Editorial

Affectivité et éducation chrétienne

Guy Avanzini

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Après avoir mis en évidence la permanence de l’engagement des chrétiens dans l’entreprise éducative et les raisons de celui-ci, puis souligné comment il est, pour eux, indissociable de la volonté de promouvoir la personne humaine, sans doute fallait-il aussi rappeler fermement que, loin d’être exclusivement d’ordre intellectuel, la pratique pédagogique comporte nécessairement une composante affective, qui en conditionne largement la portée. Tel est donc l’objet de ce troisième numéro.

Certes, ce thème est complexe et semé d’embûches, d’autant plus que l’actualité renforce les difficultés de son approche. Tout se passe désormais comme si s’accroissait un écart entre deux attitudes : d’une part, celle d’élèves qui, à la fois souvent meurtris par les ébranlements familiaux et insécurisés par mille facteurs sociaux, attendent de l’Ecole qu’elle leur offre un lieu de dialogue interpersonnel confiant avec des adultes matures ; mais, d’autre part, celle d’une institution qui, raidie dans un rôle de transmission didactique anonyme, devient de facto de plus en plus importante pour l’avenir social mais de plus en plus inintéressante : ce dont le « décrochage » et, plus largement, l’échec offrent tant d’exemples. C’est donc le rôle indéniable de l’affectivité que ce numéro se propose d’analyser et de rappeler à quiconque le méconnaît, le néglige ou feint de l’ignorer.

Pour cela, et alors que l’on s’apprête à célébrer le bicentenaire de la naissance de Don Bosco, c’est bien son « système préventif » qu’il convenait d’abord et d’emblée d’analyser : cette structure tripolaire, qu’il est le premier, dans l’histoire de la pédagogie chrétienne, à avoir eu le courage d’identifier et de valoriser ; il revenait au Père Wirth, s.d.b., de le présenter. Michel Soëtard illustre ensuite l’initiative salésienne en montrant comment l’éducation morale, nonobstant sa dimension rationnelle, suppose une « pédagogie du cœur », qui n’est point faiblesse résiduelle de la nature mais dimension proprement humaine. Et la même thématique, dans son approche psycho-théologique, est reprise simultanément par Bertrand Bergier et Sœur Véronique Margron, o.p., Mais, comment, de ce fait, intégrer ces données dans la conduite quotidienne de l’éducation affective et sexuelle ? Il revenait au Doyen Xavier Lacroix de montrer dans quel esprit la concevoir et à quelles conditions elle peut s’avérer efficace. Ensuite, le professeur Bellingreri, de l’Université de Palerme, propose dans la même ligne une théorie de l’empathie comme substrat de l’éveil progressif de l’affectivité. Deux études, l’une due à Thierry de La Garanderie, et l’autre à Christelle Chevallier-Gaté, s’attachent, en lien avec l’essor actuel des sciences cognitives, à souligner comment la capacité, le désir et le plaisir d’apprendre ne sont pas dissociables d’une dynamique globale, où l’émotion a un rôle décisif quoiqu’insuffisamment reconnu et identifié par l’intellectualisme du regard adulte traditionnel.

Selon l’usage de la revue, ces « fondamentaux » sont suivis, dans la rubrique « éducation en actes », de diverses approches concrètes. François Le Clère et Ilaria Pirone présentent une analyse opportune du « décrochage scolaire », qui « affecte » cruellement la relation affective et en manifeste l’échec, sinon la rupture. Une présentation sur la communauté de l’Arche, bienvenue à l’occasion de son 50ème anniversaire, indique comment son projet ne craint pas de situer la dimension affective de l’éducation. Francis Leménager et Dominique Le Corre s’interrogent sur la mixité, tant à l’œuvre des Apprentis d’Auteuil qu’au Langeron. Puis Céline Guérin ouvre une réflexion sur les conditions à créer pour une mixité bien vécue à l’école.

Souligner ainsi comment l’éducation issue du christianisme suppose de reconnaître tout être humain comme une personne, dont on ne saurait en outre ignorer le paramètre affectif, sans doute est-ce une manière de rappeler fermement qu’elle est indissociable d’une anthropologie, dont il importe d’identifier les composantes structurelles. C’est là combler une lacune car, comme chacun sait, les textes ministériels et la pédagogie officielle écartent systématiquement tant cette thématique que les auteurs et les recherches qui en traitent.