Joël Molinario
Le catéchisme, une invention moderne : de Luther à Benoit XVI

Paris – Bayard – 2013 – 246 p.

L’éducation religieuse, c’est évidemment la finalité suprême de la pédagogie ; pour la mener à bien, le « catéchisme » en est devenu comme le moyen privilégié. C’est précisément l’histoire de celui-ci, de ses origines à nos jours, et des débats dont il fut et demeure l’objet que Joël Molinario, directeur-adjoint de l’ISPC, étudie dans cet ouvrage, dont on appréciera à bon droit la solide information et la claire synthèse des approches diverses – théologique, philosophique, didactique, ethnique, dont il procède.

Son projet est de comprendre un paradoxe : d’une part, en effet, le catéchisme vise à énoncer pour la transmettre, la foi chrétienne, c’est-à-dire stipuler ces vérités qu’il est indispensable de connaître et de croire pour assurer son salut : il propose d’en donner à chacun une formulation intellectuelle. Cela constitue indiscutablement un progrès. Mais, d’autre part, il est simultanément perçu comme le modèle caricatural d’une pédagogie impositive, préconisant une mémorisation répétitive ; il désigne même, de manière excessive et ironique, toute entreprise de domestication d’esprits réduits et astreints à la passivité : sa présentation sous forme de « questions – réponses » devînt l’exemple-type d’une méthode surannée, l’exact contraire d’une attitude intelligente.

Pour expliquer ce contraste, l’auteur recourt à l’histoire. Il rappelle d’abord certaines initiatives de type catéchétique que, comme celle de Gerson, le contexte culturel d’analphabétisme fit échouer ; on pensait alors, en effet, que les rituels, le prône, la liturgie, voire les peintures des églises permettaient aux gens modestes de savoir l’essentiel. Mais tout changea après 1529, avec le catéchisme de Luther, puis, par réaction, après 1566, avec celui de Concile de Trente : dans une conjoncture renouvelée par la Renaissance, les Humanistes et l’individualisme qui en résulta, la conviction s’établit qu’il fallait procurer à chacun une connaissance précise, explicite et verbalisée des vérités de la foi : il importait donc de les formuler dans un texte accessible à tous. Ainsi, à beaucoup d’égards, c’est le catéchisme qui suscita une dynamique de fondation d’écoles paroissiales, comme lieux de cet enseignement, dont il constitue la finalité initiale et majeur, comme, au siècle suivant, celle de l’Institut des Frères des Ecoles Chrétiennes, même si l’institution scolaire allait, ultérieurement, oublier ou renier cette fonction. Ainsi, « en créant des écoles où l’écriture, la lecture et l’enseignement du catéchisme s’effectuent en langue vernaculaire, les Eglises réformées et catholique ont été à l’origine d’un mouvement culturel pour le peuple sans précédent, qui marque d’une empreinte durable toute l’époque moderne » (p. 61).

De cette volonté s’ensuivirent cependant deux orientations dont toute l’histoire du catéchisme allait confirmer la divergence. La première se centre sur un objectif très défensif, ordonné à la sauvegarde de l’orthodoxie et à la prévention des hérésies et des schismes, grâce à une intransigeante uniformisation des connaissances transmises ; la seconde, au contraire, vise surtout à susciter une foi personnelle, l’adhésion au projet divin et le désir de l’union du Christ. On pourrait, en schématisant, dire que celle-là est centrée sur la conformité à la lettre et celle-ci sur la fidélité à l’esprit. Selon les époques, les lieux, les personnes et les diocèses, c’est alternativement l’un ou l’autre qui prévaut et entraîne une pédagogie correspondante : soit la mémorisation systématique de la vérité, soit l’éveil à la parole de Dieu.

J. Molinario analyse cette alternance à travers le temps, notamment avec les tentatives et les avatars de rédaction d’un catéchisme unique et universel, en particulier, en 1919, l’essai du Cardinal Gasparri. On regrettera seulement qu’il passe un peu rapidement sur le douloureux épisode du « catéchisme progressif » ; s’il cite Marie Fargues et bien sur, le Père Colomb, il n’évoque pas l’influence de Marie Montessori et passe vite sur celle de l’Education Nouvelle sur la pastorale catéchétique française. En revanche, il analyse avec pertinence l’apparition, en 1992 du Catéchisme de l’Eglise Catholique (C.E.L.) voulu par le Bienheureux Jean-Paul II et le Cardinal Ratzinger : le Pape le présente comme un noyau, un texte de référence, favorable à l’unité sans uniformité, l’expression d’une traduction vivante et non figée. Mais il montre la complexité de sa réception par les théologiens, ce qui réactive et renouvelle d’une certaine manière le débat trans-séculaire entre « l’objectivité de la foi, que le CEL exprime, et l’expérience de la foi, que le croyant éprouve » (p. 234).

A cet égard, il faut signaler le numéro double 9-10-2012 de la revue Documents Episcopat, publiée par le Secrétariat Général de la Conférence des Evêques de France (58 avenue de Breteuil, 75007 Paris) pour le 20ème anniversaire du CEL, sous le titre Expression de la foi de l’Eglise (octobre 2012-118p.). A cette occasion, trois journées ont en effet été organisées à Paris, Lyon et Toulouse, à l’intention de plusieurs centaines de responsables pastoraux. Les communications et témoignages présentés ont été réunis dans cette belle brochure qui, selon le mot de conclusion du Père Daguet, met en évidence « la dynamique du dessein divin, … remise en valeur au Concile» (p. 109).

Au-delà de toutes les informations qu’il rassemble, le grand mérite de ce bel ouvrage est d’avoir, face au « phénomène catéchisme », réussi à discerner et à identifier les modèles, des lignes de force qui lui donnent son intelligibilité. Il montre en outre comment le catéchisme a été non seulement une composante majeure de l’éducation mais, plus encore, un facteur décisif de sa dynamique et de celle de la pédagogie.

Guy AVANZINI