Parole et liberté de parole
Bertrand Bergier
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Entre d’une part, les injonctions au silence et la culpabilisation de la parole d’une tradition autoritaire, et d’autre part, le « tout à l’égo » et une certaine logorrhée d’une société individualiste, faut-il et peut-on éduquer à une parole ? Quelle place donner pédagogiquement à ce « geste sonore » consubstantiellement lié aux gestes mentaux, d’où émerge la pensée réfléchie (cf. l’article de Christian Troël sur l’anthropologie de Marcel Jousse) ?
Michel Soëtard s’appuyant sur les intuitions des pères fondateurs, Rousseau et Pestalozzi qui l’un comme l’autre se sont intéressés de près à la parole à la fois dans son surgissement et dans son développement, plaide pour une pédagogie de la parole attentive à l’outil langagier, à son usage social et à sa pointe morale, celle d’un « tenir parole ». De son côté, puisant dans le mouvement de l’Education nouvelle, et s’attardant sur la dimension sociale et citoyenne, Ségolène Le Mouillour montre comment Célestin Freinet a su encourager l’apprentissage du débat argumenté et l’expression des élèves dans une démarche globale de coopération.
Donner la parole à l’élève peut donc, dans les faits, se traduire de manière très diverse. Guy Avanzini recense les divers accueils réservés à la parole de « l’apprenant » à travers l’histoire de l’Ecole. Joël Molinario lui fait écho, dans le champ spécifique de la catéchèse, en repérant les évolutions pédagogiques mais aussi théologiques de la Parole enseignée.
Entre une parole attendue, sous contrôle, induite par le modèle vertical descendant de la « pédagogie traditionnelle » et une parole « conquise » « libérée », « faussement émancipatrice » d’un modèle vertical ascendant, Jean-Pierre Gaté explore les propositions pédagogiques formulées par Antoine de La Garanderie en faveur d’une parole au service de l’apprentissage et du développement personnel de l’élève.
Pour sa part, Myriam Martin éprouve auprès d’enfants de petite et moyenne sections, dans le cadre d’une activité à visée philosophique, un « savoir parler pour penser ». C’est sur ce même terrain, celui de la discussion à visée philosophique –à l’école primaire cette fois -, que Pierre Usclat ayant dénoncé les écueils d’une parole enseignante prisonnière d’une rationalité étriquée et obnubilée par les compétences, pratique une pédagogie de l’alliance, un dialogue gommant l’asymétrie entre ce qu’expriment les élèves et auxquels les enseignants sont sensibles et ce que ces derniers mettent en place et auxquels les élèves accordent du crédit.
Toujours sur le terrain, conflictuel celui-ci, Randall Butler expose les conditions et les vertus d’un dialogue entre des juifs et des musulmans, dialogue qui permet aux uns et aux autres de mettre en mot et à distance leur réalité, de symboliser leur existence, d’exprimer la part intime du vivant humain sans pour autant céder aux passions et tumultes intérieurs. La parole de prière, cette forme de relation avec Dieu, évoquée par François Chirpaz fait elle aussi rupture avec la violence, celle du sacrifice, et a, elle aussi, besoin de passer par le porche du silence, le silence de l’intime.