Geoffrey Legrand*
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Résumé : En Belgique francophone, les écoles secondaires catholiques rassemblent 60% des jeunes de 12 à 18 ans appartenant à des profils sociaux, culturels et religieux différents. Ces établissements jouissent d’une réputation d’excellence auprès de la population, favorisant ainsi une reproduction ou une ascension sociale. Pourtant, cette école ne se targue pas d’être élitiste en vertu du statut social de ses élèves. Reconnaissons plutôt qu’en travaillant sur son identité, ses missions et ses valeurs, le réseau catholique a placé la pastorale scolaire au cœur de ses projets éducatif et pédagogique : tout en étant attentive aux plus petits, la pastorale scolaire tente d’allier l’excellence de l’éducation (faire grandir humainement, culturellement et spirituellement) avec le service pour chacun.
Mots-clés : pastorale scolaire, école catholique, élitisme, éducabilité de tous, attention aux tout petits, proposition de la foi.
Au fil des siècles et en fonction des contextes géopolitiques, la notion d’« éducation chrétienne » évolue et, des méthodes de saint Benoit ou de celles de saint Colomban aux recommandations actuelles de la Congrégation pour l’Éducation Catholique, elle connait diverses réalités et adaptations tout aussi intéressantes et passionnantes les unes que les autres. En quels termes décrire aujourd’hui son tiraillement entre, d’une part, l’attention qu’elle doit nécessairement accorder à chaque élève, et en particulier à celui qui en a le plus besoin (cf. les paraboles du bon pasteur ou du fils prodigue), afin que tout élève qui la fréquente développe son potentiel intellectuel et humain et, d’autre part, sa tendance à créer, volontairement ou non, une intelligentsia culturelle, économique et sociale prête à répondre aux grands défis de demain ? Quelle « élite » l’école catholique souhaite-t-elle former ? Un bref voyage dans le monde des établissements secondaires catholiques de Belgique francophone mettra en évidence la richesse insoupçonnée de la pastorale scolaire qui offre la possibilité de réconcilier, certes en partie, ces différents tiraillements. Afin de décrire au mieux les réponses apportées, je présenterai dans un premier temps l’état des lieux ainsi que l’émergence de ce modèle de pastorale scolaire au sein de l’école catholique par une brève description synchronique et diachronique de ce paysage. Ensuite, il sera temps d’entrer de plein pied dans le cœur de notre sujet de recherche, à savoir, comment la pastorale scolaire en Belgique francophone favorise-t-elle la création d’un modèle qui réunifie à la fois l’éducation des élites et des « plus petits ».
1. L’école catholique secondaire en Belgique francophone : un milieu élitiste ?
À l’approche du Congrès de l’enseignement catholique en octobre 2012, dans une controverse par journaux interposés[1], des universitaires défendant d’un côté, le réseau catholique et de l’autre le réseau officiel, se sont opposés sur les raisons qui expliquent la présence de trois élèves sur cinq dans le réseau catholique en Belgique francophone, au niveau secondaire (de 12 à 18 ans environ). Cette confrontation plantera le décor et offrira au lecteur l’occasion de s’immerger dans le monde de l’enseignement belge où s’affrontent donc des convictions diamétralement opposées, notamment en raison d’orientations politiques, philosophiques et de l’ancienne répartition par piliers de la population belge. Historiquement en effet, chaque personne de la société belge, de sa naissance à sa mort, appartenait à un « pilier » (catholique, libéral ou socialiste) qui l’amenait à suivre un parcours presque tracé entre les différentes institutions qu’elle était amenée à fréquenter dans sa vie, que ce soit dans les secteurs de la politique, des soins de santé, de l’enseignement, des syndicats, etc.
De leur côté, Olivier Servais, anthropologue à l’Université catholique de Louvain, et Anne Baudaux, assistante en anthropologie dans cette même université, après avoir mené une enquête auprès des acteurs de l’école catholique, expliquent ce succès par les valeurs[2] généralement reconnues à l’école catholique dans l’imaginaire des parents:
« L’école chrétienne est un compromis entre des valeurs plus traditionnelles comme la religion, l’autorité (par exemple, l’autorité morale du directeur), l’obéissance, le devoir, la responsabilité, etc. et des valeurs dites ‘postmodernes’ telles que l’épanouissement, la liberté, la sincérité, la tolérance, etc. »
L’un et l’autre soulignent aussi quelques caractéristiques fondamentales de ces établissements : la transmission de la culture, l’identité forte et positive, résistante à l’individualisme et au libéralisme, et le « supplément d’âme » qui serait présent dans ces écoles. Par ailleurs, ils dégagent des éléments déterminants dans le choix des parents vers l’école catholique (la discipline, la bonne réputation, l’invitation à s’investir personnellement, etc.) tandis qu’ils remarquent que les directeurs insistent davantage sur l’exigence, comme valeur fondamentale de leur école :
« Pour les directeurs, oui, l’école catholique est élitiste, mais dans le bon sens, c’est-à-dire qu’ils essaient de prendre tous les élèves là où ils sont et de les amener le plus haut possible. »
Aussi, étant donné que les textes officiels de l’école catholique belge n’en donnent pas une définition précise, pourrait-on tirer de cette formulation une définition de base du terme « élitisme » dans notre contexte : il s’agirait donc « d’amener les élèves le plus haut possible» ? Si tel est le cas, la question est de savoir dans quel(s) domaine(s) : intellectuellement, socialement, économiquement, relationnellement, spirituellement ? Dans son intervention au Congrès de l’enseignement catholique de 2012, Jean de Munck, professeur au Département des sciences politiques et sociales de l’UCL, parlait de quatre dimensions à développer dans les écoles en vue de l’émancipation des jeunes : la « cognition, [la] morale et [la] politique, [l’] esthétique » et le religieux[3]. Si ce projet se vivait effectivement au sein de l’école catholique et si la fréquentation et la réussite dans une école catholique encourageaient par la même occasion une certaine reproduction, voire une ascension dans la société, cela constituerait une explication majeure à la présence de 60 pourcents des jeunes de 12 à 18 ans dans l’école catholique. Cependant, les jeunes sont-ils bien amenés le plus loin possible dans les domaines identifiés par le professeur de Munck ? De plus, l’attention est-elle accordée à tous, de la même façon, pour hisser chaque élève le plus loin possible, quel que soit le public, favorisé ou non, qui fréquente l’établissement?
De son côté, Hugues Delforge, sociologue à l’Université Libre de Bruxelles, interprète de manière tout autre cette réussite de l’enseignement catholique[4]. Pour lui, cette école s’arrange pour attirer à elle un public favorisé par la loi du « marché scolaire » et « la stratégie de l’évitement ». Selon lui, même si la proximité de l’école et son projet pédagogique restent déterminants lorsque des parents choisissent l’école de leur enfant, le profil de la population scolaire constituerait le critère ultime des parents afin de « protéger » leur(s) enfant(s) de la rencontre avec d’autres élèves provenant d’un milieu social moins favorisé, en croyant ainsi éviter la mauvaise influence de certains (incivilités, etc.) : c’est ce que le sociologue appelle la « ségrégation scolaire ». En somme, sa critique principale consiste à suggérer qu’il existerait d’un côté les écoles du réseau officiel (non catholiques) qui s’occuperaient d’aider et d’amener le plus loin possible davantage d’élèves « à problèmes » et des couches les plus précaires de la population et de l’autre, l’école catholique qui préserverait en ses murs des élèves appartenant à une couche sociale plus aisée afin de former la future élite de demain sur le modèle de la stricte reproduction sociale. C’est pourquoi, ce chercheur plaide pour plus « d’égalité et d’équité entre et dans les écoles ».
Toute critique constructive est toujours bonne à entendre et l’école catholique serait en contradiction flagrante avec l’Évangile et donc avec elle-même si elle comptait construire une « élite » sur les bases exclusives de la reproduction économico-sociale. En effet, le Christ, d’après les évangiles, a eu pour mission première de faire grandir les plus fragiles. Aussi, si l’école catholique veut imiter le Christ, sa mission doit également se porter prioritairement vers ceux qui en ont le plus besoin. Ainsi, si elle ne doit pas forcément former une élite économique de « reproduction ou d’ascension sociale dans la société », par contre, construire une « élite » sur base des valeurs humaines et évangéliques au sein même de ces établissements constituerait un défi ambitieux mais cohérent avec les valeurs de son projet éducatif. Peut-être que si elle ne peut pas encore créer par elle-même « l’égalité et l’équité avec les autres écoles » parce qu’elle n’en a pas le pouvoir, elle pourrait travailler, en son sein, à mettre davantage en place, non pas l’égalité, mais bien plus d’équité entre tous les élèves, en poursuivant sa mission première « d’éduquer pleinement en évangélisant[5] ». De fait, Jésus n’est-il pas venu pour tous sur cette terre, mais en particulier pour ceux qui en avaient le plus besoin (cf. Mc 2, 17) ?
Schéma traditionnel représentant l’opposition
entre l’égalité (à gauche) et l’équité (à droite)
Pour que l’école catholique se rappelle cette mission de l’attention aux tout petits, l’esprit de la pastorale scolaire doit rester son cœur battant, inscrit dans les projets chrétiens des établissements et vécu au jour le jour par les membres de l’école. Un des traits majeurs de cet esprit réside dans l’attention aux plus démunis[6] économiquement ; avec le temps, l’école catholique a pu le redécouvrir et l’écrire dans ses textes de référence. Si nous lisons les textes officiels, elle va en effet progressivement accorder, au cours de ces soixante dernières années, davantage d’attention aux plus petits « financièrement » tout en ayant pour chacun le souci d’un côté de favoriser un enseignement de qualité et de l’autre de susciter une réflexion sur les plans humain et spirituel. En fait, l’école catholique belge a toujours pu s’adapter pour répondre aux exigences de son temps et garder ainsi une réputation d’excellence.
2. L’émergence du modèle actuel et la mise en place progressive des stratégies d’ouverture
Comment expliquer le succès du modèle de l’école catholique belge ? Comment a-t-elle fait pour garder sa réputation d’excellence tout en s’ouvrant à tous les milieux sociaux? Un retour sur l’historique de ce réseau nous permettra de comprendre plus précisément la situation actuelle[7].
De nos jours, une école belge ne pourrait se dire « catholique » sans un souffle pastoral ou, plus explicitement sans les activités de l’équipe de pastorale scolaire, qu’elles soient diocésaines ou locales. Celles-ci constituent en effet en théorie le cœur névralgique de ces établissements et, lorsque les acteurs sur le terrain sont en quête de l’identité de leur institut, ils doivent immanquablement se référer aujourd’hui aux projets pédagogique et éducatif de leur école dans lesquels se trouve gravé l’esprit de la pastorale scolaire grâce à la référence à l’Évangile. Cependant, même si, aujourd’hui, la question de l’identité trouve plus facilement ses réponses, les missions et le public de l’école catholique belge ont pris divers accents et diverses colorations à travers les époques, permettant cependant toujours à cette institution de rester un acteur de référence sur la scène publique belge.
L’année 1959 marque un tournant capital dans l’histoire de l’enseignement en Belgique. En effet, après la signature du pacte scolaire qui a garanti aux parents de choisir le réseau dans lequel ils inscriront leur(s) enfant(s), soit l’enseignement officiel (villes, communes, provinces) « neutre », soit l’enseignement libre (et donc principalement catholique), les écoles catholiques vont édifier sereinement leur réseau dans tous les niveaux et toutes les filières. À l’époque, il s’agissait de se démarquer face au réseau officiel concurrent. Aussi, logiquement, en 1964, dans leur Lettre collective, les évêques de Belgique ont réaffirmé la volonté de l’Église de « former de parfaits chrétiens » dans l’école en basant leur pédagogie sur le modèle de la transmission[8]. L’enseignement en école catholique était donc vu par les évêques comme un vase clos où se formaient dans un milieu homogène de jeunes catholiques qui, en vivant dans une atmosphère chrétienne et en s’imprégnant de celle-ci, deviendront eux-mêmes de jeunes chrétiens adultes dans la foi et engagés dans le monde, voire de futurs séminaristes. À cette époque, la démarcation entre les écoles catholiques et celles de l’officiel était donc essentielle ; cela constituait une motivation supplémentaire pour que l’école catholique vise l’excellence et la perfection de toute personne qui la fréquentait. Bien sûr, l’époque des guerres scolaires des années ’50 restait encore très prégnante dans les esprits et la société dépendait encore de la pilarisation[9]. À l’époque, les Églises diocésaines et les Congrégations religieuses finançaient davantage l’enseignement libre non neutre et c’étaient principalement les membres du pilier catholique (voire, plus rarement, du pilier libéral) qui fréquentaient ce réseau. Il y avait donc une certaine « sélection » du public.
Avec la fin des années 60, un souffle nouveau se fait sentir dans l’école catholique belge. Dès 1972, le Conseil général de l’Enseignement Catholique (SeGEC) est créé : il s’agit d’un organe de concertation qui regroupe les différents pouvoirs organisateurs des écoles. Dans le même élan de renouveau, le 2 septembre 1975, paraît le document Spécificité de l’enseignement catholique. Ce document réoriente radicalement la mission de l’école catholique et l’on passe d’une vision plutôt élitiste de l’enseignement dans la décennie qui précédait à une attention nouvelle qui doit être portée aux plus faibles et aux plus défavorisés de la société. Dans la pédagogie, les méthodes changent : on passe progressivement du modèle de la transmission de la foi par un maître à celui de la rencontre et du dialogue avec le frère :
« Cela suppose notamment que la communication du message chrétien ne se réduise plus à une transmission matérielle d’énoncés, mais conduise à la redécouverte de leur sens profond, afin de pouvoir [les] traduire en une vie basée sur l’adhésion à la personne de Jésus-Christ, tout en faisant la part légitime à une pédagogie de la recherche, de la confrontation et du dialogue[10]. »
Avec ce texte, apparait l’une des premières remises en question de l’élitisme et la redécouverte de la mission des écoles chrétiennes auprès des plus pauvres. L’Église redevient donc en phase avec cette démocratisation de la société et souhaite contribuer à l’épanouissement de tout homme[11]. Peut-être que certains facteurs et jeux d’alliances politiques extérieurs à l’école expliquent aussi cette « ouverture » de l’école catholique aux plus défavorisés mais force est de constater qu’un virage plus « social », qui ne sera plus jamais remis en question dans les textes officiels à l’avenir, a été pris en 1975. Les valeurs communes et partagées au sein de ces établissements permettaient, d’après les concepteurs du SeGEC, un bon vivre ensemble et constituaient ainsi l’âme des écoles catholiques.
La fin des années ’80 et le début des années ’90 consacrent cette ère des valeurs. En effet, alors que les concepts de « projet éducatif » et d’ « équipes de pastorale scolaire » voient le jour pour soutenir les écoles face à la déchristianisation grandissante, le projet éducatif se constitue autour de la reconnaissance des quatre valeurs du Congrès de Bangkok en 1982 pour l’école catholique du XXIe siècle : le respect de l’autre, la créativité, la solidarité responsable et l’intériorité. Parce que le Christ a pleinement vécu ces valeurs, celles-ci doivent être vécues dans les établissements catholiques. C’est ce qu’indiquera en avril 1992 le document de la CIPS (Commission Interdiocésaine de Pastorale Scolaire), Pour un projet éducatif chrétien dans un milieu pluriel. L’élitisme est en théorie bien loin ; l’école chrétienne ressentant le besoin de s’affirmer comme un « service rendu à l’homme […] indissociable de la mission évangélique de l’Église[12]. » C’est aussi depuis cette époque et la première publication en 1992 par le Conseil Général de l’Enseignement Catholique (SeGEC) de Mission de l’école chrétienne que la pastorale scolaire affirme son slogan, « l’école chrétienne évangélise en éduquant[13] », lui permettant de défendre son statut dans la société par le service qu’elle rend à celle-ci. Mais, même si « l’ambition pour tous » prend officiellement le pas sur « l’ambition d’élitisme », ce qui retient l’attention, c’est l’afflux de plus en plus important de non-catholiques au sein d’établissements catholiques belges qui prennent le parti de « s’ouvrir » encore plus à la société.
En 2003, le SeGEC publie Bonne nouvelle à l’école, l’outil de référence et de réflexion pour penser à neuf la pastorale scolaire. Le milieu évolue toujours plus et les responsables lancent en Belgique le concept, toujours d’actualité, de proposition de la foi pour soutenir la pastorale scolaire. Mais qu’entend-on alors par pastorale scolaire ?
« La pastorale scolaire prend corps dans ce qui fait l’école, ici et maintenant. Elle veille à ce que chacun soit accueilli, accompagné, respecté et reconnu. S’il ne faut pas nécessairement être chrétien pour nourrir l’esprit pastoral, les chrétien(ne)s ne peuvent en tout cas s’en dispenser! [Ainsi], l’équipe pastorale a un rôle irremplaçable de vigilance active[14].»
Et que signifie la « proposition de la foi » dans ce contexte des écoles belges ?
« La proposition de la foi a du sens dans la mesure où elle rejoint les personnes là où elles sont. Dès lors, au cœur d’une pastorale ouverte, basée sur le respect et l’échange des convictions de chacun, proposer la foi revient à proposer des moments et des lieux qui offrent à tous les membres de la communauté scolaire (enfants, jeunes et adultes) l’opportunité d’être touchés, dans leur cheminement, par des expériences vivifiantes de l’amour premier, inconditionnel et désintéressé du Dieu de Jésus-Christ[15]. »
À lire ces définitions et celle de la « pastorale scolaire » en particulier, pourrait-on arriver à dire comme le dénonce Pierre Robitaille[16] que « tout est pastorale » sans véritable « professionnalité » des protagonistes ? Personnellement, je le crains d’autant plus qu’une véritable formation en pastorale scolaire n’existe toujours pas académiquement en Belgique francophone, même si des pistes avaient été envisagées, notamment à l’UCL.
Quoi qu’il en soit, l’école catholique s’est adaptée en Belgique à toutes les époques et à tous les publics : en partant de cette impression d’« élitisme » en vase clos des années ’60 qui ciblait une frange de la population sur des orientations convictionnelles et socio-politiques, avec même la mission de former de futurs séminaristes, à une situation où elle continue simplement de proposer la foi à tous les jeunes, quelles que soient leur origine sociale et leurs convictions, l’école catholique tente de conserver ses lettres de noblesse et son exigence. Pourtant, même si sa mission évolue, son succès demeure. Aujourd’hui, elle veut s’affirmer comme un acteur autonome sur la scène politico-sociale et religieuse comme l’indiquent les actes du Congrès de 2012 de l’Enseignement catholique, Pour penser l’École catholique au XXIe siècle :
« Pour construire l’école du XXIe siècle, notre réseau d’écoles catholiques dispose des ressources nécessaires. L’autonomie politique d’abord, car il existe comme acteur collectif ; deuxièmement, une culture éducative au riche passé, pleine d’intuitions qui ne demandent qu’à être traduites dans un langage contemporain ; troisièmement, l’ouverture à la dimension religieuse avec un ancrage chrétien. Mises ensemble et interprétées dans le contexte nouveau qui est le nôtre, ces trois ressources peuvent nous aider à construire une école mieux ajustée à sa mission[17]. »
Ainsi, préconise-t-elle à chaque établissement de développer sa culture scolaire propre (recherche de ses racines et identification de ses missions pour le futur en fonction du public qui la fréquente), d’encourager les jeunes à la fois à connaitre et à prendre part à la culture afin qu’ils prennent leur place dans la société des hommes et qu’ils y trouvent du sens. Découvrir et mieux comprendre la culture, que ce soit celle des « grandes » œuvres d’art ou de la littérature, ou simplement celle dans laquelle le jeune évolue au sein de son établissement scolaire, offre à ce dernier la promesse d’ouvrir de nouvelles portes pour demain. Quelles que soient son origine sociale, son orientation philosophique ou religieuse, confronter les questions existentielles des jeunes aux réponses des hommes d’hier et d’aujourd’hui et, notamment à celles de l’Évangile, à travers des démarches culturelles, ne constitue-t-il pas le meilleur moyen pour former la véritable élite à venir: celle qui aura le souhait d’ouvrir grand son cœur pour créer le monde de demain, en harmonie avec son frère et avec Dieu? Celle qui sera attentive à se laisser toucher par un silence, une rencontre, une œuvre d’art, une énigme de l’existence et qui se mettra alors sur les chemins de l’autre et du Tout-Autre, tout en construisant de manière cohérente sa spiritualité ? Ce développement de la culture dans une perspective chrétienne ne va-t-il pas de pair avec deux grandes missions actuelles de la pastorale, qui, dans la pratique, propose la foi aux jeunes et tente de les faire grandir en humanité?
3. La pastorale scolaire : pour faire grandir chacun en humanité et pour être attentif aux tout petits
Après avoir parcouru le domaine de l’enseignement catholique en Belgique francophone d’un point de vue synchronique et diachronique, subsiste un paradoxe. En effet, alors que notre parcours historique a montré l’évolution de l’enseignement catholique vers une plus grande ouverture sociale dans ses textes officiels, il reste malgré tout taxé « d’élitisme » par ses opposants, comme l’a montré la réaction du Professeur Delforge de l’ULB. Aussi, reposons-nous cette question : dans quel(s) secteur(s) les élèves qui fréquentent les écoles chrétiennes pourraient-ils être une « élite » sans que cela ne choque ou ne soit remis en question par quiconque ? Et comment relier cette question à celle de l’attention aux « plus petits » ?
Pour éviter d’entrer à nouveau dans l’antique polémique improductive de la reproduction ou de l’ascension sociale via la présence plus ou moins grande d’élèves de milieux socio-économique favorisés dans l’enseignement catholique[18], un objectif à la fois accessible pour tous et ambitieux serait d’appliquer davantage l’esprit de la pastorale scolaire dans les écoles afin de former des « élites », non pas seulement sur le plan intellectuel, mais aussi et surtout sur les plans humain, relationnel et spirituel. En effet, s’il n’est plus souhaitable à l’heure actuelle et dans le contexte belge de former des catholiques dans un milieu clos, au contraire, cette troisième voie qui est celle de l’épanouissement du jeune à l’école d’abord humainement, relationnellement et spirituellement en brassant les savoirs, les cultures, les religions, tout en gardant un ancrage dans les évangiles, permettrait certainement de construire une élite pour demain particulièrement attentive à une répartition plus juste du bien commun. Or, dans les écoles catholiques, même si chacun peut individuellement travailler à ce projet, ce sont aussi les acteurs de la pastorale scolaire qui ont la responsabilité de travailler collectivement à ce défi en rappelant cette exigence dans le réseau libre pour que le potentiel humain de chaque jeune se développe véritablement au sein de l’établissement. Comment les équipes sur le terrain jouent-elles déjà ce rôle et comment peuvent-elles renforcer leurs actions ? Voici ci-dessous quelques pistes déjà exploitées partiellement par des équipes pastorales.
1. Encourager et valoriser les démarches
Toutes les écoles, et en particulier les écoles catholiques qui reçoivent moins de subsides des autorités, invitent les élèves et les professeurs à se mobiliser pour une série d’activités qui ne rentrent pas directement dans leurs plages horaires : préparation d’un voyage culturel, parrainages scolaires entre les élèves plus «âgés » et les plus « jeunes » de l’établissement ou entre professeurs plus expérimentés et des néophytes, être titulaire du côté des enseignants ou être délégué de classe pour les élèves, participer et préparer un repas avec les parents, etc. Cela est vrai d’un point de vue pédagogique mais cela l’est davantage encore lorsque l’on travaille dans les projets de pastorale scolaire : préparation d’un voyage à visée humanitaire (participer à la construction d’une école en Afrique comme voyage de rhétorique), participation et implication dans une retraite scolaire spirituelle, mobilisation solidaire pour des associations caritatives à l’occasion d’une marche parrainée – par exemple dans le cadre d’une retraite itinérante – , participation et implication dans des temps de célébration de l’année liturgique (chanter dans une chorale à la rentrée, à Noël, ou à Pâques), trouver et préparer un logo pour un thème d’année qui mobilisera toute l’école autour d’une valeur commune défendue dans l’Évangile, etc.
Pour qu’une école vive et donne du sens tant à ses apprentissages qu’à son projet pastoral, toutes ces démarches sont nécessaires. Même si elles ne rentrent pourtant pas directement dans la description des tâches des élèves ou des membres de la communauté éducative, ces activités permettent pourtant de développer immanquablement le tissu humain, spirituel et relationnel. Et s’il n’est pas possible de mesurer objectivement et donc d’évaluer formellement l’investissement de chacun, valoriser cet investissement prend toute son importance dans la reconnaissance d’un travail bénévole considérable et bénéfique à toute la communauté.
2. Donner toujours plus de sens
Depuis l’entrée dans l’ère des compétences[19], les pédagogues ont remis sur le premier plan cette importance du sens à travailler dans le cadre des cours. Mais au-delà de ces cours, parler de l’actualité de la classe, de l’école ou du monde et faire résonner la parole de l’Évangile dans ces contextes plus ou moins heureux constitue là encore un domaine privilégié de l’enseignement catholique et, en particulier, de la pastorale scolaire, que ce soit en classe ou dans le cadre, par exemple, de liturgies de la Parole durant le temps scolaire.
En effet, en Belgique, les professeurs des écoles catholiques ne sont pas soumis de la même façon à la notion de neutralité que les professeurs de l’enseignement officiel. Ainsi, lors des attentats de Charlie Hebdo en janvier 2015, énormément de jeunes ont été bouleversés et les échanges qui se sont établis entre les élèves et les professeurs ont été particulièrement enrichissants dans la recherche d’une meilleure compréhension des faits. À une époque marquée par la sortie de l’hétéronomie, les jeunes sont confrontés à leurs libertés sans limite dans ce monde désenchanté où plus aucun modèle ne convainc. Pour les aider tout de même à tracer leur route, les professeurs des écoles catholiques et, en particulier, les équipes de pastorale balisent leur chemin de quelques paroles de sens et de vie afin qu’ils se constituent des convictions fortes, cohérentes et positives pour le monde qui les entoure.
Par ailleurs, dans les célébrations du temps liturgique à l’école, l’équipe de pastorale scolaire doit particulièrement s’interroger sur le sens des activités qu’elle propose. Ainsi, la plupart des écoles sont passées ces dernières années de la célébration d’eucharisties à la célébration de liturgies de la Parole qui sont généralement beaucoup plus en phase avec la personnalité des jeunes de l’école qui ne perçoivent plus de la même manière qu’avant les enjeux du sacrement pour les chrétiens. Faire sens auprès d’eux, c’est aussi partir de leurs questionnements et de leurs productions personnelles pour les mettre en corrélation avec le monde passionnant des évangiles lors de ces célébrations.
3. Promouvoir une école catholique « ouverte » d’un point de vue social, culturel et religieux
S’il n’est plus pensable et désirable de proposer une école avec des catholiques, par des catholiques et pour des catholiques, le risque serait toutefois d’en diluer sa spécificité. Heureusement, en maintenant un cap résolument chrétien par le projet d’établissement qui ne dilue en rien son identité, la plupart des écoles catholiques vivent en leurs murs une sorte de « laboratoire de l’interreligieux » où les croyants des différentes religions, pour peu qu’ils adhèrent aux valeurs du projet d’établissement, peuvent échanger et confronter leur foi, notamment avec le christianisme.
Cet échange se passe non seulement dans le cadre du cours de religion catholique (deux heures par semaine de religion catholique avec un programme permettant la recherche de sens sont encore actuellement dans l’horaire de base de tous les étudiants qui fréquentent l’école catholique secondaire[20]) mais aussi dans les activités proposées par la pastorale scolaire, en parfaite adéquation avec ce que recommande la Congrégation pour l’éducation catholique dans son texte de 2013 : Éduquer au dialogue interculturel à l’école catholique.
Ainsi, dans plusieurs écoles bruxelloises, des expositions sur les religions ont pu être mises en place et présentées par les élèves après avoir fait les recherches nécessaires. Par ailleurs, la visite de lieux religieux appartenant à des communautés différentes encourage aussi le dialogue interreligieux. Permettre aux élèves de différentes confessions de partager leur foi dans un espace bienveillant, constructif et respectueux, même s’il est malgré tout marqué par la proposition de la foi chrétienne, constitue des démarches importantes pour un meilleur « vivre-ensemble » au sein de la société.
4. Rendre Dieu désirable
Trop souvent, les récents attentats terroristes ont créé un amalgame chez les jeunes qui associent la religion avec la violence. Pour la plupart des jeunes, la religion n’est plus désirable, d’autant plus si, dans leur esprit, elle encourage des actes de violence abominables. En reprenant ici une expression chère à André Fossion[21], je partage pourtant avec lui cette conviction que le christianisme peut encore répondre aux grandes énigmes de l’existence et aux questions fondamentales de sens que se pose l’être humain, et a fortiori celles du jeune en formation. Pour cela, un réel changement des mentalités devra s’opérer afin de rendre à nouveau le christianisme désirable.
D’après ce jésuite, quelques attitudes permettent au témoin engagé en pastorale de proposer joyeusement cette foi : s’imprégner de l’amour excessif de Dieu pour ensuite en rayonner dans une logique du don et du contre-don, voir Dieu en toute chose pour reconnaitre la grâce infinie de Dieu pour tout homme et vivre dans la charité pour rester un témoin crédible. Ces recommandations suffiront-elles ? En tout cas, elles décrivent l’esprit dans lequel doit se placer l’éducateur chrétien.
5. Favoriser les démarches culturelles
Depuis son Congrès de 2012, l’école catholique souhaite s’engager vers une plus grande autonomie en encourageant notamment les démarches culturelles. Cette piste mérite d’être approfondie tant par les acteurs de terrain que par les théologiens pour faire sens auprès des jeunes. Comme l’écrivait Paul Tillich, « la culture est la forme de la religion et la religion est la substance de la culture » : rétablir des ponts entre cultures et religions, comprendre les liens qui se tissent entre ces deux sphères et montrer leur interpénétration, enfin, faire comprendre aux jeunes qu’à toute interrogation ultime de l’être humain, s’exprimant notamment par le monde des cultures et des religions, correspond une réponse de l’Évangile permet de leur donner des suppléments de sens dans leur quête de réponses face aux énigmes de la vie.
Très concrètement, l’équipe de pastorale scolaire peut mettre en place chaque année des actions assez simples à réaliser logistiquement :
– analyser avec les jeunes les œuvres artistiques inspirées par la bible qu’ils peuvent rencontrer lors d’une visite de ville, de musée, ou simplement dans les médias, et les mettre en lien avec la bible. Ainsi, pour les élèves qui ont la chance de découvrir Rome, leur faire découvrir les œuvres de Michel-Ange, du Caravage et du Bernin permet à la fois de mieux comprendre la ville mais donne aussi aux jeunes des balises pour mieux comprendre l’histoire de l’art et du christianisme ;
– les faire réfléchir sur des citations qui émanent des philosophies, des hommes de sciences et de foi, ou des différentes spiritualités et leur permettre d’écrire ce qu’ils en retirent, indiquer ensuite dans le journal de classe des élèves ces citations visibles alors pour toute la communauté scolaire. Ces démarches très concrètes favorisent clairement l’ouverture aux cultures et donnent du sens à chacun, en reliant également avec les enfants et les professeurs les parents qui découvrent eux aussi ces citations dans le journal de classe qu’ils doivent signer quotidiennement ou hebdomadairement.
6. Porter les projets pastoraux dans la prière
Certes, l’école catholique revendique aujourd’hui davantage d’autonomie, d’abord vis-à-vis du monde politique mais aussi vis-à-vis des autorités ecclésiastiques même si des liens forts existent toujours entre l’école et l’Église (présence partielle de prêtres et/ou de congrégations religieuses dans certains établissements). Néanmoins, porter les projets pastoraux dans la prière donne du sens et permet de ne pas considérer les activités réalisées comme de simples « alibis » qui justifieraient la différence entre les écoles catholiques et les écoles officielles.
Cette communion de prière se vit dans certaines écoles avec des jeunes volontaires sur un temps de midi ou à l’extérieur des écoles entre professeurs (de différentes écoles du même secteur) qui confient à Dieu la réalité qu’ils vivent dans leur établissement (confier des élèves, des collègues, des activités pastorales, rendre grâce pour ce qui a été vécu, etc.). Ces « chaînes de prières » sont partagées par des membres de la direction, des enseignants, des parents ou même des élèves qui renforcent ainsi les liens de la communauté scolaire.
7. Former les acteurs en pastorale
Rien n’est peut-être devenu plus difficile aujourd’hui que de proposer des démarches spirituelles aux jeunes. Leur permettre de se déconnecter du monde, de leurs smartphones, de leurs technologies pour éduquer à l’intériorité constitue un défi immense pour les acteurs de l’école à l’heure actuelle. En même temps, il s’agit de trouver le juste milieu et les accommodements nécessaires pour que la proposition de la foi ait du sens pour les jeunes : lancer des théories sur Dieu dont ils ne perçoivent ni le sens ni l’importance n’aurait pas d’intérêt. Au contraire, l’enseignant qui veut faire vivre la pastorale aujourd’hui doit établir sans cesse des liens entre la culture des jeunes et le monde de l’Évangile : lancer des ponts, des connexions, pour créer un tissu aux mailles pleines de sens. Pour réaliser cette tâche, l’école a besoin d’acteurs formés sur le terrain et prêts à s’engager. Or, quelles sont les formations en pastorale scolaire proposées par les hautes écoles et les universités? La reconnaissance que l’on octroie aux acteurs en pastorale sur le terrain est-elle suffisante? Vu l’ampleur des enjeux, l’engagement en pastorale scolaire mérite une réelle formation et une vraie reconnaissance de ses acteurs pour que ceux-ci continuent à travailler dans des équipes dynamiques et motivées année après année.
Avec ces sept recommandations (encourager et valoriser les démarches, donner toujours plus de sens, promouvoir une école catholique « ouverte » d’un point de vue social, culturel et religieux, rendre Dieu désirable, favoriser les démarches culturelles, porter les projets pastoraux dans la prière et former les acteurs en pastorale), peut-être avons-nous une formule qui encourage la formation d’une « élite spirituelle et humaine ». Tous les acteurs de l’école peuvent trouver leur place dans ce projet pédagogique et spirituel : rien n’empêchera un professeur de mathématique de donner plus de sens à son cours, un parent pourrait prier pour les projets de l’école, un directeur pourrait valoriser le travail remarquable de ses élèves et ces derniers, quelle que soit leur origine sociale, pourraient s’impliquer avec tout ce qu’ils sont dans la vie de leur école, que ce soit dans leur classe ou dans une liturgie de la Parole par exemple. C’est un projet exigeant, mais personne n’en est exclu, que ce soit sur une base intellectuelle, économique, politique, sociale ou religieuse.
De plus, avec ce type de projet basé sur une pastorale scolaire dynamique, l’école ne peut pas faire autrement que d’être attentive aux « tout petits » : économiquement, des fonds d’aide existent et permettent aux enfants des familles moins aisées de poursuivre leur cursus scolaire ; pédagogiquement, les directions mettent en place des aides pour les élèves en difficulté (remédiations, tutorat, parrainages, etc.), relationnellement, les enseignants sont invités à être attentifs à chaque jeune (remarques positives, commentaires constructifs et humains dans le bulletin qui soulignent aussi les progrès), etc. Toute personne qui travaille dans une école catholique sait que ces initiatives existent et qu’elles visent à ce que chacun progresse : elles favorisent une communauté scolaire basée sur l’équité et est attentive à ces « tout petits ». Certes, cela ne veut pas dire que la réussite est totale mais, en tous cas, des moyens sont mis en place pour que tous aient cette chance d’avancer.
Enfin, s’il fallait encore confirmer l’engagement de l’école catholique pour les plus pauvres, voici les mots de l’abbé Delville en préface de la troisième édition de Mission de l’école chrétienne en 2014 qui reprend quelques extraits de l’exhortation apostolique du pape François Evangelii Gaudium : il souhaite aux acteurs de l’école « d’être des artisans d’intégration des pauvres dans la société et des ouvriers de paix et de réconciliation (n°197 et 219). C’est ainsi que nous témoignons de l’Évangile, à travers notre enseignement et à travers nos manières de vivre (n°134). »
Deux autres extraits de cette troisième édition nous convaincront définitivement :
« L’humanisme chrétien [qui doit être présent dans les écoles catholiques], c’est la reconnaissance de chaque personne comme éminemment digne et la conviction que chaque être humain est plus grand que soi-même[22]. »
« [L’école chrétienne] se veut particulièrement attentive aux plus démunis[23]. »
* * *
Enfin, avant de conclure, afin de réfléchir à plus large échelle pour tous, je voudrais simplement rappeler que la spiritualité n’est pas l’apanage des écoles catholiques. En traitant de la « pastorale scolaire », cet article a logiquement tenté de démontrer de quelle manière celle-ci marquait de manière indélébile la vie des écoles catholiques. Toutefois, la référence aux évangiles ou à la religion en général n’est pas absolument nécessaire pour développer la spiritualité de l’être humain. En ce sens, l’école officielle peut elle aussi, à sa manière, mettre en œuvre cette tâche d’éducation humaine et spirituelle. Ainsi, André-Comte Sponville, dans son ouvrage L’esprit de l’athéisme : pour une spiritualité sans Dieu, travaille le concept de fidélité. Lui qui est devenu athée à l’âge de 20 ans, après avoir été éduqué dans la foi, explique comment les valeurs de l’Évangile continuent à faire sens pour lui malgré la perte de sa foi. Son approche de la spiritualité pourrait donc aussi être travaillée avec des élèves de l’enseignement officiel, au-delà des cours de morale ou de l’EPA[24], pour peu que des « équipes » portant ce projet naissent ou grandissent dans ces écoles ; à elles alors de mettre en place les structures qui leur permettront de répondre à cet appel. Cependant, si le but de former à la spiritualité pourrait être semblable dans les deux réseaux, les chemins à parcourir seront sans nul doute différents – notamment en raison de la référence à l’Évangile dans les écoles chrétiennes – et, en tout cas, l’école catholique gagne déjà de toute façon à prendre conscience de toutes ressources dont elle dispose déjà grâce à la pastorale scolaire pour répondre au défi essentiel de la spiritualité au XXIe siècle.
4. Conclusion
« Élite » et « éducation » sont des termes qui, par leur préfixe latin ex, invitent à « sortir de », à « aller vers ». En Belgique francophone, l’école catholique a pour ambition d’aider les adolescents à grandir en humanité et à sortir de leur moi étroit pour devenir autonomes et généreux pour le monde de demain. Depuis les années ’70, les écoles catholiques ont repris conscience de leur mission de service à la société en accordant davantage d’attention aux plus « petits » économiquement et socialement. Certes, elle pourrait encore intensifier ce mouvement pour échapper aux critiques. Néanmoins, aujourd’hui, cette attention pour tous, et particulièrement pour ceux qui en ont le plus besoin économiquement, socialement, relationnellement et pédagogiquement se développe sans que cela ne semble réellement altérer la qualité de leur projet d’enseignement. Mais si l’école catholique a une vraie mission à jouer dans le monde de demain, c’est de permettre de créer non seulement une « élite » intellectuelle, mais aussi et surtout une « élite » humaine qui aura le souci d’équité dans le monde qu’elle créera demain. Pour cela, des démarches déjà en place avec les activités de pastorale scolaire, mais certainement à intensifier dans les écoles, permettront aux jeunes de trouver des moments de pleine conscience afin qu’ils aient l’ambition de mettre leurs multiples talents (cf. Mt 25, 14-30) au service de tous pour une société du futur plus humaine, plus spirituelle et plus équitable. Pour reprendre – et adapter – une célèbre devise du jésuite François Varillon dans les documents officiels de l’école catholique belge : À Dieu maintenant de diviniser ce que l’homme a humanisé !
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Pour citer cet article
Référence électronique : Geoffrey Legrand, « La pastorale scolaire dans les établissements secondaires catholiques en Belgique francophone : un « modèle » qui réconcilie l’éducation des élites et des « plus petits » ? », Educatio [En ligne], 5 | 2016. URL : https://revue-educatio.eu
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* Enseignant responsable de l’animation de la pastorale scolaire à l’Institut Saint-André d’Ixelles (Bruxelles) et doctorant à l’Université catholique de Louvain (UCL) sous la direction du Professeur Henri Derroitte.
[1] http://www.lalibre.be/actu/belgique/pourquoi-choisit-on-l-ecole-catholique-51b8f1fde4b0de6db9c82005 , page consultée le 21 août 2015.
[2] À l’heure actuelle, et même si cela a été le cas par le passé (cf. règne des valeurs de Bankgog dans la partie historique) les représentants de l’école catholique belge se montrent plus prudents quant à marquer la spécificité de leur réseau par les valeurs : « La spécificité de l’école chrétienne ne tient pas d’abord aux valeurs prônées, mais aux ressources mobilisées pour les fonder et les pratiquer, à savoir l’Évangile et les traditions éducatives qu’il a inspirées ». SeGEC, Mission de l’école chrétienne, 3e éd., 2014, p. 18. Texte consultable en intégralité sur le lien suivant : http://enseignement.catholique.be/segec/fileadmin/DocsFede/SeGEC/mission_EC_web_01.pdf
[3] DE MUNCK Jean, Un projet culturel pour l’école du XXIe siècle, dans Entrées libres (hors-série), (août 2013), p. 35-36.
[4] http://www.lalibre.be/actu/belgique/l-ecole-catho-s-arrange-pour-concentrer-un-public-favorise-51b8f239e4b0de6db9c82ea1, page consultée le 21 août 2015.
[5] SeGEC, Mission de l’école chrétienne, 3e éd., p. 18.
[6] Ibid.
[7] Cette partie s’inspire du parcours historique de LEGRAND Geoffrey, La pastorale scolaire de Bruxelles-Brabant wallon en 2014 : repères théoriques, points de vue pratiques et propositions théologiques pour l’avenir, Mémoire de Master sous la direction d’Henri Derroitte, Louvain-la-Neuve, UCL, 2014, 179 p.
[8] ÉVÊQUES DE BELGIQUE, Lettre collective au corps enseignant des établissements d’enseignement catholique, dans Revue diocésaine de Tournai, 19 (1964), p. 183.
[9] Répartition de la société belge par piliers.
[10] CONSEIL GÉNÉRAL DE L’ENSEIGNEMENT CATHOLIQUE, Spécificité de l’enseignement catholique, Bruxelles, 1975, A 2.3.
[11] Ibid., A 4.1 et 4.6.
[12] CONSEIL GÉNÉRAL DE L’ENSEIGNEMENT CATHOLIQUE, Mission de l’école chrétienne, 1e éd., Bruxelles, Licap, 1995, p. 2.
[13] Ibid., p. 5.
[14] COMMISSION INTERDIOCÉSAINE DE PASTORALE SCOLAIRE (CIPS), Bonne nouvelle à l’école. Penser à neuf la pastorale scolaire, 2005, p. 7.
[15] Ibid., p. 9.
[16] ROBITAILLE Pierre, La pastorale scolaire dans l’École catholique dans le contexte français, dans Lumen Vitae, 70/ 3, (2015) p. 327.
[17] CONSEIL GÉNÉRAL DE L’ENSEIGNEMENT CATHOLIQUE, Pour penser l’école catholique au XXIe siècle, octobre 2012, p. 25. Texte consultable sur le lien suivant :
http://enseignement.catholique.be/segec/fileadmin/DocsFede/Une_publication/documents_de_reference/brochure_demunck_web.pdf
[18] Le politique travaille déjà sur cette question via le décret « Inscriptions ».
[19] Pour la Belgique francophone, voir le Décret Missions de 1997.
[20] Alors que les élèves de l’officiel ont encore le choix entre un cours de religion catholique, ou israélite, ou orthodoxe, ou protestante, ou islamique ou de morale non confessionnelle. Depuis septembre 2015, ils peuvent désormais demander une dispense pour ces cours qui seraient, en partie, remplacés par l’EPA (Encadrement Pédagogique Alternatif).
[21] Voir notamment son ouvrage : FOSSION André, Dieu désirable. Proposition de la foi et initiation, Montréal/Bruxelles, Novalis/Lumen Vitae, 2010, p. 25: « Si la grâce de Dieu est excessive et si la foi chrétienne est radicalement non nécessaire pour être engendré à la vie de Dieu, la foi chrétienne est néanmoins radicalement précieuse pour la vie. Elle transfigure et permet de vivre de manière pleinement neuve. »
[22] SeGEC, Mission de l’école chrétienne, op. cit., p. 6.
[23] Op. Cit. , p. 18.
[24] L’EPA est l’Encadrement Pédagogique Alternatif pour les élèves dispensés du cours de morale ou de religion dans les écoles officielles.