Paris – Presses de la Renaissance – 2011 – 360 p.
Au premier regard, ce n’est pas un livre de pédagogie. Et cependant, c’en est bien un, et même à double titre : d’abord, parce qu’il s’agit de l’éducation spirituelle et religieuse, c’est-à-dire de son objectif majeur, ensuite parce qu’il porte sur celle des personnes atteintes d’un handicap mental.
Fondatrice de l’O.C.H.[1] en 1963, Marie-Hélène Mathieu l’a écrit à l’occasion du 40ème anniversaire de Foi et Lumière, le mouvement qu’elle a créé avec Jean Vanier, en organisant, en 1971, un pèlerinage à Lourdes, qui a rassemblé 17 000 fidèles, dont 4 000 porteurs de handicap. Avec autant de minutie que de délicatesse, elle raconte les difficultés de tous ordres qu’il lui a fallu gérer et surmonter pour réussir ce qui était vraiment un pari, une entreprise aléatoire, mais qui fut un succès et suscita, même chez beaucoup de ceux qui s’étaient d’abord montrés craintifs, voire réservés, une véritable découverte. A Lourdes, ceux que volontiers l’on supposait inaccessibles à l’expérience religieuse s’y montraient au contraire ouverts : ils se sentirent aimés de Dieu, susceptibles d’aimer, capables de fraternité, heureux de ce qu’ils vivaient, donc « plus jamais seuls ».
Avec la même précision et la même finesse, Marie-Hélène Mathieu analyse les débats et péripéties qui s’en suivirent, à propos de la poursuite du Mouvement ainsi inauguré ; en particulier, fallait-il continuer à organiser des pèlerinages spécifiques, ou les associer à ceux des Diocèses ? Quoi qu’il en soit, et largement grâce à sa dynamique et courageuse ténacité, l’œuvre se poursuit, se structure, se mondialise, jusqu’à réunir aujourd’hui plus de 50 000 membres de plus de 80 pays ; elle a organisé d’autres pèlerinages, notamment à Rome. Mais ces épisodes réfractent un début de fond, qui porte sur la manière de considérer les personnes affectées de handicap mental : faut-il les réduire à celui-ci ou, au contraire, pour inaperçu qu’il puisse être, croire en leur potentiel ?
C’est bien par là que, débutant son objet propre, cet ouvrage intéresse au plus haut point la pédagogie et que l’avènement de Foi et Lumière s’inscrit pleinement dans son histoire. Bien que, sans doute par discrétion, Marie-Hélène Mathieu ne le thématise pas, c’est un véritable renversement anthropologique que, comme l’œuvre du Père Bissonnier[2], elle a effectué : c’est la perception du handicapé mental comme personne, donc unique et singulière, mais aussi capable et désireuse d’ouverture à autrui, et à Dieu même. Ainsi disparaît une représentation erronée et s’en révèle une autre, qui prolonge et ouvre l’exploration de l’éducabilité, dont est explicitée une nouvelle dimension : cela approfondit l’effort que naguère inaugura Itard et que, dans un autre contexte et un autre langage, prolongèrent Seguin, Binet et aussi plusieurs Congrégations[3]. Ainsi se confirme le rôle moteur du christianisme, source ininterrompue d’initiatives pédagogiques mais marginalisé par le laïcisme de l’histoire officielle ; il importe donc de dire et de souligner son rôle. L’œuvre de Foi et Lumière s’inscrit décisivement et fortement dans cette trajectoire[4].
Guy AVANZINI
[1] Office chrétien des personnes handicapées.
[2] cf. C. Fino et H Herbinet – Réflexions sur l’œuvre catéchétique du Père Bissonnier, Paris, Ed. du Senevé, 2012, 156 p.
[3] cf. notamment L. Bauvineau – Libérer sourds et aveugles, Paris, Ed. Don Bosco, 2000, 190 p.
[4] sur l’ensemble de ces problématiques, cf. G. Avanzini, A.M. Audic, R. Cailleau et P. Penisson – Dictionnaire historique de l’éducation chrétienne d’expression française, Ed. Don Bosco et IFD, 2010, 854 p.