J.F. Zorn
Une école qui fait date : l’école préparatoire de théologie protestante : 1846-1990

Lyon – Editions Olivétan – 2013 – 342 p.

Les Eglises issues de la Réforme donnent, elles aussi, de nombreux signes de l’inventivité éducative du christianisme. Un exemple significatif en est fourni par l’ouvrage que le professeur Zorn historien religieux justement connu et estimé, a récemment consacré à « l’Ecole préparatoire de théologie protestante ».

Il s’agit en effet, globalement, d’un séminaire des vocations tardives, ouvert à l’intention de jeunes gens de 16 ans au moins, chez qui a émergé une vocation pastorale mais que, diverses raisons ont empêché d’accéder au baccalauréat, requis pour la formation au ministère et l’inscription dans une faculté de théologie. L’établissement fut conçu et fondé pour leur proposer à la fois de mener à bien, en trois ans, leurs études secondaires, d’approfondir leur culture religieuse et d’éprouver leurs motivations, grâce à l’expression de l’internat dans une communauté spécifique, de style à la fois austère et familial. En 150 ans, environ 1500 étudiants y ont été formés, dont la plupart ont été ou sont devenus pasteurs, remédiant ainsi à une pénurie dommageable, tandis que quelques-uns ont exercé des fonctions variées, au service de l’Evangile. C’est l’Eglise Réformée de France qui en a, pour l’essentiel, assuré la responsabilité et la direction, malgré les divergences d’ordre théologique et ecclésiologique, notamment entre Evangéliques et Libéraux.

On ne résumera pas ici une analyse approfondie et minutieuse qui restitue excellemment et fait sentir la dynamique de l’Ecole, comme ses difficultés, singulièrement, celles qu’entraînèrent des déménagements déstabilisateurs, auxquels la contraignait la conjoncture. En revanche, il s’impose de souligner trois aspects particulièrement suggestifs.

Le premier est d’ordre proprement pédagogique. Il n’était en effet pas banal, au XIXème siècle, de chercher ainsi à remédier à une scolarité manquée. A une époque où prévalaient des représentations psychologiques de type fixiste comme la conviction de précoces sénescences, c’était un courageux acte de foi, tant anthropologique que spirituel. A cet égard, l’ouverture de l’Ecole est à insérer dans la série de ces postulations téméraires de l’éducabilité, qui ont ponctué l’histoire de l’éducation et assuré les progrès de celle-ci. Hommage doit en être spécialement rendu à l’audace des directeurs qui l’ont osée comme des professeurs parmi lesquels on ne saurait omettre de signaler l’apport de Paul Ricœur.

Encore fallait-il inventer les modalités de la vie quotidienne au sein de la maison ; et c’était d’autant plus complexe qu’il s’agissait de satisfaire simultanément des finalités distinctes, singulièrement la préparation au baccalauréat et la mise à l’expérience de l’authenticité vocationnelle ; de fait, la fixation des modalités du règlement de la vie quotidienne a souvent appelé des ajustements. Il ne fallait en effet ni organiser seulement une « boite à bachot » performante mais oublieuse de la maturation spirituelle, ni cependant sacrifier à celle-ci une réussite scolaire elle-même indispensable. En outre, pour sérieux et pieux qu’ils fussent, des sujets de 16 à 20 ans n’en avaient pas moins les réactions de leur âge et de leur génération. Il importait donc, tout à la fois, de maintenir une fidélité exigeante au projet religieux et laisser néanmoins une place aux aspirations de la jeunesse, ne serait-ce que pour éprouver l’authenticité du premier. Encore la tension entre les deux données allait-elle s’accentuer quand, après la 2ème guerre, se présentèrent des candidats déjà mariés ou fiancés, « l’Ecole se doit » écrit M. Zorn, « d’éprouver une vocation pastorale qui sera confirmée par l’Eglise ; cela exige efforts et esprit de responsabilité, en vue d’un engagement libre, c’est-à-dire sérieux et vrai » (p.183). On regrettera cependant que, sauf une rapide allusion (p. 170), rien ne soit dit sur les modalités de l’accompagnement spirituel et sur les problèmes éventuellement soulevés par les relations entre for interne et for externe.

Une deuxième raison de l’intérêt de l’ouvrage, c’est, à la manière d’une fenêtre ouverte sur le monde, d’offrir un regard à la fois panoramique et précis de l’époque qu’il couvre. Ainsi, il est le reflet des problématiques ecclésiologiques et pastorales des époques successives : la mission, l’évangélisation, le rôle des Eglises, le discernement et la formation des ministres du culte. Il illustre aussi les rapports délicats entre registre politique et registre religieux, par exemple lors de la loi de séparation, des deux guerres, de la décolonisation. Et l’intrication de ces facteurs induit l’incessante mobilité de l’Ecole. Ainsi, au fil des pages, on parcourt toutes les mutations de ces 150 ans.

Enfin, ce livre est attachant parce qu’il présente la pédagogie chrétienne en acte. Et quand on sait le rôle moteur de la Réforme dans l’essor et la diffusion de l’instruction, on apprécie particulièrement les manifestations qu’il en apporte. On voit ici clairement :

  • le paramètre axiologique : il faut pourvoir aux charges pastorales, et, pour cela, mettre à l’épreuve les aspirations vocationnelles de ceux que les circonstances ont écartés des études secondaires
  • le paramètre anthropologique : il faut prendre en compte, avec souplesse et exigence, les possibilités et les difficultés, tant intellectuelles que personnelles, d’un type spécifique de candidats : grands adolescents et jeunes adultes
  • le paramètre pédagogique : il faut articuler les deux précédents par l’invention d’une institution et de procédures d’enseignement et de travail appropriées tant aux objectifs retenus qu’à ceux qui s’efforcent de s’y engager

Que le professeur Zorn soit donc remercié d’une recherche intéressante tant par son objet que par la manière dont il en éclaire le contexte

Guy Avanzini