en va-t-il de sa prédication comme de son rôle dans la Communauté de l’Emmanuel, ou en tant que Supérieur de séminaire, ou comme procureur de l’Episcopat français à Rome.

La lecture de cet ouvrage, écrit de façon vive et directe, révèle une personnalité tonique, dont on admire la totale disponibilité, l’immense adaptabilité, une envergure polyvalente mais aussi, et surtout, un vrai charisme éducatif.

Guy Avanzini

Joël Molinario
Joseph Colomb et l’affaire du Catéchisme progressif : un tournant pour la catéchèse

Paris – Desclée de Brouwer – 2010 – 496 p.

En cette année 2017, qui marque le 60ème anniversaire de « l’affaire du catéchisme » en 1958, sans doute est-il opportun de présenter, bien qu’elle ait été soutenue en 2008 et publiée en 2010, la thèse de doctorat en théologie que lui a consacrée Joël Molinario, directeur de l’ISPC à l’Institut Catholique de Paris. L’auteur s’est en effet attaché à explorer une problématique épineuse, spécialement pour le Père Joseph Colomb, que l’évolution socioreligieuse d’alors avait convaincu de proposer un renouveau de la catéchèse des enfants, donc de la pratique du catéchisme classique.

La première partie du livre reconstitue minutieusement la genèse de « l’affaire », c’est-à-dire des désaccords entre le prêtre lyonnais et ses adversaires : certains français d’inspiration intégriste et, surtout, le Saint-Office, en la personne du Cardinal Ottaviani son pro-secrétaire. Il apparut vite, en effet, que « les oppositions sur la méthode du catéchisme correspondent en réalité à des divergences profondes, d’ordre anthropologique et théologique » (p. 15), faussées par l’inégalité statutaire et canonique des intéressés ; leur élucidation s’accompagna de malentendus, d’incompréhensions et d’équivoques, comme si la gravité des enjeux amenait les uns à la redouter au mépris de la clarté, et les autres à la dramatiser au détriment de la justice. S’y ajoutèrent des confusions d’ordre terminologique, par exemple entre catéchèse « progressive » et « progressiste ». De même, en quelle acception faut-il entendre la notion « d’expérience religieuse ? » Aussi bien, l’introduction des « méthodes actives », n’alla pas non plus sans dévaluer mémorisation et récitation, ni accroître la perplexité dues à des notions plus ou moins polysémiques, spécialement celle d’action ? En définitive, comment assumer la différence entre un « catéchisme » inventé pour et enseigné à des enfants qui vivent dans un environnement globalement chrétien, et celui qui l’est dans un milieu pluri-culturel et déchristianisé ? Quel est, au total, l’idéal du chrétien, le chrétien type : un sujet instruit des vérités de la religion, ou celui qu’anime une foi vive et vivante en dépit d’un contexte inégalement favorable ? Et, dans le second cas, que devient le rôle de la doctrine et de son enseignement ? Le défaut d’explicitation des griefs respectifs ne manqua pas d’induire un climat de malaise et, comme le dit l’auteur, de donner le sentiment « d’un procès qui n’a pas eu lieu » (p.223).

Débordant le registre historique, la seconde partie, quant à elle, porte sur le fond, en comparant la théologie du Saint-Office avec celle de l’Abbé Colomb. Selon le Cardinal Ottaviani, l’Église, de droit porteuse de vérité, exerce légitimement sa magistrature d’enseignement, notamment pour déceler et prévenir les erreurs dues au pêché ; Elle énonce aussi la pensée de l’Église. Certes le Concile allait contester et combattre cette interprétation exclusiviste et la situer comme « celle d’une école particulière mais non pas la Tradition authentique de l’Eglise » (p.330). Cependant, en 1957, Joseph Colomb était-il en mesure de soutenir sa propre théorisation, celle dont traitent les chapitres suivants, qui l’exposent minutieusement, ainsi que ses conséquences sur la formation du clergé et des catéchistes ?

Au terme de cette confrontation, J. Molinario n’entend nullement attribuer ou refuser à qui que ce soit un prix d’orthodoxie, susceptible de ranimer les rancœurs et l’amertume de 1957. Plus profondément, il montre en réalité que l’intensité de la mutation culturelle de la fin du XXème siècle a déstabilisé tant les finalités d’une formation chrétienne que l’anthropologie de ses destinataires, de sorte que l’invention propre à les prendre en compte demeure prématurée et se dérobe encore à une maîtrise satisfaisante, si bienvenu que soit l’effort de ceux qui ont eu la lucidité de l’apercevoir et le courage de risquer des innovations appropriées.

Sans doute regrettera-t-on un plan peu touffu et redondant, comme une référence un peu rapide aux travaux et à l’influence de Maria Montessori et d’Hélène Lubienska de Lenval. Mais il faut surtout féliciter l’auteur de ce travail qui, en étudiant un épisode douloureux de l’histoire de la catéchèse propose une belle recherche sur les problématiques de la transmission de la foi.

Guy Avanzini

Pierre Dominice
Au risque de se dire

Ed. Tétraèdre – 2015 – 222 p.

Cet ouvrage d’un spécialiste justement estimé des sciences de l’éducation de Genève ne traite pas directement de l’éducation chrétienne ; et cependant, il l’interroge directement. Issu d’une famille protestante, après des études de théologie et au terme d’une longue carrière universitaire, il se demande aujourd’hui pourquoi lui-même et beaucoup de ses contemporains et amis, issus comme lui de la tradition Réformée, sont désormais devenus « allergiques au christianisme et même se situent volontiers entre indifférence et incroyance. Peut-on, se demande-t-il, demeurer fidèle à l’esprit des convictions initiales, en s’affranchissant de ce qui paraîtrait dépassé ou formel ? Comment, en d’autres termes, sauvegarder une spiritualité libérée et libératrice ? Tel est l’objet de ce livre fidèle à son titre, exigeant, intense, parfois douloureux quoiqu’ animé par une espérance. Pierre Dominice ne craint pas d’exposer ici, tout à la fois avec liberté et discrétion, des problématiques très personnelles mais dans lesquelles beaucoup d’autres reconnaîtront les leurs.

Sans entrer dans le détail, qu’une simple recension peut seulement situer, et en appréciant le juste ton que l’auteur a su adopter, on regrettera cependant de ne pas trouver dans ces pages une définition suffisamment explicite et éclairante de la notion même de « spiritualité ». Celle-ci ne comporte-elle pas, en effet, deux acceptions complémentaires, dont la distinction faciliterait peut-être l’analyse des positionnements personnels ? La spiritualité, c’est en effet d’abord cette exigence, proprement anthropologique, qui pousse l’être humain à chercher le sens de son existence. Et c’est, ensuite, l’adhésion à la réponse, plus ou moins formalisée et maîtrisée, qu’il apporte à cette recherche. Au premier sens, elle n’est pas d’emblée religieuse ; au second, elle peut au contraire le devenir, dans la mesure où le sujet réagit par l’adhésion à la foi en une religion identifiée.

Par ailleurs, si l’on perçoit bien la difficulté de certains devant l’exigence d’une dogmatique formalisée, on craint aussi que la récusation de celle-ci heurte le souhait de cohérence intellectuelle et amène, comme le livre l’indique à diverses reprises, à des modalités liturgiques affectivement réconfortantes mais dont l’hétérogénéité et le relativisme pourraient s’avérer décevants ou inquiétants. Si désirable soit-elle, la seule « réception positive des différences » (p. 123) est-elle intellectuellement satisfaisante ? Quoi qu’il en soit, on sera à bon droit reconnaissant à l’auteur de cette réflexion acérée, pénétrante et incisive, sur  l’inquiétude existentielle qui fait la grandeur de l’être humain.

Guy Avanzini

Matthieu Brejon de Lavergnée (sous la direction de)
Des Filles de la Charité aux Sœurs de St Vincent de Paul : quatre siècles de cornettes (XVIIème – XXème siècle)

Paris – Honoré Champion – 2016 – 556 p.

En cette année 2017 où l’on célèbre, spécialement à Chatillon sur Chalaronne, le 4ème centenaire de la fondation des Equipes de Charité, sans doute s’imposera-t-il de présenter ce gros ouvrage qui, grâce à M. Brejon de Lavergnée, publie les Actes du Colloque tenu en octobre 2011 en Sorbonne et à la Maison-mère des Sœurs. Ainsi sont rassemblées 25 communications, qui illustrent leurs diverses activités sur tous les continents au cours de ces quatre siècles. Voilà donc une recherche qui répare une lacune ou une négligence des historiens, sans doute longtemps inattentifs au phénomène des congrégations féminines. Or celle-ci, à son apogée, en 1965, rassemblait 45 000 religieuses.

 « La charité est inventive », aimait à dire St Vincent. Son histoire le montre avec éclat. La première partie porte sur les origines, l’essor et les difficultés liées à des conjonctures inégalement formelles, voire hostiles. La seconde présente une implantation des religieuses géographiquement très variée, particulièrement significative, et la troisième a trait aux divers registres de leur apostolat, pour en souligner à la fois la variété et l’unité. Parmi les constantes, on retiendra évidemment ici le souci de l’éducation, qui entraîne très vite, dès 1641, la fondation des « petites écoles vincentiennes », jusqu’à ce réseau qui scolarise de nos jours en France 30 000 élèves ou apprentis, en 22 écoles, 15 collèges et 48 lycées, généralement techniques et professionnels, et 11 CFA. Contrairement à une représentation courante, cette charité éducative ne se limite pas au sauvetage des nouveau-nés abandonnés aux portes des églises mais s’étend à tous les pauvres, à tous les âges. Plus encore, et cela demeure méconnu, St Vincent, sans le dire explicitement, croit à l’éducabilité de tous ; il agit et forme les sœurs selon cette conviction dynamique et, à son époque, profondément novatrice.

Parmi toutes ces communications, de portée évidemment inégale, on retiendra particulièrement celle de Sœur Elisabeth Charpy sur la spiritualité des sœurs, et celle de Sarah Curtis sur l’action de la Bienheureuse Sœur Rosalie Rendu dans la paroisse St Médard de Paris.

Si l’on peut émettre un regret il portera sur l’absence de chapitres de synthèse qui, à partir de l’extraordinaire richesse  de ces textes successifs et des situations spécifiques qu’ils étudiaient, en présenteraient précisément les constantes et les lignes directrices. Celles-ci mériteraient d’être davantage thématisées.

Guy Avanzini

Blandine Berger (présentation par)
Madeleine Daniélou : chemin vers l’intériorité

Paris – Ed. Parole et Silence – 2016 – 134 p.

Poursuivant ses recherches et publications sur Madeleine Daniélou, l’auteure approfondit l’analyse de la belle aventure spirituelle de cette mère de famille qui, avec l’autorisation du Cardinal Amette et le soutien du Père de Grandmaison, fonda en 1913 une société de femmes engagées par un vœu perpétuel au service de l’éducation des jeunes filles : la Communauté Apostolique de Saint-François Xavier. Constatant douloureusement que beaucoup d’entre elles, en entreprenant des études supérieures, perdent la foi, elle entreprend d’y réagir en montrant que, sainement conçue, la culture n’entraîne pas l’incroyance mais, au contraire, l’enracine et la promeut. Sa vocation devient donc, à ses yeux, de créer des établissements scolaires proposant une formation chrétienne qui aide à trouver Dieu. C’est ce que visent le célèbre lycée Sainte Marie de Neuilly, et, ultérieurement, beaucoup d’autres.

Réunissant ici et commentant de manière sobre et discrète divers textes de Madeleine Daniélou, B. Berger présente sa spiritualité. Nous retiendrons spécialement la 3ème partie de son livre car, explicitement centrée sur l’éducation, elle précise comment ouvrir les jeunes à cette « vie intérieure », à laquelle ils aspirent intensément, quoique sans toujours le percevoir : comment, donc, assurer « la transmission de l’intériorité» (p. 95)par et au cours de l’éducation ?

Si l’on se réfère au climat intellectuel du début du XXème siècle, contradictoirement marqué à la fois par le naturalisme scientiste et par Bergson, qui le combat et dont on perçoit bien l’influence qu’il exerça sur elle, l’on saisit l’originalité de l’anthropologie de Madeleine Daniélou et de sa conception de « l’éducation selon l’esprit », sa vision dynamique de l’éducabilité des filles, sa conviction de leur potentiel intellectuel et spirituel, « l’élan créateur » qui les poussa (p. 110)et, au total, la vision personnaliste qui est au cœur de sa pensée et qui, indissociable de sa foi, la vivifie. On appréciera aussi les pages qui montrent comment l’autorité de l’éducateur est suspendue à son authenticité (p. 105-106)comme celles qui mettent en garde contre une valorisation excessive du sport (p. 111-112)ou qui soulignent que, dans une société où tout est permis, « seul l’appel à une conviction personnelle, à une vie intérieure profonde, assure la moralité » (p.114).

Guy Avanzini