Colloque mars 2015 – E.C.A. – Hors série – juillet 2015
Force est de constater que les mutations culturelles en cours engendrent chez beaucoup d’élèves, du moins en apparence, un désintérêt à l’égard des savoirs, que manifeste un certain rejet du travail scolaire et qui, à la limite, aboutit au « décrochage ». Sans doute est-ce le désir d’y remédier qui a suscité la mode de la notion ambigüe de « compétences » entendue comme justifiant le savoir en l’intégrant à un savoir-faire : cela s’inscrit dans la longue série de ces motivations « extrinsèques » que dénonçait Kerschensteiner car elles cherchent à mobiliser l’esprit pour des raisons autres que l’acquisition même des connaissances. Et cette situation amène à se demander, non sans quelque anxiété, comment donner sens aux savoirs. Telle est, précisément, la question que s’est posée le SGEC lors de son Colloque de mars dernier aux Bernardins, dont rend compte ce dossier : selon le mot de Pascal Balmand, « comment ré-enchanter les savoirs ?» (p. 2).
Diverses communications de grand intérêt ont évidemment analysé les effets de l’avènement des TICE et du numérique et n’ont pas craint de poser dans sa radicalité la question de l’utilité de l’Ecole, de proposer des approches futurologiques à la fois séduisantes et aléatoires, comme de souligner l’urgence d’une audacieuse démarche transdisciplinaire. Cependant, au-delà de ces vastes perspectives et sans méconnaître leur pertinence, on s’attachera davantage, ici, à leurs incidences sur la pédagogie chrétienne en tant que telle. A cet égard, un essai de formalisation des interventions qui s’y rapportent permet sans doute de repérer entre elles, au moins implicitement, une triple convergence :
- Les savoirs peuvent trouver sens dans la mesure où ils ne résultent pas d’une transmission impositive conduite au nom de tel ou tel programme plus ou moins arbitrairement enseigné, mais constituent une réponse à un désir, à une attente, à une curiosité, à un choix, à une appétence. On peut penser ici à Freinet ou au livre, aujourd’hui oublié, de Louis Not « l’Enseignement Répondant ». C’est dire qu’il faut au maximum, comme l’a notamment rappelé Sœur Véronique Thiebaut, r.a., susciter la curiosité de l’enfant, étant entendu que celle-ci ne tient pas seulement, ni d’abord, à l’Ecole, mais à tout son environnement culturel, inégalement propice.
- Ils trouvent sens, aussi, dans la mesure où celui que sa curiosité a conduit à l’effort d’apprendre constate que, grâce à une didactique appropriée, il réussit à savoir. Alors, il prend confiance en lui, se découvre intelligent. Qui échoue se décourage, persuadé de son incapacité, tandis que l’expérience du succès nourrit la persévérance et intensifie l’intérêt.
- Ils prennent sens, enfin, dans la mesure où, ainsi maîtrisés, ils éclairent la vision du Monde. A cet égard, Pascal Balmand préconise excellemment de substituer à la notion de « socle » celle de « clé ». La première, en effet, victime de ses insurmontables ambiguïtés, renvoie à une pédagogie de transmission plus ou moins contrainte ; la seconde, au contraire, signifie la possibilité d’accéder à l’infinité du Monde, à une communication illimitée et à l’expérience de l’altérité.
Alors, motivés pour apprendre, y réussissant et soupçonnant l’omni-dimensionnalité de l’univers, l’être humain est inéluctablement conduit vers une interrogation sur l’existence, sur le sens de la vie, donc vers des problématiques spirituelles. Et c’est face à ce questionnement plus ou moins anxiogène et à une attente plus ou moins impatiente que le message de la pédagogie chrétienne devient recevable et capable de révéler sa réponse. A elle, avec la grâce de Dieu, de savoir se faire écouter car ce sont des questions centrales que toute personne se pose. Aussi bien, c’est ce que soutiennent, de façon convergente, François Moog et Marguerite Lena, pour qui, en outre, le sujet ne peut échapper à une interrogation sur la vérité. C’est pour l’y aider que, comme le remarquait en conclusion Monseigneur Planet, l’Ecole chrétienne se doit d’être inventive.
Guy Avanzini