Lyon – Chronique Sociale – 2017 – 204 p.
D’une session des Semaines Sociales sur l’éducation, sans doute peut-on légitimement attendre que, à défaut d’une doctrine constituée, elle en propose néanmoins une conception spécifique, située dans son temps et face aux courants dominants de celui-ci ; a fortiori en espère-t-on une vision chrétienne de l’éducation, telle qu’elle peut s’envisager de nos jours. De fait, à plusieurs égards on trouvera dans ces pages de nombreux motifs de satisfaction : et d’abord, la manière dont, en son allocution d’ouverture, et au lieu et place des lamentations habituelles sur « le manque de moyens », Dominique Quinio indique d’emblée que le vrai problème est celui des finalités : dans une société pluraliste et multiculturelle, peut-on « se mettre d’accord sur ce qu’elles doivent être » (p.7). En particulier, peut-on concilier épanouissement personnel et bien de la collectivité ? Et, comme se le demande E. Tartar Goddet, peut-on articuler aussi respect des droits de chacun et obligations ? (p. 26-27). De même découvrira-ton avec attention les multiples idées, suggestions, narrations d’expériences, propositions et « alliances éducatives » (pp. 59 et ss.) qui manifestent le bien fondé d’entreprises menées conjointement par des éducateurs de statuts divers, y compris les parents, notamment par ATD Quart Monde ou le groupe Croisement des Savoirs. Ce sont là des témoignages de vitalité et de refus des fatalismes sociaux. L’on appréciera surtout les apports de Pascal Balmand et de François Moog. Se situant sur un plan pastoral, le premier écarte une « approche utilitariste » de la formation de la personne, pour privilégier ce qui lui sera « vital pour toujours » (p.13). Ecartant, au passage, l’opposition erronée entre transmission et pédagogie (p. 16), il dit -et on lui en sera reconnaissant- préférer au « vivre ensemble », qui signifie trop souvent d’accepter de se supporter faute de mieux, un « vivre la fraternité » (p. 15), chrétiennement plus recevable. Se plaçant, quant à lui, dans le registre théologique, le second présente, en un très beau texte, « la pédagogie de Dieu », que caractérise « l’accueil inconditionnel des personnes, conjoint à une exigence radicale » (p.23). D’où la foi dans l’éducabilité de chacun, perçu avec bienveillance au-delà de son histoire et de son passé. D’où l’invention de pratiques appropriées, que restitue toute l’Ecriture et qu’illustre particulièrement l’Evangile. C’est à cela que se reconnaît une vision chrétienne de l’éducation. Puisse cette communication connaître la diffusion qu’elle mérite !
Encore éprouvera-t-on simultanément quelques regrets. Malgré sa richesse et sa densité -ou à cause d’elles ?- mais aussi en raison de son plan, ce volume ne parvient pas assez à restituer la structure et la dynamique de la session ; il lui manque un fil directeur, qui expliquerait la continuité, la méthodologie et l’unité de la démarche, notamment le travail préalable des groupes délocalisés. Pour intéressantes qu’elles soient anecdotiquement, les « conversations » ne sont pas reliées clairement à l’ensemble, non plus que la longue série des articles parus dans La Croix(pp. 150-188). De plus, la variété de thématiques un peu éclatées n’évite pas certains propos convenus, lieux communs ou simplismes : la réussite n’est pas suspendue à l’assimilation du « socle commun » et de ses « compétences », pas plus que la personne ne se réduit au « citoyen ». Aussi bien n’y avait-il guère, parmi les intervenants, de spécialistes des sciences de l’éducation.
Mais, surtout, la question centrale elle-même, par référence à laquelle tous les développements trouvent leur sens, n’est pas assez repérable au fil des pages, de sorte que la question initiale sur les finalités est comme oubliée en chemin, et que la contribution de François Moog n’apparaît pas assez comme la réponse que comporte ou, du moins, pourrait suggérer une vision chrétienne. Cela aurait été particulièrement pertinent, par exemple, à l’issue de la rencontre avec les représentants des partis politiques.
En définitive, il s’agit bien, semble-t-il, de savoir comment cette vision entend « la réussite de la personne », pour inventer, par voie de conséquence, la manière de la promouvoir, puis d’envisager, à plus long terme, ce que serait une société de personnes qui auraient toutes réussi au sens précédemment retenu : questions redoutables, certes, que les pédagogues, comme les politiques, s’empressent d’éviter, mais dont la fuite condamne à osciller entre immobilisme, opportunisme et aventurisme. Tel était sans doute l’objectif implicite de cette 91ème session. Et n’est-ce pas exactement là que l’on attend l’apport spécifique des Semaines Sociales, au titre de la doctrine sociale de l’Église, au débat actuel sur l’éducation ?
Guy Avanzini