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La relation éducative – 5ème Congrès de l’éducation salésienne

Paris – Ed. Don Bosco – 2015 – 80 p.

La célébration du bicentenaire de Don Bosco a offert mille occasions d’analyser les divers aspects de sa pédagogie. Ainsi, le « 5ème congrès de l’éducation salésienne », réuni à Lyon en mars 2014, a très opportunément étudié la relation éducative, sur laquelle cet opuscule suscite une réflexion dense et bienvenue.

L’introduction pose d’emblée des questions pertinentes et bienvenues : à une époque marquée par la peur de l’avenir, l’essor de la violence, l’échec scolaire, peut-on sérieusement préconiser encore une pédagogie « optimiste et enthousiaste » (p. 8), transformatrice du monde et annonciatrice d’un avenir meilleur ? Celle-ci n’est-elle pas désormais discréditée, et vouée à paraître dérisoire ou naïve, voire incitatrice d’un laxisme coupable ? Sans doute les trois communications magistrales du colloque ne répondent-elles pas directement à cette question mais, chacune à sa manière, proposent-elles des vues éclairantes et, à divers titres, réconfortantes, en montrant le rôle de la relation éducative.

Une approche originale, d’ordre anthropologique, de M. Caron montre comment, en tant que personne humaine, l’enfant aspire à la relation et l’appelle pour se construire lui-même : même, c’est là que se situe la finalité de l’éducation : l’amener à entrer en relation, être introduit dans la dynamique de la transmission ; c’est ce qui l’autonomise sans l’insécuriser, en vue d’une « heureuse articulation du moi et du nous, de la liberté et de la communication »(p.13).Et, plus que jamais, « à l’heure de la génération numérique » (p.19), la relation asymétrique et présentielle entre l’adulte et l’enfant peut seule permettre à celui-ci de s’approprier le savoir comme d’acquérir un sens critique et d’équilibrer « culture du livre » et « culture des écrans » (p.21).

De la communication de Mme Barrère, nous retiendrons surtout, parmi beaucoup de remarques judicieuses, son analyse des « activités électives » des élèves, c’est-à-dire, celles qu’ils choisissent contre la culture scolaire : la télévision, l’ordinateur ou les jeux vidéo, les nouvelles addictions ; comment, alors, sauver la motivation aux savoirs et aux études ? Au terme d’une sorte d’approche phénoménologique de cet écartèlement entre deux registres culturels, elle souligne que ces « activités électives » introduisent de facto une « éducation sans école, une sorte de curriculum parallèle et disparate », qui justifie de se demander comment l’Ecole « peut et veut faire des exercices scolaires des épreuves de formation de soi » (p.43).

Enfin, dans un texte en forme de méditation, Marguerite Lena présente, avec la profondeur qui est la sienne, une étude sur l’éducation comme « promesse à tenir » (p.61). Eduquer, c’est en effet, pour qui dispose d’un minimum de maturité, prendre un engagement à l’égard de l’enfant, donner une réponse à la confiance que celui-ci accorde à l’adulte. C’est aussi le considérer comme une promesse, c’est-à-dire comme mystérieusement porteur d’un potentiel, qui lui appartient, mais qu’il faut l’aider à déployer et à révéler : « les jeunes ne sont pas des gêneurs, mais des promesses » (p. 66). Le jour où les éducateurs en seraient convaincus, le climat de l’Ecole en serait transformé. Mais sans doute faut-il pour cela qu’elle devienne salésienne !

Guy Avanzini

Francesco Brancaccio
La laïcité, une notion chrétienne

Paris – Cerf – 2017 – 204 p.

Quoi qu’il en soit de polémiques politiciennes persistantes, on comprend mieux, aujourd’hui, que non seulement la « laïcité » n’est pas intrinsèquement antireligieuse mais que, bien comprise, elle met en œuvre une distinction légitime entre Etat et Eglise : ne renvoie-t-elle pas à la parole de Jésus relative à ce qui relève de César et à ce qui appartient à Dieu.  En ce sens, la laïcité procède bien d’une idée chrétienne. Mais le mérite de ce livre -qui s’ajoute à tant d’autres sur le même objet- tient à l’originalité de son argumentation. Le Père Brancaccio entreprend en effet, courageusement, d’établir que, pour la pensée chrétienne la plus traditionnelle, le champ de compétence spécifique de l’État ne relève pas de conditions ou de données d’ordre religieux mais de « sources universelles…telles que la nature et la raison » (p.17). Et c’est, dit-il, de leur « compénétration » (p.36)  que procède le droit, qui est donc d’origine laïque. Ainsi, en « proposant » (p.36)ce terme, on pose son fondement, de sorte qu’on le reconnaît ainsi comme une notion chrétienne.

Nous ne reprendrons pas ici le long et minutieux raisonnement au terme duquel l’auteur montre que là est précisément l’enjeu du célèbre débat de 2004 entre Habermas et le Cardinal Ratzinger, comme des déclarations ultérieures de celui-ci, devenu le Pape Benoit XVI. Leur analyse serrée et approfondie, comme celle des propos du Pape François, qui ne mobilise cependant jamais ce terme, circonscrit et dessine toute sa place. Simultanément, cette étude s’insère opportunément dans la discussion, actuellement vive, sur le droit des religions à participer aux débats socio-éthiques en cours.  Face à ceux qui le récusent et pour qui leur compétence se limite à la seule sphère « privée », l’auteur montre pourquoi elles ont le droit -et le devoir- « d’envisager leur collaboration en faveur de la dignité de la personne humaine » (p.140). C’est en effet l’État qui est laïque, mais non la société, qui est au contraire le siège et le lien des libres controverses.

Encore se demandera-t-on à bon droit quelle peut être, dans le contexte actuel, la portée de cette perspective, si pertinente soit-elle. L’opinion demeure marquée en profondeur par la confusion entre cette conception authentique à la laïcité et celle qui, pour la rejeter ou pour s’en réjouir, l’assimile à une certaine vision des « Lumières », à l’agnosticisme, à l’athéisme et à l’irréligion. Cette réduction, pour erronée qu’elle soit, est assez entretenue pour demeurer vivace et pour entraîner une conception du vivre ensemble marquée par l’écart entre ceux pour qui cela signifie la résignation plus ou moins amère à ce que l’on est contre son gré contraint de subir, et ceux pour qui elle signifie au contraire l’acceptation du pluralisme et le respect de la liberté d’autrui. Souhaitons que le livre du Père Brancaccio soutienne et fortifie la seconde.

Guy Avanzini

Régis Debray et Didier Leschi
La laïcité au quotidien

Paris – Gallimard – 2016 – 158 p.

Dans ce petit « guide pratique », Régis Debray, dont on connaît les valeureuses publications, et Didier Leschi, ancien directeur du Bureau des Cultes au Ministère de l’Intérieur[1], rappellent d’abord que l’objet de la laïcité est de « permettre à une cité de se rassembler par delà ses différences, sans les nier ni les brimer » (p.7). En outre, elle n’est pas « un sport de combat » (p. 11). Sans doute, face à ceux selon qui il suffirait de reconnaître une priorité à la loi civile sur la religion, alors que c’est précisément l’objet du débat, ils constatent que des conflits concrets, parfois très vifs, surgissent d’un heurt ou d’une incompatibilité, réelle ou supposée, entre l’une et l’autre. C’est pourquoi ils ont relevé et retenu 38 « cas pratiques », qui constituent les rubriques du livre et pour la solution intelligente et apaisée desquels ils proposent des solutions qui leur semblent à la fois juridiquement pertinentes et  socialement raisonnables. A ces conjonctures complexes, il convient d’apporter « des solutions, transparentes et accessibles à tous » (p.8). Ainsi en va-t-il, par exemple, du régime des aumôneries, des menus des cantines, des crèches, du foulard, de la longueur des jupes. Sur ces divers thèmes, les auteurs font le point, identifient les difficultés, signalent les vides juridiques, ouvrent quelques perspectives, proposent des conseils de bon sens, légitimement discutables mais le plus souvent bienvenus. On leur sait gré particulièrement de souligner qu’il ne relève nullement des compétences de l’Etat mais de la responsabilité des historiens de statuer sur l’applicabilité de la notion de « génocide » à telle ou telle situation (p. 89). « Entre les laïques qui ont peur pour eux-mêmes, et les laïques qui veulent faire peur aux autres, s’est récemment enclenché un cercle vicieux (p. 151). Aux uns et aux autres, il importe de rappeler que « la laïcité ne saurait prétendre à devenir la religion de ceux qui n’en ont pas » (p. 153). Le mérite de ce livre est, à cet égard, d’être pacifiant, facteur de sérénité, et de montrer dans quel esprit se placer pour résoudre les problèmes, plutôt que pour les passionner en vain.

Guy Avanzini

 

[1]cf. aussi D. Leschi – Misères de l’Islam de France– Paris – Cerf – 2016 – 176 p.

Pierre de Charentenay, s. j.
La religion en communauté

Marseille – Publications Chemins de dialogue – 2016 – 224 p.

Ce livre n’a sans doute pas encore acquis l’audience qu’il mérite. Il s’agit, en effet, d’une réflexion de haut niveau sur les déplacements,  -voire la délocalisation-, de la notion de laïcité depuis 1905. Par sa densité, sa hauteur de vues, il se situe aux antipodes des discours convenus, des banalités polémiques et du bavardage idéologique qui, en la matière, encombrent l’horizon.

Analysant le double phénomène de la sécularisation  de nos sociétés et de la mondialisation, il discerne aussi, après l’éclipse des années 60-70, où prévalait la mode de « l’enfouissement », le renouveau actuel des religions -sectes, pentecôtisme, Communautés Nouvelles, et, surtout, Islam- et il montre comment les défenseurs historiques de la laïcité, en proie notamment à une crainte obsessionnelle du « communautarisme », négligent sa conception historique de respect des libertés personnelles au profit d’une attitude antireligieuse « sournoise », qui cherche à « éliminer la religion de la place publique au moyen de l’idéologie de neutralité » (p.135).Cela se manifeste à l’égard du christianisme, mais surtout de l’Islam, qui condamne à osciller contradictoirement entre une tolérance qui favorise l’invasion et une islamophobie coupable de xénophobie. Or, la réduction de la laïcité à une neutralité ordonnée à éliminer la présence de la religion dans les secteurs dépendant de l’État n’est pas sans poser des problèmes considérables à la liberté et à l’égalité (pp. 170-171). Il s’agirait d’une déviance, qu’illustrent divers épisodes récents et les lourds débats qu’ils entretiennent.

Nous ne suivrons pas ici le détail de l’argumentation du Père de Charentenay mais, en en soulignant l’opportunité nous noterons qu’elle invite à un vaste débat sur des notions dont la polysémie, voire l’ambiguïté, favorisent dangereusement des usages -ou des mésusages- confus et équivoques ; aussi en va-t-il de celles de « privé » ou « public ». Parce qu’un « service public » est devenu au fil des ans «un corps de fonctionnaires, on croit volontiers qu’il s’identifie aux institutions de l’État » : or, par exemple, « l’enseignement libre » est « privé », mais il est, par contrat, associé au « service public de l’enseignement ». Et, si la religion relève bien d’une option personnelle, la foi commune de ceux qui y adhèrent comporte, voire exige, une expression « publique » reconnue par les institutions officielles qu’ils se sont données. En ce sens, le « privé » n’est ni secret, ni tacite, ni silencieux, mais s’exprime, se dit, se théorise. Plus encore, l’expression « publique » de la croyance est requise pour la liberté personnelle du fait que seule elle permet l’information indispensable à un choix éclairé ; loin d’être prosélyte, elle est la condition même de la liberté. C’est dire l’utilité d’une véritable cartographie des concepts, pour prévenir le désordre des idées et les dérives de la pratique.

Cet ouvrage a dont très bien saisi et restitué avec sérénité et fermeté l’évolution contemporaine des problématiques de la laïcité. Il s’inscrit utilement dans les débats qui y ont trait et peut contribuer à la progression de la réflexion.

Guy Avanzini

 

Michel de Boucaud
Les routes de l’Ecole

Tournai – Editions Fortuna – 2016 – 240 p.

Professeur de psychologie clinique à l’université de Bordeaux, M. de Boucaud expose ici de façon minutieuse et détaillée, à partir de sa propre activité, l’histoire mouvementée et complexe des relations entre l’Ecole Catholique et l’État. Selon son expression même, il s’agit d’une « chronique », qui « se propose de présenter les dynamiques et les tribulations des familles et de l’Enseignement Libre », (p.9)à partir des archives, de documents et de témoignages disponibles, comme de son rôle d’acteur au sein des APEL.

Ouverte par un avant-propos du Cardinal Ricard, cette « chronique » raconte une période de suractivité, marquée par la plus grande vigilance concernant les risques et les menaces d’atteinte à la liberté des familles. Elle commence en 1972, car c’est alors que M. de Boucaud est entré au Conseil d’Administration de l’APEL d’un lycée bordelais. A partir de cette date, il recense et analyse tous les débats, négociations et controverses auxquels il a été associé, tant en Gironde qu’à Paris.

Néanmoins, c’est évidemment à partir de 1981 que les tensions se renforcent, autour de la notion d’un « grand service public et unifié de l’Education Nationale », dont l’ambiguïté nourrit fortement l’inquiétude. L’auteur reconstitue, presque au fil des jours, et avec de longues citations de textes, la suite ininterrompue de rencontres, discussions, négociations et réunions publiques qui se déroulèrent pendant ces années, mais dont on ne saurait rapporter ici le détail, pour sauver une « association sans assimilation ». M. de Boucaud rend ici un hommage appuyé à Pierre Daniel pour la sagesse avec laquelle il a su combattre toute formule qui aurait compromis le caractère propre de l’Enseignement Catholique, sans créer des solidarités ou des amalgames politiques inopportuns. De même sait-il restituer et faire sentir le climat, à la fois lourd et effervescent, de cette période, comme décrire la genèse des manifestations qui se sont déroulées dans toutes les grandes villes de France, notamment à Bordeaux, et surtout celle, historique, du 24 juin 1984, qui devait entraîner le recul du gouvernement.

Sans doute regrettera-t-on quelques rapidités d’écriture, comme une densité abusive qui, oscillant constamment du plan local au plan national, s’avère un peu touffue et alourdie par de trop nombreuses et trop longues citations. Il reste que cet ouvrage apporte une contribution originale à la connaissance d’un épisode à la fois significatif et déterminant de l’histoire de la pédagogie chrétienne. Et l’on remerciera M. de Boucaud de cette recherche, qui est, en même temps, un beau témoignage personnel. Il souligne à bon droit que la cause de la liberté n’est jamais définitivement sauvée, mais requiert une incessante vigilance.

Guy Avanzini

 

Jean Baubérot
Les 7 laïcités françaises

Paris – Editions de la Maison des Sciences de l’Homme – 2015 – 176 p.

Parmi les (trop) nombreuses et très inégales publications que la conjoncture a suscitées sur la laïcité, il s’impose de retenir celle d’un spécialiste reconnu, dont on appréciera à bon droit la précision d’une information solidement référencée et la clarté de l’exposition. Plus encore, on lui saura gré d’un sous-titre qui tranche avec le dogmatisme officiel : « le modèle français de laïcité n’existe pas ». Loin d’être immuable, stabilisée et offerte à ce titre à la vénération de l’opinion[1], il s’agit d’une notion qui, à partir d’une intuition fondatrice, pertinente, cherche ses assises et son point d’équilibre. Au terme d’un minutieux inventaire, l’auteur en a en effet recensé et identifié « sept lectures », bien différenciées :

La première, qu’il estime minoritaire (p 27), assimile la laïcité à l’anti-religion et entend combattre le christianisme comme un fléau irrationnel et obscurantiste. Quoique soutenue par certains au Parlement en 1905, elle y fut largement repoussée. Néanmoins, elle demeure dans l’aspiration de ceux qui militent en faveur de la marginalisation radicale des religions. Elle est alors traitée comme une philosophie de l’irréligion, voire de l’athéisme, que ses zélateurs (cf. par ex. Michel Onfray) souhaitent établir. Et c’est cette prétention qui demeure sans doute aujourd’hui le facteur premier des conflits et des controverses en la matière.

Bien différente est la lecture « gallicane », qui avait notamment la faveur d’Emile Combes. Ici, le politique ne veut pas tant combattre le religieux que le neutraliser, en le mettant à son service. Il s’agit de séparer l’Eglise non pas de l’Etat, mais de Rome, en la plaçant sous la tutelle du gouvernement. Aussi bien, tel peut être l’objectif d’un concordat limitant le pouvoir du Pape, notamment pour la nomination des Evêques. Pour ses partisans, la laïcité-séparation est même dangereuse, car elle émancipe abusivement l’Eglise… Ce courant a tendance à renaître sous des formes diverses. De nos jours, le désir de contrôler la formation des imams et de divers aumôniers en est sans doute un aspect.

On en vient alors aux « laïcités historiques », celles qui préconisent « la Séparation » : car il y en a deux ; et, en 1905, c’est celle d’Aristide Briand, soutenue par Jean Jaurès, qui l’emporte sur Ferdinand Buisson : si l’une et l’autre récusent tant l’acception anti-religieuse que le gallicanisme, ils n’entendent pas identiquement la « séparation ». Le fameux « ajout » à l’article 4 fut adopté malgré l’avis du second qui y voyait une concession contradictoire aux Eglises en subordonnant la dévolution des biens aux associations culturelles ayant adopté « les règles générales de culte dont ils se proposent d’assurer l’exercice (p.62), faute de quoi elles n’en deviendraient pas affectataires. L’autre conception, au contraire, ne prévoyait pas cette clause ; ce sont bien des visions distinctes ; celle qui fût retenue implique, de facto, la prise en considération de la structure institutionnelle des confessions. Aussi bien, M. Baubérot montre comment, depuis, les positionnements distincts de la Libre Pensée et de la Ligue de l’Enseignement réfractent et prolongent cette dualité.

Mais voici qu’émerge une 5ème lecture, la « laïcité ouverte » au scandale de ceux pour qui cette qualification est quasi blasphématoire, tant il leur paraît évident qu’elle ne saurait être « fermée » ! Moins rigoureusement circonscrite que les précédentes, elle est cependant explicitement anti-sectaire, « anti-laïciste ». Due sans doute, notamment, à l’influence de Paul Ricœur, comme à la Déclaration de novembre 1945 de l’Episcopat Français, elle pourrait être définie comme celle qui, acceptant pleinement la « Séparation », revendique pour toutes les conceptions philosophiques et religieuses le droit de s’exprimer librement et de se faire valoir au sein de la société civile et dans tous ses débats. Dès lors, elle peut rencontrer un problème précisément très « ouvert » de nos jours : elle se réserve évidemment le droit entier de considérer comme illégitime une loi qui, régulièrement promulguée, contredit un impératif de la morale chrétienne.

Quant à la sixième lecture, elle introduit une nouveauté paradoxale : alors que, en France, la laïcité est traditionnellement « à gauche », voici désormais qu’elle est annexée par la droite, sinon l’extrême droite, qui l’invoquent pour limiter l’invasion qu’elles redoutent de l’Islam et de l’immigration maghrébine. D’où, notamment, la pesante controverse sur le « port du voile ». Ainsi se revendique une « laïcité identitaire », dont les promoteurs veulent préserver des dérives d’une hétérogénéisation culturelle abandonnée à elle même et susceptible, à leurs yeux, d’induire la dilution de la nation. Mais, liée à des problématiques confuses, qui la débordent, cette revendication se trouve menacée d’implosion, de sorte que « elle ne fait pas l’unanimité à droite, loin s’en faut » (p. 118).

Enfin, la septième et dernière renvoie au régime contradictoire des diocèses de Strasbourg et de Metz, fortement attachés à leur « droit local ». Certes, cela n’a pas manqué de choquer les « juristes » et plusieurs tentatives ont sans succès essayé de le supprimer au nom d’une vision uniformisatrice de l’Etat. Déjà, en 1924, le gouvernement Herriot dû reculer devant la force de la résistance catholique et, entre 1952 et 1957, les négociations engagées par Guy Mollet échouèrent à leur tour. Quant à certaines collectivités territoriales d’Outre-mer, aux Antilles, en Guyane ou dans le Pacifique, elles bénéficient aussi d’un statut dérogatoire, qui ne va sans heurter les visions unitaristes.

Sept : c’est un nombre parfait ! Encore cet inventaire n’est-il pas nécessairement clos, car d’autres lectures peuvent se manifester dans l’avenir. Du moins cette approche, menée en référence à la notion wébérienne d’idéal-type, a-t-elle le mérite d’introduire, à propos de cet objet insaisissable, une intelligibilité éclairante et salubre. Ainsi aide-t-elle à comprendre pourquoi une notion, dont E. Poulat aimait à dire qu’elle avait vocation à favoriser le vivre ensemble d’une société pluraliste, ne cessait d’y maintenir controverse, affrontement, ressentiment et rancœur. C’est particulièrement le cas entre la première et la deuxième lecture, beaucoup s’efforçant de faire croire que la laïcité signifie le rejet méprisant de tout référent religieux.

Peut-être se demandera-t-on d’ores et déjà si la série de ces sept lectures parvient à -ou suffit à- intégrer toutes les données. Ne sollicite-t-on pas un peu les faits, en cherchant à les contraindre de se situer au sein de cette grille ? Celle-ci ne comporte-t-elle pas une exigence de cohérence que déborde la variété des faits, des courants de pensée et de positionnement des personnes et des institutions ? Enfin, selon le vœu de l’auteur, verra-t-on venir le jour d’une laïcité « articulant l’attachement à ses convictions propres et la capacité de prendre une certaine distance avec elles pour considérer l’autre avec empathie !  » (pp 160-161)? Pourra-t-on « induire un grand débat public et trouver quelques propositions fortes » (p. 163). Ne serait-ce pas préférable aux pressions idéologiques d’aujourd’hui et aux propos simplistes sur « les croyances ».

Guy Avanzini

 

[1]cf. pp. 12-15

Maria Montessori
Dieu et l’enfant, et autres écrits inédits

Parole et Silence – 2015 – 250 p.

La pensée religieuse de Maria Montessori demeure mal connue, malgré la place majeure qu’elle occupe dans son oeuvre. Freinée dans son expression par le souci de ses relations avec le Saint-Siège, surtout après la publication, en décembre 1929, de l’Encyclique Divini Illius Magistri, elle doit aussi se défendre de la pression du fascisme. Et, en France, vu le laïcisme ambiant, son influence sur la pédagogie de l’Ecole Maternelle s’accompagne de l’occultation de sa dimension chrétienne, au point que celle-ci est ignorée même dans certains établissements officiellement Montessoriens, au mépris de son rôle, direct ou indirect, dans le mouvement du renouveau catéchétique. C’est dire l’intérêt que présente la parution, enfin, en français, de l’étude sur « Dieu et l’enfant », accompagnée de quelques fragments, sans doute écrits en 1939, en vue d’un livre qui ne fut jamais achevé ni publié. Aussi bien, la complexité et l’obscurité de ce contexte donnent à la présentation de Fulvio de Giorgi un caractère un peu embarrassé.

Quoi qu’il en soit, ce texte bref -environ 45 pages- met bien en évidence l’originalité et la force de la conception montessorienne de l’éducation religieuse : celle-ci ne consiste pas à tenter d’inventer une « méthode active » de l’enseignement de la doctrine mais, beaucoup plus fondamentalement, à introduire à une expérience du vécu liturgique. En outre, ce document lui offre l’occasion de formuler l’essentiel de ses vues sur l’éducation de l’enfant et de la considération due à sa nature, à ses besoins, à son dynamisme endogène. Respecter l’enfant, c’est une façon de respecter Dieu. Que de parents et d’éducateurs auraient bénéficié à méditer ces pages !

Le regret porte seulement sur leur brièveté, car on aimerait les voir approfondies et précisées. On ne s’étonnera pas de leur insistance un peu réitérée sur la thématique du pêché originel, évidemment due au désir de ne pas s’exposer à l’objection des théologiens qui reprochaient volontiers à l’Education Nouvelle de négliger la tendance pécheresse de l’être humain et de céder à l’angélisme. En revanche, on souhaiterait une approche plus soutenue du concept de nature ; Et, s’il est légitime d’insister sur la différence psychologique entre l’enfant et l’adulte, encore faut-il saisir comment celui-là devient celui-ci, autrement dit rendre compte de la genèse. Enfin « le droit de l’enfant à une éducation saine » (p.64)et la satisfaction de ses « vrais besoins » (id)appellent une critériologie faute de laquelle l’éducateur risque le désarroi ou la négligence. Il reste que cette publication aidera à élaborer une vraie synthèse de la pédagogie montessorienne, dont les convictions unifiantes appellent une identification plus systématique.

Guy Avanzini

Jean-Pierre Putois
Petit trésor des catéchismes diocésains

Ed. Via Romana -2017 – 564 p.

Cet ouvrage paradoxal s’inscrit doublement dans le débat pédagogique actuel : d’une part, en effet, il réactive allègrement les polémiques soulevées par la transformation du catéchisme en catéchèse, convaincu des mérites du premier et des « dangers » de la seconde ; d’autre part, et simultanément, il nourrit le débat entre les adeptes proclamés de la transmission des contenus culturels et ceux qui sont censés préférer les « méthodes nouvelles » : c’est le conflit entre les réputés « républicains » et les réputés « pédagogues ». Mais cette distinction est dépourvue de signification : comment concevoir des méthodes qui ne viseraient pas la transmission d’un objet ou, inversement, une transmission qui ne chercherait pas la démarche la plus efficace ? Aussi bien, le catéchisme d’autrefois mobilisait une méthode claire et identifiée, sous la forme de questions et réponses, qui impliquait mémorisation et récitation « par cœur ».

Quoi qu’il en soit cette anthologie est précieuse et bien intéressante, car elle rappelle le souvenir de ces catéchismes diocésains élaborés à la suite du Concile de Trente et utilisés pendant trois siècles, jusqu’à la promulgation d’un  Catéchisme National, en 1937, et aux évolutions ultérieures. A cette lecture, les moins jeunes reconnaîtront aisément la manière dont ils ont été instruits de la Religion. Et l’on saisira aussi le bien-fondé des remarques de Joël Molinario sur la disparition d’une transmission familiale qui donnait sens à la forme scolaire de la leçon de catéchisme[1], alors que, celle-ci, au sein d’une société sécularisée, déchristianisée et déclinante, devient d’autant moins recevable que son formalisme et sa rigidité heurtent la spiritualité contemporaine, plus sensible à l’image d’un Dieu miséricordieux. Encore aurait-on souhaité que les demandes d’élaboration de ce « petit trésor » soient exposées, sa méthodologie plus précise et son système de références plus explicite. Il reste que cette très volumineuse publication prolonge et alimente à sa manière une problématique qui traverse l’histoire et déborde son objet.

Guy Avanzini

[1]J. Molinario in Revue Transversalités– N° 141 – Avril-Juin 2017 ; cf aussi, du même auteur, le catéchisme, une invention moderne – Paris – Bayard – 2013.

Sr Marie-France Carreel, r.s.c.j.,
Sainte Philippine Duchesne : aller semer l’Evangile par de-là les frontières

Editions jésuites – Paris – 2017 – 78 p.

C’est l’intrépidité d’une religieuse missionnaire vouée à l’éducation des indigènes que, dans l’attachante collection Fidélité, expose Sr Marie-France. Elle-même docteur en sciences de l’éducation avec une thèse sur Sophie Barat, elle restitue ici, avec maîtrise, l’aventure de SaintePhilippine Duchesne qui, voilà exactement 200 ans, embarqua pour l’Amérique avec quatre autres religieuses, afin de christianiser les filles indiennes.

Issue de la meilleure bourgeoisie dauphinoise, cette jeune grenobloise, née en 1769, commence ses études chez les Visitandines du célèbre monastère de Sainte Marie d’en Haut, qui domine l’Isère. Et là, toute jeune, elle rêve déjà d’aller catéchiser les indigènes, voire de subir le martyr. A 18 ans, elle entre au noviciat, mais bientôt, en 1793, la communauté est dispersée. Ne pouvant faire profession, elle s’emploie à aider les détenus de la Terreur puis s’adonne à l’éducation de quelques « enfants des rues », dont la rusticité ne manque pas de lui être pénible… Elle peut enfin, en 1801, retourner au couvent et y installer un petit pensionnat de filles ; mais son statut demeure précaire et indécis. Néanmoins, elle apprend providentiellement que Sophie Barat prenait à Amiens l’initiative d’une Congrégation, dans laquelle elle entre en 1804 et au sein de laquelle elle fait profession perpétuelle dès 1805.  Son désir demeurait cependant d’aller parmi les « infidèles ». Du fait de divers circonstances, ce n’est qu’en 1818, âgée déjà de 49 ans, qu’elle peut enfin partir pour l’Amérique, où l’Evêque de la Louisiane, Mgr Dubourg, souhaitait ouvrir une école. Toutefois, après plusieurs mois de voyages éprouvants, les déconvenues se multiplièrent : difficultés d’ordre pratique, imprévisibilité de certaines décisions épiscopales, oppositions d’origines inégalement chrétiennes, immensité du pays, lenteur des communications avec la Maison-Mère ; souvent, un an s’écoule entre l’envoi d’une demande et la réception d’une réponse. Mais la pire déception tient à ce que les écoles qu’elle ouvre ne peuvent d’abord scolariser que des américaines, cela la démoralise, même si elle trouve du réconfort dans la prière.  Et de fait, les 6 établissements qu’elle parvient à créer entre 1819 et 1826, voient arriver quelques païennes, à qui elle peut annoncer Jésus Christ. Et leur proportion ne va cesser de croître.

On lit avec intérêt et émotion ces pages qui restituent de manière dense et précise l’effort incessant d’une missionnaire que le zèle des âmes ne cesse de motiver. En particulier, le 5ème chapitre présente la spiritualité adoratrice d’une religieuse qui voulait faire partout connaître l’amour du cœur de Jésus, qui l’a elle-même saisie. Certes, au premier regard, « il semble que Philippine Duchesne se soit livrée à un vrai parcours d’obstacles » (p. 57). Mais l’on admire la fécondité et la courageuse ténacité d’une démarche, qui prolonge à sa manière celle de Marie de l’Incarnation. Aussi doit-on être reconnaissant à Sœur Marie-France de ce beau petit livre, solidement référencé et documenté.

Ajoutons que l’auteur et Sœur Carolyne Osiek, également r.sc.j., viennent de publier – Philippine Duchesne, pionnière de la frontière américaine 1769-1852 – Œuvres complètes. Ed. Brepols – Turnhout (Belgique) – 2 vol. – 1750 p.  – Ces volumes, qui rassemblent 656 lettres et divers textes de Ste Philippine, apportent de nombreuses informations sur sa vie et son action.

Guy Avanzini

 

Christophe Carichon
Saint Salomon Leclercq

Paris – Editions Artège – 2016 – 128 p.

Bien que Frère des Ecoles Chrétiennes, ce n’est pas à un apport original à la pédagogie que le Saint Frère Salomon doit la gloire de sa récente canonisation, le 16 octobre 2016. Originaire de Boulogne-sur-Mer, il était entré dans l’Institut Lassalien en 1767, pour sauvegarder sa fidélité chrétienne, menacée par la corruption environnante ; et ce, malgré l’opposition de certains membres de sa propre famille fermement hostiles à une éducation scolaire des enfants du peuple, qu’ils estimaient inutile, sinon dangereuse. Quant à lui, il n’eut que pendant environ 5 ans la charge d’une classe, c’est-à-dire, vu l’époque, de 130 élèves, puis d’une « pension de force, destinée à des sujets difficiles ou « libertins », dont leurs parents désespéraient. Très vite, il fut appelé à d’autres fonctions, d’abord comme responsable du noviciat, donc de la formation des jeunes Frères, puis comme procureur du gros établissement de Maréville. Il fut ensuite le secrétaire du Supérieur Général, le célèbre Frère Agathon, et, enfin et surtout, secrétaire général de l’Institut.

Mais voici que bientôt allaient commencer la révolution de 1789 et la persécution antireligieuse qui y fut liée. Horrifié par ces événements, le Saint Frère Salomon refuse fermement de prêter le « serment civique » imposé en mars 1792 aux enseignants, comme tout contact avec les prêtres jureurs. Se cachant à Paris, il rassemblait clandestinement des informations pour le Frère Général, demeuré à Melun, et il eut la joie d’y rencontrer le Père de Clorivière au moment où celui-ci fondait secrètement ses propres sociétés religieuses, spécialement celle des Filles du Cœur de Marie.

Cependant en avril 1792, l’assemblée législative vota la suppression de l’Institut. Dénoncé pour ses activités, Frère Salomon fut arrêté le 15 avril et emprisonné au Couvent des Carmes de la rue de Vaugirard. C’est là que, dès le 2 septembre suivant, une horde haineuse allait le massacrer en même temps que 113 autres prêtres, religieux et laïcs, incarcérés avec lui. Le tragique épisode fait de lui le premier martyr canonisé de la révolution. Au delà du pédagogique, il est éducateur par l’exemple impressionnant de son inaltérable fidélité.

Guy Avanzini