Archives de catégorie : Numéro 2 – La personne en éducation

Bruno Poucet
La formation des enseignants dans l’Enseignement Catholique avant la création des IUFM

 Revue les Sciences de l’Education – Pour l’ère nouvelle – 2013, vol. 46, n° 1, pp.73-93.

Il ne s’agit pas d’un ouvrage, mais seulement d’un article ; néanmoins, sa thématique justifie de le signaler car, tout à la fois, il traite d’un problème encore insuffisamment étudié par les historiens et il corrige un préjugé volontiers entretenu dans les milieux laïcistes, où l’on prétend que l’Enseignement Catholique aurait négligé la formation professionnelle de ses cadres. Or, avec la compétence[1] qu’on lui connaît en ce domaine, Bruno Poucet montre que la réalité est beaucoup plus complexe : entre les deux secteurs -public et privé- la différence porte globalement sur deux paramètres : la conception de la relation entre instruction et éducation, celle-ci étant, dans le second, de type « intégral » ; ensuite, la simultanéité, chez lui, de la formation intellectuelle et de la formation pédagogique, au contraire de la successivité qui prévaut dans le premier. Le jeu entre ces variables entraîne quatre modèles, dont les contextes sociaux et politiques illustrent la diversité des modes de fonctionnement et formalisent la comparaison entre les deux systèmes considérés. Ainsi, les grands pédagogues chrétiens préconisent une éducation « intégraliste », alors que l’école laïque présente une morale dissociée d’une éventuelle source transcendante et comporte la successivité des deux composantes, disciplinaire et pédagogique. Ainsi, le stage d’une année dans un lycée était postérieur à l’admission au C.A.P.E.S. Par ailleurs, malgré les légendes laïcistes, les religieux destinés à l’Ecole primaire -par ex. les Frères des Ecoles Chrétiennes- reçoivent dès le noviciat une formation professionnelle d’autant plus solide que leurs Congrégations est porteuse d’un charisme fort et spécifique ;  il en va de même des Jésuites pour le secondaire. L’auteur rappelle aussi diverses initiatives notables, comme celles de Madeleine Danielou ou du Père Faure. On pourrait rajouter l’Ecole de la rue Blomet et bien d’autres, dont le manque de moyens a néanmoins entravé l’essor.

Centré sur la période 1950-1970, cet article -dont notre objet n’est pas de résumer toute l’argumentation mais seulement de souligner quelques aspects- étudie évidemment les effets de la loi Debré qui, tout à la fois, entraîne l’élévation du niveau de la formation académique mais accuse la séparation entre instruction et éducation. Cela va obliger l’Enseignement Catholique à s’appuyer sur la notion Gaullienne de « caractère propre » pour tenter de sauver ce lien. Au total, tout en visant l’équivalence de la qualification scientifique, il tient à l’unité entre instruire et éduquer, c’est-à-dire à une vision « intégraliste » de la formation.

Si, enfin, allant au delà de la période étudiée par Bruno Poucet, on s’interroge sur   les futures ESPE, on constate qu’elles semblent s’orienter vers la simultanéité des deux composants. « Au cours de leurs deux années de master, les étudiants suivent des enseignements qui leur permettent de conjuguer l’excellence dans une ou plusieurs disciplines et la capacité à transmettre ces connaissances »[2]. Ainsi, pensant innover, le pouvoir en place réintroduit, du moins sur le plan formel et sans s’en douter, la tradition chrétienne de la matière. On le voit, l’étude des modalités de la préparation à la fonction enseignante offre une bonne entrée, encore insuffisamment exploitée, dans la spécificité de l’Enseignement Catholique ; elle met aussi en évidence certains paradoxes de l’histoire.

Guy AVANZINI


[1] cf. Notamment : B. Poucet – la loi Debré : paradoxes de l’Etat éducateur – Amiens – CRDP – 2001 ;  la liberté sous contrat – Paris – Ed. Fabert – 2009.

[2] l’ESPE – document du Ministère de l’éducation nationale – 2013

Gérard CHOLVY
Le XIXème, Grand siècle des religieuses françaises

Perpignan – Ed. Artège – 2012 – 134 p.

Chacun connaît les beaux travaux de Gérard Cholvy sur l’histoire religieuse française, dont il est un spécialiste réputé[1].  Ce récent ouvrage ne traite pas directement de la pédagogie chrétienne en tant que telle, mais il en éclaire utilement un moment important, en étudiant le phénomène massif du XIXème siècle que constitue en France « l’explosion » (p. 51) des congrégations féminines. Le nombre total de celles qui y ont alors été fondées serait d’environ 500 et, en 1901, l’effectif des Sœurs était approximativement de 135 000, sans compter celles qui se trouvaient en pays de mission et outre-mer. Si la complexité et la diversité de leurs statuts canoniques en excluent un inventaire très précis, du moins l’augmentation numérique des vocations s’avère-t-il constant tout au long des siècles.

Non, certes, que toutes aient été enseignantes, car l’auteur montre aussi que beaucoup, parmi les sœurs apostoliques, s’adonnent à d’autres ministères, notamment dans le registre médico-social ; d’autre part, leurs activités éducatives dépendent gravement des conjonctures politiques, qui allaient parfois devenir persécutoires. Il reste que, comme cet ouvrage remarquablement informé le décrit de manière très concrète, le rôle décisif des religieuses a, malgré les représentations erronées induites par les milieux laïcistes, largement précédé les initiatives d’ordre public dans l’éducation des filles. Par la variété de leurs charismes respectifs, la pluralité de leurs origines et leur incessante inventivité, et malgré l’inégalité de leurs implantations géographiques, elles ont pris une part majeure à la diffusion de l’instruction ; en ce sens, elles constituent un phénomène social dont il était d’autant plus opportun que fût ainsi évaluée, et révélée, l’ampleur qu’elle demeure mal soupçonnée ou insuffisamment perçue ; qu’on pense, par exemple, au cas trop oublié des « Béates » du Massif Central, qu’une histoire fidèle de l’éducation populaire et rurale ne saurait méconnaître. Face à la « cathophobie » du discours dominant, G. Cholvy contribue à faire œuvre de justice.

Si l’on regrette que le Dictionnaire historique de l’éducation chrétienne ne figure pas dans la bibliographie, on se félicitera en revanche de l’excellent index des Congrégations (pp. 122-125) qui complète opportunément celle du P. Oury et constitue un excellent instrument de travail.

Guy AVANZINI,



[1] cf. notamment La religion en France de la fin du XVIIIème siècle à nos jours, Paris- Hachette – 9ème éd. 2009 – 256p.

Donato Petti, f.e.c.
Dialogue sur l’éducation avec Benoît XVI

Paris – Ed. Parole et Silence – 2012 – 342 p.
(traduit de l’italien par Sylvie Garoche)

Pour savoir vraiment ce qu’est une éducation chrétienne, ou chrétiennement satisfaisante, à qui mieux qu’au Pape le demander ? C’est précisément ce qu’a tenté, et réussi, Donato Petti, f.e.c., professeur à l’Université Pontificale du Latran. Sans doute pour éviter l’austérité d’un discours magistral, il a, de manière originale, virtuellement interrogé Benoît XVI en construisant son ouvrage sous forme de questions et réponses : cette présentation dialoguée ne résulte pas, en effet, de rencontres localisées entre les deux interlocuteurs supposés. L’auteur a formulé diverses questions, bien élaborées, auxquelles il répond par des textes judicieusement choisis du Souverain Pontife, qu’il a empruntés aux allocutions, homélies et documents divers, dûment référencés, de celui-ci. Et il en résulte ce gros livre de facture très spécifique, qui explicite la pensée du Saint-Père, exposée avec la rigueur, la précision, la pertinence de pensée et d’expression et la qualité réflexive qu’on lui connaît.

Le lecteur habitué aux débats actuels sur l’éducation sera sans doute d’abord surpris, voire dérouté : – on est loin, ici, du journalisme, des déplorations syndicalo-politiciennes et des propos redondants sur « l’insuffisance des moyens » ; Mais on n’est pas non plus dans le registre magique d’un discours désincarné, annonçant vainement quelque prochaine réforme. On est au contraire au cœur même de ce qu’est l’éducation ; on est dans l’essentiel, ce dont les pratiques quotidiennes découlent et sans quoi elles dérivent ou avortent- ; on est dans les valeurs ; Centré sur ce qui importe vraiment, le Pape montre comment la crise partout dénoncée tient d’abord au relativisme contemporain, qui prive de « parents déterminés et sûrs » (p.23) désormais affectés par ce relativisme que, simultanément, ils diffusent et accroissent. D’où de précieuses précisions, face à l’actuel égarement des esprits, sur ce que sont réellement l’autonomie ou la liberté, sur ce dont l’homme a véritablement besoin, « ce qui est en mesure de satisfaire la capacité de son propre cœur » (p.39).

On ne saurait ici résumer ce livre, qui appelle une lecture méditative. Du moins faut-il souligner que l’abondance des textes rassemblés et la variété des thématiques mobilisées révèlent l’attention forte et compétente de Benoît XVI à l’éducation, bien que celle-ci n’ait pas été, de sa part, l’objet d’un texte qui, à la manière d’une Encyclique, aurait récapitulé et systématisé sa pensée. Très homogène, elle procède en effet de l’idée que l’action de l’adulte, qu’il le sache et le veuille ou non, procède nécessairement du positionnement, explicite ou implicite, des valeurs qui constituent les finalités dont la recherche de l’obtention suscite l’invention des pratiques et attitudes quotidiennes. Et c’est à partir du discernement de celles-ci et de l’action spécifique que chacune requiert qu’est très logiquement et clairement organisé le plan des chapitres successifs.

A bon droit, c’est la notice de « vérité » qui est d’emblée mise en relief, car c’est elle qui légitime le caractère décisif de sa fonction et qui peut seule orienter l’autonomie du sujet et l’usage de sa liberté. De même en va-t-il de la personne, en tant que valeur inconditionnellement respectable ; tous les problèmes les plus concrets de celle-ci, comme de la société, sont successivement rencontrés, situés et éclairés dans une perspective Évangélique. Et l’ouvrage se termine, comme naturellement, par une réflexion sur l’Ecole Catholique et les conditions auxquelles elle peut se dire et être reconnue comme authentiquement chrétienne. En particulier, il lui faut, à la fois, respecter rigoureusement la liberté des consciences et enseigner la foi de l’Eglise, sans supposer naïvement que la sauvegarde de la première comporte ou exige celle de l’ignorance religieuse.

Voilà donc un ouvrage clarifiant, dont on doit savoir grandement gré à Frère Petti. Cependant, pour finir, un double regret : l’absence d’un index thématique, qui aurait facilité la circulation entre les questions voisines mais abordées selon les circonstances du propos tenu, et surtout, une synthèse, une postface terminale, qui aurait fourni l’esquisse de ce qui mérite bien d’être considéré comme la doctrine pédagogique de Benoît XVI.

Guy AVANZINI,

Thierry Le Guaziou
La relation éducative selon Xavier Thévenot

Paris – Edition Don Bosco – 2012 – 146 pages

Dans la longue histoire de l’éducation chrétienne, la pensée de Don Bosco représente un tournant, en substituant au « système répressif » le « système préventif », dont il a, vers la fin de sa vie terrestre, énoncé la structure. On pourrait dire, en schématisant, que le Père Xavier Thévenot, s.d.b., en a, à la fois universitarisé et actualisé les idées. Il a, en quelque manière, écrit ce que Don Bosco aurait sans doute lui-même écrit dans notre contexte socio-écclésio-pédagogique.[1]

Le thème que, parmi d’autres possibles, a voulu retenir et privilégié Thierry Le Guaziou dans ce livre, c’est celui de la relation éducative, que son activité au sein de la Fondation d’Auteuil le conduit à analyser dans l’action sociale : que faut-il, alors, appeler « relation éducative » ? A quelles conditions l’est-elle vraiment, dans le rapport spécifique de l’éducateur spécialisé ou, plus largement, du travailleur social avec les adolescents en difficultés ? L’on doit d’emblée lui savoir gré d’avoir, aujourd’hui, osé aborder ce problème, actuel mais suffisamment redoutable pour convaincre beaucoup de l’éviter ou de ne l’étudier qu’allusivement.

Comme le montre l’auteur, Xavier Thévenot, quant à lui, l’étudie dans toute sa complexité. En se situant dans la dynamique du fondateur des Salésiens, il en identifie les divers aspects, sans occulter les plus délicats. Il cherche dans quelle mesure le lien explicite entre pédagogie et théologie, qui va de soi au XIXème siècle, demeure recevable dans notre société sécularisée : comment l’actualiser ? Et comment l’éducateur, surtout s’il ne partage pas notre foi, peut-il y réagir ? M. Le Guaziou indique clairement la manière dont Xavier Thévenet tente cette « sécularisation de système préventif » (p. 26), sans en méconnaître les difficultés. De même, fort de sa culture psychanalytique, traite-t-il de la confiance réciproque ou du danger des tendances fusionnelles et de la possessivité, non sans noter que l’essor actuel de la suspicion et de la judiciarisation menace l’émergence de la qualité relationnelle, dont on sait bien, depuis Don Bosco et grâce à lui, qu’elle est, tout en requérant évidemment prudence et maîtrise, la condition d’une portée éducative ; quoi qu’on veuille, et malgré les modes, il demeure vrai de penser avec lui que « l’authenticité de la rencontre prime sur la technicité du contact » (p. 86) même s’il va de soi que « le respect de la personne est aussi le critère par excellence de la moralité de la pratique pédagogique » (p. 54). Comme le dit Xavier Thévenet en se référant à Saint-Paul, il s’agit de la « charte éducative » : c’est cela qui est fondamental. C’est ce qui doit nourrir la spiritualité de l’éducateur et aiguiser son discernement des inévitables phénomènes transférentiels et contre-transférentiels.

Si, comme le remarque Thierry Le Gaziou, cette pensée salésienne peut s’avérer très ambitieuse, voire irréaliste, elle offre un modèle qui, toujours pertinent et novateur, ne vaut pas uniquement pour l’action sociale mais tout autant pour les établissements scolaires. C’est dire que, n’en déplaise aux zélateurs de ce laïcisme étriqué qui altère et déforme l’écriture officielle de l’histoire de la pédagogie en France, celle-ci se doit de reconnaître et d’inscrire l’œuvre du Père Thévenot.

Guy Avanzini



[1] Cf.aussi :Collectif Xavier Thévenot, passeur d’humanité – Actes du Colloque de Lyon – 21 et 22 octobre 2005 – Paris – Editions Don Bosco – 2006 – 228 pages.

Jacques Maritain
Pour une philosophie de l’éducation

Paris – Ed Parole et silence – 2012 – 222p.

Pourquoi une troisième réédition ? Ce livre, paru pour la première fois en France en 1959, peut-il encore intéresser ? Aussi bien, Maritain n’est pas un spécialiste de l’éducation. Cependant, si son ouvrage s’est durablement et profondément inscrit dans le débat pédagogique, c’est sans doute parce que, à partir des événements contemporains, il porte sur l’essentiel : il part de l’idée que l’éducation est inséparable de principes, d’idéaux, de valeurs. Il travaille donc à un renouveau de la philosophie de l’éducation, et cela à un moment où l’essor des sciences de l’éducation tendait plutôt à en détourner. Pour lui, la crise en cours tient au défaut de finalités. Il importe donc de rappeler qu’elles sont prioritaires. Non qu’il néglige les sciences, spécialement la psychologie, mais il faut les resituer à leur vraie place, celle de la connaissance des sujets et des contextes. Fidèle à l’inspiration de St Thomas et à la tradition de la pédagogie dominicaine, il discerne chez l’enfant un élan, un désir d’apprendre, le souhait d’appréhender la vérité. C’est à ce mouvement spontané que les finalités de l’éducation doivent répondre.

Sans doute est-ce parce que son propos traite de l’essentiel, le permanent, qu’il est aussi éminemment actuel. Il vaut pour le présent comme pour tout temps. C’est pourquoi il s’applique à la situation de l’Ecole après 1968. En particulier, il propose avec force de passer de la pluralité des référentiels philosophiques et religieux de notre société à un pluralisme qui, prenant appui sur une « charte démocratique », permettrait le respect de la diversité des courants de pensée.

C’est la raison pour laquelle, malgré les apparences, le christianisme lui paraît une force de proposition pour susciter et rénover l’éducation. Au moment où l’Ecole subit une certaine perte de confiance qui la démoralise, il est, pour Maritain, susceptible d’énoncer une signification de la vie et de la destinée. A cet égard, ce livre participe efficacement à un renouveau de la pédagogie chrétienne, ce qui est bien la fonction de cette revue.

Dans une éclairante préface, Guy Avanzini s’interroge sur les raisons du succès des précédentes éditions. C’est, pense-t-il, parce que, dans un contexte de trouble et de déconvenue, Maritain répond exactement au problème qui les provoque, fournit des pistes et ouvre des perspectives, précisément celles du christianisme. C’est la permanence de cette pertinence qui justifie de se réjouir de cette 3ème édition, à laquelle on souhaite un plein succès.

Alain Mougniotte

Documents Épiscopat
Le handicap et sa perception dans l’Église

Publié par le Secrétariat Général de la Conférence des Évêques de France
n° 5 – 2013 – 46 p.

Nous avons déjà présenté ici des ouvrages consacrés à la pédagogie catéchétique spécialisée[1]. Sans s’y référer explicitement, ce numéro de la publication mensuelle de l’Épiscopat porte sur une thématique voisine. Sous la direction de Père Dominique Foyer, professeur de théologie à l’Université Catholique de Lille, et avec le concours de divers responsables pastoraux du même Diocèse, il propose, sous une forme brève mais précise, une réflexion en cinq chapitres sur la manière dont est posé dans l’Église le problème du handicap.

On signalera particulièrement le texte de M. Pollez, sur la définition de la notion, et l’excellente étude du Père Foyer, qui identifie différents « regards théologiques » sur le handicap et la dépendance. Les « propositions pastorales » de Christine Bockaert évoquent l’œuvre du Père Bissonnier et, au sein du Centre National de l’Enseignement Religieux, l’action spécifique du service de Pédagogie Catéchétique Spécialisée et du S.C.E.J.I. L’ensemble de ces contributions met bien en évidence d’abord la finalité de ces actions, c’est-à-dire la volonté explicite de permettre à chacun de vivre et de développer sa foi, ensuite l’anthropologie requise, c’est-à-dire le postulat de l’éducabilité spirituelle du porteur de handicap, enfin les moyens à mobiliser qui, par voie de conséquence, sont à la source d’une pédagogie spécialisée.

Jean-Paul II, on le sait, aimait à dire que, au-delà de proclamations oratoires vaines, vaniteuses et fugaces, la qualité morale d’une société se juge à la manière dont elle se comporte vis-à-vis des handicapés ; on pourrait ajouter les détenus, les vieillards et les minorités. Que dire, alors, de la nôtre, de ses négligences en la matière ? Ne serait-ce pas un indice de déclin ? Quoi qu’il en soit, la pédagogie chrétienne rencontre ici un chantier qui sollicite son inventivité, à l’exemple et à la suite de ceux qui, comme d’Henri Bissonnier, en ont déjà décisivement et noblement marqué, voire infléchi, l’histoire.

Guy AVANZINI,



[1] Voir notamment le compte-rendu dans ce même numéro (Educatio n° 2) du livre : La pédagogie catéchétique spécialisée

Catherine Fino, f.m.a., et Anne Herbinet (sous la direction de)
La pédagogie catéchétique spécialisée : quand la catéchèse s’intéresse aux personnes en situation de handicap.

Paris – Ed. Le Senevé et SSPC – 2011 – 154 p.

La pédagogie chrétienne se préoccupe de tous, puisque c’est à tous que sont destinés la Parole de Dieu et le Salut qu’elle promet. A ce titre, elle doit être adressée aussi à ceux à qui un handicap, notamment mental, pourrait en gêner l’accès ou en compromettre la réception. C’est pourquoi une pédagogie appropriée s’est peu à peu mise en place à leur intention. Il ne s’agit évidemment pas, comme certaines formules ambigües ou maladroites ont pu dommageablement le faire supposer, de leur transmettre un message amoindri, voire simpliste, qu’on croirait plus assimilable, mais exclusivement d’une pédagogie spécialisée, dans la pleine authenticité doctrinale de la transmission. Cela est dû, précisément, à un progrès anthropologique, c’est-à-dire à une meilleure connaissance de la personnalité du porteur de handicap, qui facilite aujourd’hui ce renouvellement du regard ; or ce sont plusieurs milliers d’enfants.

L’objectif de cet ouvrage paru, avec l’Imprimatur de l’Archevêché de Paris, à la suite du séminaire en 2007 de l’I.S.P.C., est précisément de proposer, sinon un bilan, du moins une analyse d’une évolution qui s’inscrit elle-même dans l’immense transformation de la catéchétique au cours du XXème siècle[1] le livre s’ouvre par une étude de Marc Broudeur, théologien de l’université Laval, qui décrit le contexte global de ce renouveau et le rôle majeur de l’Abbé Henri Bissonnier. Guy Avanzini présente ensuite l’apport décisif de celui-ci : en lien avec l’essor de la pédagogie spécialisée et l’avènement de l’Education Nouvelle, il élabore une approche théologique originale, explicitée dans son ouvrage de 1959 : Pédagogie de Résurrection ; et le sillon qu’il a ainsi tracé s’est largement creusé aussi à l’étranger[2].

Globalement, il s’agissait de comprendre que l’accès à la foi et à l’espérance chrétiennes n’est ni exclusivement, ni nécessairement d’ordre conceptuel et doctrinal, mais que la rencontre de Dieu peut aussi s’effectuer par une expérience affective originale, qui est authentiquement spirituelle. Pour Henri Bissonnier, comme le montre Guy Avanzini, « le handicapé est pleinement et à part entière une personne » (p. 43) à qui il faut proposer « un modèle non intellectualiste de l’initiation chrétienne » (p 39).

Sœur Catherine Fino, et Anne Herbinet ont interrogé huit responsables diocésains, dont elles analysent remarquablement les propos sur la réaction de leurs destinataires à cette catéchétique novatrice ; et elles en établissent clairement la pertinence ; elles soulignent spécialement la joie de croire qui anime les porteurs de handicap, mais aussi les bienfaits que, par voie de réciprocité, en reçoivent leurs catéchétistes eux-mêmes, qui en éprouvent le besoin d’une formation appropriée.

Au total, comme le dit Anne Herbinet, on leur permet ainsi de devenir chrétiens « selon un modèle non cognitif, mais relationnel » (pp. 2-3) et l’on étend au registre religieux l’attitude « inclusive » qui caractérise désormais l’attitude à l’égard des porteurs de handicap, grâce à une postulation toujours plus audacieuse de l’éducabilité, par laquelle n’a cessé, à travers le temps, de progresser la pratique éducative. Et c’est bien pourquoi, dépassant un sectarisme primaire, l’histoire de leur éducation chrétienne et l’œuvre de l’Abbé Bissonnier doivent, elles aussi, être pleinement reconnues par la pédagogie et prises en compte dans l’écriture de son histoire.

Alain Mougniotte



[1] Sur ce point, cf. particulièrement Joël. Molinario – Joseph Colomb et l’affaire du Catéchisme progressif ; un tournant pour la catéchèse – Paris – Edition DDB – 2010 – 434 p.

[2] Cf. Henri Bissonnier – une pédagogie de Résurrection – Paris – Edition Don Bosco – 2007 – 434 p.
Et Col. Henri Bissonnier, pionnier de la pédagogie catéchétique spécialisée pour les personnes handicapées – Paris – Edition Don Bosco – 2011 – 250 p.

Sainte Edith Stein, Sr Thérèse Bénédicte de la Croix, o.c.d.
De la personne humaine – Cours à Munster – 1932-1933

Ed. Ad Solem, Cerf et Carmel, Paris – 2012 – 280 p.

Outre pour la vénération qui entoure évidemment son auteur, cet ouvrage mérite d’être ici présenté, dans ce n° 2, parce qu’il traite à la fois de la personne et de son éducation ; il veut montrer pourquoi la première appelle la seconde et est capable d’en profiter, donc, en quoi, tout à la fois, elle a besoin d’éducation et est éducable.

Publié en français le 14 septembre 2012, en la fête liturgique de la Croix Glorieuse, il se situe d’emblée dans la radicalité de la problématique du fondement ; il est organisé autour d’une anthropologie qui, initialement philosophique, devient finalement théologique, c’est-à-dire dans le registre qui seul permet d’envisager adéquatement l’ampleur et l’enjeu des pratiques éducatives.

Excellemment traduit et introduit par Flurin M Spescha, c’est le texte du cours d’anthropologie philosophique que Sainte Edith Stein professa, en 1932-33, à l’Université de Munster, le dernier qu’elle ait pu y dispenser avant que les évènements que l’on sait lui interdisent de le poursuivre. Fidèle à son Maître, Husserl, c’est une approche phénoménologique qu’elle adopte pour répondre à la question première : « qu’est-ce que l’homme ? », et qui l’amène à mobiliser aussi Thomas d’Aquin, dont elle reprend l’idée majeure selon laquelle il est « une substance individuelle de nature rationnelle, et non un accident de la matière ou le produit de structures sociales » (p.11). Par là, elle rejoint aussi Jacques Maritain. Elle s’attache à établir comment l’homme est naturellement chercheur de Dieu, dont sa raison suffit à lui permettre de postuler l’existence et de poser à son propos des questions, auxquelles c’est la Révélation qui fournit les réponses sollicitées. Et c’est bien cela, ce cheminement, à la fois intellectuel et spirituel, que l’éducation doit l’amener à accomplir. Ainsi, il n’y a de fondement à la pédagogie que dans l’anthropologie et la théologie. Aussi bien, toute pratique éducative met en œuvre, explicitement ou de facto, une « une vision globale du monde » (p. 22) dont la théorisation constitue l’objet de « la science de l’éducation » (id.). Le lien entre pratique éducative et métaphysique va de soi, même si l’éducateur ne s’en doute pas. C’est pourquoi la tâche primordiale de cette discipline est d’élucider l’idée de l’homme à retenir.

Tel est précisément l’objet de cet ouvrage, qui l’élabore et la dégage, notamment par confrontation avec les divers courants philosophiques de la pensée allemande, pour élucider l’idéal humaniste qui provient de l’anthropologie chrétienne. C’est de lui que procède particulièrement une préoccupation proprement personnaliste, sur laquelle le texte présente une série d’observations très concrètes et pertinentes, concernant les attitudes que l’éducateur doit adopter ou éviter à l’égard de l’enfant, sans jamais oublier qu’il « n’est, en définitive, que le ministre de Dieu », car « l’éducation est, en fin de compte, l’affaire de Dieu » (p.42).

On sent, en lisant ces pages, combien la pensée pédagogique française contemporaine est, à quelques exceptions, étrangère à cette conception, et aussi combien cet écart aide à saisir à quoi tiennent, aujourd‘hui, tant la crise de l’Ecole que le désarroi des éducateurs. C’est que, affirme Ste Edith Stein avec fermeté, « il n’y a rien de plus urgent que de chercher à savoir ce que la vérité révélée dit de l’homme » (p. 269). Cela est indispensable à toute pratique éducative éclairée : « Eduquer signifie conduire d’autres êtres humains de sorte qu’ils deviennent ce qu’ils doivent être » (p. 270). Exprimé avec cette sublime simplicité, l’objectif de l’éducation est d’initier à « atteindre ce qui est le but de l’existence en apprenant à vivre en s’appuyant sur la foi » (p.278).

Telle est sans doute, grâce à cette toute récente parution, la plus actuelle proclamation de la pédagogie chrétienne, tragiquement authentifié par une jeune philosophe juive, devenue Carmélite avant de mourir en déportation.

Guy AVANZINI,

M. H. Mathieu, avec J. Vanier
Plus jamais seuls : l’aventure de « Foi et Lumière »

Paris – Presses de la Renaissance – 2011 – 360 p.

Au premier regard, ce n’est pas un livre de pédagogie. Et cependant, c’en est bien un, et même à double titre : d’abord, parce qu’il s’agit de l’éducation spirituelle et religieuse, c’est-à-dire de son objectif majeur, ensuite parce qu’il porte sur celle des personnes atteintes d’un handicap mental.

Fondatrice de l’O.C.H.[1] en 1963, Marie-Hélène Mathieu l’a écrit à l’occasion du 40ème anniversaire de Foi et Lumière, le mouvement qu’elle a créé avec Jean Vanier, en organisant, en 1971, un pèlerinage à Lourdes, qui a rassemblé 17 000 fidèles, dont 4 000 porteurs de handicap. Avec autant de minutie que de délicatesse, elle raconte les difficultés de tous ordres qu’il lui a fallu gérer et surmonter pour réussir ce qui était vraiment un pari, une entreprise aléatoire, mais qui fut un succès et suscita, même chez beaucoup de ceux qui s’étaient d’abord montrés craintifs, voire réservés, une véritable découverte. A Lourdes, ceux que volontiers l’on supposait inaccessibles à l’expérience religieuse s’y montraient au contraire ouverts : ils se sentirent aimés de Dieu, susceptibles d’aimer, capables de fraternité, heureux de ce qu’ils vivaient, donc « plus jamais seuls ».

Avec la même précision et la même finesse, Marie-Hélène Mathieu analyse les débats et péripéties qui s’en suivirent, à propos de la poursuite du Mouvement ainsi inauguré ; en particulier, fallait-il continuer à organiser des pèlerinages spécifiques, ou les associer à ceux des Diocèses ? Quoi qu’il en soit, et largement grâce à sa dynamique et courageuse ténacité, l’œuvre se poursuit, se structure, se mondialise, jusqu’à réunir aujourd’hui plus de 50 000 membres de plus de 80 pays ; elle a organisé d’autres pèlerinages, notamment à Rome. Mais ces épisodes réfractent un début de fond, qui porte sur la manière de considérer les personnes affectées de handicap mental : faut-il les réduire à celui-ci ou, au contraire, pour inaperçu qu’il puisse être, croire en leur potentiel ?

C’est bien par là que, débutant son objet propre, cet ouvrage intéresse au plus haut point la pédagogie et que l’avènement de Foi et Lumière s’inscrit pleinement dans son histoire. Bien que, sans doute par discrétion, Marie-Hélène Mathieu ne le thématise pas, c’est un véritable renversement anthropologique que, comme l’œuvre du Père Bissonnier[2], elle a effectué : c’est la perception du handicapé mental comme personne, donc unique et singulière, mais aussi capable et désireuse d’ouverture à autrui, et à Dieu même. Ainsi disparaît une représentation erronée et s’en révèle une autre, qui prolonge et ouvre l’exploration de l’éducabilité, dont est explicitée une nouvelle dimension : cela approfondit l’effort que naguère inaugura Itard et que, dans un autre contexte et un autre langage, prolongèrent Seguin, Binet et aussi plusieurs Congrégations[3]. Ainsi se confirme le rôle moteur du christianisme, source ininterrompue d’initiatives pédagogiques mais marginalisé par le laïcisme de l’histoire officielle ; il importe donc de dire et de souligner son rôle. L’œuvre de Foi et Lumière s’inscrit décisivement et fortement dans cette trajectoire[4].

Guy AVANZINI


[1] Office chrétien des personnes handicapées.

[2] cf. C. Fino et H Herbinet – Réflexions sur l’œuvre catéchétique du Père Bissonnier, Paris, Ed. du Senevé, 2012, 156 p.

[3] cf. notamment L. Bauvineau – Libérer sourds et aveugles, Paris, Ed. Don Bosco, 2000, 190 p.

[4] sur l’ensemble de ces problématiques, cf. G. Avanzini, A.M. Audic, R. Cailleau et P. Penisson – Dictionnaire historique de l’éducation chrétienne d’expression française, Ed. Don Bosco et IFD, 2010, 854 p.

 

Pour une pédagogie de l’intériorité [1]

Pour une pédagogie de l’intériorité[1]

Télécharger le fichier en version .pdf

Conférence, Lyon, mai 2008

Antoine de La Garanderie*

Présentation de Jean Louis Barbon

Bonsoir à tout le monde, merci d’être venu pour écouter Monsieur de La Garanderie et Monsieur Guy Avanzini.

Monsieur de La Garanderie a répondu à une invitation conjointe, et très amicale, de l’Institut Formation et Développement de Grenoble (IFD), Institut de formation de l’enseignement catholique, et du Centre Jean Bosco, que les lyonnais connaissent, qui est situé sur la colline de Fourvière. Cette soirée a pu être organisée avec l’appui décisif de La Direction Diocésaine de Lyon. Merci à Monsieur de Baillancourt, qui est dans l’assistance.

La soirée va se passer de la façon suivante : une courte introduction de ma part, puis en quelques mots, Guy Avanzini mettra en perspective le propos d’Antoine de La Garanderie et ensuite Antoine, c’est vous qui aurez toute la soirée. Continuer la lecture