Paris : Editions Bayard, 2012, 132 p.
Voici un livre qui, par son acuité et sa rigueur, contraste opportunément avec les propos contenus et, de ce fait, marquera sans doute la pédagogie chrétienne aujourd’hui en France. Se donnant pour objet de « penser la pertinence de la Mission de l’Ecole Catholique dans la société actuelle » (p. 26), il tient sa promesse. Il part de l’idée que, en reprochant contradictoirement à l’Enseignement sous contrat soit d’être « trop laïque », soit de céder au prosélytisme, dans l’un et l’autre cas on met en question sa mission d’évangélisation, telle qu’elle semble introduite par le « caractère propre » que lui reconnaît la loi de 1959. D’où une analyse acérée et clarifiante de cette notion, à la fois centrale et énigmatique, qui conduit l’auteur à identifier deux modèles opposés de sa mise en œuvre : l’un, « disjonctif » et juxta positif, marginalise, voire restreint autant que faire se peut, la dimension chrétienne, limitée à des activités culturelles, à une pastorale assimilable aux aumôneries de l’Enseignement public ; l’autre « conjonctif », comporte au contraire, « par la nature même de son activité » (statut de l’Enseignement Catholique – préambule n°6), de pastoraliser toute la vie de l’institution, de l’unifier autour de la foi chrétienne, ce qui correspond bien à la fonction apostolique déclarée de l’Ecole.
F. Moog valide la pertinence de cette distinction en recourant à deux critères : le chef d’établissement et la communauté éducative. Le premier, en effet, peut, soit exercer d’abord et principalement sa charge administrative, puis, en outre, assurer, voire déléguer, sa responsabilité pastorale, soit au contraire concevoir et assumer celle-ci dans sa totalité, en y intégrant des composantes de gestion, qui en deviennent alors des aspects, non pas secondaires mais seconds, tous activés par le souci pastoral. Quant à la communauté éducative, on peut la penser soit comme incluant une communauté chrétienne qui, plus réduite, s’efforcerait de l’animer, soit comme coextensive à elle : indépendamment du positionnement religieux de ses divers membres, elle est alors –et elles sont, l’une et l’autre, indissociablement- mobilisées au service d’un projet, à l’élaboration duquel tous auraient assez participé pour y adhérer. Face à la menace de la disjonction, on préfèrera, bien sûr, le modèle conjonctif, car il est celui qui permet à l’Eglise d’assurer par l’Ecole sa mission d’évangélisation, tout en respectant les personnes qui, sans être tenues de partager sa foi, peuvent néanmoins s’associer à son projet éducatif. D’où l’idée qu’à la notion ambiguë de « caractère propre » il faut préférer celle des « moyens évangéliques disponibles pour l’animation d’une communauté éducative hétéroclite mais reconnue comme sujet ecclésial » p. 89).
Voilà donc, trop succinctement synthétisée, une argumentation qui, forte de son assise théologique et de sa maîtrise réflexive, et malgré quelques passages elliptiques un peu déroutants, légitime l’Enseignement Catholique dans son projet fondateur et justifié de vouloir non seulement le maintenir mais le développer. Aussi bien, sans nourrir les polémiques en la matière, on ne doit pas oublier que, en inventant la formule de « l’association » pour rendre tolérable aux laïques le subventionnement des écoles privées, l’Etat s’est enfin résolu à assumer le devoir qui lui incombe de respecter concrètement la liberté, alors que, en travaillant à leur sauvegarde, l’Eglise stipule le droit intemporel de participer à l’éducation, qu’elle tient de l’universalité de sa mission pastorale.
A cet égard, on peut s’interroger sur ce que F. Moog appelle « la nature juridique de la notion de caractère propre, ou notion de droit, français spécialement forgée pour dire la spécificité de l’Enseignement Catholique » (p. 33). Ne pourrait-on estimer qu’elle n’est précisément pas juridique, mais politique, peut-être plus improvisée dans l’urgence que longuement délibérée[1] car, au terme d’un débat éprouvant, elle offrait un compromis assez flou pour s’avérer acceptable pour les deux parties : tout à la fois, la concession d’un « caractère propre », plus revendiquée que définie, rassurait les chrétiens inquiets d’un enseignement sans référence religieuse, dont la promesse, au contraire, rassurait les laïques. Quant aux moyens et « pratiques concrètes à mettre en œuvre » (p. 25 – 102 – 114) –car le seul projet ne garantit pas son application- et qui sont bien « une pratique de la charité (p. 114), on aurait sans doute aimé que F. Moog précise davantage : comment les envisage-t-il ? Sans doute peut-on estimer que l’accueil de tous dans le respect total de la liberté de construire » en est une importante modalité : mais on a trop tendance à n’y voir qu’une contrainte légale, alors que son intention et sa portée missionnaires sont évidemment beaucoup plus importantes. Plus généralement, et sans rien négliger de ce que comporte une aumônerie, l’Ecole Catholique doit être réellement une institution chrétienne, c’est-à-dire qui s’efforce de vivre selon les vertus évangéliques : qu’il s’agisse d’un recrutement et d’une évaluation délivrées de l’élitisme ou d’une extase naïve devant les pourcentages d’admission au baccalauréat, d’un jugement des personnes affranchi d’une vision fixiste et performantielle, d’une discipline libérée des caprices des adultes, d’un exercice de la charité qui ne se limite pas en rituel folklorique du « bol de riz », d’un enseignement qui ne prépare pas seulement à l’exercice du pouvoir et ne vise pas que l’appât du gain, de valoriser non pas le profit mais le service, d’une relation aux parents, qui n’en fasse pas que les consommateurs de vertus chrétiennes. Ce ne sont là que quelques exemples, mais ils posent sur un point important la question cruciale de savoir comment gérer chrétiennement une activité.
Face à tout cela, on n’ignore ni les obstacles, ni les réticences, ni les résistances. Mais aujourd’hui, la mise en service de ces « moyens » n’est-elle pas trop souvent freinée par la timidité ? C’est le grand mérite de l’ouvrage de F. Moog, par la radicalité de son vigoureux ouvrage, de conduire à poser les problèmes fondamentaux.
Guy Avanzini
[1] Sur ce point voir : A.B. Poucet, La liberté sous contrat ; histoire de l’enseignement privé, Editions Fabert, 2009, spécialement p.82 et suivantes.