Paris – Cerf – 2015 – 282 p.
Voici un ouvrage qui marquera l’histoire de la pédagogie chrétienne, c’est-à-dire de la réflexion sur l’activité éducative et, plus précisément, scolaire de l’Eglise. Issu d’une belle thèse de théologie récemment soutenue devant l’Université Catholique de Lyon, il est dû à un Frère des Ecoles Chrétiennes, qui a voulu aller d’emblée à l’essentiel et n’a pas craint de poser dans sa radicalité, sa complexité et ses évolutions, la question du bien fondé d’une Ecole Chrétienne. Etayée sur une forte culture historique, philosophique et théologique, cette vaste recherche analyse l’émergence, l’évolution et les changements, mais aussi la permanence des objectifs pastoraux qui ont entraîné et justifié la persévérance délibérée dans les initiatives de scolarisation.
Cela amène l’auteur à une magistrale étude de l’importance attribuée au dogme du péché originel, dont, surtout à partir du XVIIème siècle, le danger parut gravement menaçant pour le salut éternel et convainquit d’y réagir par une éducation ordonnée à tenter de le conjurer. Aussi bien, cela s’avérait particulièrement urgent pour les enfants pauvres, que des parents déficients ou indignes étaient inaptes à élever : la volonté de Dieu était cependant que tous les hommes soient rachetés, il en résulte, notamment à l’initiative de Charles Démia, puis de Jean-Baptiste de la Salle, la fondation d’écoles populaires qui, de ce fait et à ce titre, méritent bien d’être considérées comme des « lieux théologiques », (p.88). Fondamental devient simultanément le personnage original du « Frère », dont les compétences et surtout le statut religieux de personne consacrée transforment la représentation, « en faisant de ce métier méprisé un Ministère » (p. 206).
Certes, peu à peu, ce handicap du péché originel fut discuté, complexifié, nuancé, voire contesté. Ainsi en alla-t-il au siècle des Lumières, spécialement avec Rousseau, qui soutient la thèse de la bonté naturelle de l’enfant puis, dans la première moitié du XXème siècle, au sein même de l’Eglise, avec l’avènement de l’Education Nouvelle. Mais, si contesté fût-il, il demeurait une donnée centrale de débat pédagogique, et il l’est demeuré avec le Pape Pie XI dans l’Encyclique Divini Illius Magistri et il l’est resté jusqu’au terme du Concile. Mais le « modèle scolaire tridentin» (p. 154) a succombé à la modernité « Nos contemporains n’imaginent plus de peine éternelle si l’on refuse d’adhérer à la foi » (p. 12). Ce sont donc d’autres fondements, anthropologiques et théologiques, qu’il faut désormais donner au projet éducatif de l’Eglise. Et c’est, d’une certaine manière, ce qu’a enregistré la déclaration solennelle de 1965 Gravissimum educationis momentum qui, déclare le Cardinal Garonne, effectue « une révolution d’immense portée » (p.155). Non que le dogme soit évacué, mais il est réintégré pour signifier « qu’une volonté rétive, présente en chacun, récuse le don de Dieu » (p. 131) de sorte que tout angélisme est à écarter sans pour autant contraindre à céder à l’idée d’une corruption généralisée.
Cela amène Frère André-Pierre à élaborer un nouveau modèle de l’Ecole Chrétienne, dans lequel le rôle du Frère, perçu dans la seule et authentique spécificité de son activité, occupe une fonction centrale. On pourrait dire, bien que l’expression ne soit pas de l’auteur, que le rôle de Frère est de faire en sorte que l’Ecole Catholique soit toujours une école chrétienne et, malgré toutes les influences contraires constitue le garant de cette fidélité ; il lui revient d’être, au sens fort, le frère –le grand frère- de chaque élève. « Avant tout discours, c’est par sa pratique éducative que l’enseignant participe au salut des jeunes, en concourant à la réalisation de leur humanité » (p. 204). Comme à l’époque de Jean-Baptiste de la Salle, « ils ne sont pas devenus maîtres parce qu’ils étaient frères une fois qu’ils l’ont été, mais ils ont fait le choix de devenir frères pour vivre évangéliquement la tâche scolaire » (p. 196). On peut reprendre ici la distinction si opportunément introduite par Benoit Deschamps entre des « activités » pastorales (catéchèse – célébration, sacramentalisation, etc.) et les « attitudes » pastorales, c’est-à-dire les modalités chrétiennes –fraternelles- de la vie scolaire quotidienne. Par là, l’Ecole Catholique « participe à l’humanisation des personnes et offre une nouvelle proposition d’évangélisation » (p. 220) et le Frère est vraiment « ministre de Dieu » (p. 101).
Telle est la trame de ce bel ouvrage, dont la lecture s’impose. Il s’agit d’une réflexion d’envergure, que sa richesse justifie d’intégrer à toute réflexion approfondie sur l’Ecole Catholique et la pédagogie chrétienne.
Guy Avanzini