Philippe Rocher
le goût de l’excellence: quatre siècles d’éducation jésuite en France

Ed. Beauchesne, 2011, 438 p.

Préface de Guy Avanzini

Cet ouvrage retrace la naissance puis l’évolution de la Compagnie de Jésus en France, du XVIème siècle au XXIème siècle. L’auteur y présente aussi le projet éducatif appliqué dans les collèges qu’Ignace de Loyola et ses successeurs créèrent. En outre, il souligne la fidélité au projet initial des fondateurs et, à travers les siècles, son adaptation aux besoins de la société.

La première partie de l’étude s’étend du XVIème au XVIIIème siècle. C’est à Paris que, à la Renaissance, Ignace de Loyola fonda la Compagnie de Jésus. Avec ses Compagnons, il se mit, sous l’autorité du Pape, au service de l’Eglise universelle. Selon les directives du Concile de Trente, suite à la Réforme, les fidèles devaient être instruits de leur religion. Alors, la Contre-Réforme s’appuya sur les Jésuites pour assurer la prédication et l’enseignement religieux. Le besoin de scolarisation étant général en France, on les sollicita encore pour l’ouverture de collèges. Malgré de fortes oppositions, notamment celles de l’Université de Paris, les jésuites purent ouvrir plusieurs collèges grâce au soutien de mécènes. Suite à divers évènements politiques et à plusieurs arrêts parlementaires, ils furent expulsés. Après un exil d’une dizaine d’années, Henri IV les rappela en 1603.

Les débats entre jésuites enseignants, les échanges sur leurs expériences pédagogiques et leurs propositions aboutirent à l’élaboration de la Ratio studiorum. Cette charte pédagogique établit une méthode commune, applicable à tous les collèges jésuites, depuis les petites classes de « grammaire » jusqu’aux classes supérieures où étaient enseignées la philosophie et la théologie scolastique. La pédagogie jésuite visait la formation d’une élite, celle de l’humaniste dévot, inséré dans la société : « Dessein scolaire, mais aussi véritable projet pour refaire la société chrétienne hors de la corruption de l’hérésie (62) ».

Au début du XVIIème siècle, l’éducation jésuite, qui avait le goût de l’excellence, progressait. Afin de répondre aux besoins de l’Etat dans la formation professionnelle, les collèges s’ouvrirent à un enseignement plus scientifique. Cependant, ils s’adaptèrent lentement à ces exigences, en introduisant les sciences et les mathématiques dans leurs programmes. A l’aube du XVIIIème siècle, la scolarisation régressa, les effectifs des collèges diminuèrent : on reprochait aux Jésuites leur enseignement trop littéraire. Il s’ensuivit que le siècle des Lumières contesta l’éducation jésuite et, par un édit de Louis XV, la Compagnie fut supprimée en France en 1764 et elle le fut, par le Pape, dans le monde entier, en 1773.

Quant à la seconde partie du livre, elle s’ouvre sur le rétablissement universel de la Compagnie par le Pape en 1814. A la Restauration, les Jésuites réorganisèrent leur apostolat en France, où l’aristocratie souhaitait bénéficier de leur enseignement. Mais, suite à de violentes contestations, ils eurent l’interdiction d’enseigner en France. Au lendemain de la Révolution de 1848 et, grâce à la loi Falloux (1850), ils purent ouvrir de nombreux collèges où ils appliquèrent avec plus ou moins de souplesse la Ratio studiorum. Les critiques formulées contre leur pédagogie reprirent sous le Second Empire. Mais la loi sur la liberté de l’enseignement supérieur fut votée (1875) et plusieurs Jésuites devinrent professeurs à l’Institut Catholique de Paris. De plus, un nouveau champ d’apostolat s’ouvrit, à la naissance de l’ACJF (1886). Cependant, la trêve anticléricale fut brève, car les décrets de Jules Ferry, puis les lois Combes empêchèrent de nouveau les Jésuites d’enseigner en France. A la mobilisation générale de 1914, des Jésuites s’engagèrent dans l’armée et, à la fin des hostilités, ce fut leur retour non officiel dans l’enseignement. Tout en s’intéressant aux méthodes actives de l’Ecole nouvelle, ils visèrent la formation humaniste et chrétienne de leurs élèves. Leur apostolat s’étendit aussi à l’éducation extrascolaire des jeunes et des adultes. L’ACJF se spécialisant selon les différents milieux sociaux, les Jésuites contribuèrent à la formation d’une élite dans chaque groupe. La guerre de 1939 ayant entraîné une pénurie d’enseignants, la loi du 3 septembre 1940 autorisa officiellement l’enseignement congréganiste. Suite à de vifs débats sur l’Ecole, la loi Debré accepta en 1959 le système des contrats d’association entre les écoles privées et l’Education nationale. Après le Concile Vatican II, la Compagnie fixa les orientations de son apostolat selon « trois axes : adaptation de la catéchèse, ouverture aux dimensions sociales et politiques, et pédagogie rénovée (283)». En 1967, fut créé un Secrétariat pour l’éducation jésuite, afin notamment, d’unifier l’apostolat de l’éducation. La crise des vocations, le manque d’éducateurs amenèrent les Jésuites à créer des associations d’éducateurs religieux et de laïcs, responsables d’établissements scolaires où était encouragée l’innovation pédagogique. A partir de 1970, des laïcs reprirent quelques collèges jésuites en y appliquant une pédagogie ignatienne. En 2001, la reconnaissance légale fut accordée, par le gouvernement, à la province française des Jésuites. La collaboration des laïcs et des religieuses de congrégation d’inspiration ignatienne se poursuivit avec celle des Jésuites, en travaillant à la formation de chrétiens ouverts au monde contemporain.

Ce livre répond au souhait de l’auteur de « bâtir une première synthèse de l’histoire de l’éducation jésuite en France depuis quatre siècles (15) ». Cette histoire est enracinée dans le contexte de ce pays et subit les contrecoups des évènements qui s’y passent. Elle accorde une large place à l’évolution de la pédagogie jésuite s’appuyant sur la Ratio studiorum vers l’épanouissement de l’effort éducatif de la famille ignatienne.

Marie-Thérèse Weber