La parole de prière
(simples notes)

François Chirpaz*

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« Laisse-moi parler devant ta miséricorde : moi qui ne suis que terre et cendre,
laisse-moi pourtant parler car voici que je m’adresse à ta miséricorde
et non pas à l’homme qui rirait de moi, c’est à elle que je parle.
Et toi aussi, peut-être, tu ris de moi ;
mais tourne-toi vers moi et tu auras pitié. »

St Augustin, Confessions, I, VI, 7

Dans la vie religieuse, tout au long de la tradition chrétienne, la prière est la forme de relation avec Dieu à partir de la condition de la créature ; mais déjà Abraham, lorsqu’il implore pour le salut de Sodome et Gomorrhe, ou encore le psalmiste.

Une parole mais non pas n’importe laquelle. Celle qui commande ou donne un ordre en surplomb. Elle domine et elle veut prétendre imposer. Prier, par contre, est adresser une demande, à partir d’une position de faiblesse.

Toute prière est une forme de la parole humaine adressée à un autre à partir d’une position de faiblesse. Devant l’autre homme et, à plus forte raison devant son Dieu. C’est parce que je suis sans pouvoir que je ne puis que solliciter.

La relation au divin a pris bien des formes selon les moments du temps et les lieux de l’Histoire : sacrifice d’une part de la vie (le plus souvent un animal, mais aussi, parfois, sacrifice d’êtres humains). Une façon de rendre hommage à la puissance du divin, dans la mise à mort et la destruction par le feu.

La prière, par contre, est rupture avec la violence du sacrifice. Elle est, elle, expression de la confiance de la créature à l’endroit de son Créateur. Elle se situe, tout entière, sur le registre de la parole. Parole ordinaire ou, plutôt, une certaine tonalité de la parole ordinaire.

Comme toute parole en souci d’exprimer la part intime du vivant humain il lui faut passer par le porche du silence pour faire taire le tumulte intérieur de ses passions et de ses propres passions. Céder à ce tumulte intérieur, c’est s’exprimer par le cri qui entend en imposer à l’autre et faire pression sur lui. C’est vouloir commander à l’autre, et non pas faire société avec lui, car nulle société vraiment humaine ne peut s’instaurer que dans le calme et la paix.

Le porche du silence

Ainsi, la prière est analogue, en cela, à la parole de confidence, celle qui exprime la part intime. Un amour ou une amitié, cela ne se clame pas sur les toits. Ou, alors, cela bascule dans l’impudeur. On ne crie pas un amour. Et pas davantage une prière, qui requiert le recueillement, dans le silence de l’intime, et loin du bruit. De là, la recommandation du Christ lui-même : quand tu veux prier retire-toi dans ta chambre et ferme la porte.

Ce n’est que lorsqu’elle prend forme collective que la prière peut être proférée à haute voix. Mais, le plus souvent, en prenant rythme de chant, dont les formes les plus hautes sont le chant grégorien, le chant orthodoxe ou le gospel. Prier en commun est toujours à des degrés divers, inscrire la parole sous le signe de la musique.

Les modèles

Sous sa forme la plus familière, elle reprend les paroles du Notre Père, des Psaumes, ou bien la supplique d’Abraham.

Ce que dit le Notre Père : le lien étroit de la louange à l’endroit du Créateur et de la demande de la créature. Le psaume, quant à lui, demeure entre assurance et détresse. Il est parole chantée, la musique et le chant, étant manifestation de la part spirituelle de l’homme.

La démarche paradoxale

Analogue à la demande, la parole de prière demeure néanmoins différente de l’échange ordinaire entre un homme et un autre homme. Là, la demande proférée est en attente d’une réponse.

La démarche adressée à Dieu, par contre, ne peut attendre une réponse sur le modèle ordinaire. Ou, alors, le croyant se laisse persuader par des voix qui ne viennent, en fait, que de lui-même.

Telle est bien le paradoxe de toute prière : la parole qui exprime une demande ne peut attendre, en retour, une parole analogue.

On a beaucoup évoqué, après Auschwitz, le silence de Dieu dans le temps de la plus grande détresse. Mais c’est oublier que de ce silence témoignent le début du psaume 22 et tout le Livre de Job. La parole de prière est, tout à la fois, manifestation de la confiance et supplique de l’homme qui souffre.

Et, pourtant, Dieu demeure silencieux. Où donc, alors, l’homme qui exprime sa demande peut-il recevoir une réponse ? Dans le cours des événements qui lui adviennent, dans la parole de l’autre homme qui s’attache à le consoler. Et dans la méditation des grands textes.

Que reste-t-il dès lors à l’homme ? Son espérance, dont celui qui a le mieux parlé est Péguy. L’espérance plus forte que le silence, et même que la mort.

En cela, l’espérance, assurance inassurée et sans preuve, constitue le cœur même de la foi chrétienne, qui se fie sans réserve à Celui qu’annonce le prologue de l’Evangile de Jean : la parole venue au monde des hommes.

 

Bibliographie

Les questions abordées dans cet article ont été présentées plus longuement dans les deux ouvrages référencés.

Chirpaz, François, Job. La forme d’espérance, Cerf, 2001.

Chirpaz, François, Devant Dieu, L’Harmatan, 2014.

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Pour citer cet article
Référence électronique : François Chirpaz, « La parole de prière : (simples notes) », Educatio [En ligne], 4 | 2015. URL : https://revue-educatio.eu

Droits d’auteurs
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* Maître de conférences honoraire de philosophie à l’université Lyon III.