Le sport et l’éducation chrétienne

La survivance d’un mythe et les liaisons dangereuses

François Hochepied*

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Le « sport catholique » : sujet d’historiens, réflexions désuètes ou légitimes préoccupations ?

Dans la contestation virulente qui frappe de plein fouet le christianisme, et le catholicisme en particulier (Rémond, 2000, 2005, 11, 12), le rapport au corps est l’un des points majeurs du contentieux. Il ne s’agira pas, dans le cadre de cet article, de reprendre le procès, ce qui inviterait, bien sûr, aux nuances indispensables.

Certes, il est évident que les tendances jansénistes et rigoristes dans le catholicisme ont contribué à majorer les interprétations sévères concernant le corps et le rigorisme a survécu bien au-delà des condamnations qui ont frappé le jansénisme : il appartient au temps long de l’Histoire. (Cognet, 2000, 3)

Mais il n’en demeure pas moins vrai que, contrairement à une idée reçue trop souvent affirmée de la part des athées hostiles à la religion chrétienne, cette dernière n’est pas toute entière vouée au combat contre le corps, la chair et la sensualité. Comme le remarque G. Cholvy (2010, 2), même le catéchisme officiel de l’Eglise, qui n’est pourtant pas un texte suspect d’originalité, y insiste :

« La chair est le pivot du Salut. Nous croyons en Dieu qui est le créateur de la chair ; nous croyons au Verbe fait chair pour racheter la chair ; nous croyons en la résurrection de la chair, achèvement de la création et rédemption de la chair […]. Nous croyons en la vraie résurrection de cette chair que nous possédons »[1].

Parmi ce vaste ensemble de ‘pratiques corporelles’, pour reprendre ici la notion mobilisée par les sociologues et les anthropologues pour désigner le plus souvent trois séries d’activités à la fois distinctes et interférentes : le jeu, la gymnastique – ou éducation physique – et le sport, l’attention sera ici bien plus portée aux questions liées au corps sportif, à « l’homo-sportivus », évidemment au regard de la dimension universelle du sport et de son extraordinaire développement à l’échelle de la planète, mais aussi d’un regain d’intérêt pastoral sur ces questions dans les sphères de l’Eglise.

Si nous partageons la définition du « sport catholique » que propose Y. Tranvouez (2006, 13) à savoir, « un moment dans l’histoire du sport, entre les débuts des disciplines de masse, qu’il contribue à alimenter, et le triomphe du professionnalisme et du sport spectacle », il n’en convient pas moins qu’un besoin de réflexion sur l’actualité et l’éventuelle pertinence de la question demeure et que nous ne pouvons nous résigner à l’abandonner définitivement.

En effet, sur le plan institutionnel, deux fédérations affinitaires (Lebecq, 2004, 8) emblématiques du « sport catholique », la Fédération Sportive et Culturelle de France (F.S.C.F.) et l’Union Générale et Sportive de l’Enseignement Libre (U.G.S.E.L.) viennent de célébrer des anniversaires, en ce début de XXI°siècle, qui traduisent une pérennité incontestable et une survie face aux mutations culturelles qu’elles ont rencontrées : – 110 ans en 2008 pour la première (Munoz et Lecocq, 2009, 10) et 100 ans en 2011 pour la seconde -.

Certes, au-delà des manifestations festives symboliques qui expriment une présence, que reste-t-il aujourd’hui au sein de ces fédérations de cette effervescence intellectuelle soutenue, jusqu’au tournant des années cinquante, pour l’U.G.S.E.L. (Hochepied, 2011, 7) notamment, par Barbier de la Serre (Hochepied, 2009, 6) pour essayer de définir et de mettre en scène un « sport catholique » et/ou une « éducation physique et sportive catholique » ?

A dire vrai, pas « grand-chose », à partir du moment où, d’une part, le sport a développé sa logique propre et, où d’autre part, le christianisme, dans sa version catholique, a progressivement perdu de son prestige intellectuel et, bien plus, a engendré, à son encontre, une véritable culture du mépris.

Les institutions demeurent, affichent ostensiblement des missions, des orientations et cherchent leur raison d’être dans un contexte particulièrement défavorable. Mais, au-delà de cette légitime allégresse collective autour d’un anniversaire qu’il ne faut pas renier, nous ne percevons plus guère d’expression de débats pour essayer de sortir des ornières d’un sport qui a perdu toute crédibilité éducative ou, plus encore, trouver d’autres formes de pratiques corporelles susceptibles de correspondre un peu plus à un idéal éducatif pourtant très souvent réaffirmé. Les débats initiés par Barbier de la Serre et ses collaborateurs semblent être maintenant, à tort ou à raison, des préoccupations d’historiens et finalement, comme le souligne parfaitement L. Munoz (2003, 9) à propos de la F.S.C.F, l’U.G.S.E.L. également n’a peut-être plus d’autre légitimité que son existence propre.

Car, pour mieux situer les enjeux, il ne s’agissait pourtant pas seulement pour Barbier de la Serre et ses proches collaborateurs, d’ajouter une matière supplémentaire aux programmes scolaires, ou d’organiser exclusivement des compétitions pour les scolaires mais bien d’appréhender une anthropologie nouvelle, prenant en compte l’être humain comme être corporel à promouvoir dans la plénitude de ses caractéristiques fondamentales. Malheureusement, un hiatus est né dès l’origine entre la nature de l’entreprise, où l’organisation de compétitions sportives scolaires prenait une place hégémonique, et les discours des dirigeants qui s’efforçaient pourtant de définir une « éducation physique et sportive catholique ».

Ces deux enjeux potentiellement contradictoires permettaient-ils l’émergence d’un sport catholique ou d’une éducation originale du corps chrétien ? Rien n’est moins sûr, tant la compétition sportive se suffit à elle-même. D’autres formes de pratiques corporelles auraient été sans doute possibles au regard des expériences réalisées par ailleurs, des formes qui auraient davantage été susceptibles de véhiculer l’identité d’une éducation chrétienne.

Car, s’il y avait originalité, celle-ci ne venait que des propositions d’éducation chrétienne motivées par la volonté d’enraciner une place à la formation chrétienne dans l’ensemble d’une législation scolaire française abandonnée à la Laïcité, arrachée à l’Eglise avant guerre, puis menacée par l’Ecole unique dont les débats dominent les années qui suivent le premier conflit mondial.

L’enjeu essentiel demeurait bien celui de la formation de la jeunesse et la forme, voire la nature de la société politique bien avant de définir un « sport catholique » et/ou une éducation physique et sportive originale : le « sport-moyen » aurait néanmoins pu être évité…il ne l’a pas été pour le meilleur…ou pour le pire !

Bien sûr, la notion même de « sport catholique » semble d’emblée assez obsolète et inappropriée aujourd’hui mais, à y regarder plus précisément la question mérite d’être encore appréhendée. En effet, dès le début de son histoire, le sport a été associé à des valeurs en vue de promouvoir sa pratique ; son existence même s’est ainsi établie sur des présupposés qu’il a fallu cultiver tout long de son développement jusqu’à en faire un véritable mythe. Un consensus en béton armé a lentement émergé au cours de ces dernières décennies pour distiller massivement via les appareils d’Etat et les réseaux de l’industrie culturelle, l’idée que le sport est au service de l’homme.

Malgré les affaires invraisemblables que génère l’institution sportive (dopage, matchs truqués, économie de casino, fraudes financières, comportements mafieux, trafics d’influence) et malgré les violences multiformes à tous les niveaux de la pratique, à tous les étages de l’institution, dans quasiment toutes les disciplines et dans tous les pays, le sport n’est pas soupçonné et il finit toujours par trôner, innocent dans le ciel des Idées ; les milieux intellectuels, politiques et culturels qui devraient, en principe, mettre directement en cause cet idéalisme falsificateur ne cessent, au contraire, de le renforcer en attribuant au sport ses plus belles lettres de noblesse. Le sport est devenu un lieu commun qui ne supporte même pas qu’on l’interroge et qui obtient l’accord de tous, intellectuels compris, avant même d’être questionné.

Certes, le sport représente, à la fois, un mode de vie, un horizon d’intérêts divers, un mélange d’opportunités, un assortiment de relations qui créent un monde propre, avec ses croyances, ses règles particulières, sa culture, son Autorité ; qui plus est, avec son langage composé de gestes physiques universellement compris, qui traverse les frontières, il constitue un dénominateur commun susceptible d’unir la communauté humaine toute entière et offre ainsi une opportunité et une nouvelle perspective pour l’Eglise.

Cette galaxie particulièrement complexe que le sport crée, où se mêlent des aspects esthétiques, techniques, commerciaux, politiques, médicaux, juridiques nécessite une compréhension plus profonde de la part de l’Eglise pour en maitriser les éventuels recours, au service, bien sûr, du projet évangélique fondamental.

Comme l’analyse G. AVANZINI (2011, 1)

« Il y a là un problème d’ordre proprement pastoral, qui dépasse largement une discussion d’ordre terminologique. Il s’agit d’une préoccupation sérieuse qui, après avoir été négligée, semble redevenue aujourd’hui l’objet d’une sorte de redécouverte et d’un nouvel intérêt ».

Ainsi, l’institution par Jean-Paul II , en juin 2004, d’une section Eglise et Sport dans le dicastère du conseil pontifical pour les laïcs au Vatican[2] pour faire sentir la sollicitude du Saint-Siège dans ce secteur si névralgique de la culture contemporaine, montre à l’évidence que la question demeure entière de savoir dans quelle mesure le sport a pu, peut et peut être à nouveau un moyen d’Évangélisation ; bien plus, dans la continuité de cette création institutionnelle, quatre colloques étaient organisés en ce début de XXI° siècle au Vatican (2005 : le monde du sport aujourd’hui, – 2007 : le sport, un défi pastoral et éducatif, – 2009 : le sport, l’éducation et la foi, et – 2015 : coaches : educating people.)

Cette section pontificale impulse des travaux et des réflexions autour de cinq axes majeurs :

– Etre dans l’Eglise un point de référence pour les organisations sportives nationales et internationales.

– Sensibiliser les Eglises locales à l’importance de la pastorale dans les milieux sportifs, leur rappelant en même temps la nécessité de stimuler la collaboration entre les associations de sportifs catholiques.

– Favoriser une culture du sport comme moyen de croissance intégrale de la personne au service de la paix et de la fraternité entre les peuples.

– Promouvoir l’étude de thèmes spécifiques ayant trait au sport surtout du point de vue éthique.

e- Organiser et soutenir des initiatives visant à susciter des témoignages de vie chrétienne parmi les sportifs.

Dans ce contexte, nous essaierons, après avoir préalablement situé, dans une première partie, les positions génériques actuelles de l’Eglise sur le sport, d’analyser, dans une seconde partie, si les pratiques sportives, telles qu’elles sont devenues dans cette première moitié du XXI°, peuvent encore être porteuses d’un potentiel éducatif et, bien plus, être au service d’une éducation chrétienne. C’est après avoir évoqué ces éventuelles contradictions et mystifications que nous tenterons d’exposer, dans une troisième et dernière partie, quatre intuitions susceptibles d’ouvrir un espace de réflexion sur l’éventuelle utilisation des pratiques sportives à des fins d’éducation chrétienne.

Le « ministère pastoral du sport ».

Nous centrerons notre regard sur un seul des axes de réflexions actuelles qui traversent à la fois les colloques précités et les préoccupations de la section pontificale, pour appréhender ce que nous appellerons le ministère pastoral du sport.

Force est d’abord de souligner que cette pastorale s’inscrit dans l’horizon théorique et pratique de la mission de l’Eglise ; en effet, c’est seulement dans le contexte de la mission, considérée comme une action d’évangélisation qui s’adresse aux hommes et aux femmes tant sur un plan personnel que dans leurs rapports avec la communauté, que l’Eglise trouve la seule et vraie signification de sa présence. Le but de l’Eglise est, en effet, d’aider l’homme à réaliser ses nombreuses attentes tout en maintenant exclusivement une référence précise à son objectif transcendant du Salut. La pastorale du sport ne doit pas ainsi être considérée comme quelque chose d’extraordinaire, voire une exception à la règle, même si elle est, dans une certaine mesure, une « spécialisation ».

Il convient d’abord de reconnaître que c’est le Concile Vatican II qui marque un tournant essentiel et offre ainsi, de la part de l’Eglise, une vision beaucoup plus large concernant le sport ; en effet, dans l’élaboration de la Constitution pastorale Gaudium et spes, le thème du sport est venu dans la discussion. Vatican II place le sport parmi les activités qui sont au cœur même d’une culture. Cette exposition, tout en offrant une attention inattendue au sport, permet, dans le même temps, une interprétation plus précise, dynamique et critique de celui-ci, en phase avec les changements rapides de l’époque ; le Concile ouvrait ainsi un nouvel horizon pour faciliter l’analyse et la nécessaire évangélisation de ce nouvel « aréopage » qu’est le sport.

L’Eglise, « experte en humanité », selon la formule de Paul VI, s’est toujours montrée relativement bienveillante à l’encontre du sport dans toutes ses dimensions ; elle a formulé une réflexion « originale », a encouragé sa pratique appropriée, d’abord dans le domaine de l’éducation au sein de l’Eglise, puis dans une plus grande envergure au sein de la société civile.

Néanmoins, une analyse des textes pontificaux du XX° et du début du XXI° ne révèle aucune intention immédiate et/ou explicite pour développer, en matière de sport, une formulation structurée de la pensée officielle de L’Eglise, se référant à une quelconque Ecole de pensée. En fait, chaque intervention pontificale a été effectuée dans un contexte ecclésial particulier et a été déterminée, en grande partie, soit par les caractéristiques spécifiques de l’auditoire, soit liée à une circonstance ou une activité particulière, à la célébration d’un événement au sein de l’Eglise et/ou à l’intérieur de la société dans son ensemble.

En conséquence, ces facteurs extérieurs ont, le plus souvent, déterminé la qualité de ces allocutions pontificales, dans la mesure où elles ont été, de ce fait, limitées par le temps pour prétendre pleinement développer un thème ; même s’il est vrai, que, au fil des ans, une sorte de « doctrine officielle » de l’Eglise en matière de sport a fait peu à peu son apparition pour lire et/ou éclairer la diversité des phénomènes sportifs, à la lumière de la foi et, bien sûr, dans le cadre des principes généraux de l’ordre naturel et de l’ordre surnaturel, ce fut sans pour autant aboutir à une synthèse mûre et organique dans un document de l’Eglise officielle.

Néanmoins, il ne s’agit surtout pas de répondre à la simple question de ce que pense l’Eglise du sport, comme s’il s’agissait d’une simple agence de l’opinion publique, mais bien plus de savoir comment l’Eglise réalise sa mission dans le sport : comment une communauté de témoins du Christ ressuscité annonce le message du Salut dans le monde du sport ?

Le sport, moyen d’éducation

Au-delà des événements, des acteurs et de manière diachronique, un des thèmes généraux qui permet de lire la vision du sport à la lumière du Magistère de l’Eglise et qui conserve une actualité prégnante susceptible de reprendre la question du « sport catholique », c’est le fameux slogan « le sport a des vertus, mais des vertus qui s’enseignent »

L’enseignement de l’Eglise perpétue, contre vents et marées, cette vision du potentiel éducatif de la pratique sportive, non pas certes pour un développement des activités pour et en elles-mêmes, mais au regard d’un intérêt pour la construction de personnalités confrontées aux drames de la vie ; dans une perspective morale, la vie est considérée comme un défi, une compétition, un combat.

C’est au service de l’idéal chrétien que le sport deviendrait ainsi une véritable méthode de formation sociale ; mais, dans ces conditions, il est impérativement nécessaire de le sauver d’un double péril : d’une part, celui qu’engendrent les excès du professionnalisme, mais aussi celui, de manière diamétralement opposée, qui génère l’amusement et le désintérêt, dans la pure lignée des pratiques qui ont émergé au sein des premiers clubs mondains de la haute société parisienne de la deuxième moitié du XIX°.

Vaste chantier néanmoins que de vouloir retrouver les valeurs d’un sport éducatif ; force est, en effet, de constater qu’il ne suffit pas de pratiquer un sport pour se nourrir des valeurs auxquelles le sport est associé. Cette croyance en un pouvoir quasi magique du sport présenté comme un espace de recyclage duquel tous les participants sortiraient vertueux reste pleinement imaginaire. L’expression de ce mythe enchanteur se retrouve dans le slogan même de l’U.G.S.E.L, fédération affinitaire scolaire emblématique et monopolistique de l’enseignement catholique, juste sous le logo : « éduquer, tout un sport ». Et l’éternelle et fastidieuse litanie des valeurs présumées se retrouvent à l’identique dans la préface même du « nouveau projet éducatif » de la fédération :

«  Le sport reste ce lieu privilégié de la formation en équipe, de l’apprentissage des règles communes, du respect de l’adversaire. Dans un environnement trop souvent marqué par un fort individualisme, une compétition sauvage, le sport donne l’occasion d’expérimenter le vivre ensemble et le faire ensemble » ; ou plus encore : « La pratique ludique et sportive met naturellement les enfants et les jeunes au cœur d’un vivre ensemble avec des règles à respecter et des comportements de citoyens à adopter ». (3)

Mais, si l’ambition affichée est peut-être généreuse ou naïve sur le plan axiologique et politique, qu’en est-il tant sur le plan des contenus véhiculés que sur celui des pratiques proposées ? Comment donner sens et visibilité à ce « sport fédéral catholique » si magiquement vertueux ? A vrai dire, l’U.G.S.E.L., pas plus que les autres acteurs institutionnels, ne fait guère preuve d’originalité en matière de propositions d’un sport véritablement éducatif et porteur d’une identité spécifique à l’enseignement catholique, au-delà des discours théoriques identitaires car c’est toujours la même chose qui est finalement reprochée au sport – il se suffit à lui-même – La motivation sportive est intrinsèque,  il s’agit de gagner ; le but immédiat supplante tout but éducatif supérieur.

Et, par ailleurs, la vitrine fédérale reste toujours la même d’années en années, en étroite harmonie, bien sûr, avec les fédérations sportives délégataires : les prestations aux différents championnats de France.

Quatre intuitions

Une fois cet indispensable effort d’introspection accompli pour essayer de sortir des ornières d’un sport éducatif largement inféodé aux normes des fédérations délégataires, nous nous permettons, à titre de dernière partie d’énoncer quatre intuitions pour susciter le débat et éventuellement ouvrir des voies d’harmonisation et de régulation entre des attentes d’éducation chrétienne où les jeux du corps appartiennent au patrimoine et des réalités sportives actuelles, beaucoup moins glorieuses.

Loin de nous l’idée de vouloir ici épuiser la question et prétendre que nous avons trouvé la « bonne solution » ; juste un simple désir d’éviter l’angélisme qui consiste à fournir, sans le moindre débat, une mission éducative au sport, qui plus est au service de l’éducation chrétienne.

Développer l’intériorité et la connaissance de soi

Ce titre générique est, d’ailleurs, en partie formulé dans le « nouveau » projet éducatif de la fédération de l’enseignement catholique.

Nous y retrouvons ensuite un ensemble de formulations relatives à l’importance du retour sur soi, ou de l’éducation à l’écoute du corps au repos, voire aussi des merveilles du silence. Cette terminologie semble d’ailleurs prendre appui sur une vague de sympathie actuelle envers les diverses techniques de maitrise de la personnalité, de la méditation Zen et/ou de la découverte des chemins de sagesse et de sérénité.

Mais ces actes éducatifs essentiels à offrir aux adolescents pour faire croître « la dimension spirituelle de chacun et ainsi favoriser l’expérience de la relation à Dieu » n’ont d’abord strictement rien de novateur. Il existe, en effet, dans le christianisme toute une tradition d’introspection et de domination des instincts.

Sur le plan des activités sportives stricto sensu, nous retrouvons là aussi cette approche un peu mystique qui les considère comme des moyens d’expérience religieuse pour vérifier la profondeur et la solidité des principes religieux et constater l’éventuelle concordance des exigences évangéliques et des obligations sportives.

C’est la quête de la symbiose corps-âme qui s’avère ainsi être le combat permanent et la réelle mission divine de « l’éducateur chrétien-entraîneur ». L’athlète de l’U.G.S.E.L. pour les pionniers de la fédération, ne devait pas non plus être un athlète comme tous les autres ; c’est un athlète de Dieu. L’expérience sportive pourrait aider à la réalisation de l’oubli de soi, au passage du plan physique au plan spirituel. Il s’agit, d’ ailleurs, de faire prendre conscience du contenu spirituel de tout geste humain et, plus particulièrement, du geste sportif.

Hier comme aujourd’hui, c’est, sans doute, cette seule et unique approche du sport qui permettrait d’en faire un moyen crédible. En un mot, le christianisme ne doit pas se régler sur le sport, mais il doit l’enrichir et le perfectionner ; tel est donc le but ultime : il est essentiellement éducateur et religieux.

Pourquoi l’U.G.S.E.L. ? « Parce qu’elle peut être une des voies qui mènent à Dieu » affirmait déjà le Père Maucorps en juillet 1948 dans un article de la revue de l’U.G.S.E.L.

Le sport comme une voie ascétique des vertus humaines et chrétiennes

La dimension ascétique a toujours été reconnue et les pontifes l’ont souvent affirmée de manières variées ; les pratiques corporelles sportives apparaitraient alors comme un moyen d’expérience religieuse ; il s’agit d’une approche de l’éducation sportive empreinte de mysticisme.

Pour ce faire, le sport doit être présenté en mettant surtout en valeur le rapport privilégié à la douleur, qu’il offre au-delà de toutes les autres caractéristiques : c’est l’appel de la piste sur laquelle « on souffre d’une souffrance » qui porte en elle sa joie, autour de laquelle on s’apaise en priant et où l’on trouve le calme, l’équilibre, la paix ; c’est une véritable allégorie en hommage aux souffrances provoquées et recherchées par les pratiques sportives.

D’une manière parallèle, c’est aussi voir dans la pratique sportive un cheminement gradué et harmonieux pour tendre vers un objectif clairement identifié ; ce chemin permet de dominer les passions ; la discipline du sport devient alors une sorte d’exercice des vertus humaines et chrétiennes ; le sport devient une ascèse quotidienne, un antidote contre la paresse et l’indolence à une époque et dans une société où, certes, la vigueur des esprits est plus précieuse et plus rare que celle des bras mais l’indolence pas moins répandue.

Le but du sport est le bien de la personne

En ce qui concerne le sport, un des thèmes constants tout au long de l’enseignement de l’Eglise est l’impérieuse urgence de sauvegarder l’intégrité de la personne humaine ; il s’agit, à propos de cette notion, d’une ligne de pensée qui plonge ses racines dans l’anthropologie chrétienne et la doctrine sociale de l’Eglise.

A la lumière de la valeur inaliénable de la dignité et de l’intégrité de la personne comme unité du corps et de l’âme, l’Eglise demande au sport non seulement d’en respecter l’identité mais aussi de permettre à l’individu de développer son plein potentiel quant au plan de Dieu pour sa Vie.

Dans la pratique sportive, le corps humain est l’instrument de l’excellence, mais ce corps n’est pas une fin en soi ; les pratiques corporelles, dans leurs diversités, contribuent à l’éducation, au développement, au renforcement de la constitution et de la puissance de mouvement du corps, mais uniquement pour lui permettre d’être, in fine, ainsi préparé à la disposition de l’âme, seule à même de gouverner la personne.

Gouvernance pour contribuer certes à sa quête de perfection mais surtout, but ultime, objectif suprême, objectif commun à toutes les formes de l’activité humaine dans l’enseignement de l’Eglise à savoir : – accepter d’arriver perdant face à Dieu à la fin. En ce sens, le sport, par sa limitation dramatique, permettrait de pleinement vivre la faiblesse intrinsèque de l’activité humaine.

Le sport dans le besoin de rédemption

Comme d’autres activités humaines, le sport peut faire l’objet d’utilisations ambigües et/ou négatives, qui compromettent son attachement à la personne humaine.

Le péché est présent dans le sport comme un signe de la nature humaine déchue ; dans une société dépourvue de valeurs par les consommateurs et les distorsions nihilistes, l’observation des pratiques sportives révèle, d’autant plus, l’urgence de placer au cœur de la réflexion, la dimension éthique : elle est à considérer comme la source nécessaire à partir de laquelle nous pouvons à la fois puiser la force vitale de motivation et aussi la force de dissuasion pour constater et vérifier les écarts ruineux qui menacent l’Athlète à différents niveaux et qui, par la même occasion, sont destructeurs pour le sport lui même ; ici, l’initiative pastorale trouve un terrain favorable et propice.

Pour conclure, si le sport s’est construit sur la base d’une antinomie entre des valeurs affichées et celles qui sont véritablement mises en œuvre, il semble aujourd’hui qu’il ne soit plus permis d’ignorer ces dernières sans mettre en péril l’existence même du sport ; il s’agit ici de constater la mythification du sport qui était indispensable à sa pérennité ; l’éducation par le sport tend à renforcer ce mythe.

Au regard des enjeux éducatifs légitimes et réaffirmés, qui osera avec force ré-interpeler ce mythe.

Faute d’avoir su et/ou pu concrétiser « un sport catholique original », personne ne pourra prétendre renouveler son projet éducatif et réaffirmer des valeurs sans obligatoirement sortir des ornières d’un sport qui a perdu toute crédibilité éducative.

Il aurait sans doute fallu ne pas s’enfermer dans une béatitude servile qui associe des principes certes séduisants mais décalés, voire en contradiction avec la pratique.

Vouloir attacher le sport a des valeurs, les défendre sans se pencher sur ce qui est vraiment le sport constitue une légèreté intellectuelle, voire une compromission ; activité polymorphe au service d’intérêts divers, le sport tel qu’il nous est présenté quotidiennement s’éloigne de plus en plus des idéaux sur lesquels il est censé s’appuyer.

Les nouveaux projets de la fédération affinitaire en disent peu sur ces questions et ce ne sont pas les aspects mercantiles qui sous-tendent, bien sûr, les partenariats contractuels régulièrement signés avec les fédérations sportives qui nous rendent optimistes.

Force est, de ce fait, de parier qu’un discours éducatif généreux saupoudrera encore et toujours des pratiques sportives à l’identique. Le changement, c’est maintenant, mériterait une traduction concrète en matière d’éducation corporelle chrétienne :

« A l’obsession du progrès corporel s’oppose celle d’une pratique pour la pratique, de la paidéia pour la paidéia, du ludisme pour le ludisme. A l’évolutionnisme s’oppose l’hic et nunc du plaisir de jouer ; Il s’agit donc en pratique d’éviter toute forme d’entrainement systématique, puisque celle-ci est éminemment dominée par l’idée d’un progrès futur. Cette logique est évidemment incompatible avec la forme des sports modernes et avec le système idéologique qui les sous-tend » (1994, 5)

Bibliographie

1- Avanzini G., 2011, Préface, dans F. Hochepied, Les athlètes de Dieu – naissance de l’U.G.S.E.L. -, Biarritz, Atlantica.

2- Cholvy G., 2010, Préface, dans F. Hochepied et G. Avanzini, Les cultures du corps et les pédagogies chrétiennes, Paris, Don Bosco, p. 6.

3- Cognet L., 2000, Le jansénisme, in Dictionnaire de l’histoire du christianisme, Paris, Albin Michel, p. 536-543.

4- Emery G., 2001, Péché originel, théologie et pédagogie, in le Dictionnaire historique de l’éducation chrétienne d’expression française, Paris, Don Bosco, p. 568.

5- Gleyze J., 1994, Une éducation physique du corps post-moderne, in Traité critique d’éducation physique et sportive, Montpellier, quel corps, p. 258.

6- Hochepied F., 2009, Mgr René Barbier de la Serre (1880-1969) : un éducateur conservateur et novateur, Paris, Cerf.

7- Hochepied F., 2011, Les athlètes de Dieu – naissance de l’U.G.S.E.L. -, Biarritz, Atlantica.

8- Lebecq P-A., (Réunis par), 2004, Sports, éducation physique et mouvements affinitaires au XXe siècle, Paris, L’Harmattan.

9- Munoz L., 2003, Une histoire du sport catholique. La fédération sportive et culturelle de France (1898-2000), Paris, L’Harmattan.

10- Munoz L., et Lecocq G., 2009, Des patronages aux associations – La fédération sportive et culturelle de France face aux mutations socioculturelles, Paris, L’Harmattan.

11- Rémond R., 2000, Le christianisme en accusation, Paris, Desclée de Brouwer.

12- Rémond R., 2005, Le nouvel antichristianisme, Paris, Desclée de Brouwer.

13- Tranvouez Y., 2006, Le sport catholique en France, dans XXe siècle, Revue d’Histoire, n° 92, octobre-décembre, p. 179.

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Pour citer cet article
Référence électronique: François Hochepied, « Le sport et l’éducation chrétienne : la survivance d’un mythe et les liaisons dangereuses ». Educatio [En ligne], 6 | 2017. URL : https://revue-educatio.eu

Droits d’auteurs
Tous droits réservés

* Docteur en Sciences de l’éducation – Agrégé d’éducation physique et sportive – Chercheur associé au laboratoire SPMS – EA 4180 – STAPS, Université de Bourgogne, Dijon.

[1] Catéchisme de l’Eglise catholique, § 1015-1017.

[2] L’origine du Conseil Pontifical pour les Laïcs remonte à une proposition formulée dans le décret du Concile Vatican II sur l’Apostolat des laïcs. Sa création officielle fut sanctionnée par Paul VI le 6 janvier 1967. Dix ans après sa création, le 10 décembre 1976 Paul VI procédait à sa réforme, le plaçant parmi les dicastères permanents de la Curie Romaine. Après avoir grandi en expérience et en maturité et après avoir vu les signes évidents d’un service fidèle, de l’importance de ses tâches pour la vie de l’Eglise et le ministère du Pape, Jean-Paul II – qui en fut consulteur pendant plusieurs années alors qu’il était archevêque de Cracovie – ne cessa jamais de l’encourager, le confirmant à nouveau dans l’exercice des responsabilités exigeantes qui sont les siennes. Sa compétence et sa structure ont été ensuite définies dans leurs lignes essentielles par la constitution apostolique Pastor bonus du 28 juin 1988, qui est le document par lequel Jean-Paul II a tracé la nouvelle physionomie de la Curie Romaine.