Pourquoi enseignons-nous ? Ecole du sens, sens de l’Ecole

Editions SOS éducation – 2015 – 168 p.

En partenariat avec la Communauté des Educateurs Chrétiens et l’association SOS Education, le Collège Supérieur de Lyon, fondé par Jean-Michel Dumont, a organisé en janvier-février 2015 un Colloque dont voici les Actes. Déplorant de constater dans l’institution scolaire d’aujourd’hui « la multiplication des disciplines et activités périphériques au détriment des matières fondamentales », (p.12) Xavier Dufour indique d’emblée que son objet est de « repenser le sens et la finalité de l’Ecole et de l’instruction » (p.13).

De fait, c’est une sorte d’hymne à la transmission que propose la communication dense et argumentée de F.X. Bellamy, pour qui la dérive actuelle procède encore de la persistante influence de Rousseau. Ainsi en va-t-il de l’invasion de ces « compétences », qui portent à réduire le savoir à son instrumentalité, au détriment de la connaissance elle-même. Or, la liberté de l’esprit ne s’acquiert pas contre le savoir, mais bien grâce à lui, plus précisément à la médiation assurée par l’Ecole entre la culture et l’élève, faute de quoi celui-ci devient un véritable « déshérité » (p.47)[1]

Si cela mérite d’être dénoncé, on regrette cependant une analyse parfois insuffisamment nuancée. Contester certains pédagogues contemporains plus portés à l’éloquence qu’à la réflexion est opportun, mais le rejet d’incontestables déviations ne signifie pas automatiquement la revalorisation d’une « pédagogie traditionnelle » qui a, elle aussi, manqué ses objectifs en suscitant déjà les « déshérités » qu’entendait signaler Bourdieu. Autrement dit, pour justifiée et même indispensable qu’elle soit, la transmission ne réussit pas de soi ; il lui faut aussi une pédagogie, des procédures à la pertinence desquelles son succès est suspendu.

C’est une véritable méditation sur la dignité de l’acte d’enseigner que propose ensuite J.N. Dumont : il évoque cette « rencontre des esprits », dont l’un contribue à l’engendrement de l’autre, à une « mise au monde » (p. 54) qui l’ouvre à l’univers du sens, grâce à cette « parole responsable » (id) dont le maître a la charge et qui substitue l’appréhension intellectuelle de son objet à une tentative de maîtrise violente. Encore cette rencontre des esprits n’est-elle pas exclusivement intellectuelle et s’avère-t-elle indissociable d’une rencontre plus globale des personnes. C’est bien là que s’engage une complexité relationnelle susceptible, selon les cas, de susciter aussi bien la motivation que le rejet.

Du robuste exposé suivant, celui de Bruno Roche, actuel directeur du Collège Supérieur, nous retiendrons l’insistance sur le rôle de la structure institutionnelle au sein de laquelle est gérée la transmission ; à la fois, elle garantit son authenticité et accroît sa portée. Mais, remarque-t-il, l’originalité actuelle, c’est que les enseignants sont désormais en conflit avec cette structure. Celle-ci diffuse des consignes qui les situent face à l’inévitable alternative transmission-communication, privilégie la seconde et invite à « substituer les compétences du savoir » (p. 61). Dès lors, ils se trouvent condamnés à osciller entre rébellion et alignement ; mais, s’ils se résignent à celui-ci, ils risquent bien de ne plus devenir que des « animateurs » (p.70).

Encore ne faut-il pas désespérer de leurs capacités de résistance, que proclame hautement Mme Barrage, face « au suicide culturel et national programmé par l’Education Nationale » (p.80). Nous passerons cependant plus vite sur cette seconde partie du volume, qui procède de la même inspiration. Signalons seulement l’idée centrale de deux communications majeures : celle de Marie Grand, pour qui l’éducation morale ne requiert nullement un enseignement spécifique, bien aléatoire et vite équivoque ; tous les enseignements, pense-t-elle, ont leur « portée éthique » (p. 112), liée à l’exemplarité du professeur ; celle de M. Olivier Gosset qui, critiquant les visions égalitaristes, rappelle que la recherche de l’égalité ne saurait se dissocier du respect des différents individus et, en outre, suppose précisément une transmission culturelle sans laquelle les inégalités initiales se renforcent.

Voilà donc un volume qui, sans polémique mais fermement, manifeste une nette opposition au discours officiel. Chacun en pensera ce qu’il voudra, les uns voyant une réaction de bon sens et les autres en rejetant un aspect « réactionnaire ». Notre rôle n’est évidemment pas, ici, de juger de ce qui relève d’un légitime débat. Du moins tous pourront-ils sans doute se trouver d’accord avec Xavier Dufour qui, dans un beau chapitre terminal, relatif aux « enjeux de l’enseignement du fait religieux », rappelle que, « qu’il se dise croyant ou athée, nul n’est libre dans une ignorance » (p. 161). Et il conclut « Il faut aborder la question de Dieu comme la plus exigeante que la raison puisse affronter, en tant qu’elle manifeste l’incurable tension de l’homme vers l’absolu » (p. 164). On le voit, le vrai débat pédagogique porte bien sur les finalités, sur le sens.

Guy Avanzini

[1] rappelons que F.X. Bellamy est l’auteur de Les déshérités, ou l’urgence de transmettre – 2015