Col. Chrétiens et Sociétés : Documents et Mémoires n° 24 – Edition du Laboratoire de recherches historiques Rhône-Alpes – 2014 – 290 p. –
Constituant les Actes d’un colloque organisé en 2013 à Lyon par le Laboratoire de recherches historiques Rhône-Alpes, ce volume rassemble une douzaine de textes qui, à partir de problématiques distinctes, s’interrogent sur l’existence d’une « éducation protestante » et sur le sens à donner à cette expression : s’agit-il d’un système éducatif qui, à travers des modalités variées, spécifierait et identifierait une pratique ou, plus simplement, de l’ensemble des initiatives prises en ce domaine au sein de la Réforme ? Que ce soit pour instruire les fidèles ou pour former les pasteurs, la seconde acception est, à la limite, un « lieu commun » (p. 5) ; la première, en revanche, ne comporte pas une réponse évidente. C’est donc à débattre de sa pertinence, à faire le point sur les réalisations effectives et à interroger sur le bien-fondé de la conviction d’une supériorité pédagogique du protestantisme sur le catholicisme que sont consacrées ces pages.
L’ensemble comporte à la fois une richesse considérable d’informations et une densité réflexive qui s’attache à en dégager et en expliciter le sens. Faute de données d’ores et déjà suffisantes, ces pages ne proposent ni une histoire linéaire, ni un panorama exhaustif des activités éducatives Protestantes, mais une série d’approches ponctuelles qui, pour diverses qu’elles soient, s’avèrent hautement significatives et ne manquent pas de suggérer, comme en pointillés anticipateurs, une synthèse dont la formalisation serait encore prématurée.
Sans présenter ici toutes les contributions, notons particulièrement l’analyse des nouveaux abécédaires du XVIème siècle qui, soulignant le rôle d’Olivetan, conclut que, pour eux, « si le salut est par la foi, il passe par la lecture en français » (p.46). Non moins stimulante est le chapitre relatif à Jean Sturm et à la manière dont il a su, à Strasbourg, participer à la valorisation de l’instruction comme moyen de promouvoir la foi nouvelle, tout en montrant le souci d’une réconciliation interconfessionnelle. De même appréciera-t-on l’excellente étude sur les collèges : plus d’une trentaine dans les premières décennies du 17ème siècle, résistent mal aux difficultés financières, comme parfois à une « cohabitation » aléatoire avec les catholiques. Aussi bien, semble-t-il, beaucoup de jeunes protestants, élevés dans des bons établissements « papistes », n’ont pas reçu « l’éducation dans la piété réformée » (p. 94). En outre, aura-t-on bien réussi à les convaincre d’éviter le danger du « cabaret » ou des « mauvaises rencontres » ? Comment faire que leur conduite fasse honneur à leur identité religieuse ? On appréciera aussi l’étude des Académies et de leur rôle dans la formation des Pasteurs et d’une élite diversifiée. Et l’on sera particulièrement intéressé par l’étude « des huguenots chez les papistes (pp. 153 et sq.) comme, selon la conjoncture politico-confessionnelle, aux tensions incessantes et douloureuses entre la recherche aléatoire d’un véritable réseau éducatif protestant et les placements contraints dans des collèges catholiques, voire dans « des maisons de nouveaux convertis ». A l’opposé, M. Noguès analyse le cas de ces élèves que des parents indociles aux prescriptions réitérées des Synodes et des Consistoires mais plus préoccupés de leur avenir socioprofessionnel, ont délibérément inscrits dans une institution catholique où leur foi serait, en principe, respectée, si variable que s’avérait néanmoins le climat de leur accueil ! Toutefois, après la Révocation, la transmission de la foi a dû se clandestiniser : c’est la catéchèse « du Désert », dont plusieurs chapitres soulignent la résistance courageusement organisée pour sauver « un processus éducatif consubstantiel à la piété réformée ». « Ainsi, l’on n’est pas parvenu à anéantir une démarche intrinsèque à la Réforme » (p. 227). Voilà donc des apports précieux à la connaissance de son investissement éducatif.
Toutefois, dans une réflexion terminale de haute tenue épistémologique et historiographique, le professeur Willem Frijhoff continue d’estimer légitime de se demander si « le concept d’éducation protestante proprement dite n’est pas un leurre, une illusion née dans le climat conflictuel surchauffé des controverses de l’époque moderne » (p. 266). Seules la découverte de sources nouvelles et la poursuite de la recherche permettront de le dire ! Du moins cette série de textes met-elle en évidence la qualité des travaux qui y concourent.[1]
Guy Avanzini
[1] Ces pages ne comportent aucune référence au Dictionnaire historique de l’éducation chrétienne d’expression française – Paris – Ed. Don Bosco – (2010 – 854 p.) Or une cinquantaine de notions traitent précisément des relations entre Réforme et éducation et de ceux qui y sont impliqués.