Paris – Ed. Textuel – 2015 – 144 p.
Il n’y a pas que l’Ecole et l’instruction ; il y a aussi l’éducation, à laquelle évidemment l’Ecole participe, mais sans en être le seul ni nécessairement le meilleur agent, et qui en requiert d’autres. C’est spécialement le cas lorsqu’il s’agit de la « jeunesse en marge » dont, poursuivant ses recherches antérieures, Mathias Gardet expose l’histoire dans ce bel ouvrage, surabondamment illustré, publié à l’occasion du 150ème anniversaire de la célèbre « Œuvre des Orphelins Apprentis d’Auteuil ». Cinq chapitres, correspondant aux cinq périodes successives qu’il distingue analysant leur douloureux -et parfois dramatique- histoire. Face à chacun de ces moments, il étudie la réaction de l’institution de l’Abbé Roussel et la manière dont elle a su, à la fois, sauvegarder son identité et s’adapter avec intelligence à des besoins sociaux nouveaux et sans cesse en transformation. On pourrait dire aussi, symétriquement, que, en observant l’évolution de l’Œuvre, on retrouve celle de la population correspondante.
Un exemple de cette capacité novatrice apparaît dès son origine : au départ, il s’agit de vagabonds, orphelins ou abandonnés, fuyant une campagne qui ne les nourrit pas ; ils inquiètent l’opinion et la police les appréhende et les emprisonne. Or, face à leur détresse et à l’incurie de l’Etat, celui qui les accueille et les recueille décide très vite, avec lucidité et audace, d’ouvrir à leur intention des ateliers où ils pourront se former à un métier, notamment artisanal, et, par là, accéder à l’autonomie. De même, après la deuxième guerre, cette capacité innovatrice est-elle confirmée par la volonté délibérée, en dépit du poids de tendances contraires, de ne pas accentuer la rupture entre l’enfant et ses parents mais d’associer ceux-ci au maximum à l’entreprise éducative et à l’élaboration du projet de vie.
Ce que cette histoire met aussi en relief, c’est le changement des problématiques du vivre-ensemble. Sans cesse, « la jeunesse en marge » se renouvelle, mais son attitude se modifie. C’était, naguère une enfance malheureuse, qui subissait la misère. C’est, désormais, après l’épisode de la « contestation », l’émergence de la violence et de la haine, une dynamique de rupture du lien social et, si le phénomène est mieux compris, et mieux connu, il est de moins en moins maitrisé. De social, il devient politique et, si l’éducation appropriée fournit les signes de son efficacité, les institutions qui l’assurent se sentent de plus en plus débordées et essoufflées par l’ampleur du phénomène.
Quoi qu’il en soit, pour la pédagogie chrétienne, la « jeunesse en marge » est à la fois un défi, un enjeu et un stimulant. Elle a relevé le défi, fait face à l’enjeu, bénéficié du stimulant. L’enfance et l’adolescence malheureuses sont pour elle un lieu privilégié de son déploiement, qui vérifie son incessante inventivité. On pense à st Vincent, à Don Bosco. Avec finesse, concision et clarté, Mathias Gardet a su dégager l’originalité de l’œuvre d’Auteuil, et il convient grandement de lui en savoir gré.
Guy Avanzini