L’identité salésienne selon Xavier Thévenot

Thierry Le Goaziou

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Argument : A partir de quelques expressions comme « habiter vers sa véritable demeure, le voyage de l’être, le combat éthique, la figure du veilleur», le théologien salésien propose une construction identitaire singulière et originale qui s’adresse autant à l’éducateur qu’au moraliste. Elle peut être comprise comme l’illustration d’une condition humaine commune ou comme une façon d’être au monde qui s’applique dans des espaces variés, éducatif, pédagogique, thérapeutique, éthique. Au-delà de la conviction croyante au sein de laquelle elle s’enracine, une telle approche contribue à définir un lien social renouvelé, basé sur une recherche nomade, une voie itinérante du sens de l’action. Elle réaffirme une certaine passion d’être et la valeur toujours actuelle de l’engagement pour l’autre, les choses et le monde tel qu’il est.

Habiter sa véritable demeure !

Dans le cadre d’un ouvrage collectif consacré à la pédagogie salésienne, le théologien moraliste français Xavier Thévenot évoque cette expression à propos du système préventif de don Bosco[1]. Quelle est sa démarche qui aboutit à l’évocation de cette véritable demeure et la nécessité d’y habiter ? Il rappelle d’abord qu’il n’existe pas d’amour sans loi en illustrant son propos à travers quelques références bibliques : le récit de la Genèse (Gn 2), l’alliance mosaïque (Ex 19-20), la rencontre de Jésus avec le jeune homme riche (Lc 18, 18-23) et le sermon sur la montagne (Mt 5-6). De ce dernier, Xavier Thévenot conclut que « ce qui régit en dernière instance la conduite du chrétien ne saurait donc être un calcul utilitariste se frayant à moindre frais un chemin tranquille entre les exigences des codes sociaux. Ce doit être l’appel de Dieu au bonheur; appel qui provoque chacun à percevoir que la loi, en son fond, est habitée par l’exigence du respect sans conditions de tout homme, quand bien même celui-ci serait un ennemi »[2]. Une telle perspective est, d’un point de vue éthique, très élevée et le risque d’échec est réel. Si, pour Xavier Thévenot, « la conversion imposée par le sermon sur la montage aux codes sociaux doit devenir la règle de toute institution familiale et éducative qui prétend être chrétienne »[3], celle-ci ne peut aboutir qu’avec « la présence agissante de Dieu dans le monde »[4]. Celle-ci permet de ne pas dissocier la promesse du Père – l’appel au bonheur – des exigences du Fils – le respect inconditionnel de chaque être – issues du sermon sur la montagne.

C’est à partir de cette conviction que Xavier Thévenot déploie le fondement spirituel de la pédagogie salésienne dans une triple dimension théologique ; c’est, à la fois, une pédagogie de l’alliance, de la grâce et de la promesse. L’alliance est le thème biblique par excellence qui illustre, selon Xavier Thévenot, « la présence agissante de Dieu ». Inscrit au cœur de la révélation, il n’est pas nécessaire d’y revenir ici en détail. Repérons simplement que Xavier Thévenot est conscient du caractère original de l’expression : « don Bosco aurait été sans doute étonné que l’on présentât sa pédagogie comme une pédagogie de l’alliance. Tel n’était pas son vocabulaire. Pourtant une telle présentation paraît tout à fait légitime, et peut donner beaucoup à penser »[5]. Afin d’illustrer l’attractivité de cette notion, un déplacement est suggéré dans la compréhension de l’intervention éducative salésienne : « En effet, l’espace éducatif de confiance et de loi que don Bosco proposait aux jeunes n’était pas qu’un espace de fiabilité humain régi par des normes morales. Il était, d’abord et avant tout, un espace structuré par la logique de l’Alliance entre Dieu et l’humanité »[6]. L’éducateur est invité à aller au-delà du strict cadre défini par les règles de vie institutionnelles et les usages sociaux qui dictent les modalités relationnelles entre jeunes accompagnés et adultes accompagnant. Il est appelé à voir plus loin, différemment, par-delà le consensus professionnel. Appliquer simplement et scrupuleusement les principes dictés par l’espace de l’intervention éducative s’avère insuffisant pour comprendre le sens de l’alliance instaurée avec un jeune confié, en difficulté sociale et familiale, en processus d’exclusion.

Concevoir une pédagogie de l’alliance qui se vit quotidiennement sous le régime de la grâce, c’est-à-dire dans l’accueil libre du don gratuit du Père, c’est tenter, selon Xavier Thévenot « de créer un espace éducatif régi par l’amour (agapè), tel que ce dernier se révèle en Dieu »[7]. La spécificité de ce type d’amour, qui se distingue de la passion (éros) tout autant que de l’amitié (philia) permet de découvrir « la dignité inaliénable de la personne humaine, là même où elle n’est pas directement visible, et contribue à mettre en lumière sa valeur et à la développer »[8]. La personne vulnérable, en situation de handicap ou gravement malade retrouve ainsi, par la médiation de l’amour évangélique, une contenance et une espérance. Car cet agapé se déploie dans « une sorte d’attitude de retrait, d’apparente faiblesse, d’autolimitation »[9]. Cette « puissance d’effacement » selon la belle expression du moraliste salésien « sauvegarde pleinement l’être propre de celui qui la vit, libère la liberté d’autrui en ce qu’elle a de plus mystérieux »[10]. Cette forme radicale de cet amour qui se retire, illustré d’une façon définitive par la kénose du fils constitue le fondement du système préventif de don Bosco. Celui-ci fait de l’hymne paulinien à la charité (1 Co 13, 1-13) le fondement spirituel et existentiel de l’engagement éducatif. Appelé à découvrir le mystère du jeune blessé par la vie, l’éducateur devra apprendre à gérer son propre désir, à accepter la lenteur et les régressions, à résister à son envie de réussite, de performance et d’évaluation. Rapidement, il fait l’expérience de la limite de son action, aussi professionnel soit-il. Il se rendra ainsi vite compte « que tenter d’aimer – d’une façon gratuite, par effacement – comme Dieu aime, que respecter ses ennemis comme le Christ les a respectés, dépasse largement ses propres capacités d’homme laissées à elles-mêmes »[11]. Le « désaisissement devant l’initiative gratuite de la liberté de l’Esprit »[12] fait de l’éducateur authentique une sorte « d’ouvreur d’avenir » qui doit être persuadé que la notion « d’éducabilité » ne doit pas cesser de s’élargir et de s’enrichir. En somme, « l’agapé de Dieu découvre en chaque être humain le chemin éducatif par lequel il pourra devenir davantage ce que malgré ses limites et malgré son péché, il n’a jamais cessé d’être : une personne créée à l’image de Dieu »[13].

Une pédagogie de l’alliance comprise comme une pédagogie de la grâce aboutit inévitablement à mettre en avant la promesse divine dont elle est porteuse. L’histoire biblique peut être comprise comme une succession d’engagements, de Noé au Christ que Xavier Thévenot propose de synthétiser de la façon suivante : « Je (Dieu) serai avec vous dans votre marche vers la liberté, vous habiterez votre véritable demeure et votre joie sera profonde ! »[14].

Dans l’analyse de l’expression « être-avec » ; le théologien moraliste rappelle que cette présence est portée, implicitement, dans l’énonciation même du nom divin, tel qu’il se manifeste à Moïse dans le livre de l’Exode. La colonne de nuée, présente le jour et la colonne de feu, présente la nuit manifeste cet engagement divin auprès de son peuple. Analogiquement, Xavier Thévenot y voit une inspiration profonde et pertinente par l’action pédagogique : « Eduquer, à l’exemple de Yahvé, c’est marcher avec le jeune, et non pas à sa place. C’est en se tenant toujours à juste distance, ne pas hésiter à le conduire à travers des déserts, en vue d’une liberté plus grande. C’est prendre le risque que devant la dureté de la marche, il ne réactive faussement la nostalgies des servitudes qu’il tente de fuir, et ne cède aux mirages des idoles, c’est-à-dire des fausses visions de l’homme et de Dieu »[15]. Cette dimension nomadique de l’acte éducatif donne à penser ; il s’agit bien de pérégriner avec, de marcher, de souffrir de la faim et de la soif, c’est-à-dire d’accepter de se tromper, de faire marche arrière, de revenir sur ses pas, d’être hésitant, d’essayer, de chercher. La conception d’une voie de l’action éducative balisée, sans détour, sans virage, sans fausse route est à l’opposé de la conception salésienne. Cet « être-avec » trouve son aboutissement ultime dans l’incarnation du Fils, tel qu’il s’est donné à voir avec les hommes dans le monde. Le Verbe qui se fait chair est pour don Bosco, selon Xavier Thévenot, le modèle idéal dont doit s’inspirer l’éducateur. En marchant à la suite du Christ, fondateur indépassable, en imitant la façon dont celui-ci nous a accompagné et continue de nous accompagner, à l’instar des témoins d’Emmaüs, l’éducateur prolonge le chemin du Fils de l’homme et s’inscrit dans une longue lignée éducative. Rappelant la fin tragique de celui qui s’est donné pour la multitude, Xavier Thévenot insiste sur la posture du Christ, qui, toujours prêt, mû par une audace étonnante et parfois déroutante, est allé, sans hésiter, à la rencontre des pauvres, des marginaux, des personnes fragilisées, des malades, des exclues. Le Christ a rencontré en vérité, sans utiliser son pouvoir, en acceptant de comprendre le mal, en se décentrant de lui-même, le vaste monde complexe des personnes vulnérables, souffrant d’un handicap, aussi bien physique, psychique, mental, social. Xavier Thévenot précise : « Ainsi tout au long de son existence terrestre, le don de lui-même que fait le Christ, est toujours précédé et accompagné d’un recevoir. Eduquer, c’est inlassablement apprendre à recevoir. Il n’est de maîtrise éducative que celle qui se vit en relation avec une certaine démaîtrise face à la capacité éducative d’autrui »[16].

Recevoir de l’autre d’une part, accepter de se déposséder de soi d’autre part constituent, parmi d’autres, deux repères structurants, deux bouées fondamentales à laquelle l’éducateur doit perpétuellement se raccrocher. Il s’agit, pour Xavier Thévenot, de procéder à un renversement intérieur dans la conception même de l’acte éducatif ; c’est celui à qui je suis envoyé, qui m’est confié dont j’apprends d’abord avant de transmettre un savoir, une pratique ou un conseil. Concomitamment, en acceptant d’abord de recevoir avant de proposer, je me décentre de moi-même en adoptant une posture d’humilité qui refuse la toute-puissance.

Xavier Thevenot analyse ensuite la seconde partie de l’expression désignant la pédagogie de la promesse : « Tu habiteras ta véritable demeure »[17]. Il reprend la thématique de l’alliance, scandée en trois moments fondateurs : celle d’Abraham à qui Dieu promet un pays, celle du Sinaï qui débouche sur la Terre promise, celle du Christ enfin, nouvelle alliance qui inaugure la Jérusalem céleste. Cette configuration progressive d’une unique alliance divine aboutit à une nouvelle identité ; en effet, selon Xavier Thévenot, « le Nouveau Testament fait comprendre au chrétien que, dès sa vie terrestre, la promesse divine se réalise de façon proprement inouïe : sa véritable demeure est en Dieu (Jn 15,4) ! Mais la demeure de Dieu est son propre cœur (Jn 14,23) !»[18]. Arrêtons-nous sur cette thématique johannique essentielle de la demeure[19]. La première référence citée par Xavier Thévenot appartient à la parabole de la vigne (Jn 15, 1-17), où le Christ affirme être la vraie vigne du Père. Il est l’auteur de l’émondage des disciples qui sont transformés par la parole divine. S’ils répondent librement à l’appel de Dieu, précise l’exégète Xavier Léon-Dufour, « c’est grâce à la Parole qui les a émondés. Mais il dépend d’eux de se maintenir en Christ. Le thème de la parole souligne que la relation du croyant avec Jésus est d’ordre personnel, de sujet à sujet. La réalisation effective du dessein de Dieu requiert leur activité, leur demeurer en[20]. Le sens de cette expression signifie « adhérer fidèlement ». Alors que dans le discours du Pain de vie (Jn 6,56 qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui), l’acte de demeurer est compris « comme un aboutissement et un don inamissible », la perspective dans le chapitre 15, selon Xavier Léon-Dufour, diffère : « demeurer en Jésus exige de la part du disciple une fidélité qui domine l’écoulement du temps, et le regard se porte au-delà, vers le fruit à produire dont l’union avec le Fils est la condition. Demeurer en devient ainsi un appel »[21]. La première partie du verset 4 surprend par son caractère impératif : « Demeurez en moi et moi en vous »[22], soulignant la dynamique projet, l’inscription dans la durée et le chemin d’une conversion toujours à renouveler. Dans la seconde référence johannique proposée par Xavier Thévenot (Jn 14,23 si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera et nous viendrons à lui et nous établirons une demeure auprès de lui), le mot « demeure », selon Xavier Léon-Dufour, a « une force évocatrice extraordinaire, en relation avec la tradition du Temple et avec l’attente eschatologique des prophètes »[23]. Le croyant devient ainsi, par son unité avec le Fils, « demeure de Dieu », en conservant dans son cœur la parole. Dans ce passage, la stabilité, la permanence et l’illumination d’une telle condition sont mises en avant. Le choix de ces deux citations permet à Xavier Thévenot d’articuler le chemin vers Dieu comme chemin vers soi-même : « Ainsi, se quitter pour Dieu, c’est dans le même mouvement se retrouver soi »[24]. Afin de trouver Dieu, il convient de s’éloigner de soi. En trouvant Dieu, on se retrouve soi-même. La demeure signifie ici autant le chemin qui tend vers que le but à atteindre. Tout en étant depuis toujours atteint puisqu’il est au cœur de notre vie et au centre de notre cœur. Ce mouvement intérieur nous impacte et nous transforme profondément : « Mais c’est découvrir alors un autre soi purifié, agrandi, transfiguré par l’amour de Celui qui y a fait sa demeure »[25]. Le chrétien fait l’expérience d’une nouvelle identité, provisoire et fragile, en attente de devenir un soi définitif « ressuscité par la puissance de Dieu ». Il pourra alors, dans une perspective eschatologique, jouir pleinement de la demeure divine.

Dans un autre article, à propos de la démarche catéchétique, Xavier Thévenot met en évidence la fonction expressive « de l’auto-communication de Jésus » qu’il estime particulièrement humanisante : « loin de fasciner, j’allais dire de méduser, au sens étymologique de ce terme, elle (cette fonction expressive) mobilise pour faire trouver la véritable demeure de Dieu … qui est soi-même »[26]. Cette convergence forte entre recherche divine et découverte de son identité singulière trouve également son inspiration à partir de la vision johannique de la foi : « C’est lorsque, soucieux de trouver la demeure du Christ (Jn 1,38 : où demeures-tu ?), je me mets en route par l’amour (Jn 1,39 : venez et voyez) que je découvre que ce Christ ressuscité fait en moi sa demeure (Jn 14,23 : si quelqu’un m’aime, mon Père et moi nous ferons chez lui notre demeure) »[27]. C’est à un véritable « cercle herméneutique » qu’est ainsi convié le croyant dans une démarche unifiée de foi : « Trouver l’universalité de Dieu en la singularité du Christ, c’est se trouver soi-même non plus enfermé dans la clôture de son moi, mais ouvert à un Hôte qui donnera la véritable fécondité : Qui demeure en moi comme moi en Lui, porte beaucoup de fruits (Jn 15,5) »[28].

Cette posture interpelle tout homme en marche à la suite du Christ ; l’éducateur bien sûr mais aussi le moraliste catholique. Pour Xavier Thévenot, celui-ci doit s’efforcer de refuser une rationalité « qui veut s’absolutiser ou s’idolâtrer »[29]. Il doit toujours se laisser guider par la folie de la croix, en capacité de s’opposer à des normes « suprahumaines tombées d’un pseudo-ciel évangélique »[30]. Citant le théologien Stanislas Breton, Xavier Thévenot rappelle l’inévitable radicalité de la puissance du Christ en croix : « L’écoute de la foi suppose le renoncement à l’autosuffisance et par là même la reconnaissance de la Croix. Mais cette mortification, loin d’anéantir la raison, lui fait franchir, par l’audace d’une transgression, le seuil de sa véritable demeure »[31]. Dans cette perspective, la raison se débarrasse de ses certitudes pour accepter de passer sur l’autre rive, celle d’une rationalité totalement novatrice, qui lui permet d’accéder à une demeure nouvelle, la sienne.

Selon Xavier Thévenot, le fondateur des salésiens était « profondément animé par cette promesse de l’authentique demeure »[32]. Dans un contexte environnemental marqué par la fragilité sociale et la précarité sanitaire de son époque – le XIXème siècle industriel de la banlieue turinoise- don Bosco avait le souci, à défaut d’une vie heureuse, d’une fin dernière réussie et orientée vers Dieu. Dans cette perspective, chaque « option éducative était passée au crible de ce critère : contribue-t-elle à acheminer le jeune vers le ciel, sa demeure authentique et définitive ? »[33]. Appelé à paraître à tout moment devant la face de Dieu compte tenu de la précarité de l’espérance de vie, le jeune confié à don Bosco et à son équipe devait être en capacité de pouvoir passer sur l’autre rive et rencontrer en vérité son créateur. Ainsi le cheminement proposé par la pédagogie salésienne « convoque à un difficile exode qui fait passer de l’état d’esclave, ou si l’on ose dire de demeuré, à l’état d’un itinérant qui se laisse guider vers la demeure de liberté »[34]. Cette sensibilité aux fins dernières devrait être à nouveau valorisée aujourd’hui dans l’acte éducatif, estime Xavier Thévenot. Elle possède un atout puissant car elle appelle chaque être à jouir du monde comme ne devant pas en user (1 Co 7,31) prenant au sérieux la dimension provisoire de chaque chose. Cependant, précise le théologien moraliste, il ne s’agit pas de se réfugier dans une pensée eschatologique désincarnée, qui fait l’économie de l’affrontement au réel dans ce qu’il peut avoir de décapant et d’incertain. Il propose une voie du milieu, un équilibre instable qui appelle chaque membre de la communauté éducative à vivre joyeusement cette tension entre le déjà-là du royaume et sa plénitude à venir. Cet espace transitionnel[35], pour reprendre l’expression du pédopsychiatre Donald Winnicott, est celui de l’eucharistie, sacrement de l’Alliance, « source et sommet de toute la vie chrétienne »[36].

Que retenir de cette expression originale « habiter sa véritable demeure » proposée par Xavier Thévenot ? D’abord, elle s’enracine dans une conviction socle : par sa présence agissante et rassurante, Dieu nous invite au bonheur. La construction de celui-ci s’élabore, au sein de la spiritualité salésienne, comme une triple pédagogie, de l’alliance, de la grâce et de la promesse. Celle-ci est une marche vers la liberté qui permettra à l’ensemble de l’humanité mais aussi à l’être singulier le plus vulnérable de parvenir à la joie, un état sidérant et inouï, en résidant dans une demeure définitive, authentique et véritable. En se dépossédant de son pouvoir et de son statut de « sujet supposé savoir », pour reprendre l’expression du psychanalyste Jacques Lacan, l’éducateur est invité à un chemin de conversion, de retournement, d’acceptation de l’inconnu. C’est en laissant de l’espace à l’autre fragilisé que l’on se décentre de soi-même. Cette expérience du vide, provisoire et partielle, permet de se retrouver autrement, de rencontrer différemment le Seigneur, en lui faisant une place nouvelle que l’ego tout puissant ne rendait guère possible. La thèse proposée par Xavier Thévenot et qui s’appuie sur la conception johannique de la rencontre divine : « se quitter pour Dieu, c’est dans le même mouvement se retrouver soi »[37] nous semble être l’expression de l’acceptation de l’entrée dans cette nouvelle demeure, celle du cœur, de la reconnaissance, du don de soi et de l’accueil de l’autre.

Du voyage de l’être au combat éthique !

Dans son ouvrage Compter sur Dieu, considéré par certains commentateurs comme le plus abouti, Xavier Thévenot évoque la spécificité de la morale chrétienne[38]. S’inscrivant à la suite de la position du théologien jésuite Henri Bouillard, Xavier Thévenot affirme « qu’il n’existe pas, en droit, de spécificité de la morale chrétienne quant à son corpus normatif. C’est-à-dire que tout ce qui se commande au nom du Dieu de Jésus-Christ doit pouvoir se justifier du point de vue de la vérité de l’homme, et tout ce qui est prescrit par la raison droite doit pouvoir montrer sa cohérence avec la vérité de la foi chrétienne »[39]. De cette conviction découle le constat d’une absence de normes éthiques qui n’appartiendrait qu’au christianisme et que l’Eglise, dans une attitude d’isolement et un risque de replis, serait seule à porter et à promouvoir. En revanche, précise Xavier Thévenot, « il est légitime d’affirmer qu’il y a une morale chrétienne spécifique, ou plutôt qu’il y a une spécificité de l’apport du christianisme à la vie morale, car le christianisme représente un « système » original et complexe d’influence morale »[40]. Comment rendre compte de cette influence spécifique ? Le théologien moraliste propose, d’un point de vue théologique, une démarche en trois temps sur laquelle nous allons maintenant nous attarder[41].

Préalablement, Xavier Thévenot rappelle que « Dieu se révèle en plénitude à travers son Verbe fait chair, accueilli sous l’action de l’Esprit »[42]. Cette révélation se manifeste à travers la figure du Christ par l’intermédiaire de multiples médiations. Cette figure est constituée de cinq grandes réalités : la ritualité liturgique, l’Ecriture, l’Eglise, l’humanité, le cosmos. La vie morale est traversée par ces dimensions et cherche à se les approprier dans une démarche herméneutique qui vise « la mise en cohérence de l’existence » toute entière. Ce rapport « entre l’agir moral et l’herméneutique chrétienne » est comparée par Xavier Thévenot à une « boucle rétroactive » et qui lie d’une façon complexe la juste interprétatio

n et ce qui permet de vivifier l’agir. Dans cette perspective, on comprend mieux que « même si le christianisme laisse subsister la morale humaine dans son autonomie, l’herméneutique existentielle à laquelle il convoque ne peut pas ne pas « transfigurer » cette morale »[43]. Quels sont les éléments de cette transfiguration qui constituent l’influence spécifique du christianisme sur l’agir moral ? Trois aspects sont successivement évoqués.

Dans un premier temps, s’appuyant sur quelques données anthropologiques à propos de l’émergence du sujet, Xavier Thévenot précise que dès l’enfance, l’être humain se reçoit d’un autre qui l’invite à sortir du monde fusionnel. La « précédence de l’altérité » le conduit à sortir inévitablement de la mêmeté fusionnelle. Il s’agit à la fois de s’épanouir dans la différence tout en préservant son identité : « Son ipséité de sujet libre et responsable va se construire d’une part grâce au maintien d’une certaine mêmeté qui lui procurera l’estime de soi et le sentiment de sa continuité, et d’autre part grâce à l’accueil toujours renouvelé de l’altérité dans ses multiples manifestations »[44]. Ces situations diverses procurent au sujet paix et joie et l’invitent à « inventer le sens de son existence », en combinant unification et différenciation. Au départ, il cherche un équilibre précaire en préservant une part de « saturation fusionnelle » acceptable tout en entrant progressivement dans un monde de sens déjà là. Mais cette répartition va, au fur et à mesure de sa vie d’adulte, devenir de plus en plus déséquilibrée ; l’altérité, en effet, est porteuse d’un « excès » qui va l’entraîner vers une sorte d’inconnu : « la confrontation à l’altérité déplace donc sa quête, la purifie, et surtout l’excède : le sujet vit un exode souvent décapant »[45]. Celui-ci va venir transformer le sujet ; Xavier Thevenot emprunte au philosophe Robert Misrahi l’expression « voyage de l’être » afin d’exprimer cette métamorphose radicale et continue : « Ce voyage de l’être le conduit peu à peu vers des « terres ignorées » où la joie d’être dans l’authenticité du désir et de rencontrer en vérité l’autre dépasse de loin ses attentes premières. Il lui devient alors possible de consentir au réel toujours autre, tout en le transfigurant partiellement, comme un artiste le fait de son matériau, et d’ouvrir ainsi une histoire toujours neuve. On le voit, l’expérience éthique est toujours une expérience multiforme de précédence, de consentement à une filiation, de déplacement et d’excès[46]. Pour Xavier Thévenot, l’expérience du Dieu de Jésus Christ est une illustration vivante de cette dynamique éthique La parole divine peut être comprise comme un long exode ou l’homme ne cesse d’expérimenter un Dieu tout autre qui ne cesse de l’appeler, l’invite à se dépasser, en le projetant dans un ravissement qui prend souvent la forme d’une sidération.

L’ouvrage de Robert Misrahi se présente comme une méditation philosophique d’inspiration phénoménologique qui cherche à exprimer le sens et le contenu du bonheur à travers une méditation poétique sur le thème de la joie et la thématique du voyage[47]. L’expression « voyage de l’être » parcourt la totalité de l’ouvrage. Il peut se définir comme un « mouvement autocréateur qui accède à cela qu’il poursuit par le mouvement même de le poursuivre : poursuivre la joie devient une joie, et cette joie comme lieu et moyen de la progression existentielle permet d’accéder à de plus hautes formes existentielles, à de plus hautes joies qui valent comme but. Et celles-ci à leur tour se font le moyen de nouvelles progressions joyeuses, vers de nouvelles formes d’être et de splendeur »[48]. Dans cette perspective, le chemin peut être compris comme étant lui-même le but : « le voyage peut fort bien unifier le chemin et le but, trouvant sa joie à parcourir l’un et à découvrir l’autre, faisant parfois du chemin le but, et du mouvement sa propre fin, ou dépassant tellement le chemin par le but que le voyage se réoriente lui-même dans son progrès. Tout cela est possible et peut se faire ; mais une condition est requise : le voyage doit rester voyage »[49]. Cette itinérance permanente d’exploration de soi, de vagabondage du désir est « une recherche créatrice : ce qui s’instaure est la joie d’être, ou Préférable absolu, comme modulation et harmonie sélective des différentes formes de la joie : satisfaction, contentement, joie, jubilation, sérénité, formant ensemble un sentiment substantiel ; le voyage de l’être est le pressentiment, l’approche, la découverte et la création, dans un même mouvement, de ce sentiment substantiel de l’existence »[50]. En rayonnant de joie, le voyageur vit une sorte de jubilation qui lui permet de vivre pleinement sa condition de nomade heureux, toujours en pérégrination, ne cessant de fonder et de refonder son véritable : « c’est pourquoi le voyageur de la vraie vie approfondira toujours plus la connaissance qu’il a de son propre acte de fondation de soi, dans la mesure où il sait qu’il est déjà entré dans le voyage de l’allégresse lorsqu’il s’efforce d’être le miroir ou la condition »[51].

Cette vision fondamentalement optimiste, constructive, malgré sa puissance attractive et sa capacité de séduction, doit cependant être nuancée. Sa luminosité ne doit pas aveugler le sujet dans sa recherche incessante de la vérité. Xavier Thévenot en a parfaitement conscience ; la paix et la joie sont, sans cesse, menacées par de multiples épreuves et « le monde dans lequel pénètre l’homme est un monde marqué de fragilités et de failles »[52]. Le théologien moraliste examine avec lucidité « le côté obscur » des choses et du monde dans ce qu’il y a de plus vulnérable et aussi de plus détestable. La douleur des séparations, les multiples formes de la souffrance, l’angoisse de la mort, les multiples brisures de la vie, les peines et les tourments, les persécutions et les détresses diverses, l’affrontement au mal enfin concourent à ne plus croire que la vie vaut la peine d’être vécue.

Face à cela, le « voyageur de l’être » va devoir lutter pour préserver et maintenir son exigence morale[53]. Le sens de l’existence prend ainsi la forme d’un « combat en faveur du sens contre l’absurde qui travaille le monde »[54]. Car le monde réel qui est puissance d’éradication de la fusion infantile initiale propulse le sujet vers des réalités mortifères qu’il va devoir affronter sans l’avoir fondamentalement choisi. Le monde est tel qu’il est, ni totalement aberrant ni totalement joyeux. Un combat incertain, aléatoire qui se doit de composer avec une réalité mélangée, parfois gratifiante, parfois désespérante. Ce qui anime cette lutte « se fonde en définitive sur un acte de foi et d’espérance en la réalité humaine et cosmique dont on pense qu’elle montrera le bien-fondé de la décision d’aimer »[55]. Si l’amour est le moteur de l’action, de l’agir moral juste, de l’engagement éthique durable, la tentation de fuir n’est pas rare. Le renoncement prend des formes et des visages variées : simplification idéologique, masque du divertissement, volonté d’effondrement, basculer en choisissant d’être « sans foi ni loi »[56].

Que retenir de cette première étape concernant la transfiguration de la vie morale proposée par la foi chrétienne ? La conception de l’existence comme « voyage de l’être » ou le sujet doit mener un combat éthique dans le monde afin de s’affirmer et de croître en humanité constitue un socle anthropologique dynamique. Même si Xavier Thévenot ne le cite pas, la figure du combat de Jacob (Gn 32, 25-33) illustre clairement cette lutte indécise de la construction de l’identité humaine ; Jacob ne perd pas mais il ne gagne pas non plus, il sort blessé du combat après une longue lutte nocturne. L’enfant devenu adulte doit accepter les choses telles qu’elles sont sans pour autant sans satisfaire. Le combat qu’il doit mener est incertain car le monde est mélangé et ambivalent ; il convient à la fois de consentir sans se compromettre. Xavier Thévenot parle à ce propos de la « structure paradoxale » du combat de l’existence morale[57]. Il faut apprendre à affronter le mal en le regardant bien en face sans se laisser vaincre par lui, c’est-à-dire sans craindre de s’effondrer. Dans une perspective ricoeurienne, Xavier Thévenot invite le sujet « à chercher avec d’autres, à agir par et sur les institutions d’une société donnée, à trouver et à créer partiellement le sens de sa vie »[58]. Cette exigence et cet équilibre trouvent un terrain propice d’application dans l’exercice de la compassion[59]. Dans une perspective dynamique et active, cette attitude « qui rend solidaire de l’autre et qui se fait inventive dans la mise en œuvre des moyens pour tenter de diminuer sa souffrance » se présente sous la forme d’un « combat »[60]. Elle est même, précise Xavier Thévenot « cobelligérance contre le mal et ses diverses ramifications ». L’être compatissant ne doit pas avoir peur de lutter pied à pied contre les multiples défigurations du mal, de l’absurde, du néant. Porteur d’espérance, il est capable d’entendre la plainte de l’être souffrant, sans compromis ni concession, sans chercher à fuir le cri de celui qui souffre, sans chercher à régresser dans une sorte d’enfouissement fusionnel avec la personne vulnérable. Le combat de la compassion doit ainsi interroger ses propres fondements et affronter « l’ambiguïté du cœur de l’homme »[61]. Dans le cadre d’un effort de lucidité sur ses motivations profondes, « la compassion doit devenir cet exode souvent douloureux où le désillusionnement s’opère » ; ainsi le sujet moral doit être en situation de reconnaître « son incapacité au moins momentanée à vibrer aux souffrances de l’autre parce qu’elles font trop peur, parce qu’elles sont insupportables et semblent entraîner dans une spirale mortifère »[62]. La compassion est un engagement parfois radical qui n’exclut pas l’humilité et la reconnaissance que le combattant n’est pas tout puissant. Soutenir l’autre suppose une éthique de la compassion tournée également vers soi.

Si le « voyage de l’être » et le « combat éthique » conservent toute leur actualité et leur pertinence pour le chrétien en constituant une réalité incontournable de son être au monde, la puissance de la Révélation va cependant situer autrement la façon dont il est invité à vivre ces déplacements. Les médiations évoquées plus haut impactent inévitablement la compréhension de ces derniers. Xavier Thévenot examine, dans un deuxième temps, l’influence formelle de l’Ecriture dans la mise en œuvre du combat éthique. L’être humain n’est pas un créateur de sens qui ne partirait de rien ; il est projeté dans un monde qui le précède, porteur de propositions de sens existantes qu’il va devoir découvrir dans le cadre d’une démarche innovante d’appropriation. Au sein d’une fidélité inventive transmise par les générations antérieures, il va devoir à son tour pénétrer le sens de la parole divine. Cette heuristique croyante singulière va s’atteler à décrypter la diversité des types d’altérité dont est porteuse l’Ecriture biblique. Xavier Thévenot en distingue quatre. La première est celle du temps. Le chrétien est obligé « de se confronter à l’étrangeté d’une histoire tumultueuse, et qui plus est d’une histoire qui ne nous arrive qu’à travers des historiographies elles-mêmes très diverses »[63]. La seconde est celle de la culture et du choc de la rencontre de la différence. Dans une belle formule, il est précisé que « l’auditeur de la Parole de Dieu est ainsi conduit à découvrir la dimension du Même dans ce qui lui paraît autre, voire étrange, et simultanément, à laisser pénétrer, dans son désir de tout ramener au Même, l’altérité des textes qui viennent du passé »[64]. La troisième altérité est celle de la typologie littéraire et de l’extraordinaire éclectisme des textes rencontrés dans la Bible. La lire avec attention permet à son lecteur de constater que « Dieu ne fait pas l’économie des tâtonnements dans la découverte des solutions aux problèmes que l’homme rencontre sur sa route. C’est du coup être invité à ne pas fuir la complexité du réel d’aujourd’hui avec ses zones d’ombres, et à ne pas considérer trop négativement les conflits des morales »[65]. La dernière des altérités identifiée est, pour Xavier Thévenot, « beaucoup plus forte » que les précédentes. En effet, le Verbe de Dieu fait homme, « n’a laissé aucun écrit ». « Le Christ apparait comme l’Autre par excellence ». Ce vide rédactionnel oblige à un déplacement : croire en lui oblige celui qui lui fait confiance à s’inscrire dans un processus de transmission à l’intérieur duquel il doit trouver sa juste place. Cela signifie également que l’autorité première et ultime du Christ se diffuse au sein d’un« un système de renvois » entre les divers dépositaires de l’autorité magistérielle. Ce rapport médiatisé à l’autorité divine déborde largement la seule Ecriture sainte ; il est « constitutif de toute l’expérience chrétienne »[66]. Il permet une articulation pertinente du rapport altérité-mêmeté ; il en est même la condition de possibilité : « La mêmeté, en ce qu’il oblige le chrétien à rechercher la cohérence entre les diverses autorités ; ce qui lui tracera des repères fermes qui feront loi pour sa conduite. L’altérité, en ce que le chrétien est obligé de se détacher de la fascination exercée par une seule autorité, qu’elle soit de chair ou de texte, pour se mettre à l’écoute tantôt des données explicites de la foi chrétienne, tantôt de la sagesse des hommes, y compris de ceux qui ne savent rien de la foi chrétienne »[67].

L’illustration de l’apport formel de la Révélation, à travers l’exemple de l’Ecriture, pourrait être aisément étendue aux autres médiations ecclésiales. Mais le contenu de la Révélation éclaire d’une façon plus déterminante encore, la transfiguration apportée par la foi chrétienne trinitaire à la vie morale. D’autant plus que selon Xavier Thévenot, en christianisme, « la forme, c’est déjà le fond »[68]. Ce contenu se trouve particulièrement magnifié dans la célébration eucharistique qui contient, à la suite de Vatican II, « ce trésor de l’économie trinitaire » et qui constitue le troisième temps de sa démonstration. Il récapitule d’abord les trois expériences que l’existence éthique conçue comme « voyage de l’être » inaugure : la précédence, la gratuité, la filiation. L’eucharistie les reprend et les amplifie. Elle précède d’une manière absolue celui qui rejoint la table du Seigneur ; elle est totalement gratuite et n’exige rien en retour ; elle nous fait devenir fils de Dieu, réconcilié par le sacrifice ultime du Christ. Elle permet de rompre le risque de délaissement que tout voyageur ne manque pas de ressentir à un moment ou un autre de son long parcours : « Le voyage de l’être devant Dieu fait comprendre que la solitude à laquelle il conduit n’est pas isolement, et encore moins abandon, mais possibilité de trouver son propre désir, dans la communion avec un peuple qui peut appeler son Sauveur « Emmanuel », Dieu-avec-nous »[69]. Autre qualité intrinsèque de l’eucharistie : sa capacité à lutter contre un risque majeur de perversion qui consiste à « concevoir Dieu comme un Absolu délié de l’histoire des hommes »[70]. Le repas pascal exalte toujours un Dieu trinitaire, c’est-à-dire « une Divinité qui est une communion différenciée et différenciante »[71]. L’effort éthique ainsi déployé se trouve en quelque sorte purifié de ses tendances idolâtriques. Plus fort encore, l’eucharistie célèbre le mystère de la croix en invitant le voyageur à en faire le centre de son combat éthique. En assumant totalement et jusqu’au bout de son existence la condition humaine, le Christ est une figure crédible qui sert de repère et sur lequel le combattant de l’éthique peut s’appuyer sans crainte et avec profit.

Ainsi que le rappelle Xavier Thévenot, « le combat en faveur du sens, selon le christianisme, peut et doit se mener en référence continuelle au Crucifié »[72]. En plaçant le visage et le corps défiguré du Christ en souffrance au centre de sa lutte pour une existence éthique juste et conforme, le voyageur de l’être en valorise nécessairement la dimension artistique, en invitant à contempler cette forme douloureuse de la beauté exposée sur le bois de la croix : « La morale chrétienne prend, du coup, au sérieux le faciès esthétique du combat éthique en proposant la conformité à la beauté de l’amour du Christ comme critère d’authenticité des conduites morales »[73]. Quelle est la nature de cette expérience esthétique selon Xavier Thévenot ? Elle oblige l’homme « à se décentrer de lui-même pour se laisser « ravir » par ce qu’il contemple ; elle le conduit à se laisser interpeller par une sorte d’altérité qui s’exprime à travers le sensible ; elle ouvre un chemin d’humilité parce que la figure belle éduque et remodèle les précompréhensions de ce qui est digne d’être admiré ; elle se présente comme un temps de grâce, c’est-à-dire de gratuité et de purification ; enfin elle fait soupçonner que liberté et consentement, loin de s’exclure, doivent se conjuguer »[74].

Dans cette perspective, le voyageur de l’être qui mène un combat éthique qui vise l’équilibre peut être comparé à une sorte d’artiste. Xavier Thévenot l’imagine en évoquant l’acte créatif : « l’artiste n’est-il pas celui qui, consentant à la résistance de son matériau, modèle celui-ci et le transfigure en une réalité qui dépasse de loin ce que l’on pouvait espérer de lui ? »[75]. Le monde tel qu’il nous apparait et nous précède est un matériau éminemment résistant, composé d’îlots désespérants et désenchantés mais aussi de joies gratuites et de formes de vie heureuse, qui ne demande qu’à être transformé par l’engagement moral de celui qui combat. En vivant et en plaçant au cœur de l’action morale la contemplation du Crucifié, le combat éthique se donne les moyens de ne pas perdre de vue que le mal, dans ses formes aliénantes et oppressantes, n’est jamais loin : « Le monde, quand il se refuse aux appels de l’Esprit, est capable de préférer le chaos à la liberté, le mensonge à la vérité, la mort à la vie. Aussi la suite du Crucifié a-t-elle quelque chose de décapant, d’excessivement décapant même tant elle dévoile l’ampleur de la perversion humaine »[76]. Les risques de découragement sont réels et il n’est pas rare que le renoncement au combat éthique puisse être imaginé et même souhaité, car il est aisé de se convaincre, soi-même ou avec l’aide d’autrui, de l’inanité d’une telle lutte. Afin de contrer ce danger, Xavier Thévenot rappelle, avec raison, que la marche à la suite du Christ doit s’enraciner dans l’espérance de la Résurrection, comme nous le signifie la célébration eucharistique. Cette posture insiste sur l’indépassable « fragilité du combat éthique ». Il n’est pas tout puissant. En prenant la décision de croire en une parole de vie, reçue de la lignée croyante des apôtres avant nous, le voyageur de l’être qui se tourne vers la lumière du Christ accepte plus facilement la finitude, la déchéance, l’absurde. Loin d’en faire l’économie, il la partage mais sans s’y arrêter ; il traverse en quelque sorte le courant, porté et transfiguré par une force nouvelle qui l’habite. Il acquiert ainsi la certitude que son combat n’est pas vain, que son voyage vaut la peine d’être vécu, « à la suite du Ressuscité dont l’Esprit travaille en lui, il se rend capable d’investir autrement la condition humaine »[77] ; celle d’un voyageur qui a choisi de faire sa véritable demeure en Dieu, de faire de Dieu son unique et authentique demeure.

La figure du veilleur

Si le sujet engagé dans la promotion de la juste action morale se trouve transporté, en voyage, toujours en mouvement, et qu’il doit mener une lutte pour asseoir une véritable éthique, il lui arrive également, pour aller jusqu’au bout de sa démarche et inscrire son engagement dans la durée, d’assumer la fonction de veilleur. Commentant l’attitude attendue du théologien moraliste, Xavier Thévenot rappelle qu’il se concentre, en tout premier lieu, sur l’analyse des écarts au regard des normes ambiantes et qu’il prend le temps de le faire. Mais cet état d’esprit critique comporte un risque : celui de se « tenir à l’écart » en transformant l’écart initial en errances. Un discernement est nécessaire dans la gestion du rapport au temps : « D’un côté, il doit se tenir suffisamment à l’écart pour rester ce qu’il doit être : un « veilleur » de l’altérité devant la violence arbitraire du même. D’un autre côté, il doit parfois réagir très vite pour que ce qui lui apparaît comme étant un germe d’aliénation grave ne se développe pas trop »[78]. Ce rôle de guetteur est un exercice d’équilibre instable ; c’est une mise à l’écart volontaire de la part du sujet éthique qui n’a de cesse de revenir dans la rencontre et le dialogue. Il est ainsi attentif à l’ouverture et à la qualité de la rencontre marquée par l’expérience de la différence dont le modèle premier est celui du Christ : « Aussi, pour le moraliste, rencontrer le Christ, vivre comme Lui, est-ce ouvrir un espace où peut se déployer pleinement le jeu de l’Altérité : cette Altérité dont il doit précisément être un des veilleurs »[79]. Cette belle responsabilité de « veilleur de l’Altérité » peut conduire son dépositaire à une expérience de l’incompréhension et de l’inévitable solitude qui en découle. L’isolement, le reproche, la critique constituent le quotidien du veilleur.

Ainsi, concernant l’analyse de la réception des positions du magistère, Xavier Thévenot insiste sur le fait qu’il faut parfois tenir une position inconfortable ou défendre une affirmation que la plupart récuse ; face à ce qui peut être perçu comme « un obscurcissement du cœur et de l’esprit », même partagé par le plus grand nombre, la fonction de « veilleur » s’avère nécessaire afin de préserver un discernement pertinent[80]. La parole prophétique illustre cette attitude de veille : « Ainsi, à temps et à contre temps, le Magistère doit-il se faire le « veilleur » (Ez 3, 16-21), le prophète qui proclame la nécessité du respect et de l’amour de l’autre, qui dénonce toute exploitation de l’homme par l’homme et tout écrasement du pauvre, qui redit sans se lasser que la règle d’or de la réciprocité dans l’Evangile (Mt 7,12) est le passage obligé de la vie morale »[81]. Par extension, tout baptisé est appelé à cet état d’éveil permanent, à ce souci de l’autre et à la préservation de son identité ; « la tâche essentielle de chaque chrétien est d’être un veilleur de la dignité de l’homme, de cet homme qui est image de Dieu »[82]. Préserver l’autre dans ce qu’il a d’essentiel en s’opposant à la barbarie qui vise son éradication parce qu’elle craint sa différence représente ainsi une ligne de conduite normative. Dans cette perspective, le chrétien mais aussi tout voyageur de l’être engagé dans un combat éthique, selon notre lecture des textes de Xavier Thévenot, est celui qui se démarque d’un consensus mou afin de mieux affirmer l’irréductibilité de chacun, comme être unique, comme créature libre et nomade, qui aspire à sa véritable demeure.

S’opposer à la « blancheur » !

Dans un ouvrage récent, le sociologue David Le Breton évoque l’attitude qui consiste à ne plus vouloir être soi par une sorte de défaut de soi, par lassitude, par dépit, par renoncement, par crainte[83]. Une façon d’abandonner la vie et se s’abandonner soi-même qui traverse les âges de l’existence, de l’adolescence au vieillissement, et qui affecte profondément et diversement le processus identitaire. L’analyse de cette posture singulière d’affaissement social et psychique, cette perte de passion aboutit à la notion de blancheur. Elle exprime une tendance profonde, un mal-être que le moraliste, l’éducateur ne cesse de rencontrer : « J’appelle blancheur, propose David Le Breton, cet état d’absence à soi plus ou moins prononcé, le fait de prendre congé de soi sous une forme ou sous une autre à cause de la difficulté ou de la pénibilité d’être soi »[84]. Répondant au sentiment « de saturation, de trop-plein éprouvé par l’individu », elle dessine, « entre le lien social et le néant, un territoire intermédiaire une manière de faire le mort pour un moment »[85]. Sorte « d’engourdissement », elle est une façon de choisir de ne plus choisir, pendant un temps donné, dans l’attente hypothétique et lointain d’un retour d’une puissance de la volonté qui permettra d’assumer à nouveau son identité. Avec le risque que cette redynamisation soit toujours repoussée, voire à jamais perdue.

Ce regard sociologique pertinent sur cette posture abandonnique partagée par des sujets très différents vient en contre point, nous semble-t-il, de la proposition salésienne. A travers les différentes notions que nous venons de parcourir – le voyage de l’être, le combat éthique, la figure du veilleur, l’aspiration à son authentique demeure – Xavier Thévenot, en théologien moraliste, nous propose une autre conception de la construction identitaire qui refuse cette blancheur. Non pas basée sur la fuite et le renoncement mais axée sur la dimension temporelle et spatiale de la condition humaine. Pour le sociologue, « la compréhension des mondes contemporains peut ressaisir la singularité d’une histoire personnelle en croisant la trame affective et sociale qui baigne l’individu et surtout les significations qui alimentent son rapport au monde »[86]. Cette tâche nécessaire est un exercice lucide qui illustre le risque bien réel de l’effondrement social. Mais l’être humain ne se réduit pas à ses difficultés identitaires, profondes certes mais le plus souvent passagères. Toujours il rebondit et repart, comme le philosophe Jean-Louis Chrétien nous le rappelle : « Temporel, de part en part, jamais l’homme ne demeure ni vraiment ne fait halte, et, qu’il le veuille ou non, chemine incessamment »[87]. Cet itinéraire permanent que nous avons rencontré avec l’expression du « voyageur de l’être » et celles qui lui sont associées est un guide rassurant, une repère permanent dans un monde incertain. Refuser sa condition de nomade, c’est repousser l’inéluctable comme Jonas qui n’entend pas la prescription de la parole divine en tentant vainement de mourir ; il ne fait que retarder le moment et l’heure où il est attendu. De même, celui qui s’engage dans l’élaboration de son identité et qui en assume les conséquences est inévitablement conduit, à travers ses échecs et ses réussites, à construire son unique demeure, à tracer son propre chemin, à parcourir sa voie singulière, en acceptant enfin de voir les choses telles qu’elles sont.

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Pour citer cet article
Référence électronique : Thierry Le Goaziou, « L’identité salésienne selon Xavier Thévenot », Educatio [En ligne], 6 | 2017. URL : https://revue-educatio.eu

Droits d’auteurs
Tous droits réservés

[1] Un groupe de salésiens et de salésiennes, sous la direction de Xavier Thévenot (1938-2004), Eduquer à la suite de don Bosco, Cerf/DDB, Paris, 1996. Dans la seconde partie de l’ouvrage L’actualité de la pédagogie et de la spiritualité de don Bosco, Xavier Thévenot intitule sa contribution Une pédagogie de la confiance et de l’alliance, pp. 131-153. Après avoir présenté les notions de confiance et de loi selon un point de vue anthropologique et philosophique, il aborde la façon dont la pédagogie salésienne peut être comprise dans une perspective théologique.

[2] Eduquer la suite de don Bosco, op. cit. p. 141.

[3] Idem.

[4] Idem.

[5] Eduquer la suite de don Bosco, op. cit. p. 143.

[6] Eduquer la suite de don Bosco, op. cit. p. 143.

[7] Idem.

[8] Eduquer la suite de don Bosco, op. cit. p. 144.

[9] Idem.

[10] Idem.

[11] Eduquer la suite de don Bosco, op. cit. p. 146.

[12] Eduquer la suite de don Bosco, op. cit. p. 147.

[13] Idem.

[14] Eduquer la suite de don Bosco, op. cit. p. 148.

[15] Eduquer la suite de don Bosco, op. cit. p. 149.

[16] Eduquer la suite de don Bosco, op. cit. p. 150.

[17] Eduquer la suite de don Bosco, op. cit. p. 148.

[18] Idem, op. cit. p. 151.

[19] Xavier Léon-Dufour, Lecture de l’Evangile selon Saint Jean, T. III, Le Seuil, Paris, 1993 dont nous suivrons ici l’analyse textuelle.

[20] Xavier Léon-Dufour, op. cit. p. 165. Le verbe « demeurer en » (ménein én) revient 7 fois du v. 4 au v. 8 dans le chapitre 15. Il parcourt, par ailleurs, l’Evangile de Jean ; il est très fréquent dans la première lettre de Jn, (cf. note n°23, op. cit. p. 165) et justifie à lui seul une recherche singulière.

[21] Xavier Léon-Dufour, op. cit. p. 166.

[22] Selon Xavier Léon-Dufour, « l’impératif ne peut valoir que pour la première partie de la phrase », op. cit. p. 166.

[23] Xavier Léon-Dufour, op. cit. p. 127.

[24] Eduquer la suite de don Bosco, op. cit. p. 151.

[25] Idem.

[26] Xavier Thévenot, Compter sur Dieu, Etudes de théologie morale, Cerf, Paris, 2009. Article intitulé L’éthique de l’acte de catéchèse, op. cit. p. 192.

[27] Idem, p. 192.

[28] Idem, p. 193.

[29] Xavier Thévenot, Compter sur Dieu, Etudes de théologie morale, Cerf, Paris, 2009. Article intitulé Les interventions publiques du moraliste catholique, op. cit. p. 54.

[30] Xavier Thévenot, Compter sur Dieu, op. cit. p. 54.

[31] Compter sur Dieu, op. cit. p. 54, note n°9 issue de Stanislas Breton Le Verbe et la Croix, Desclée, 1981, p. 28.

[32] Eduquer la suite de don Bosco, op. cit. p. 151.

[33] Eduquer la suite de don Bosco, op. cit. p. 151, note n°31.

[34] Eduquer la suite de don Bosco, op. cit. p. 151.

[35] Xavier Thévenot s’est appuyé sur différents concepts majeurs de Donald Winnicott pour éclairer le sens et la portée de l’activité pédagogique salésienne. La notion « d’espace transitionnel » est une synthèse de deux notions : « l’objet transitionnel » et « l’espace potentiel » qui concourent à promouvoir une relation éducative de qualité, rassurante et sécurisante (cf. Thierry Le Goaziou, Orientamenti Pedagogici, L’influence positive de Donald Winnicott dans l’œuvre de Xavier Thévenot, Erickson, vol 58, n°2, 2011).

[36] Eduquer la suite de don Bosco, op. cit. p. 153, note n°33 ; extrait de la constitution de Vatican II, Lumen gentium.

[37] Eduquer la suite de don Bosco, op. cit. p. 151.

[38] Collectif, Xavier Thévenot, passeur d’humanité, Editions don Bosco, Paris, 2006, publié à la suite du colloque lyonnais des 21-22/10/2005, peu de temps après son décès. Dans un article intitulé Xavier Thévenot, la créativité de la théologie au service de la morale, Philippe Bordeyne précise dans une note que si « la plupart ses ouvrages – à l’exception de sa thèse et de l’ouvrage La bioéthique – sont des recueils d’articles », l’ouvrage Compter sur Dieu est « le plus élaboré au plan systématique », note n°4, p. 32.

[39] Xavier Thévenot, Compter sur Dieu, Cerf, Paris, 2009. Article intitulé A propos de la spécificité de la morale chrétienne, op. cit. p. 15.

[40] Xavier Thévenot, Compter sur Dieu, op. cit. p. 18.

[41] Fidèle à l’ordre d’exposition de ses raisonnements, Xavier Thévenot démarre son analyse par un point de vue philosophique (ici psychosociologique) puis théologique ; nous ne reprenons ici que cette dernière. Les trois parties sont respectivement intitulées Le « voyage de l’être » et le combat éthique pp. 22-25, L’apport de la forme de la Révélation à la vie morale pp. 25-29, L’apport du contenu de la Révélation à la vie morale p. 29-34.

[42] Xavier Thévenot, Compter sur Dieu, op. cit. p. 21.

[43] Xavier Thévenot, Compter sur Dieu, op. cit. p. 22.

[44] Xavier Thévenot, Compter sur Dieu, op cit. p. 23.

[45] Idem, op. cit. p. 23.

[46] Xavier Thévenot, Compter sur Dieu, op. cit. p. 23. Dans la note n°8, Thévenot cite Robert Misrahi, Les actes de la joie, PUF, Paris 1987.

[47] Robert Misrahi, Les actes de la joie, fonder, aimer, rêver, agir, Encre Marine, Paris, 2010. L’ouvrage comprend une longue introduction consacré au bonheur comme Préférable absolu puis trois parties respectivement intitulées La joie de fonder, l’amour, la jouissance du monde. En s’appuyant sur une diversité d’auteurs, Robert Misrahi illustre le nomadisme d’un sujet fondamentalement libre et heureux qui affirme le sens de l’être dans une ode initiatique au voyage.

[48] Robert Misrahi, op. cit. p. 81.

[49] Idem, op. cit. p. 76.

[50] Idem, op. cit. p. 296.

[51] Robert Misrahi, op. cit. p. 61.

[52] Xavier Thévenot, Compter sur Dieu, op. cit. p. 24.

[53] Robert Misrahi, op. cit. p. 58. Cette expression insiste sur le sujet qui effectue le voyage. On trouve également sous la plume du même auteur « le voyageur de la vraie vie » ou encore « le voyage vers le Haut Pays ».

[54] Xavier Thévenot, Compter sur Dieu, op. cit. p. 24.

[55] Xavier Thévenot, Compter sur Dieu, op. cit. p. 25.

[56] Idem, op. cit. p. 25.

[57] Xavier Thévenot, Compter sur Dieu, op. cit. p. 25.

[58] Cf. la définition de l’éthique selon Paul Ricœur : « Viser la vie bonne avec et pour autrui dans des institutions justes », in Soi-même comme un autre, Le Seuil, Paris, 1990, op. cit. p. 202. En particulier la « petite éthique » pp. 199-344.

[59] Xavier Thévenot, in Compter sur Dieu, La compassion : une réponse au mal, pp. 123-140.

[60] La compassion, op. cit. p. 125

[61] La compassion, op. cit. p. 136.

[62] Idem.

[63] Xavier Thévenot, Compter sur Dieu, op. cit. p. 26.

[64] Idem, op. cit. p. 26.

[65] Xavier Thévenot, Compter sur Dieu, op. cit. p. 27.

[66] Idem, op. cit. p. 27.

[67] Xavier Thévenot, Compter sur Dieu, op. cit. p. 28.

[68] Idem, op. cit. p. 28.

[69] Xavier Thévenot, Compter sur Dieu, op. cit p. 30.

[70] Idem, op. cit. p. 30.

[71] Xavier Thévenot, Compter sur Dieu, op. cit. p. 31.

[72] Xavier Thévenot, Compter sur Dieu, op. cit. p. 32.

[73] Xavier Thévenot, Compter sur Dieu, op. cit. p. 32.

[74] Xavier Thévenot, Compter sur Dieu, op. cit. p. 20, passage situé au début de l’article étudié ici.

[75] Xavier Thévenot, Compter sur Dieu, op. cit. p. 21.

[76] Xavier Thévenot, Compter sur Dieu, op. cit. p. 33.

[77] Idem, op. cit. p. 33.

[78] Xavier Thévenot, Compter sur Dieu, op. cit .p. 74. Article intitulé : « Le théologien moraliste comme acteur du débat éthique », op. cit pp. 63-81.

[79] Xavier Thévenot, Compter sur Dieu, op. cit. p. 81.

[80] Xavier Thévenot, Compter sur Dieu, op. cit. p. 90.

[81] Idem, op. cit. p. 91.

[82] Idem, op. cit. p. 159.

[83] David Le Breton, Disparaître de soi, une tentation contemporaine, Metailié, Paris, 2015.

[84] Idem, op. cit. p. 18.

[85] Idem, op. cit.p. 18.

[86] David Le Breton, Disparaître de soi, op. cit. p. 22.

[87] Jean-Louis Chrétien, L’espace intérieur, Les Editions de Minuit, Paris, 2014, op. cit. p. 9.