Paris – Ed. Médiaspaul – 2012 – 166 p.
Nombreux sont, à bon droit, les travaux sur la personne et l’œuvre de Bienheureuse Marie de l’Incarnation. Née Marie Guyart, en 1599, dans une famille chrétienne d’artisans relativement aisée, désirant toute jeune devenir religieuse, elle fut mariée par ses parents à 18 ans, devint mère en 1619, puis veuve la même année, alors qu’elle avait à peine 20 ans. En 1631, elle entra chez les Ursulines de Sainte Angèle, dans leur Monastère de Tours ; huit ans plus tard, en 1639, à la suite d’un irrépressible appel missionnaire, elle obtint de partir pour le Québec avec deux autres Sœurs, pour promouvoir l’éducation des jeunes Amérindiennes. Avec une énergie de tous les instants, elle y travailla pendant environ 33 ans et y mourut en 1672, sans avoir jamais revu son fils, qu’elle avait quitté alors qu’il avait à peine 12 ans, quand elle était entrée en religion et qui était devenu lui-même bénédictin.
C’est cette destinée extraordinaire que le Père René Champagne, s.j., a entrepris d’étudier par une approche originale : frappé par son autobiographie spirituelle (sa Relation de 1654) il se demande en effet si elle fut « heureuse sur terre » (p.8). Contrairement à la plupart des ouvrages qui lui sont consacrés, cette problématique l’amène non à étudier pour elle-même son œuvre éducative, mais à reconstituer son itinéraire spirituel, pour savoir comment elle a conjugué les insignes faveurs mystiques dont elle eut le privilège avec l’incessante énergie de ses activités apostoliques. Aussi bien, le désir d’articuler contemplation et action était déjà à l’origine du choix de la Congrégation où elle fit profession.
C’est donc de tout ce processus de « conversion », ainsi qu’elle l’appelle, que l’auteur reconstitue les étapes, en décrivant tant les épreuves spirituelles et matérielles qui l’atteignirent -menace d’agression des Iroquois, incendie du Couvent, tentation de tout abandonner et de revenir en Europe- que les grâces dont elle fut comblée et qui lui donnaient la force de persévérer « pour le Service de Dieu et de nos pauvres Sauvages » (p.81). Ainsi, au terme de cette belle et pénétrante étude, le Père Champagne, se demandant si vraiment Marie de l’Incarnation avait été heureuse, s’autorise à répondre que oui, dans la mesure où le « oui de son désir enfantin fut redit tout au long de sa vie » (p.162).
On pourrait, à première vue, regretter que ne fût pas étudiée, sinon allusivement, son œuvre pédagogique. Mais, en fait, au-delà d’une histoire personnelle pathétique singulière et impressionnante, cette analyse traite en profondeur l’essentiel de l’action éducative. Toutes proportions gardées, la vie héroïque de Marie de l’Incarnation montre de façon paroxystique qu’une pratique au service des enfants et des adolescents suppose -et exige- de tous une foi[1] qui la précède, la stimule et la sauvegarde. Alors que les motivations pour la fonction enseignante semblent se raréfier et que d’aucuns se lamentent de manquer de « moyens », le cas limite d’une religieuse qui, à l’appel de Dieu, quitte son fils et son environnement pour « sauver des âmes » rappelle opportunément que ce qui est prioritaire, c’est bien, en quelque sens qu’on l’entende, le don de soi[2].
Guy AVANZINI